EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans sa communication du 11 novembre 2020 intitulée : « Construire une Union européenne de la santé : renforcer la résilience de l'Union face aux menaces transfrontières pour la santé », la Commission européenne annonçait son intention de créer une Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire dénommée HERA ( European Health Emergency Preparedness and Response Authority ).

Dans le même temps, la Commission européenne présentait le « paquet pour une union de la santé » comprenant trois propositions de règlement du Parlement européen et du Conseil qui visent respectivement à renforcer la coordination au niveau de l'Union face aux menaces transfrontières graves pour la santé (COM(2020) 727 final) 1 ( * ) , à renforcer le rôle du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (COM(2020) 726 final) 2 ( * ) et le rôle de l'Agence européenne des médicaments (COM(2020) 725 final) 3 ( * ) . Ce dernier texte vient de faire l'objet d'un accord entre le Parlement européen et le Conseil, les deux premiers sont encore en discussion. Le Sénat, sur proposition de sa commission des affaires européennes, avait adopté un avis motivé sur chacun de ces textes pour pointer les mesures qu'il jugeait non conformes au principe de subsidiarité . La commission des affaires européennes avait toutefois reconnu l'intérêt d'autres dispositions concordant avec les recommandations formulées dans son rapport de juillet 2020, intitulé « Union européenne et santé publique : la nécessaire mobilisation » 4 ( * ) .

La mission de l'HERA sera de garantir la disponibilité en temps utile et en quantités suffisantes de contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise sanitaire . Cette nouvelle Autorité permettra de pallier le manque de liens entre les pouvoirs publics et l'industrie biomédicale, aussi bien pour la recherche que pour la production de contre-mesures médicales (respirateurs, masques, vaccins, médicaments...), en s'inspirant du modèle de la BARDA aux États-Unis ( Biomedical Advanced Research and Development Authority) . Il s'agit d'une agence fédérale dépendant du secrétariat d'État à la santé et dotée d'un budget de 1,6 milliard de dollars par an, créée en 2006 à la suite des craintes suscitées par l'anthrax et les épidémies de grippe. Dès janvier 2020, la BARDA avait pris contact avec les entreprises Sanofi et Moderna pour participer au développement d'un vaccin contre la COVID-19. Avec l'HERA, la Commission européenne pourra centraliser et coordonner l'action de l'Union en cas de crise sanitaire.

La Commission a souhaité distinguer deux modes de fonctionnement de l'HERA, l'un en phase de préparation aux crises sanitaires, l'autre en phase de réaction d'urgence : le premier est déjà opérationnel, le second fait l'objet du texte aujourd'hui soumis à l'examen du Sénat.

Ainsi, dès le 16 septembre 2021, la Commission a institué au sein de ses services l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire, HERA, par la décision de la Commission C(2021) 6712 final 5 ( * ) . Cette décision fixe les modalités de gouvernance de l'HERA et ses missions pour préparer l'Union à une éventuelle crise sanitaire. Ces dispositions sont précisées dans la communication COM(2021) 576 final 6 ( * ) présentant l'HERA.

La proposition de règlement du Conseil établissant un cadre de mesures visant à garantir la fourniture de contre-mesures médicales nécessaires en cas d'urgence de santé publique au niveau de l'Union publiée le 16 septembre 2021 (COM(2021) 577 final) 7 ( * ) prévoit, quant à elle, les mesures que la Commission pourra mettre en oeuvre, à la demande du Conseil, en cas de difficultés d'approvisionnement dans un contexte de crise .

La création de l'HERA emporte un large soutien auprès des États membres et du Parlement européen qui avaient demandé la création d'une telle autorité. De même, en France, le Gouvernement, l'Assemblée nationale et les industriels du secteur de la santé, entreprises pharmaceutiques et entreprises produisant des dispositifs médicaux, sont favorables à la création d'une telle autorité.

Le processus de sa création a débuté lorsque la Commission a, dès le 17 février dernier, initié l'incubateur HERA qui est un plan de préparation en matière de biodéfense destiné à mobiliser les moyens et ressources nécessaires pour prévenir et atténuer les effets potentiels des variants du virus de la COVID-19. Cet incubateur devait préfigurer ce que sera la future autorité européenne. Il prévoyait notamment une augmentation des capacités de séquençage du génome des virus, la création d'un réseau européen d'essais cliniques et la réorientation des capacités industrielles existantes vers la production de vaccins. Selon le Secrétariat général aux affaires européennes français, ce plan a eu un impact positif .

