NOTE DE SYNTHÈSE
Le 6
juin 2000, les ministres des affaires sociales de l'Union européenne ont
adopté la directive relative à la mise en oeuvre du principe
d'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de
race ou d'origine
ethnique
, qui prohibe toute discrimination
fondée sur la race ou sur l'origine ethnique et qui s'applique notamment
dans le domaine de l'emploi.
Le 12 octobre 2000, l'Assemblée nationale a adopté la
proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations, qui
vise à empêcher les discriminations sur les lieux de travail, quel
qu'en soit le motif
. Ce texte élargit le champ couvert par le
principe de non-discrimination en y incluant les principaux actes relatifs
à la carrière du salarié et en définissant de
nouveaux motifs de discrimination (orientation sexuelle, apparence physique et
patronyme). Par ailleurs, il cherche à améliorer la lutte contre
les discriminations, d'une part, en ouvrant aux organisations syndicales la
possibilité d'engager une action à la place du salarié
victime d'une discrimination et, d'autre part, en aménageant les
règles de preuve. En effet, le texte adopté par
l'Assemblée nationale prévoit que, si le salarié parvient
à apporter les éléments laissant supposer l'existence
d'une discrimination, c'est à l'employeur qu'il revient de prouver que
sa décision repose sur des éléments objectifs.
Le 17 octobre 2000, les ministres européens des affaires sociales
sont
parvenus à un accord sur la proposition de directive
créant un cadre général pour l'égalité
de traitement en matière d'emploi et de travail,
laquelle
interdit toute
discrimination fondée sur des motifs autres que
raciaux.
Dans ces conditions, il est apparu utile d'analyser les dispositifs
étrangers permettant de lutter contre les discriminations sur les lieux
de travail. Après avoir décrit les principales
caractéristiques, d'une part, de la directive " racisme " et,
d'autre part, de la directive " emploi ", la présente
étude examine les mesures prises dans plusieurs pays européens
(
Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Grande-Bretagne et Pays-Bas
).
Pour chacun de ces pays, les points suivants ont été
analysés :
-
les discriminations sur les lieux de travail explicitement interdites
par la loi ;
-
les sanctions qui y sont apportées ;
-
les procédures particulières permettant aux victimes de
faire valoir leurs droits.
Les dispositions relatives à la lutte contre les discriminations
sexuelles et à l'égalité professionnelle entre les femmes
et les hommes n'ont pas été prises en compte, car elles font
partout l'objet d'une législation spécifique. En outre,
l'étude n'évoque ni les mesures de " discrimination
positive " permettant de faciliter l'insertion sur le marché du
travail de catégories en difficulté (handicapés,
demandeurs d'asile...), ni les dispositions particulières propres par
exemple aux partis politiques ou aux églises, autorisés à
pratiquer des discriminations politiques ou religieuses à l'embauche.
L'examen des législations étrangères relatives à la
lutte contre les discriminations sur les lieux de travail permet de mettre en
évidence que :
- le Danemark et les Pays-Bas sont les seuls à disposer d'une loi
générale prohibant toutes les discriminations sur les lieux de
travail, la loi néerlandaise donnant aux victimes d'importants moyens
d'action ;
- les lois belge et anglaise n'interdisent que certaines discriminations, mais
elles offrent aux victimes de puissants moyens d'action ;
- l'Allemagne et l'Espagne recourent à des dispositions éparses
du droit du travail.
1. Le Danemark et les Pays-Bas disposent d'une loi générale
prohibant toute discrimination sur les lieux de travail, la loi
néerlandaise donnant aux victimes d'importants moyens d'action
a) Le champ d'application des lois danoise et néerlandaise
Au Danemark, la loi du 12 juin 1996 portant interdiction de toute
discrimination sur le marché du travail
prohibe toute
différence de traitement (à l'embauche, à l'occasion d'une
mutation, d'une promotion, d'un licenciement, dans le cadre de la formation
professionnelle...) fondée sur "
la race, la couleur de la peau,
la religion, l'opinion politique, l'orientation sexuelle, ou l'origine
nationale, sociale ou ethnique
".
