N° 428
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2003-2004
Annexe au procès-verbal de la séance du 23 juillet 2004
PROPOSITION DE LOI
relative à la prévention et à la lutte contre l' obésité ,
PRÉSENTÉE
Par M. Claude SAUNIER
et les membres du groupe socialiste
(1)
, apparenté
(2)
et rattachée
(3)
Sénateurs.
( Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
(1) Ce groupe est composé de : Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Henri d'Attilio, Bertrand Auban, Robert Badinter, Jean-Pierre Bel, Jacques Bellanger, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Jean Besson, Didier Boulaud, Mmes Yolande Boyer, Claire-Lise Campion, MM. Jean-Louis Carrère, Bernard Cazeau, Mme Monique Cerisier-Ben Guiga, MM. Gilbert Chabroux, Michel Charasse, Gérard Collomb, Raymond Courrière, Roland Courteau, Yves Dauge, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Claude Domeizel, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Claude Estier, Jean-Claude Frécon, Bernard Frimat, Charles Gautier, Jean-Pierre Godefroy, Jean-Noël Guérini, Claude Haut, Mme Odette Herviaux, MM. Alain Journet, Yves Krattinger, André Labarrère, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche, Roger Lagorsse, André Lejeune, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, Jean-Yves Mano, François Marc, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Jean-Marc Pastor, Guy Penne, Daniel Percheron, Jean-Claude Peyronnet, Jean-François Picheral, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Mmes Danièle Pourtaud, Gisèle Printz, MM. Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Roger Rinchet, Gérard Roujas, André Rouvière, Mme Michèle San Vicente, MM. Claude Saunier, Michel Sergent, René-Pierre Signé, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Michel Teston, Jean-Marc Todeschini, Pierre-Yvon Trémel, André Vantomme, André Vezinhet, Marcel Vidal
(2) Apparenté : M. Claude Lise.
(3) Rattachée administrativement : Mme Marie-Christine Blandin.
Santé publique. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le débat parlementaire des derniers mois a été centré sur la réforme de l'assurance maladie.
Politiquement contestée, socialement inacceptable, cette « réforme » est techniquement inadaptée et condamnée à l'inefficacité selon l'analyse même des experts du ministère de l'économie et des finances.
En parallèle, le Parlement a été saisi d'un projet de loi dit de « santé publique » sans ambition ni moyens. L'approche très insuffisante du dossier de l'obésité illustre la myopie gouvernementale et souligne les carences de l'actuelle politique de santé.
Compte tenu des déficits actuels des régimes d'assurance maladie, il est malheureusement peu probable que l'importance qu'il conviendrait d'accorder à la prévention sanitaire soit prise en considération, tout au moins de façon assez significative pour être efficace.
En d'autres termes, on désespère que les caisses gérant l'assurance maladie puissent avoir, au terme de ce processus, une marge de manoeuvre financière suffisante pour consacrer des sommes relativement faibles à la prévention de pathologies qui leur coûtent et leur coûteront de plus en plus cher.
L'obésité est une de ces pathologies, tout autant que le tabac ou l'alcool. On rappellera quelques données sur ce fléau social encore trop méconnu.
Les causes de l'obésité
L'obésité est une affection polyfactorielle dont l'étiologie est à la fois génétique et environnementale.
Parmi les facteurs environnementaux, l' alimentation et, plus largement, la déstructuration du comportement alimentaire face à une offre surabondante, tiennent une place importante.
L'obésité se constitue à partir de la surcharge pondérale mais elle devient rapidement une maladie chronique difficilement réversible , ce qui revient à dire que la surcharge pondérale, qui en est la porte d'entrée, doit faire l'objet d'une vigilance particulière.
Les conséquences sanitaires et financières de l'obésité
L'obésité accroît les risques de développer des pathologies létales (de 50 % pour les coronaropathies, de 380 % pour le diabète gras, de 370 % pour la goutte et de 240 % pour les maladies liées à une hypertension artérielle). Elle est responsable de plusieurs centaines de milliers de décès par an.
L'obésité engendre des coûts financiers considérables pour les institutions chargées de gérer les systèmes d'assurance maladie (de l'ordre de 117 milliards de dollars aux États-Unis, soit 10 % de la dépense de santé, et de l'ordre de 4 % de la dépense de santé en France, soit environ 5 milliards d'euros).