Le Sénat est également partisan de la création de l'HERA qui devra travailler en toute transparence et en collaboration avec les États tiers et les organisations internationales . Toutefois, certains points relatifs à la gouvernance, aux missions et au financement de l'HERA lui semblent devoir être précisés ou corrigés . En outre, les restrictions à l'exportation de certaines contre-mesures médicales mises en oeuvre par des États tiers durant la pandémie invitent à repenser la stratégie industrielle de l'Union européenne pour favoriser, autant que possible, l'autonomie stratégique de l'Union en matière sanitaire .

1/ Une base juridique discutable sur le plan politique mais compréhensible au regard des objectifs recherchés

L'article 249 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit que la Commission fixe son règlement intérieur en vue d'assurer son fonctionnement et celui de ses services. L'article 20 dudit règlement intérieur dispose que la Commission, pour répondre à des besoins particuliers, peut créer des structures spécifiques qu'elle charge de missions précises et dont elle détermine les attributions et les modalités de fonctionnement.

L'article 168, paragraphe 1, prévoit, quant à lui, que l'action de l'Union comprend la surveillance de menaces transfrontières graves sur la santé, l'alerte en cas de telles menaces et la lutte contre celles-ci. Cette action européenne complète ainsi celle des États membres.

La Commission était donc fondée en droit à créer l'HERA, par sa décision C(2021) 6712 final , au sein de ses services. L'HERA n'est donc pas une agence autonome.

La proposition de règlement du Conseil établissant un cadre de mesures visant à garantir la fourniture des contre-mesures médicales nécessaires en cas d'urgence de santé publique au niveau de l'Union, COM(2021) 577 final, vise à permettre au Conseil de confier à la Commission de nouvelles missions en cas de crise sanitaire.

Ce texte a pour base juridique l'article 122 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Celui-ci prévoit que le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider, dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l'approvisionnement en certains produits. Cette décision s'intéresse donc au marché de contre-mesures médicales et vise à équilibrer l'offre et la demande. L'aspect sanitaire n'est pas évoqué. Toutefois, les mesures proposées dans le texte COM(2021) 577 correspondent bien à l'objet de l'article 122 du TFUE. La base juridique du texte ne peut donc pas être remise en cause .

L'architecture juridique retenue par la Commission pour concevoir l'HERA relève en réalité d'un choix politique . Elle aurait aussi bien pu créer une agence autonome en proposant un règlement du Parlement européen et du Conseil sur la base des articles 114 8 ( * ) et 168 9 ( * ) du TFUE.

Le choix de la Commission de procéder ainsi, qu'elle justifie par les impératifs d'efficacité et de rapidité dictés par la pandémie actuelle, entraîne les conséquences suivantes :

- la décision C(2021) 6712 ne peut être modifiée que par la Commission ;

- le Parlement européen n'est pas associé à la création de l'HERA. Ceci vise à mettre en place l'HERA au plus vite en évitant la procédure législative ordinaire, la dotation d'un budget propre qui ne peut être effectuée en dehors de la procédure budgétaire et la question du choix du lieu d'implantation du siège de l'Autorité ;

- conformément à l'article 122 du TFUE, seule la Commission peut proposer au Conseil l'activation du cadre d'urgence, et non les États membres. Ce point ne pourra donc pas être modifié lors des discussions au Conseil qui portent seulement sur le cadre d'urgence une fois activé.

La Commission présente l'HERA comme un dispositif innovant et expérimental. En effet, la Commission explique que l'HERA est instituée au sein des services de la Commission alors que la décision C(2021) 6712 final prévoit la consultation des États membres sur son fonctionnement. Il s'agit là d'une première. De plus, la Commission devra présenter en 2025 une évaluation de l'HERA, y compris son statut et sa gouvernance, ce qui devrait permettre de corriger les éventuels dysfonctionnements. Dans l'attente, il est proposé de ne pas remettre en cause le statut proposé par la Commission et donc de ne pas contester les bases juridiques utilisées.

