LES ÉQUIVALENTS DE L'INSPECTION GÉNÉRALE DE LA POLICE NATIONALE
La Division de la Législation comparée du Sénat a conduit une recherche sur les équivalents de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) en Allemagne, en Belgique, au Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galles) et en Suède.
Au Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galles), les départements d'éthique et de déontologie des forces de police ( professional standards departments ) s'occupent de la majorité des plaintes reçues contre les officiers et autres personnels de police. Toutefois, elles doivent cependant renvoyer à l' Independent Office for Police Conduct (IOPC) 150 ( * ) . Établi en janvier 2018 conformément au Policing and Crime Act 2017 , l'IOPC constitue un organisme public non ministériel chargé de la supervision du traitement des plaintes contre la police afin d'améliorer la confiance du public dans l'efficacité et l'impartialité du système. Équivalent à une autorité administrative indépendante française, il est dirigé par un directeur général nommé par le ministre de l'intérieur. L'IOPC remplace la précédente commission des plaintes créée en 2004 et bénéficie de pouvoirs renforcés. Il peut directement enquêter sans saisine par un département de police qui aurait enregistré une plainte, il est compétent en appel et peut préconiser des mesures correctives.
Toute personne peut déposer plainte si elle a été victime d'un comportement inapproprié de la part d'un officier ou autre personnel de police, a vu un officier ou autre personnel de police agir de façon inappropriée ou a été incidemment atteinte par le comportement d'un officier ou autre personnel de police. Il n'existe en principe pas de délai pour déposer une plainte. Cependant, les forces de police peuvent décider de ne pas traiter une plainte reçue plus de 12 mois après l'incident d'origine, le plaignant devra alors expliquer les raisons de cette plainte tardive.
Les forces de police sont censées prendre au sérieux toute les plaintes, écouter les plaignants et agir de façon juste et équilibrée. Elles décident dans les 15 jours si elles enregistrent la plainte. Dans le cas contraire, le plaignant doit être informé des motifs et peut faire appel.
Lorsque la plainte est enregistrée, les forces de police doivent se demander s'il convient de la renvoyer à l'IOPC. Dans le cas contraire, elle sera traitée au niveau local.
Doivent obligatoirement être renvoyés à l'IOPC les cas qui concernent des allégations graves contre les forces de police notamment les infractions criminelles (corruption, agression ...) et les manquements entraînant un préjudice sérieux. L'IPOC est également obligatoirement saisi des cas où une personne a été sérieusement blessée ou est décédée après avoir eu de façon directe ou indirecte un contact avec la police peu de temps avant.
Dès réception d'une plainte transmise par les forces de police, le département d'évaluation de l'IOPC examine les informations fournies et décide de l'opportunité d'une enquête et, le cas échéant, du type d'enquête. Celles-ci sont de quatre sortes :
- les enquêtes indépendantes, dans lesquelles l'IOPC utilise ses propres enquêteurs ;
- les enquêtes dirigées, dans lesquelles les forces de police mènent l'enquête sous la direction de l'IOPC ;
- les enquêtes supervisées, dans lesquelles les forces de police mènent l'enquête et l'IOPC supervise les procédures ;
- et les enquêtes locales, qui ne requièrent aucune action ni implication de l'IOPC.
Au commencement d'une enquête, l'IOPC expose les points sur lesquels elle va investiguer. Les enquêteurs rassemblent ensuite les preuves afin d'établir ce qu'il s'est passé, ce qui peut inclure :
- prendre les dépositions des témoins ;
- interroger les officiers de police et autres membres du personnel ;
- analyser les images de vidéosurveillance ou de caméras portées par les officiers de police ;
- ou encore obtenir d'autres documents ou enregistrements, comme les enregistrements téléphoniques.
L'IOPC peut également avoir recours aux analyses médico-légales et à des avis d'experts indépendants.