La montée inquiétante de l'obésité
Selon l'OMS, il existe 300 millions de personnes obèses dans le monde.
Le taux de « surcharge pondérale + obésité », en progression régulière depuis 30 ans, est de 64,5 % aux États-Unis . Les obèses y représentent près du tiers de la population ( 30,5 % ).
L'Europe suit parallèlement cette progression.
En France, l'obésité, qui n'affectait que 6 % de la population en 1990, en a affecté 11,3 % en 2003 . Et depuis 6 ans, elle progresse annuellement de 17 %. A ce rythme, notre pays devrait atteindre le taux d'obésité américain vers 2020, ce qui impliquerait une charge annuelle de 14 milliards d'euros pour la seule assurance maladie .
Une enquête effectuée par les médecins et infirmiers scolaires montre que l'indice « surcharge pondérale + obésité » est en progression chez les élèves des classes de 3 e .
*
* *
On est donc confronté à un fléau social dont on sait avec certitude qu'il sera à la source d'un désastre sanitaire et d'une implosion financière de l'assurance maladie .
Mais la progression de ce fléau n'est pas une fatalité insurmontable.
Un volontarisme politique - des pouvoirs publics mais aussi de l'assurance maladie, qui est au premier chef concernée - peut contenir cette progression.
Le dispositif de la présente proposition vise à y contribuer sur plusieurs points :
1. Lancer un plan national contre l'obésité en en confiant la gestion à une Agence de prévention et de lutte contre l'obésité
Depuis quelques années, les pouvoirs publics ont pris conscience des dangers que recèle la montée des phénomènes de surcharge pondérale et d'obésité.
Mais les réponses publiques (Plan national nutrition santé, initiative « EPODE », attention nouvelle portée à la nutrition nomade en milieu scolaire, campagne actuelle pour l'exercice physique) ont été trop dispersées, et bien faibles au regard de la menace .
Il est donc nécessaire de lancer un Plan national de prévention et de lutte contre l'obésité , posant des objectifs, informant massivement - et surtout régulièrement - les populations, généralisant à l'ensemble du territoire les expériences réussies comme l'initiative EPODE, mobilisant les collectivités locales, les industriels de l'alimentation, les acteurs sanitaires de proximité et l'Éducation nationale, et faisant l'objet d'une évaluation régulière de résultats.
Ce plan devra inclure des encouragements à la recherche sur la psychologie du comportement alimentaire, qui est insuffisamment développée alors qu'elle est essentielle. Des progrès restant à accomplir dans ce secteur de connaissance permettraient probablement d'approfondir les déterminants psychologiques des comportements aboutissant à la surcharge pondérale, puis à l'obésité. Cette dérive des comportements est d'ailleurs paradoxale dans une société de plus en plus dominée par l'importance donnée par les modèles socioculturels à l'apparence physique.
Ce plan, qui ne pourra être que de grande ampleur, devra être largement financé par l'assurance maladie. Celle-ci ne consacre qu'une partie trop faible de ses ressources (2°/°°) à la prévention en général, et en particulier à la prévention de l'obésité . C'est son intérêt bien compris. Le système mutualiste devrait être associé à ce financement.
De plus, compte tenu du caractère de cause nationale que cette question revêt, il est nécessaire que cette action soit portée par une Agence nationale de prévention et de lutte contre l'obésité regroupant les moyens financiers et gérant leur utilisation.
La création d'une Agence nationale est d'autant plus nécessaire qu'un récent rapport de l'Inspection générale des affaires sociales a mis en cause la dispersion des moyens et des acteurs des actions de prévention sanitaires dans notre pays.
2. Réglementer la publicité de certains produits alimentaires
L'obésité est une maladie polyfactorielle dont l'alimentation n'est qu'un des déterminants.
Il serait donc abusif de faire porter les responsabilités d'un phénomène complexe à un seul facteur .
Il demeure, cependant, qu'un certain type d'offre alimentaire concentre des risques particuliers (contribution à un nomadisme alimentaire, taux élevés de sucres et de graisses, adresse des produits à des populations sensibles comme les enfants et les préadolescents). Elle peut, si l'on n'y prend garde, aboutir à des aberrations sanitaires.
