INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi qui vous est soumis en première lecture, après déclaration d'urgence, porte habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire.

Il est renvoyé, quant au fond, à la Commission des Lois. Mais la diversité des sujets qu'il intéresse a conduit quatre commissions, dont celle des Affaires économiques -à côté des Commissions des Affaires culturelles, des Affaires sociales et des Finances- à demander à être saisies pour avis.

Votre commission s'attachera, pour l'essentiel, à examiner, quant à la pertinence de leur transposition par voie d'ordonnance, les actes communautaires -au demeurant fort nombreux- relevant de son domaine de compétence. Elle s'en remettra à la Commission des Lois et à son rapporteur, le Président Daniel Hoeffel, pour l'examen des implications juridiques d'ensemble de ce dispositif.

Elle tient cependant à marquer sa surprise devant ce qu'elle appellera -par euphémisme- les singularités de ce projet de loi.

Première de ces singularités, le nombre et la diversité des textes ou parties de textes communautaires au titre desquelles l'habilitation est demandée : 51 directives rien qu'à l'article premier, plus d'une quinzaine d'autres textes- règlements, décisions ou articles du Traité- aux trois articles suivants. Et les sujets vont des règles d'apposition des poinçons de garantie sur les ouvrages en métaux précieux à la refonte du code de la Mutualité et à la modification du code des assurances, en passant par la protection juridictionnelle des dessins ou modèles et le financement des autoroutes !

Les transpositions ou " adaptations " prévues nécessiteront sans nul doute un grand nombre d'ordonnances -sans, d'ailleurs, que le Gouvernement soit en mesure de donner de chiffre précis sur ce point-, dont certaines auront une portée normative importante.

Les précédents des années soixante dont se prévaut, dans l'exposé des motifs du projet de loi, le Gouvernement paraissant, à cet égard, sans commune mesure avec le texte qui nous est aujourd'hui proposé : à elles trois, les lois n°s 64-1231 du 14 décembre 1964 (qui n'a donné lieu à aucune application), 66-481 du 6 juillet 1966 et 69-1169 du 24 décembre 1969, permettant la transposition par ordonnances de directives de mise en oeuvre du Marché commun, n'ont débouché que sur sept ordonnances, de portée relativement limitée. Et les Gouvernements d'alors, contrairement à celui d'aujourd'hui, ne s'étaient pas senti le droit de déclarer l'urgence sur les projets de loi en cause. Il est vrai que la déclaration d'urgence semble, depuis 1997, de règle sur tous les textes qui embarrassent et que la procédure, en l'espèce, est devenue procédé...

Pour justifier sa demande et substituer au débat législatif normal une procédure d'exception, le Gouvernement invoque le retard accusé par la France dans la transposition des directives, les sanctions ou menaces de sanctions dont elle fait l'objet et une charge de travail pesant sur le Parlement qui rendrait " difficile, voire impossible " l'adoption des mesures législatives nécessaires. Singulière justification, là encore ! Le Parlement n'est pour rien dans les retards en cause et le Sénat s'est toujours, pour sa part, attaché à instruire sans perte de temps les projets de loi liés à des exigences communautaires. Il a même, pour la directive " Natura 2000 ", tenté de devancer les choses en adoptant, en juin 1998, une proposition de loi assurant cette transposition, à laquelle le ministre s'était opposé en invoquant l'imminence d'un projet de loi sur le sujet. Plus de deux ans ont passé, et le Gouvernement prétend aujourd'hui réaliser cette transposition par voie d'ordonnance.

Ajoutons qu'à maintes reprises, votre Commission des Affaires économiques a mis en garde le Gouvernement contre la lenteur avec laquelle il engageait -ou conduisait- la transposition de directives importantes.

Pourquoi, par exemple, différer de semestre en semestre l'examen du projet de loi transposant la directive " gaz ", déposé devant l'Assemblée nationale au mois de mai dernier, pour lequel aucune date en séance publique n'est encore arrêtée, alors que la transposition devrait être effective depuis le 10 août 2000 ? Quant à la " charge de travail du Parlement ", n'est-elle pas aggravée de façon récurrente par l'inscription à l'ordre du jour de textes qui doivent plus à la symbolique, à des visées médiatiques ou au souci de satisfaire telle ou telle composante de la majorité qu'aux exigences de la réforme ?

