NOTE DE SYNTHÈSE
En
France, l'indemnisation des victimes d'accidents thérapeutiques repose
en principe sur la mise en évidence de la responsabilité
médicale. Or, celle-ci n'est pas régie par les mêmes
règles selon qu'elle relève du droit public ou du droit
privé, c'est-à-dire selon que les actes médicaux ont
été réalisés dans le cadre du service public
hospitalier ou dans celui de la médecine libérale.
Dans le premier cas, le médecin n'est pas personnellement responsable
des dommages qu'il cause dans l'exercice de son activité, à moins
de commettre une faute personnelle détachable. En principe, c'est donc
la responsabilité de l'hôpital qui est engagée et, depuis
1992, la justice administrative retient toute faute simple. De plus, depuis
1993, elle admet la responsabilité sans faute de l'hôpital en cas
d'" aléa thérapeutique ". En effet, dans l'arrêt
Bianchi, le Conseil d'Etat a affirmé que, "
lorsqu'un acte
médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade
présente un risque dont l'existence est connue mais dont la
réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser
que le patient y soit particulièrement exposé, la
responsabilité du service public hospitalier est engagée si
l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport
avec l'état initial du patient comme avec l'évolution
prévisible de cet état, et présentant un caractère
d'extrême gravité
".
En revanche, dans le second cas, le médecin est personnellement
responsable, mais le juge judiciaire ne met à sa charge qu'une
obligation de moyens. Hormis les rares cas où le médecin a une
obligation de résultats (fourniture de produits ou de matériel
par exemple), la jurisprudence, d'une façon générale,
fonde donc la responsabilité médicale sur la faute.
C'est pourquoi une loi d'indemnisation, qui allouerait de plein droit des
dommages et intérêts aux victimes d'accidents sans que les
médecins soient mis en cause, est demandée depuis de nombreuses
années, à la fois par les professionnels et par les victimes.
Le projet de loi sur la modernisation du système de santé
,
dans son volet consacré à l'indemnisation du risque
médical, devrait créer
un fonds permettant l'indemnisation des
victimes d'accidents médicaux graves survenus en l'absence de faute des
soignants.
Dans la perspective de la prochaine discussion de ce texte, il a semblé
utile d'examiner les principales caractéristiques des systèmes
d'indemnisation des accidents médicaux chez quelques-uns de nos voisins
européens : l'
Allemagne
, le
Danemark
,
l'
Italie
, le
Royaume-Uni
, la
Suède
et la
Suisse
.
L'examen de ces systèmes d'indemnisation des accidents médicaux
permet de mettre en évidence que
tous les pays étudiés,
sauf l'Italie, ont mis en place des procédures spécifiques
permettant aux victimes d'accidents thérapeutiques d'obtenir une
indemnisation sans devoir recourir aux tribunaux.
Plus précisément, il apparaît que :
-
en Italie, les dossiers d'indemnisation des accidents
thérapeutiques continuent à être réglés par
les tribunaux de droit commun ;
- les médecins ont institué des instances extrajudiciaires de
médiation en Allemagne et en Suisse ;
- la réforme anglaise de la procédure civile encourage les
parties à rechercher un règlement amiable avant toute action en
justice ;
- au Danemark et en Suède, la loi dispense les victimes d'accidents
thérapeutiques de prouver l'existence d'une faute.
1) En Italie, les dossiers d'indemnisation continuent à être
réglés par les tribunaux de droit commun
Le droit commun de la responsabilité s'applique et les juges
apprécient le montant des dommages et intérêts au vu des
rapports des experts médicaux.
2) En Allemagne et en Suisse, les médecins ont institué des
procédures extrajudiciaires
En Allemagne, les ordres régionaux des médecins ont
institué des instances de médiation à partir de 1975. En
Suisse, la Fédération des médecins helvétiques a
créé deux bureaux d'expertises extrajudiciaires en 1982.
Ces instances peuvent être saisies par les patients qui s'estiment
victimes d'erreurs médicales. Elles conduisent des expertises et se
prononcent sur l'existence d'une erreur médicale.
