EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Cette proposition de loi entend constituer une nouvelle étape de l'État Providence en faisant de notre politique de protection sociale aujourd'hui compartimentée, un outil global.
Si notre système de protection sociale s'est construit progressivement, c'est en 1945 que l'étape la plus marquante est franchie, faisant passer notre modèle de celui d'assurances sociales spécifiques à certains secteurs, à celui d'un système général ouvert à toutes et tous : la sécurité sociale.
Dès octobre 1946, le Préambule de la Constitution de la IVème République reconnaîtra d'ailleurs le droit de tous à « la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui (...) se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».
En 1988 le RMI est créé (remplacé 2008 par le RSA), en 1996 la constitution est modifiée afin de créer une nouvelle catégorie de lois, les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), gages de l'association de la représentation nationale à la détermination de l'équilibre financier de la Sécurité Sociale et à sa mise en oeuvre.
À la Sécurité Sociale en tant que système, viennent s'ajouter un nombre important d'aides sociales destinées à celles et ceux de nos concitoyens dont les ressources, ou la situation, les rendent vulnérables. On peut citer les aides personnalisées au logement, dont l'origine remonte au début des années 1970, ou encore l'allocation pour adulte handicapé créée en 1975.
Mais aujourd'hui, ce système est devenu illisible, et le recours à des aides pourtant nécessaires est compliqué par la complexité de ce dernier. Le 29 mai 2018, sur une antenne radio, Gérald Darmanin lui-même, pourtant Ministre de l'action et des comptes publics à l'époque, s'y perdait en disant, à propos des aides sociales, « Il y en a beaucoup, le nombre exact je ne sais pas ».
Si le ministre de l'action et des comptes publics ne peut s'y retrouver, comment peut-on attendre de nos concitoyens, moins informés et plus éloignés de la question, qu'ils le puissent ?
Et comment les en blâmer ? Aides à la santé, à la famille, à l'achat d'énergies, à l'emploi, aux agriculteurs, aux personnes en situation de handicap, aux demandeurs d'asile, bourses étudiantes... Certaines prestations consistent en des sommes versées chaque mois aux bénéficiaires ou ponctuellement, d'autres prennent des formes différentes (la prime pour l'emploi est par exemple un crédit d'impôt). De plus, ces aides sont versées par une multitude d'organismes, auxquels il faut s'adresser pour en faire la demande.
La conséquence de cette nébuleuse est connue : les aides ne sont pas sollicitées et les personnes qui y sont pourtant éligibles n'y ont pas accès.
Une récente étude de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques a mis en lumière le niveau de ce non-recours.
En 2018, le taux de non-recours aux aides sociales en matière de santé restait important : entre 32 % et 44 % pour la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et de 53 % à 67 % pour l'aide au paiement de la complémentaire santé (ACS). S'agissant des aides à la famille, une étude de 2018 indique qu'entre 7,5 % et 8,2 % des allocataires ne recourent pas à leurs droits.
En 2018, selon le Baromètre d'opinion de la DREES, 74 % des personnes âgées de 18 ans ou plus et résidant en France métropolitaine pensent que « beaucoup de personnes ne bénéficient pas des droits ou allocations auxquelles elles peuvent prétendre » ; un chiffre élevé mais en recul de 6 points par rapport à 2016.
Quelle que soit la catégorie de la population interrogée, c'est toujours une opinion majoritaire, qui varie très peu selon le sexe, l'âge ou le niveau de diplôme.
Cette opinion est toutefois encore plus répandue parmi les ouvriers, les habitants des communes rurales et les personnes ayant les revenus les plus faibles et celles ayant perçu des allocations chômage au cours de l'année. Parmi les 20 % des ménages les plus modestes, 81 % considèrent que beaucoup de personnes ne bénéficient pas des droits auxquels elles peuvent prétendre, contre 65 % des personnes les plus aisées.
Il s'agit donc d'une réalité tant réelle que ressentie.
Les raisons sont diverses mais les premières d'entre elles sont la méconnaissance du public sur les dispositifs existants ainsi que le coût et la complexité d'accès à ces aides. Elles représentent à elles seules 70 % des motifs du non-recours. Ce sont justement ces deux variables que cette proposition de loi permet de corriger.
