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N° 438

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1996 - 1997

Annexe au procès verbal de la séance du 30 septembre 1997.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, sur la proposition de directive du Conseil concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (n° E-211),

PRÉSENTÉE

Par M. Jacques OUDIN,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement)

Union européenne.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis 1992, le Sénat suit de près les négociations communautaires relatives à la proposition de directive concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (proposition d'acte communautaire E 211).

Le 25 avril dernier, une résolution du Sénat portant sur cette proposition est devenue définitive. Depuis lors, les négociations se sont poursuivies. Le 18 juillet 1997, la présidence luxembourgeoise de l'Union européenne a formulé une proposition de compromis qui sert désormais de base aux négociations ; deux Conseils des ministres de l'énergie auront lieu d'ici à la fin de la présidence luxembourgeoise.

Une nouvelle intervention du Sénat paraît aujourd'hui utile. Les négociations ont en effet progressé, mais des difficultés importantes subsistent, qui justifient un débat et une prise de position au sein de notre assemblée. Une directive communautaire ne peut en effet être acceptée que si elle est conforme aux objectifs de maintien d'un service public de haut niveau et de sécurité d'approvisionnement.

La proposition de compromis de la présidence luxembourgeoise contient des dispositions satisfaisantes sur plusieurs sujets :


• Les missions de service public qui peuvent être imposées aux entreprises gazières sont désormais pleinement prises en compte dans le texte de la proposition. En effet, l'article 3 paragraphe 2 de la proposition dispose : « En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité, en particulier de son article 90, les États membres peuvent imposer aux entreprises de gaz naturel, dans l'intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d'approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix des fournitures et la protection de l'environnement. Ces obligations doivent être définies, transparentes, non discriminatoires et contrôlables ; celles-ci, ainsi que leurs révisions éventuelles, sont publiées et communiquées sans tarder à la commission par les États membres. Comme moyen de satisfaire aux obligations de service public en ce qui concerne la sécurité de l'approvisionnement, les États membres qui le souhaitent peuvent mettre en oeuvre une planification à long terme en tenant compte du fait que des tiers pourraient vouloir accéder au réseau ».

En outre, l'article 8 de la proposition de directive permet aux États membres d'obliger les entreprises de distribution à approvisionner les clients situés dans une zone donnée ou appartenant à une certaine catégorie. Enfin, l'article 17 permet aux entreprises de gaz naturel de refuser l'accès au réseau lorsque celui-ci « les empêcherait de remplir les obligations de service public visées à l'article 3 § 2 qui leur sont imposées ».

Ainsi, l'une des revendications les plus importantes de la résolution sénatoriale du printemps dernier est désormais satisfaite. L'ouverture à la concurrence du marché du gaz naturel ne portera pas atteinte aux missions de service public assumées par Gaz de France. Les dispositions sur ce sujet inscrites dans la proposition de directive ne sont désormais plus contestées par aucun État membre de l'Union européenne.


• Les articles 12 et 13 de la proposition de directive sont relatifs à la dissociation comptable et à la transparence de la comptabilité. L'article 13 tend à imposer aux entreprises gazières intégrées une séparation comptable de leurs activités de production, de transport, de distribution et de stockage de gaz naturel. L'article 12 prévoit quant à lui que les États membres ou les autorités compétentes qu'ils désignent ont le droit d'accéder à la comptabilité des entreprises lorsque cette consultation leur est nécessaire pour exercer leurs fonctions. Cependant, comme le demandait le Sénat dans sa résolution du 25 avril dernier, l'article 12 de la proposition prévoit que les États membres et les autorités compétences « préservent la confidentialité des informations commercialement sensibles ».

On ne peut que se féliciter de l'inscription de l'obligation de confidentialité dans la proposition de directive. Il est en effet essentiel de ne pas affaiblir les entreprises gazières dans leurs négociations avec les producteurs en rendant accessibles à tous les informations relatives aux coûts supportés par ces entreprises.