En Allemagne, où le statut des instances de médiation varie d'une
région à l'autre, certaines se prononcent même sur le
montant des dommages et intérêts à accorder. En revanche,
les bureaux suisses d'expertises extrajudiciaires n'évaluent jamais le
préjudice, mais leurs conclusions fournissent généralement
la base d'un arrangement amiable entre les parties.
Dans les deux pays, le système est pratiquement gratuit pour les
patients. Bien que les instances allemandes soient critiquées, notamment
parce que certaines d'entre elles n'associent pas du tout les patients à
leur procédure, elles semblent fonctionner de manière
satisfaisante, puisque les procès en responsabilité civile contre
les médecins ont pratiquement disparu. En revanche, en Suisse, les
bureaux d'expertises extrajudiciaires ont une activité plus
limitée : ils ont traité 2000 dossiers entre 1982 et 1998.
Dans les deux pays, les parties, même si elles ont accepté de
recourir à une procédure extrajudiciaire, restent libres de
saisir ultérieurement les tribunaux, car les conclusions des instances
de médiation ne sont pas exécutoires.
3) Au Royaume-Uni, la réforme de la procédure civile encourage
les parties à rechercher un règlement amiable avant toute action
en justice
La réforme de la procédure civile, entrée en vigueur le
26 avril 1999, a institué un
protocole préjudiciaire pour
la résolution du contentieux médical
.
Ce protocole incite les parties
, d'une part,
à rechercher un
règlement amiable avant toute action en justice
et, d'autre part,
à respecter un calendrier très précis. Le non-respect du
protocole les expose à des sanctions ultérieures de la part du
juge. En effet, en cas d'échec de la procédure amiable, le
conflit est porté devant les juridictions civiles.
4) Au Danemark et en Suède, la loi dispense les victimes d'accidents
thérapeutiques de prouver l'existence d'une faute
La Suède fut le premier pays européen à séparer les
notions de responsabilité médicale et de droit à
compensation
. Dès
1975
, les conseils de comté,
gestionnaires des hôpitaux, et les assureurs conclurent un
protocole
d'indemnisation des accidents thérapeutiques
permettant aux victimes
d'être indemnisées en l'absence de toute faute.
Prenant exemple sur le régime suédois,
le législateur
danois
adopta en mai 1991
la loi sur l'assurance des patients
, qui
est
entrée en vigueur le 1
er
juillet 1992
et qui
permet à la plupart des victimes d'accidents médicaux
d'être indemnisées, en dehors de toute notion de faute et de
responsabilité.
Il suffit pour cela d'établir que le préjudice subi aurait pu
être évité (si le médecin avait appliqué la
règle de l'art, si l'équipement n'avait pas été
défectueux ou si d'autres méthodes avaient été
mises en oeuvre) ou qu'il constitue la conséquence d'un réel
aléa thérapeutique (c'est-à-dire d'une complication
très rare ou d'une ampleur beaucoup plus grave que celle à
laquelle il est raisonnable de s'attendre).
Toutes les demandes d'indemnisation sont traitées par l'Association pour
l'assurance des patients, qui réunit tous les assureurs des prestataires
de soins couverts par la loi. Cette association vérifie la
recevabilité des dossiers et évalue les préjudices. Une
commission
ad hoc
examine les recours contre les décisions
de l'association.
Suivant à son tour l'exemple danois,
la Suède a
remplacé le protocole d'indemnisation des accidents
thérapeutiques par la loi de 1996 relative à l'assurance des
patients
, qui est entrée en vigueur le 1
er
janvier
1997. La loi suédoise prévoit un régime similaire au
régime danois, même si les critères de recevabilité
ne sont pas tout à fait les mêmes.
* *
*
Dans tous les pays étudiés, sauf en Italie, le contentieux médical échappe, en totalité ou en partie, aux juridictions de droit commun. Les solutions retenues, très diverses, présentent toutefois quelques caractéristiques communes : souci de faciliter l'indemnisation des victimes par des procédures simples et peu coûteuses, et recherche de célérité dans le règlement des dossiers.