Troisième singularité -et non des moindres- ce projet de loi aux contours ambigus mêle transpositions pures et simples, " adaptations " liées aux transpositions, et réformes du droit interne non requises par les textes communautaires . Les premières sont normales, les secondes acceptables, les troisièmes inadmissibles non pas, forcément, en elles-mêmes, mais par la façon biaisée dont on entend les mettre en oeuvre. L'insistance avec laquelle l'exposé des motifs du projet de loi affirme le caractère " technique " ou " essentiellement technique " des mesures envisagées ne doit pas, à cet égard, faire illusion.

L'article 4 du projet de loi, par exemple, ne se contente pas de transposer des textes communautaires, puisque l'ordonnance qu'il prévoit étendrait à l'ensemble des usagers des autoroutes des règles que nos engagements européens n'imposent que pour les poids lourds.

Le droit communautaire qui s'est construit au cours des dernières décennies touche aujourd'hui à presque tous les domaines et intéresse la vie quotidienne de tous nos concitoyens. Son élaboration, même si l'article 88-4 de notre Constitution permet à l'Assemblée nationale et au Sénat, depuis 1992, d'être destinataires des propositions d'actes communautaires et de formuler leurs observations en amont, ne fait intervenir que de façon indirecte et limitée les Parlements nationaux. L'opération à grande échelle de transposition par ordonnances qui nous est proposée aujourd'hui aboutirait donc à un dessaisissement presque complet du Parlement sur des sujets dont certains sont loin d'être négligeables. Les Français, en particulier ceux d'entre eux pour qui l'engagement vers une Europe plus intégrée a représenté un effort, voire un pari, ne pourront que mal ressentir ce déficit de démocratie .

Au demeurant, il n'a pas paru opportun à votre commission de rejeter a priori et en bloc la voie de la transposition par ordonnances de textes communautaires fort nombreux et dont certains exposent dès aujourd'hui notre pays à des sanctions. L'urgence invoquée par le Gouvernement -même si ce dernier l'a créée ou accrue par sa défaillance- est bien réelle. Le retard accumulé est tel qu'on ne peut le résorber que par cette solution de fortune.

Aussi, votre commission s'est-elle attachée :

1. A identifier précisément, pour chaque texte communautaire intéressant son domaine de compétence, les dispositions nécessitant une modification de notre droit interne. Ce ne sont souvent, en effet, que des parties de directives qui restent à transposer.

2. A évaluer l'importance des changements que ces transpositions apporteraient à notre droit interne. Cette tâche -qui impliquait des recherches minutieuses difficiles à réaliser compte tenu du bref délai laissé au Sénat pour examiner ce projet de loi- a été facilitée par les administrations concernées : elles ont, dans l'ensemble, fait diligence pour informer rapidement votre rapporteur, lui communiquant dans de nombreux cas les projets d'ordonnances déjà élaborés.

Dans la plupart des cas, il est apparu que les modifications proposées étaient réellement impliquées par des textes communautaires, et avaient bien un caractère technique et/ou des incidences limitées. Il n'y avait donc pas d'inconvénient majeur à recourir, compte tenu de l'urgence, à la procédure de l'article 38 de la Constitution.

En revanche, la Commission des Affaires économiques n'a pas jugé acceptable d'envisager le recours aux ordonnances :

Pour les mesures qui ne correspondent pas exclusivement à une transposition ou à une adaptation nécessitée par le droit communautaire. Tel est le cas des mesures prévues à l'article 4 du projet de loi relatif au secteur autoroutier.

Pour les directives qui, par la nature même des sujets qu'elles traitent, font véritablement débat au sein de notre société et appellent à l'évidence la discussion parlementaire de fond que ne permet pas le recours aux ordonnances. Tel est le cas, aux yeux de votre commission, de la directive " Natura 2000 " et de la directive relative aux services postaux.