• Dans sa résolution du 25 avril dernier, le Sénat demandait au Gouvernement « de veiller à ce que les entreprises gazières puissent honorer les contrats d'approvisionnement avec clauses de « take-or-pay » déjà conclus et continuer à en souscrire à l'avenir ( ( * )1) ». Ces contrats à long terme ont une importance capitale, compte tenu de la situation de dépendance dans laquelle se trouve l'Union européenne dans le domaine du gaz naturel. Au cours des prochaines années, l'arrivée sur le marché du gaz britannique modifiera cette situation, mais de manière tout à fait conjoncturelle. À long terme, la dépendance de l'Union est appelée à s'accroître. Or, l'importation de gaz en provenance de destinations lointaines nécessite des investissements coûteux. Dans ces conditions, il est indispensable de pouvoir conclure des contrats d'approvisionnement à très long terme. L'article 23 de la proposition permet aux entreprises gazières de demander des dérogations aux règles de l'accès au réseau afin d'honorer les contrats d'approvisionnement à long terme avec clauses de « take-or-pay » qu'elles ont conclu dans le passé ou qu'elles pourront conclure à l'avenir. Il s'agit d'une évolution tout à fait positive, même si les modalités d'obtention de ces dérogations posent certains problèmes non négligeables.

Des progrès sensibles ont donc été enregistrés dans les négociations au cours des derniers mois.

*

* *

De graves difficultés subsistent cependant dans la proposition de compromis de la présidence de l'Union européenne, qui justifient une intervention de notre assemblée. Trois points doivent faire l'objet d'une vigilance particulière :

- le statut de la distribution du gaz ;

- le degré d'ouverture du marché ;

- les modalités d'obtention des dérogations au titre des contrats d'approvisionnement avec clauses de « take-or-pay ».

1. La première question qui pose encore des difficultés dans les négociations est celle de la distribution du gaz . En vertu de l'article 4 de la proposition de directive, les États membres ne peuvent refuser des autorisations de construire ou d'exploiter des installations de gaz naturel liquéfié, des installations de stockage, et des conduites de transport et de distribution qu'en s'appuyant sur des critères objectifs et non discriminatoires. L'organisation actuelle de la distribution du gaz en France est manifestement incompatible avec cette disposition.

Le statut de la distribution du gaz naturel en France méritera très probablement un débat au cours des prochaines années. Aujourd'hui, en effet, Gaz de France jouit d'un quasi-monopole, mais n'assure pas la desserte de l'ensemble du territoire français. Dans les communes ne disposant pas de réseau de distribution, GDF a le droit exclusif de construire un gazoduc. Or, selon une circulaire ministérielle, GDF doit effectuer une analyse de rentabilité et refuser la desserte d'une zone potentiellement non rentable. Il s'agit incontestablement d'une situation quelque peu incohérente qui justifiera un examen approfondi dans l'avenir. Pour autant, on ne saurait accepter que le monopole de la distribution soit purement et simplement supprimé par une directive communautaire. Il appartiendra aux autorités françaises, et en premier lieu au Parlement français, de débattre de l'avenir de l'organisation de la distribution du gaz. Cette question relève de la subsidiarité et doit pouvoir être réglée par chaque État membre en fonction de ses préoccupations propres.

2. Le degré d'ouverture du marché envisagé dans la proposition de compromis présentée par la présidence de l'Union ne peut être accepté par la France. Pour définir le degré d'ouverture du marché, la présidence a formulé une proposition (art. 18) reposant sur les éléments suivants :

- toutes les installations de production d'électricité à partir du gaz seront considérées comme des clients éligibles (c'est-à-dire pouvant passer des contrats de fourniture de gaz et accéder au réseau) ainsi que les installations industrielles consommant plus de 25 millions de m 3 de gaz par an par site de consommation ;

- la définition des clients éligibles par les États membres devra aboutir à une ouverture du marché égale à 28 % au moins de la consommation annuelle totale de gaz du marché national du gaz ;

- si la définition des clients éligibles conduit à une ouverture du marché supérieure à 35 % de la consommation annuelle totale, l'État membre concerné peut modifier la définition des clients éligibles jusqu'à obtenir une réduction de l'ouverture du marché à 35 % de la consommation annuelle totale (ce pourcentage serait porté à 40 % cinq ans après l'entrée en vigueur de la directive et à 45 % dix ans après l'entrée en vigueur de la directive) ;

- le seuil de 25 millions de m 3 fixé pour l'éligibilité des clients industriels serait abaissé à 15 millions de m 3 après cinq ans et à 5 millions de m 3 après dix ans.