La loi néerlandaise du 2 mars 1994 sur l'égalité
de traitement, qui
s'applique à tous les domaines de la vie
sociale, et donc notamment à l'emploi
, interdit toute
différence de traitement, directe ou indirecte, fondée sur la
religion, les convictions personnelles, les opinions politiques, la race, le
sexe, la nationalité, l'orientation sexuelle ou l'état civil.
Elle prohibe explicitement les discriminations à l'embauche, dans les
conditions de travail, pour l'avancement, pour l'admission à une
formation ou lors de la rupture du contrat de travail.
b) Les principaux moyens qu'ont les victimes de faire valoir leurs droits
Au Danemark, lorsqu'un salarié estime être victime d'une
discrimination salariale, c'est à l'employeur qu'il revient de prouver
que la différence de salaire est justifiée
. En outre, lorsque
la discrimination salariale est établie, la victime est en droit
d'exiger la différence de salaire. En revanche, dans tous les autres
cas, les victimes doivent utiliser les règles de droit commun.
Aux Pays-Bas, les victimes de discriminations peuvent s'adresser directement
à la Commission pour l'égalité de traitement
,
organisme indépendant institué par la loi de 1994. Elles peuvent
également
demander à leur comité d'entreprise ou
à une association de lutte contre les discriminations de saisir la
commission
.
Cette dernière, lorsqu'elle estime la demande fondée, mène
une enquête
et dispose pour cela de larges pouvoirs (convocation
des parties et de tiers, demande de documents, inspection sur place...). Bien
que les conclusions de la commission n'aient aucune force exécutoire,
elles sont généralement suivies. La commission peut
également agir en justice pour obtenir l'annulation ou la
réparation financière d'une mesure discriminatoire. Dans son
dernier rapport annuel disponible (celui de 1998), elle indiquait cependant ne
pas encore avoir utilisé cette faculté.
2. Les lois belge et anglaise n'interdisent que certaines discriminations,
mais elles offrent aux victimes de puissants moyens d'action
a) Les discriminations explicitement interdites par les lois belge et
anglaise
La Belgique a adopté en 1981 la loi tendant à réprimer
certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie
, qui
comporte,
depuis 1994
,
un article relatif à la discrimination
raciale en matière d'emploi.
Cet article
sanctionne toute
personne qui commet une discrimination fondée sur la race, l'ascendance,
l'origine et la nationalité, l'interdiction s'appliquant "
en
matière de placement, de formation professionnelle, d'offre d'emploi, de
recrutement, d'exécution du contrat de travail ou de
licenciement
".
La Grande-Bretagne
, conformément à sa vision
" communautariste " de la société, procède par
touches successives : après avoir, en 1975, adopté la loi
sur la discrimination sexuelle, elle
a légiféré sur les
discriminations raciales en 1976
, puis sur les discriminations
fondées sur le handicap en 1995.
La loi de 1976 sur les discriminations raciales
se subdivise en
plusieurs parties, et l'une d'elles est consacrée au domaine de
l'emploi.
Elle interdit aux employeurs toute discrimination, directe ou
indirecte, aussi bien à l'égard des candidats à un emploi
que des salariés déjà recrutés
.
b) Les principaux moyens qu'ont les victimes de faire valoir leurs droits
En
Belgique
, la loi de 1981 prévoit que les
associations de
défense des droits de l'homme ou de lutte contre la discrimination
,
dans la mesure où elles existent depuis au moins cinq ans,
ainsi
que les syndicats, peuvent agir en justice
dans tous les litiges que son
application provoque. Pour cela, il leur faut l'autorisation de la victime.
En outre, le
Centre pour l'égalité des chances et la lutte
contre le racisme
, organisme indépendant créé en 1993
afin de combattre toutes les formes de racisme, dispose de la même
faculté. Il ne l'utilise que dans les affaires particulièrement
graves ou exemplaires. Il aide également les victimes en leur prodiguant
aide et conseils et, de façon indirecte, par ses recherches et par ses
recommandations aux pouvoirs publics.