Les encouragements apportés à cette offre alimentaire soit par le biais de la publicité, soit par le truchement de facilités de commercialisation dans des locaux publics ne se justifient pas.
Il est donc nécessaire de réglementer plus sévèrement ces propositions alimentaires en interdisant la publicité télévisée sur les produits alimentaires « de grignotage » excessivement gras et sucrés 1 ( * ) et les sodas sucrés .
3. Reconsidérer le régime fiscal de certains produits alimentaires
En général, le législateur a établi des règles fiscales particulières pour les produits qui sont jugés nocifs pour la santé. C'est le cas de l'alcool et du tabac.
La raison en est simple : la vente de ces produits crée des charges externes supportées par les budgets publics. Il est donc indispensable d'en restreindre la consommation par la fiscalité - et, dans certains cas, d'affecter les produits de cette fiscalité à la prise en charge des coûts indirects créés par la consommation de ces produits.
Dans ce domaine deux possibilités, non exclusives l'une de l'autre, doivent être considérées :
a) Réviser les taux de TVA applicables
En matière de produits alimentaires dont l'abus peut être estimé nocif, l'état de la réglementation européenne sur les taux de TVA (6 e Directive du Conseil européen du 17 mai 1977, et en particulier son annexe H) prend assez peu en considération les implications de santé du régime fiscal :
les sodas sucrés relèvent du taux réduit de 5,5 %,
les matières grasses végétales sont imposées au taux réduit de 5,5 %,
le chocolat et les confiseries ressortissent au taux intermédiaires de 19,6 % mais si dans une barre de chocolat on ajoute des céréales et/ou des matières grasses végétales, le taux réduit de 5,5 % s'applique au produit.
L'application de la directive européenne est quelquefois baroque : ainsi, le Conseil d'État a estimé, en formation consultative, que des pâtes à tartiner, particulièrement caloriques, pouvaient être assimilées à de la confiture et être soumises au taux réduit.
Une remise en ordre s'impose donc.
Les récents débats européens sur la pérennisation de la TVA à taux réduit pour les travaux domestiques et l'éligibilité des activités de restauration à ce même taux ont donné à la Commission européenne l'occasion d'une prise de position où elle émettait le voeu que plus de souplesse soit donné aux États membres dans la définition des taux de TVA.
Sans se dissimuler la lourdeur du processus de décision sur ce point, cette évolution des procédures pourrait être l'occasion de réviser certaines aberrations sanitaires des régimes de TVA des produits alimentaires dont l'excès est délétère.
b) Créer une taxe fiscale affectée
Aux termes de l'article 2 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, les organismes exerçant une mission de service public peuvent bénéficier de taxes fiscales affectées.
Il est proposé de créer une taxe fiscale affectée à l'Agence nationale de prévention et de lutte contre l'obésité, dont l'institution est, par ailleurs, recommandée. Cette taxe pourrait être assise sur les produits alimentaires composés dépassant un taux de calories au gramme donné ou une proportion donnée de sucres et de graisses.
Son taux devrait être, comme celui de l'imposition sur le tabac, significatif.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
Il est créé une Agence nationale de prévention et de lutte contre l'obésité. Cette agence est placée sous la tutelle du ministre chargé de la santé.
Article 2
L'Agence nationale de prévention et de lutte contre l'obésité met en oeuvre le Plan national de prévention et de lutte contre l'obésité.
Article 3
Chaque année, le ministre chargé de la santé rend compte au Parlement de l'exécution du Plan national de prévention et de lutte contre l'obésité.
Article 4
Le financement des actions menées dans le cadre du Plan national de prévention et de lutte contre l'obésité par l'Agence nationale de prévention et de lutte contre l'obésité est assuré par les contributions de l'assurance maladie et par la taxe fiscale affectée créée par l'article 5 de la présente loi.
Article 5
Il est créé, au bénéfice de l'Agence nationale de prévention et de lutte contre l'obésité, une taxe fiscale affectée, assise sur la valeur hors taxe sur la valeur ajoutée, des produits de grignotage comportant un taux de sucre et de graisses supérieur à un pourcentage défini par décret, ainsi que sur les sodas sucrés.
Le taux de cette taxe est fixé à 100 % de la valeur visée à l'alinéa premier du présent article.
* 1 La définition exacte de ces produits est du ressort du ministère de la santé.