2/ Renforcer le rôle des États membres dans la phase de préparation

En phase de préparation, les missions de l'HERA sont les suivantes :

- évaluer de manière anticipée les menaces pour la santé causées par des agents biologiques ou autres et identifier les menaces prioritaires ;

- établir un agenda stratégique commun de recherche pour aider à orienter les financements européens et nationaux, et encourager la recherche et l'innovation en développant des réseaux d'essais cliniques et le partage des données de recherche à l'échelle européenne ;

- renforcer l'autonomie stratégique de l'Union pour la production de contre-mesures médicales en identifiant les installations de production critiques, en se dotant des moyens d'augmenter la production si besoin par un travail avec l'industrie destiné à éliminer les goulots d'étranglement et en concluant des marchés publics permettant la mise à disposition de capacités de production (contrats FabEU) ;

- assurer la fourniture de contre-mesures médicales en augmentant les stocks et promouvant une utilisation plus large des marchés publics conjoints ;

- renforcer les capacités des États membres à préparer et à faire face à une crise sanitaire en organisant des programmes de formation.

Pour réaliser ces missions, la Commission nommera un Directeur général de l'HERA qui sera assisté d'un Directeur général adjoint .

Le Directeur général aura pour mission de proposer le programme de travail de l'HERA au Comité de coordination , qui est composé de membres de la Commission uniquement et qui assure le pilotage politique de l'Autorité. Le Directeur général sera également chargé de la mise en oeuvre des activités de l'HERA et de la négociation des contrats d'achat de contre-mesures médicales.

Les États membres disposeront chacun d'un représentant au sein du Conseil d'administration de l'HERA qui sera présidé par le Directeur général. Ces représentants nationaux seront nommés par la Commission sur proposition des agences compétentes au sein de chaque État membre. Un représentant du Parlement européen, de l'Agence européenne des médicaments (EMA), du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et du Centre de coordination de la réaction d'urgence (ERCC) pourront assister aux réunions du Conseil d'administration en tant qu'observateurs.

Ce Conseil d'administration pourra fournir des avis non contraignants sur le programme de travail de l'HERA, la cohérence de ses activités, son budget et sa mise en oeuvre. La Commission entend qu'une forme de consensus se dégage entre le Conseil d'administration et le Comité de coordination. Certes, le texte de la décision C(2021) 6712 prévoit que le Conseil d'administration est simplement consulté sur les activités de l'HERA : l'HERA étant un service interne de la Commission, son fonctionnement ne saurait en effet être décidé par les États membres réunis dans le Conseil d'administration. Ce dernier sera néanmoins partie prenante des décisions relevant du Comité de coordination de l'HERA. Il sera assisté d'un Comité d'experts nommé par les États membres parmi les experts des autorités nationales compétentes. Ce Comité d'experts sera présidé par un représentant de la Commission européenne et aura pour mission de fournir une expertise scientifique et technique au Conseil d'administration.

Certaines des missions de l'HERA en phase de préparation sont particulièrement stratégiques . Il est donc nécessaire que les États membres puissent participer, avec le Comité de coordination et le Directeur général, à l'identification des menaces prioritaires, à l'établissement de l'agenda stratégique commun de recherche, à la négociation des contrats FabEU et à la constitution de stocks. Sur ce dernier point, beaucoup de questions restent en suspens : le type de contre-mesures médicales à stocker, leurs quantités, les délais de péremption, le lieu de stockage et les conditions de leur déploiement notamment. La Commission a indiqué vouloir y réfléchir avec les États membres.

De plus, les États membres disposent également de prérogatives pour anticiper et préparer une éventuelle crise sanitaire. Il est donc indispensable qu'une coordination puisse s'opérer au sein de l'HERA. Dans les conclusions de sa réunion du 22 octobre 2021, le Conseil européen a appelé à veiller à ce que les États membres soient dûment associés à la gouvernance de l'HERA.

3/ Préciser le rôle des États membres en phase d'urgence

Le texte COM(2020) 727 précise que c'est d'abord à la Commission, sur la base de l'avis d'experts, de reconnaître officiellement une urgence de santé publique dans l'Union.

Ensuite seulement, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut activer le cadre d'urgence prévu dans le texte COM(2021) 577 final, en adoptant un règlement dans lequel il précise les mesures qui doivent être mises en oeuvre. Le cadre d'urgence entre alors en vigueur pour une durée de six mois renouvelable. Un Conseil de gestion des crises sanitaires peut alors être institué à la demande du Conseil. Il comprend un représentant désigné par chaque État membre, la présidente de la Commission européenne, le commissaire en charge de la santé et tout autre commissaire dont la présence serait nécessaire.