Ces différents critères destinés à définir le degré d'ouverture du marché ne peuvent être acceptés par la France,

compte tenu des conséquences très graves que pourrait entraîner leur mise en oeuvre. Pour comprendre le problème spécifique de la France, il faut savoir que la France ne dispose pas, contrairement à la plupart des autres pays de l'Union européenne d'installations de production d'électricité à partir du gaz naturel. La Grèce et le Portugal sont dans la même situation, mais bénéficieront d'un régime dérogatoire pour l'application de la directive en tant que marchés dits « émergents ». Le tableau suivant résume la situation à cet égard dans les quinze pays de l'Union :

PAYS

Part en 1996 de la production centralisée d'électricité dans la consommation de gaz

Allemagne

9%

Autriche

21 %

Belgique

17 %

Danemark

9%

Espagne

2%

Finlande

25%

France

0%

Grèce

0%

Irlande

50%

Italie

15%

Luxembourg

0%

Pays-Bas

13%

Portugal

0%

Royaume-Uni

20%

Suède

9%

L'application du seuil de 25 millions de m 3 pour l'éligibilité des clients industriels conduirait en France à une ouverture du marché d'environ 19 %. La proposition de directive impose cependant un pourcentage minimal d'ouverture du marché de 28 %. Dans ces conditions, le seuil d'éligibilité serait ramené pour la France à environ 9 millions de m 3 , compte tenu de l'absence d'installations de production d'électricité à partir du gaz. Cette situation est absolument unique parmi les pays européens et conduirait à une ouverture très brutale du marché français. L'abaissement progressif des seuils prévus par la proposition (15 millions de m 3 après cinq ans, cinq millions de m 3 après dix ans) ne concernerait que marginalement la France où s'appliquerait immédiatement un seuil de 9 millions de m 3 . Ainsi la progressivité de l'ouverture du marché du gaz naturel, pourtant nécessaire à l'adaptation des acteurs concernés, serait réduite à néant en France (à titre de comparaison, la directive relative au marché intérieur de l'électricité prévoit une ouverture du marché de 23 % lors de l'entrée en vigueur de la directive, de 28 % après cinq années d'application et de 32 % après dix années d'application). En outre, de multiples clients industriels seraient considérés comme éligibles en France alors qu'ils pourraient ne pas l'être dans les autres pays de l'Union européenne.

En fait, le pourcentage minimal d'ouverture du marché semble ne devoir concerner que la France. Dans les autres pays, compte tenu de l'importance de la production d'électricité à partir du gaz, l'ouverture du marché sera d'emblée supérieure à 28 %, sans que ces pays soient tenus de rendre éligibles un grand nombre de clients industriels. Tout se passe comme si la France devait payer ses choix en matière de production d'électricité par une ouverture accrue de son marché gazier pour les clients industriels. Ces deux marchés -marché de la production d'électricité à partir du gaz d'une part, marché des autres clients industriels d'autre part- ne sont en rien comparables et l'ouverture brutale et massive du marché gazier pour les clients industriels serait extrêmement déstabilisante pour l'opérateur national.

Le texte actuel ne doit donc pas être accepté par le Gouvernement français, dans la mesure où il ne prend guère en compte les spécificités de la structure du marché français. Il n'appartient pas au Sénat, qui ne participe pas aux négociations communautaires, de formuler des propositions chiffrées quant au degré d'ouverture du marché du gaz naturel. Il revient en revanche au Sénat, dans sa fonction de contrôle du Gouvernement, d'affirmer l'importance d'une ouverture maîtrisée et progressive du marché du gaz naturel adaptée aux intérêts nationaux. Or, les propositions actuelles ne paraissent pas conformes à cet objectif.