À la fin de l'enquête, l'IOPC rédige un rapport précisant :
- le déroulement des faits et de la procédure ;
- la teneur et la conduite des investigations ;
- les preuves trouvées par les enquêteurs ;
- l'analyse des preuves.
Le rapport est alors envoyé aux forces de police. L'IOPC précise à cette occasion ce qu'il lui semble nécessaire de faire vis-à-vis des agents impliqués dans l'affaire (entraînement supplémentaire, audition pour faute grave). Les forces de police donnent leur opinion sur les suites à donner ; en cas de désaccord l'IOPC a le pouvoir de recommander de prendre une action correctrice appropriée voire, en dernier recours, de l'ordonner.
Toute action disciplinaire est effectuée par les forces de police. Parmi les sanctions qui peuvent être prononcées figurent :
- une action non disciplinaire, comme la mise en place d'un plan d'amélioration pour un officier ;
- un avertissement écrit ;
- un avertissement écrit final ;
- un licenciement avec préavis ;
- un licenciement sans préavis.
En Suède , la police nationale dispose d'une unité spéciale (Särskilda utredningar - SU) 151 ( * ) chargée d'enquêter sur les infractions commises par les membres de la police : tout policier soupçonné ou notifié d'une infraction voit l'affaire dans laquelle il est impliqué transmise au SU, quel que soit le lieu et peu importe que le policier ait été ou non en service. Le SU est également compétent pour les affaires concernant des stagiaires policiers en formation, des juges, des procureurs, des parlementaires et autres groupes relevant de l'organisation judiciaire et du pouvoir de l'État.
Dans le cadre de la réforme de la police entrée en vigueur le 1 er janvier 2015, le SU a été volontairement conçu par le Parlement suédois pour que les affaires pénales internes puissent être menées de façon indépendante et sans influence de la part d'autres services de police. Il s'agit d'un département distinct au sein de la police, y compris géographiquement, et doté d'un responsable nommé par le gouvernement.
Contrairement aux autres enquêtes pénales, seuls les procureurs spéciaux peuvent décider si une enquête préliminaire doit être ouverte ou clôturée dans les affaires traitées par le SU. Ces procureurs spéciaux sont également les enquêteurs pouvant décider des mesures d'enquête à mettre en place, comme les personnes à interroger ou encore les éléments de preuve à saisir.
Toute personne peut signaler un policier pour infraction soit par téléphone, soit dans un poste de police. Dans ceux-ci se trouvent des personnes spécialement désignées pour enregistrer ces demandes et les transmettre au SU. La procédure est ensuite la suivante :
- lorsque le SU est saisi d'une demande, un procureur spécial l'examine en premier lieu et décide de l'ouverture ou non d'une enquête préliminaire au vu des premiers éléments. Dans sa décision, il considère si ce qui est signalé est effectivement illégal et si le signalement est suffisamment spécifique pour faire l'objet d'une enquête. S'il décide de donner suite, le SU enquêtera sur l'affaire, le procureur en étant le responsable ;
- si des poursuites sont engagées et s'il trouve suffisamment d'éléments lors de l'enquête, le procureur peut décider d'engager des poursuites pénales auprès d'un tribunal. Dans certains cas, le procureur peut à la place recourir à une procédure simplifiée pour les infractions les moins graves ;
- si le procureur estime que l'enquête ne fournit pas suffisamment d'éléments pour permettre une poursuite pénale, elle est alors close. Toutefois, tous les signalements, quelle que soit leur issue en termes de procédure, sont remis à la police pour qu'elle mène une enquête interne sur le plan du droit du travail : l'employeur décide, au vu des éléments, si des mesures doivent être prises, telles que des changements d'organisation, des sanctions disciplinaires ...
En termes d'organisation, SU comprend trois unités d'enquête situées à Stockholm, Göteborg et Malmö qui gardent conjointement une responsabilité nationale. Quand un procureur décide d'ouvrir une enquête, SU donne la responsabilité de l'enquête à l'unité la plus adaptée, indépendamment du lieu où les faits se sont produits.