Les mesures que le Conseil peut demander à la Commission d'activer sont les suivantes :

- mise en place d'un mécanisme pour le suivi des contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise, après avis du Conseil de gestion de crise sanitaire : la Commission, après avoir sollicité l'avis du Conseil de gestion des crises sanitaires, élabore et met régulièrement à jour une liste des contre-mesures médicales et des matières premières nécessaires, ainsi qu'un modèle de formulaire pour le suivi de l'offre et de la demande en la matière. Elle assure également un suivi des capacités de production, des niveaux de stocks, des éventuels éléments critiques ou risques de perturbation des chaînes d'approvisionnement et des contrats d'achat. Ces informations sont fournies par les États membres qui devront informer et consulter le Conseil de gestion des crises sanitaires lorsqu'ils souhaitent adopter des mesures pour la passation de marchés, l'achat ou la fabrication des contre-mesures médicales ou des matières premières nécessaires en cas de crise ;

- passation de marchés publics pour l'achat et la fabrication de contre-mesures médicales et de matières premières nécessaires en cas de crise : la Commission agira comme centrale d'achat pour les États membres qui le souhaitent en activant des contrats existants ou en négociant de nouveaux contrats. Les États membres qui prennent part au Conseil de gestion des crises sanitaires sont invités à y désigner des représentants pour participer à la préparation des procédures de passation de marché ainsi qu'à la négociation des contrats d'achat. La Commission pourra effectuer des inspections sur place des installations engagées dans la production de contre-mesures médicales. En outre, la Commission est autorisée à demander, dans des conditions équitables et raisonnables, les licences pour la propriété intellectuelle et le savoir-faire relatifs à ces contre-mesures, au cas où un opérateur économique abandonne ses efforts de développement ou s'il n'est pas en mesure d'assurer la livraison adéquate et opportune desdites contre-mesures conformément aux termes de l'accord conclu. Le déploiement et l'utilisation des contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise continuent de relever de la responsabilité des États membres participants. Enfin, la Commission aura la capacité et la responsabilité d'activer les installations FabEU ;

- activation des plans de recherche et d'innovation d'urgence de l'Union et des États membres inclus dans les plans de préparation et de réaction que prévoit le texte COM(2020) 727 final : la Commission encouragera également l'accès aux données issues des essais cliniques ;

- inventaire de la production, des matières premières et des installations de production après consultation du Conseil de gestion de crise sanitaire : la Commission peut demander aux producteurs de contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise de lui fournir dans un délai de cinq jours des informations sur les capacités de production totales réelles et les stocks existants ;

- mesures visant à garantir la disponibilité et la fourniture de contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise : la Commission met en oeuvre, en collaboration avec les États membres concernés, des mesures spécifiques visant à assurer une réorganisation efficace des chaînes d'approvisionnement et des chaînes de production et utilise les stocks existants afin d'accroître le plus rapidement possible la disponibilité et la fourniture de contre-mesures médicales ;

- activation de l'aide d'urgence prévue par le règlement (UE) 2016/369 relatif à la fourniture d'une aide d'urgence au sein de l'Union ce qui permettra de financer sur le budget de l'Union l'achat, la préparation, la collecte, le transport, le stockage et la distribution de biens et services visant à préserver des vies ou à atténuer les souffrances humaines.

Du fait qu'il s'agit d'un service interne à la Commission, le service juridique de cette dernière estime que l'HERA ne doit pas être expressément mentionnée dans le texte COM(2021) 577 final qui vise seulement la Commission. Or, le service juridique du Conseil pense le contraire. Mentionner l'HERA dans le texte COM(2021) 577 final pourrait permettre au Conseil d'encadrer les responsabilités que la Commission a confiées à l'HERA dans le cadre de la phase de préparation, sans avoir à demander à la Commission de modifier sa décision C(2021) 6712 final. La Commission estime que, sur ce point, un accord sera trouvé avec le Conseil au cours du processus législatif, l'essentiel étant de s'assurer du rôle des États membres dans le fonctionnement de l'HERA.

En résumé, le texte COM(2021) 577 final fournit un cadre juridique aux mesures déployées face à la pandémie de COVID-19, notamment l'achat anticipé de vaccins. C'est le Conseil qui décide des mesures à mettre en oeuvre et le Secrétariat général aux affaires européennes français s'est félicité des conditions dans lesquelles les États membres ont été associés à l'achat anticipé de vaccins contre la COVID-19.