En Grande-Bretagne,
la Commission pour l'égalité raciale
,
créée par la loi de 1976 constitue le principal vecteur d'aide
aux victimes de discriminations.
La
commission leur apporte surtout
une aide indirecte, notamment par ses codes de bonne
conduite
et
ses
enquêtes
, au terme desquelles elle peut adresser des
recommandations aux auteurs de discriminations. Si ces derniers
n'obtempèrent pas, elle peut saisir les tribunaux. Elle aide aussi
directement les victimes de discriminations en leur fournissant des conseils,
et en essayant d'obtenir le règlement extrajudiciaire des conflits ainsi
que l'assistance d'avocats. En revanche,
elle ne peut saisir directement la
justice que dans
deux cas
: lorsqu'elle a connaissance d'une
offre d'emploi discriminatoire ou d'une incitation à la discrimination.
3. L'Allemagne et l'Espagne disposent de quelques mesures éparses
En Allemagne, quelques dispositions législatives, contenues notamment
dans la loi sur les conseils d'établissement et dans le code social,
interdisent certaines pratiques discriminatoires en matière d'emploi.
Par ailleurs, les juridictions du travail appliquent le
principe de
l'égalité de traitement
, qui interdit à l'employeur
toute différence de traitement reposant sur des motifs subjectifs ou
arbitraires. Cependant, pour faire valoir leurs droits, les victimes de
discriminations ne disposent d'aucune procédure spécifique. Elles
doivent donc utiliser les règles de droit commun. Tout au plus, la loi
sur les conseils d'établissement permet-elle au conseil
d'établissement lui-même ou à l'un des syndicats
représentés dans l'entreprise d'entamer une action en justice
contre l'employeur lorsque ce dernier a violé de façon
grossière l'une des obligations qu'elle énonce.
L'insuffisance du dispositif juridique allemand a conduit les Verts à
préparer une proposition de loi générale sur la lutte
contre toutes les discriminations. Applicable notamment dans le domaine de
l'emploi, elle prévoit d'introduire des aménagements aux
règles de preuve et d'ouvrir aux syndicats la possibilité
d'intervenir en justice au nom des victimes.
En Espagne, les dispositions interdisant les pratiques discriminatoires dans
l'entreprise sont également dispersées. Cependant, les victimes
se trouvent dans une situation plus favorable qu'en Allemagne, d'une part,
parce que
les syndicats
peuvent
, en vertu de la loi sur la
procédure devant les tribunaux du travail,
défendre en justice
les intérêts individuels de leurs membres
et, d'autre part,
parce que
le principe constitutionnel d'interdiction de toute discrimination
jouit d'un niveau de protection très élevé
. En effet,
l'article de la Constitution qui interdit toute discrimination "
pour
des raisons de naissance, de race, de sexe, de religion, d'opinion ou pour
n'importe quel autre facteur ou circonstance personnel ou social
"
fait partie de ceux dont la violation justifie que la victime entame une action
en justice fondée sur les principes de priorité et de la
procédure sommaire. Ensuite, lorsqu'elle a épuisé les
recours judiciaires, la victime peut s'adresser au Tribunal constitutionnel.
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La
proposition de loi française semble se fixer des objectifs plus
ambitieux que les principaux dispositifs étrangers
. En effet, son
champ d'application est plus large que celui des lois anglaise et belge, qui
offrent certes une protection assez complète aux victimes de
discriminations, mais seulement aux victimes de discriminations raciales.
Par ailleurs, contrairement au texte français, la loi
néerlandaise, dont l'objectif est la lutte contre toutes les
discriminations, ne prévoit pas, l'aménagement des règles
de preuve. Il est en revanche prévu par la loi danoise relative à
l'interdiction de toute discrimination sur le marché du travail, mais
seulement pour les discriminations salariales.
Cependant, l'importance des moyens que la proposition de loi française
met à la disposition des victimes ne doit pas faire oublier
l'importance des organismes
ad hoc
créés par les
lois anglaise, belge et néerlandaise et leur rôle dans la
prévention et la résolution extrajudiciaire des conflits
.