I. LES DISPOSITIONS RELATIVES A L'ENVIRONNEMENT (ARTICLES 1ER ET 2)

S'agissant du domaine de l'environnement, plusieurs directives ou règlements d'inégale importance sont inclus dans le projet d'habilitation.

Il s'agit plus précisément des textes suivants :

- directive 90/313/CEE du Conseil, du 7 juin 1990, concernant la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement ;

- directive 92/32/CEE du Conseil, du 30 avril 1992, portant septième modification de la directive 67/548/CEE concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à la classification, l'emballage et l'étiquetage des substances dangereuses ;

- directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des "Habitats naturels" ainsi que de la faune et de la flore sauvages et article 4 de la directive 79/409/CEE du Conseil du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;

- directive 96/82/CE du Conseil, du 9 décembre 1996, concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses ;

- directive 98/8/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 16 février 1998, concernant la mise sur le marché des produits biocides ;

- règlement (CEE) n° 2455/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, concernant les exportations et importations de certains produits chimiques dangereux ;

- règlement (CEE) n° 259/93 du Conseil, du 1 er février 1993, concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l'entrée et à la sortie de la Communauté européenne ;

- règlement (CEE) n° 793/93 du Conseil, du 23 mars 1993, concernant l'évaluation et le contrôle des risques présentés par les substances existantes ;

- règlement (CE) n° 3093/94 du Conseil, du 15 décembre 1994, relatif à des substances qui appauvrissent la couche d'ozone .

L'ensemble des dispositions transposant ces directives est présenté dans un projet d'ordonnance unique qui comporte quatre volets :

- le contrôle des produits chimiques et des biocides ;

- le réseau écologique " Natura 2000 " ;

- la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement ;

- l'organisation de la sécurité civile dans le cadre de l'association des populations à des plans particuliers d'intervention.

Il convient de souligner que cet avant-projet d'ordonnance, transmis pour l'information du rapporteur, doit faire l'objet d'une refonte totale, car la plupart des dispositions qu'il contient vont être codifiées dans le code de l'environnement, qui vient d'être publié par l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000.

Seules les dispositions relatives aux conditions particulières d'intervention dans les installations classées ainsi que celle relative à la circulation intracommunautaire des déchets ne seront pas intégrées dans le code de l'environnement.

A l'occasion de cette refonte, il conviendra également de tenir compte de cette publication, du code de l'environnement pour modifier les propositions de codification relatives tant au droit d'accès à l'information environnementale qu'à la mise en oeuvre de " Natura 2000 ", insérées jusqu'à présent dans le livre II du code rural. En effet, l'article 5 de l'ordonnance précitée porte abrogation des dispositions de ce livre II proposées à la codification, notamment dans le livre III intitulé " Espaces naturels ", et l'article 11 de l'ordonnance " utilise " le livre II du code rural " ainsi libéré " pour y insérer les dispositions de l'ancien livre IX du code rural consacrées à la santé publique vétérinaire et à la protection des oiseaux.

Le travail parlementaire et le bon ordonnancement juridique des textes souffrent, à l'évidence, de cette procédure de codification décidée par voie d'ordonnance !...

La plupart de ces textes ne soulèvent pas de difficultés majeures notamment parce qu'ils complètent des directives européennes existantes sur le sujet traité. Il en est ainsi de la directive 96/82/CE du 9 décembre 1996 concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses, qui remplace la directive 82/501 dite directive SEVESO.

De même, la directive 92/32/CEE du 30 avril 1992 constitue la septième modification apportée à la directive 67/548/CEE, sur la classification et l'étiquetage des matières dangereuses.

Par ailleurs, la directive 90/313/CEE du 7 juin 1990 concernant la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement avait été en quelque sorte, transposée " par anticipation " dans le droit français à travers la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal. Seules quelques adaptations restaient à opérer, afin de prendre en compte les spécificités environnementales. Néanmoins, la non-conformité des mesures nationales fait l'objet d'un contentieux engagé par la Commission européenne qui n'a pas encore abouti.