Toutefois, certains éléments mériteraient d'être précisés, notamment le rôle du Conseil de gestion des crises sanitaires . Tout d'abord, il conviendrait de prévoir l'institution automatique de ce Conseil lors de l'activation du cadre d'urgence, étant donné son rôle dans la mise en oeuvre de la plupart des mesures prévues par la proposition de règlement. Les règles de procédure concernant la prise de décision au sein de ce Conseil devraient aussi être définies. En effet, pour les marchés publics passés au nom des États membres, le Conseil de gestion des crises sanitaires aura à définir les termes du mandat de négociation, qui peut notamment inclure des exigences quant aux technologies utilisées ou aux capacités de production sur le territoire de l'Union. Enfin, lorsqu'ils décident de l'achat de contre-mesures médicales, les États membres ne devraient pas avoir à consulter le Conseil de gestion des crises sanitaires , la fourniture de services de santé relevant de la compétence des États membres. Ceux-ci pourront néanmoins informer le Conseil de gestion des crises sanitaires. Concernant le mécanisme pour le suivi des contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise, la Commission devrait préciser les critères selon lesquels sera établie la liste des contre-mesures médicales critiques et comment la Commission prendra en compte l'avis du Conseil de gestion des crises sanitaires. Il en va de même pour l'inventaire des capacités de production et des stocks.

Beaucoup d'incertitudes entourent encore les mesures qui pourront être mises en oeuvre dans le domaine de la recherche. Le texte COM(2020) 727 final ne prévoit pas explicitement des plans de recherche et d'innovation dans les plans de préparation et de réaction face aux crises sanitaires. Les discussions en cours sur ce texte devront permettre de coordonner les dispositions des textes COM(2020) 727 final et COM(2021) 577 final.

4/ Éviter les doublons au sein de l'Union et avec les États membres

La création de l'HERA est concomitante des discussions au Conseil et au Parlement européen sur le « paquet pour une union de la santé » composé de trois textes visant notamment à renforcer le rôle de l'Agence européenne des médicaments (EMA), du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et du Comité de sécurité sanitaire (CSS) qui réunit des représentants des États membres et de la Commission pour notamment coordonner la réaction des États membres en cas de crise sanitaire.

Par ailleurs, le 20 mai 2021, le Conseil et le Parlement européen ont modifié les dispositions régissant le mécanisme de protection civile de l'Union afin de renforcer le rôle opérationnel du Centre européen de coordination de la réaction d'urgence (ERCC) et de permettre à la Commission d'acheter directement sur le budget de l'Union une partie des capacités de la réserve européenne de ressources, RescEU.

C'est dans ce contexte que des doublons peuvent apparaître parmi les missions confiées à chaque organisation bien qu'il soit prévu qu'un représentant de l'ECDC et un autre de l'EMA puissent assister aux réunions du Conseil d'administration d'HERA en tant qu'observateurs. Cette faculté sera aussi ouverte à un représentant de l'ERCC sur invitation de la Commission.

Le tableau ci-dessous recense les doublons potentiels.

Phase de préparation

Missions attribuées à l'HERA

Risque de redondance et coordination nécessaire

Évaluation des menaces

Rôle de l'ECDC

Constitution de stocks

Capacités de la réserve RescEU

Phase d'urgence

Missions attribuées à l'HERA

Risque de redondance et coordination nécessaire

Mobilisation des réseaux d'essais cliniques européens

Rôle de la Task force de l'EMA

Élaboration et mise à jour d'une liste de contre-mesures médicales nécessaires et suivi de l'offre et de la demande sur la base d'informations fournies par les États membres

Rôle des 2 groupes de pilotage de l'EMA, groupe « médicaments » et groupe « dispositifs médicaux », qui établissent une liste de produits critiques et surveillent le risque de pénuries sur la base d'informations fournies par les entreprises et les États membres

Mission de coordination de l'action du Conseil, de la Commission, des États membres et des agences de l'Union attribuée au Conseil de gestion de crise sanitaire

Rôle du Comité de sécurité sanitaire qui coordonne l'action des États membres et de la Commission et rôle du Centre européen de coordination de la réaction d'urgence

C'est à la Commission qu'il revient de s'assurer que les comités, agences et services ne remplissent pas les mêmes fonctions et ne répètent pas les mêmes tâches . Par ailleurs, l'Agence européenne du médicament et le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies devront conserver leur autonomie de telle sorte que leurs avis ne soient pas liés à des impératifs de production. L'EMA doit continuer à fournir des avis indépendants sur l'efficacité et la sécurité des traitements et vaccins. Il en va de même pour l'homologation des sites de production.