Ainsi, l'octroi d'une prestation déclenchera automatiquement l'examen d'éligibilité aux autres relevant du même champ et permettra d'améliorer concrètement la prise en charge des bénéficiaires sans pour autant retarder l'ouverture des droits relatifs à la demande initiale.
Ce dispositif permet de contourner la question du manque d'information et de la difficulté des démarches : ce n'est plus à chaque citoyen de faire ses recherches mais bien à la puissance publique de déclencher l'ensemble des aides auxquelles il a le droit.
Le non-recours aux droits a de lourdes conséquences dans plusieurs domaines tels que l'accès aux soins, l'exclusion sociale, l'accès au logement, l'alimentation, la réussite éducative ou encore l'autonomie. Il est aujourd'hui inconcevable que celles et ceux qui ont droit et besoin de ces aides ne puissent en bénéficier uniquement parce qu'ils n'ont pas déposé le bon dossier.
Cette proposition de loi marque donc un tournant dans notre approche de la protection sociale, en assurant l'application du droit, elle la rend globale en créant une obligation d'examen automatique des droits.
En termes pratique, le système fonctionnera par « ilôts ».
Le premier (I de l'article) serait dédié aux prestations liées à un handicap (AAH, PCH, CMI et APA) le deuxième (II de l'article) englobera celles liées à de faibles ressources hors RSA (la prime d'activité et les trois APL). L'examen automatique aurait lieu au sein de ces ilôts.
Afin de garantir le caractère global du dispositif, des « ponts » à sens unique, au nombre de trois, assureraient le passage d'un ilôt vers d'autres prestations.
Le premier pont se ferait depuis l'ilôt « handicap » vers l'ilôt « faibles ressources » (III de l'article) car bien souvent, l'admission à une prestation liée à un handicap est subordonnée à de faibles ressources.
Le deuxième pont relierait chacun des deux ilôts vers le RSA (IV de l'article), celui-ci étant une prestation subsidiaire.
Enfin, le troisième et dernier pont lierait, comme le précèdent, les deux ilôts à la protection complémentaire de santé (V de l'article).
Ce système permet de concilier l'efficacité pratique du dispositif, sa cohérence et sa globalité.
Afin de s'assurer de la mise en oeuvre effective du dispositif, une fois celui-ci inscrit dans le droit, le manquement aux obligations qu'il créé pourra être considéré comme constitutif d'une faute de nature à engager, en cas de préjudice, la responsabilité de l'administration selon les cas : administration ayant constaté le droit déclencheur et n'ayant pas saisi l'organisme compétent d'examen des droits sur une autre prestation ; ou responsabilité de celui-ci si, bien qu'ayant été saisi, il n'a pas procédé au dit examen.
Cette proposition de loi s'inspire d'un dispositif présenté par amendement et voté à la quasi-unanimité par le Sénat lors des débats autour du PLFSS 2021 puis supprimé par l'Assemblée nationale suite à l'échec de la CMP. Lors des débats le Gouvernement s'était opposé à celui-ci car, selon lui, la mise en oeuvre pratique du dispositif et l'examen élargi des demandes pourrait conduire à un retard en matière d'ouverture des droits. Avec la rédaction de cette proposition, l'élément déclencheur étant l'octroi de droits, cette objection n'a plus lieu d'être.
Enfin, cette proposition de loi n'est en aucun cas contradictoire aux autres dispositifs déjà en application ou à venir relatifs au même sujet tel que l'article 40 bis du PLFSS 2021 mentionné ci-avant qui, pour ce dernier, pourrait ne s'appliquer que dans trois ans. Elle en est même complémentaire.
En effet, les dispositions prévues par ledit article 40 bis reposent sur un travail nécessaire mais long d'investigation des services sociaux. Combinées à celles portées par la présente proposition de loi applicables immédiatement à partir d'un dossier existant, elles permettront de disposer d'un arsenal plus large et plus efficace.
Nous avons l'occasion de marquer une nouvelle étape dans notre modèle de protection sociale qui, à coût constant, permettra de mieux protéger celles et ceux qui en ont besoin. Il nous appartient désormais de la saisir.