Enfin, la transposition du règlement n° 259/93/CEE du 1 er février 1993 concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l'entrée et à la sortie de la communauté européenne nécessite une simple mise à jour du paragraphe 4 de l'article 38 du code des douanes, qui précise le champ d'application des dispositions dérogatoires applicables en matière de contrôle sur les échanges intra-communautaires de marchandises communautaires.

En revanche, votre rapporteur considère que deux directives, parmi celles concernant le domaine de l'environnement, auraient pu utilement faire l'objet d'un débat au Parlement malgré le caractère éminemment technique de l'une d'entre elles.

En effet, la directive 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, concernant la mise sur le marché des produits biocides introduit un élément fondamentalement nouveau dans ce secteur industriel spécifique, puisqu'il soumet tous les produits concernés à une autorisation préalable de mise sur le marché. La mise en oeuvre de ce dispositif suppose des investissement financiers lourds pour les entreprises du secteur, qui vont devoir constituer des dossiers de demande très complets appuyés sur des séries d'essais démontrant l'innocuité et la toxicité de ces produits. Il y a fort à craindre que certaines des entreprises concernées ne puissent pas s'adapter à ces nouvelle contraintes.

Enfin, en ce qui concerne la directive 92/43 CE du 21 mai 1992 dite " Habitats naturels " , on ne peut que dénoncer avec force l'absence de tout débat au niveau du Parlement alors même que la mise en oeuvre de cette directive va concerner tous les secteurs d'activité ayant un lien avec le monde rural , qu'il soit terrestre, marin ou fluvial, que les projets d'aménagement ou d'infrastructures envisagés dans ces sites seront soumis à des procédures d'études d'impact lourdes conditionnant l'accord des autorités et que pour Mme Margot Wallström, Commissaire européen chargée de l'environnement, la constitution d'un réseau de sites gérés en tenant compte de leur valeur naturelle constitue un formidable défi.

A. LA TRANSPOSITION DE DIRECTIVES ET RÈGLEMENTS À CARACTÈRE TECHNIQUE

1. Directive 92/32/CEE du 30 avril 1992 portant septième modification de la directive 67-548/CEE concernant le rapprochement des dispositions législatives réglementaires et administratives relatives à la classification, l'emballage et l'étiquetage des substances dangereuses

Cette directive, qui devait être transposée au plus tard le 31 octobre 1993, modifie les procédures de déclaration des substances nouvelles, ne figurant pas dans un inventaire de substances existant sur le marché communautaire avant le 18 septembre 1981. Tout producteur ou importateur mettant une substance nouvelle sur le marché communautaire doit la déclarer dans l'Etat membre où elle est produite ou importée.

La directive modifie également les divers classements de danger des substances et préparations dangereuses. Elle ajoute notamment le classement " dangereux pour l'environnement ". Enfin, elle apporte des amendements aux règles de classification, d'étiquetage et d'emballage des substances dangereuses.

Plusieurs avantages sont attendus, en matière tant de protection de l'environnement que de sécurité pour l'individu. Ainsi, l'étiquetage des substances pour l'environnement constitue une première mesure de réduction des risques car le classement " dangereux pour l'environnement " est pris en compte dans diverses réglementations (nomenclature des installations classées pour l'environnement, classement des déchets).

De plus, l'évaluation des risques, qui tient compte simultanément des propriétés dangereuses des substances et de l'exposition à ces substances, facilite la prise de décision en matière de réduction des risques.

Il convient de souligner que l'impact sur l'emploi ainsi que les incidences financières de cette directive sont relativement faibles.

La transposition de la directive 92/32/CEE du 30 avril 1992 justifie un certain nombre d'ajustements -mais de faible importance juridique- des dispositions de la loi du 12 juillet 1977 et la plupart des modifications nécessaires en droit interne seront introduites par décret.

Les modifications législatives proposées sont regroupées dans le titre I du projet d'ordonnance avec les mesures relatives à trois règlements concernant les produits chimiques ou les substances dangereuses et qui consistent essentiellement en l'introduction de sanctions en cas de non respect de leurs dispositions puisque le contenu des règlements eux-mêmes est directement applicable en droit interne.

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