En outre, il convient d'éviter que chacune de ces institutions sollicite les industriels du secteur de la santé sur les mêmes sujets . Si ceux-ci disposent des informations demandées et peuvent les fournir facilement, il serait préférable que les demandes soient coordonnées en amont et qu'au sein des États membres, une seule entité s'occupe de recueillir les informations souhaitées.

5/ Le financement de l'HERA : une ambition à confirmer

L'HERA disposera d'un budget de 6 milliards d'euros pour la période 2022-2027 dont 1,7 milliard d'euros financé sur le programme « Horizon Europe », 2,8 milliards d'euros sur le programme « l'Union pour la santé » et 1,3 milliard d'euros sur les fonds dédiés au mécanisme de protection civile de l'Union. Ce budget est légèrement inférieur à celui de la BARDA des États-Unis qui est de 1,4 milliard d'euros par an hors période de crise. La Commission estime qu'en cas de besoin, d'autres programmes pourraient contribuer à la réalisation des objectifs de l'HERA à hauteur de 24 milliards d'euros. C'est le cas notamment du Fonds social européen qui serait susceptible de favoriser le développement de l'emploi dans l'industrie de la santé. Par ailleurs, la Commission estime que les dépenses engagées par les États membres pour préparer une éventuelle crise sanitaire et y faire face pourraient s'élever à 20 milliards d'euros. Au total, 50 milliards d'euros pourraient ainsi être mobilisés au sein de l'Union, si on a une vision consolidée de ces différentes sources de financement.

Cependant, la décision de la Commission C(2021) 6712 final instituant l'HERA prévoit que la gouvernance de ces programmes serait respectée, ce qui implique que des comités constitués pour gérer ces différents fonds et auxquels participent la Commission et les États membres devraient avoir à se prononcer sur ces budgets.

Concrètement, l'HERA en phase de préparation devra établir ses besoins qui seraient validés par la Commission et les États membres dans une optique consensuelle. Ces mêmes institutions auront à se prononcer dans le cadre des comités prévus pour gérer les différents programmes afin d'effectivement attribuer les fonds au financement des besoins de l'HERA : ainsi la constitution de stocks sera financée sur les fonds dédiés au mécanisme de protection civile de l'Union, la recherche sur le programme « Horizon Europe » et la capacité FabEU sur le programme « l'Union pour la santé ».

Par ailleurs, le Parlement européen s'est d'ores et déjà inquiété du fait que plus de la moitié du budget du programme « l'Union pour la santé » serve à financer l'HERA, et ce au risque que d'autres priorités de ce programme, telles que le plan cancer notamment, soient moins bien dotées .

Il est effectivement nécessaire que les budgets prévus pour d'autres missions du programme « l'Union pour la santé » puissent être maintenus, notamment le budget du plan cancer. Par ailleurs, des synergies doivent être recherchées entre les différentes missions. Ainsi, la lutte contre les antimicrobiens que prévoit de financer le programme « l'Union pour la santé » pourrait être financée dans le cadre de l'HERA. Si besoin, la Commission doit rechercher de nouvelles sources de financement pour l'HERA.

Enfin, il faut souhaiter que ces moyens soient pérennes, au-delà du cadre financier pluriannuel 2021-2027.

Rappelons qu'en cas d'urgence, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut activer l'aide d'urgence de l'Union prévue par le règlement (UE) 2016/369 10 ( * ) . 2,7 milliards d'euros ont ainsi été mobilisés dans ce cadre contre la COVID-19. Les États membres pourront donc également abonder ce fonds.

6/ Favoriser l'autonomie stratégique de l'Union en matière sanitaire

a/ Des difficultés d'approvisionnement structurelles

L'Union connaît des pénuries de médicaments en dehors des périodes de crise sanitaire . Ces pénuries sont de plus en plus fréquentes pour les produits qui sont présents sur le marché depuis de nombreuses années et dont l'usage est répandu. Les raisons sont complexes : les stratégies de commercialisation ou de production des entreprises pharmaceutiques, le commerce parallèle, la rareté de certaines substances actives et matières premières, la faiblesse des obligations de service public, les quotas d'approvisionnement et enfin des questions liées à la tarification et au remboursement.