En Belgique , la loi du 15 mai 2007 sur l'Inspection générale et portant des dispositions diverses relatives au statut de certains membres des services de police 152 ( * ) institue une Inspection générale de la police fédérale et de la police locale, placée sous l'autorité du ministre de l'intérieur et du ministre de la justice.
Elle enquête sur le fonctionnement, les activités et les méthodes des services de police et agit soit de sa propre initiative, soit sur ordre du ministre de la justice ou du ministre de l'intérieur, soit à la demande des autorités judiciaires et administratives. Elle donne suite aux plaintes et dénonciations qu'elle reçoit.
L'Inspection générale a un pouvoir de médiation s'agissant des plaintes qui ne constituent pas une infraction. Ainsi, « lorsqu'un différend, survenu entre un citoyen et un membre des services de police à l'occasion de l'exercice d'une de ses missions, paraît pouvoir être aplani par une médiation, l'Inspection générale s'efforce de concilier les points de vue du plaignant et des services concernés. Il peut en être de même lorsqu'un différend de ce type survient entre les membres du personnel des services de police. La procédure de médiation nécessite l'accord de toutes les parties personnellement concernées par le différend et exclut, en cas d'issue favorable, toute autre procédure disciplinaire ou administrative basée sur ce différend » (article 7).
Les membres de l'Inspection générale possèdent un droit d'inspection général et permanent pour l'exercice de leurs missions.
En revanche, l' Allemagne ne connaît pas d'équivalent de l'IGPN au niveau fédéral : il n'existe pas d'autorité centrale compétente pour la conduite d'enquête judiciaire à l'encontre de policiers, ni de procédures spécifiques.
L'article 30 de la Loi fondamentale allemande dispose que « l'exercice des pouvoirs étatiques et l'accomplissement des missions de l'État relèvent des Länder , à moins que la présente Loi fondamentale n'en dispose autrement ou n'autorise une règle différente » . En l'espèce, les poursuites incombent donc aux Länder , sauf si dans un cas précis la loi en dispose autrement et renvoie à l'office fédéral de la police criminelle ( Bundeskriminalamt - BKA ). Les procureurs et les autorités de police des Länder sont compétents y compris pour mener des enquêtes judiciaires à l'encontre des agents de la police fédérale.
En cas de soupçon de délit commis par un membre de la police, une enquête doit être ouverte, pour le compte du ministère public par un service de police autre que celui concerné. Certains Länder disposent d'unités spécifiques pour traiter des enquêtes sur des policiers ou des fonctionnaires.
C'est le cas par exemple de la Bavière, où la responsabilité du traitement des enquêtes concernant les policiers a été confiée en 2013 au bureau d'enquêtes criminelles bavarois (Bayerisches Landeskriminalamt) . Ce dernier est compétent pour :
- les enquêtes judiciaires contre des membres de la police bavaroise, dans la mesure où l'infraction a été commise durant le service ;
- les cas dans lesquels des personnes sont tuées ou blessées après utilisation d'armes à feu par les forces de police ;
- les cas individuels, dans la mesure où les soupçons se portent contre les forces de police et que des éléments tels que la gravité de l'infraction, sa visibilité, la personnalité ou la position de l'auteur ou de la victime justifient un traitement individuel.
Les enquêtes liées à des infractions routières sont exclues du champ de compétences tout comme celles visant des membres du bureau d'enquêtes criminelles bavarois
* 150 https://policeconduct.gov.uk/sites/default/files/Documents/Who-we-are/accountability-performance/IOPC_annual_report_and_accounts_2017-18.pdf
* 151 https://polisen.se/siteassets/dokument/polisens-arsredovisning/sarskilda-utredningar/arsrapport-2018-for-sarskilda-utredningar.pdf
* 152 http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&cn=2007051543&table_name=loi