3. Comme nous l'avons vu, la nouvelle proposition prend en considération les contrats à long terme comportant des clauses de « take-or-pay » qui permettent aux entreprises gazières une planification à long terme. En vertu de l'article 23 de la proposition, une entreprise gazière peut demander une dérogation aux articles de la proposition relatifs à l'accès au réseau si elle rencontre « de graves difficultés économiques et financières compte tenu des engagements « take-or-pay » qu `elle a acceptés dans le cadre d'un contrat d'achat de gaz ». La prise en compte des contrats comportant des clauses de « take-or-pay » est une évolution tout à fait positive. Toutefois, les modalités d'obtention des dérogations ne paraissent pas pleinement satisfaisantes. L'entreprise concernée devrait en effet adresser une demande à l'État membre concerné, lequel devrait ensuite s'adresser à la commission européenne, qui déciderait en dernier ressort. Pour prendre cette décision, la commission serait assistée d'un simple comité consultatif composé de représentants des États membres, dont les avis ne la lient pas. Compte tenu de l'importance des décisions à prendre, il est souhaitable que la commission soit entourée d'un comité réglementaire, dont les prises de position sont plus contraignantes pour elle (en cas de désaccord, le Conseil de l'Union européenne est appelé à statuer).

Par ailleurs, l'article 23 définit une liste de critères en fonction desquels la commission pourrait accorder ou refuser la dérogation liée aux contraintes que font peser sur les entreprises gazières les contrats comportant des clauses de « take-or-pay ». Cette liste mentionne des critères tels que « l'objectif de réalisation d'un marché concurrentiel du gaz naturel » ou « la situation de l'entreprise de gaz naturel sur le marché du gaz » qui laissent une large place à l'appréciation de la commission européenne et pourraient limiter considérablement les possibilités d'obtention de dérogations. Il conviendra donc de veiller à ce que la liste des critères pouvant justifier l'obtention de dérogations soit rédigée de manière telle qu'elle ne rende pas inopérante cette disposition.

Telles sont les raisons pour lesquelles il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante :

PROPOSITION DE RESOLUTION

Le Sénat,

Vu la proposition d'acte communautaire E 211,

Vu la proposition de compromis présentée le 18 juillet 1997 par la présidence luxembourgeoise de l'Union européenne,

Vu sa résolution TA 94 du 25 avril 1997 :

- se félicite de la prise en compte des missions de service public et en particulier de la sécurité d'approvisionnement dans la proposition de directive ;

- approuve l'inscription dans la directive de la possibilité pour les entreprises gazières d'obtenir des dérogations aux règles d'accès au réseau afin d'honorer les contrats d'approvisionnement à long terme avec clauses de « take-or-pay » qu'elles ont conclu dans le passé ou qu'elles concluront à l'avenir ;

- demande au Gouvernement d'obtenir que, conformément au principe de subsidiarité, l'organisation de la distribution du gaz relève de la compétence de chaque État membre ;

- demande en outre au Gouvernement, compte tenu de l'évolution des négociations :


• de veiller à ce que l'adoption de la directive conduise à une ouverture maîtrisée et progressive du marché français du gaz à la concurrence et de s'opposer en conséquence aux propositions formulées par la présidence de l'Union européenne à l'article 18 de son projet de compromis ;


• de s'assurer que la liste de critères pouvant justifier des dérogations aux règles d'accès au réseau au titre des engagements « take-or-pay » souscrits par les entreprises gazières soit rédigée de telle manière qu'elle ne constitue pas en fait un obstacle à l'octroi de ces dérogations ;


• de veiller à ce que la commission européenne soit assistée par un comité réglementaire dans l'exercice de ses compétences en matière d'octroi de dérogations aux règles de l'accès au réseau au titre des engagements « take-or-pay » souscrits par les entreprises gazières ;


• d'informer les organes compétents du Sénat de l'évolution des négociations sur ce sujet et en particulier des résultats des deux Conseils des ministres de l'énergie qui se dérouleront d'ici à la fin de l'année.

* (1) Les accords avec clauses de « take-or-pay » sont des contrats à long terme garantissant le paiement d'un volume annuel au prix convenu, quelle que soit la quantité enlevée

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