Pour faire face à cette situation, la Commission a présenté le 25 novembre 2020 sa stratégie pharmaceutique pour l'Europe (COM(2020) 761 final) 11 ( * ) . Dans cette communication, la Commission a salué le dynamisme de l'industrie pharmaceutique de l'Union qu'elle souhaite soutenir en créant un environnement réglementaire stable et en investissant dans les projets innovants, dans le cadre de partenariats public-privé ou public-public, et dans la formation. Pour faire face aux pénuries, elle propose de renforcer « l'autonomie stratégique ouverte de l'Union » et a lancé une étude en vue de recenser les causes profondes des pénuries et d'évaluer le cadre légal. Dès lors, plusieurs mesures pourront être envisagées comme la diversification des chaînes d'approvisionnement et de production , la constitution de stocks stratégiques , le développement de la production et des investissements en Europe ou un renforcement des obligations d'approvisionnement continu des producteurs. Une coopération renforcée entre États membres pourrait permettre la passation conjointe de marchés pour les médicaments critiques . La Commission réfléchit également à rendre plus transparent le système des certificats complémentaires de protection pour favoriser le développement de médicaments génériques. Enfin, la Commission lancera et pilotera un dialogue structuré avec toutes les parties concernées pour formuler des options stratégiques destinées à garantir la sécurité de l'approvisionnement et la disponibilité de médicaments jugés critiques.

En France, en 2019, le syndicat des entreprises du médicament (Leem) a lancé la plateforme TRACStocks pour optimiser l'information sur les ruptures de stock de médicaments. Il s'agit d'une base d'information centralisée sur les stocks de certains médicaments jugés d'intérêt thérapeutique majeur permettant d'identifier les tensions d'approvisionnement et les alternatives possibles. La collecte des informations par l'HERA devra s'appuyer sur ces initiatives nationales qu'il convient de développer dans chaque État membre.

Pour les dispositifs médicaux , des difficultés d'approvisionnement risquent de devenir récurrentes en raison des difficultés d'application du règlement (UE) 2017/745 du 5 avril 2017 12 ( * ) dont la mise en oeuvre a déjà été reportée d'un an en raison de la pandémie de COVID-19. Entré en vigueur depuis mai dernier, ce règlement oblige à la certification d'un plus grand nombre de dispositifs médicaux parmi lesquels ceux qui sont déjà sur le marché. Or, le nombre d'organismes capables d'assurer la certification de ces dispositifs médicaux reste limité, rendant difficile cette certification dans les délais impartis. De plus, certains sous-traitants, principalement des PME, ne disposent pas des compétences nécessaires pour fournir, dans les délais impartis, toutes les informations exigées des producteurs de dispositifs médicaux pour constituer les dossiers de certification : certains ont indiqué qu'ils envisageaient d'ores et déjà de ne plus travailler pour l'industrie des dispositifs médicaux. Pour le SNITEM (Syndicat national de l'industrie des technologies médicales), il ne s'agit pas de remettre en cause le principe de la certification qui doit permettre de garantir la qualité et la sécurité des dispositifs médicaux, mais de laisser plus de temps aux industriels et aux organismes certificateurs pour organiser la certification de plus de 500 000 références.

Par ailleurs, des difficultés identiques apparaissent pour les dispositifs médicaux in vitro. Pour y remédier, la Commission a présenté une proposition de règlement 13 ( * ) visant à accorder un délai supplémentaire aux industriels pour obtenir la certification de leurs produits. Il conviendra de soutenir cette initiative.

b/ Favoriser la production sur le territoire de l'Union en mobilisant les capacités de production

Si l'HERA a pour mission de créer des stocks de contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise, elle devra également mettre en oeuvre des mesures spécifiques visant à assurer une réorganisation efficace des chaînes d'approvisionnement et des chaînes de production. Compte tenu des restrictions à l'exportation mises en oeuvre par certains États tiers durant la pandémie de COVID-19 , il est nécessaire que l'Union puisse développer sur son territoire la production de certaines de ces contre-mesures médicales.

Le Parlement européen, dans sa résolution du 17 septembre 2020 sur la pénurie de médicaments 14 ( * ) , affirme que « la perte d'indépendance sanitaire européenne est liée à la délocalisation de la production et que 40 % des médicaments finis commercialisés dans l'Union proviennent de pays tiers. Bien que l'Europe dispose d'une infrastructure industrielle forte, la chaîne d'approvisionnement reste tributaire de sous-traitants extérieurs à l'Union pour la production de matières premières en raison du coût du travail et de normes environnementales souvent moins contraignantes, de sorte que 60 % à 80 % des principes chimiques actifs des médicaments sont fabriqués hors de l'Union, principalement en Chine et en Inde alors que cette proportion était de seulement 20 % il y a 30 ans » .

Toutefois, la relocalisation de l'ensemble des chaînes de production n'est pas envisageable tant les composants entrant dans la fabrication de médicaments ou de dispositifs médicaux sont nombreux et variés.

Il est donc nécessaire de définir, dans le cadre de l'HERA, en phase de préparation, les contre-mesures médicales indispensables pour lesquelles les États membres seraient prêts à payer plus cher, et ce de manière pérenne .

Dans ce but, d'une part, les marchés publics doivent comporter des critères qualitatifs permettant de garantir la sécurité des approvisionnements en cas de restrictions à l'exportation ; d'autre part, des mesures d'incitations financières conformes aux règles en matière d'aides d'État doivent être instaurées pour favoriser l'implantation en Europe de chaînes de production.

Cela doit s'accompagner d'un soutien appuyé à la recherche et au développement sur le territoire de l'Union pour favoriser le recours au calcul à haute fréquence et à l'intelligence artificielle. La recherche clinique doit être plus structurée grâce à des réseaux d'essais cliniques européens.

Les industriels attendent des pouvoirs publics qu'ils identifient les technologies pour lesquelles l'Union dispose d'un avantage compétitif certain grâce à l'innovation et appuient leur développement. Les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) initiés conjointement par au moins deux États membres doivent être encouragés, d'autant qu'ils bénéficient d'un allègement des conditions d'attribution d'aides d'État. La France a initié en 2021 un PIIEC destiné à financer des projets innovants dans le domaine de la santé, de la phase de recherche et développement aux premiers déploiements industriels.

Enfin, une plateforme de dialogue permanent avec les industriels doit être établie au sein de l'HERA avec des interlocuteurs capables de comprendre les enjeux liés à l'industrie pharmaceutique, d'une part, et à l'industrie des dispositifs médicaux, d'autre part.

La construction d'un tel écosystème autour de l'HERA, à l'image de celui qui fait le succès de la BARDA aux États-Unis, serait de nature à assurer le succès de cette nouvelle Autorité.

Pour ces raisons, votre commission des affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution européenne qui suit :


* 1 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les menaces transfrontières graves pour la santé et abrogeant la décision n° 1082/2013/UE du 11 novembre 2020

* 2 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 851/2004 instituant un Centre européen de prévention et de contrôle des maladies du 11 novembre 2020

* 3 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un rôle renforcé de l'Agence européenne des médicaments dans la préparation aux crises et la gestion de celles-ci en ce qui concerne les médicaments et les dispositifs médicaux du 11 novembre 2020

* 4 Rapport du Sénat (2019-2020) n° 648 de Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey au nom de la commission des affaires européennes du 16 juillet 2020 : http://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-648-notice.html

* 5 Décision de la Commission instituant l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire, du 16 septembre 2021 (C(2021) 6712 final)

* 6 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Conseil économique et social européen et au Comité des régions présentant l'HERA, l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire, prochaine étape vers l'Union de la santé, du 16 septembre 2021 (COM(2021) 576 final)

* 7 Proposition de règlement du Conseil établissant un cadre de mesures visant à garantir la fourniture de contre-mesures médicales nécessaires en cas d'urgence de santé publique au niveau de l'Union, du 16 septembre 2021 (COM(2021) 577 final)

* 8 https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:12008E114:fr:HTML

* 9 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:12008E168&from=FR

* 10 Règlement (UE) 2016/369 du Conseil relatif à la fourniture d'une aide d'urgence au sein de l'Union du 15 mars 2016

* 11 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 25 novembre 2020 « Stratégie pharmaceutique pour l'Europe » (COM(2020) 761 final)

* 12 Règlement (UE) 2017/745 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux, modifiant la directive 2001/83/CE, le règlement (CE) n° 178/2002 et le règlement (CE) n° 1223/2009 et abrogeant les directives du Conseil 90/385/CEE et 93/42/CEE

* 13 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2017/746 en ce qui concerne les dispositions transitoires relatives à certains dispositifs médicaux de diagnostic in vitro et l'application différée des exigences en matière de dispositifs internes du 15 octobre 2021 (COM(2021) 627 final)

* 14 Résolution du Parlement européen du 17 septembre 2020 sur la pénurie de médicaments - Comment faire face à un problème émergent ?

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page