NOTE
sur
la dépénalisation
de la consommation
du cannabis
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Allemagne - Danemark - Espagne - Pays-Bas - Portugal - Royaume-Uni (Angleterre) - Suisse - Uruguay
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Cette note a été réalisée à la demande de Mme Esther BENBASSA, sénatrice
AVERTISSEMENT Les notes de Législation comparée se fondent sur une étude de la version en langue originale des documents de référence cités dans l'annexe. Elles présentent de façon synthétique l'état du droit dans les pays européens dont la population est de taille comparable à celle de l'Hexagone ainsi que dans ceux où existe un dispositif législatif spécifique. Elles n'ont donc pas de portée statistique. Ce document constitue un instrument de travail élaboré à la demande des sénateurs par la division de Législation comparée de la direction de l'Initiative parlementaire et des délégations. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat. |
NOTE DE SYNTHÈSE
Ce document met à jour l'étude de législation comparée LC 99 publiée en janvier 2002, sur la dépénalisation de la consommation du cannabis.
Centré sur le régime applicable à la consommation individuelle du cannabis, il se fonde sur les exemples observés dans huit pays, soit sept États d'Europe (Allemagne, Royaume-Uni - Angleterre -, Danemark, Espagne, Pays-Bas, Portugal et Suisse) et un État d'Amérique du Sud, l'Uruguay, qui pourrait prochainement modifier sa législation.
Il met en lumière l'état actuel de la législation de chacun de ces États sans approfondir les diverses modifications qui ont pu survenir, depuis 2002, pour chacun d'entre eux. Il n'étudie pas les régimes particuliers tels que l'utilisation à des fins thérapeutiques ou les sanctions renforcées telles que celles encourues par les personnes qui fournissent des stupéfiants aux mineurs.
1. Situation en France
L'article L. 5132-8 du code de la santé publique dispose que « la production, la fabrication, le transport, l'importation, l'exportation, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition et l'emploi de plantes, de substances ou de préparations classées comme vénéneuses sont soumises à des conditions ».
Les stupéfiants entrent dans la nomenclature des substances vénéneuses prévue aux articles L. 5132-1 à L. 5132-7 du code de la santé publique et font l'objet de l'arrêté du 22 février 1990 du ministre de la Santé qui fixe la liste des plantes et substances classées stupéfiants. Le cannabis et la résine de cannabis sont, quant à eux, inscrits sur la liste dressée à l'annexe I de cet arrêté, parmi les stupéfiants.
• Usage
L'usage illicite du cannabis est une infraction punie d'au plus 1 an d'emprisonnement et d'une amende de 3 750 € (article L. 3421-1 du code de la santé publique).
La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a complété cet article L. 3421-1 de sorte que « Les personnes coupables de ce délit encourent également à titre de peine complémentaire, l'obligation d'accomplir un stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de produits stupéfiants [...] ».
• Détention
La détention d'un produit stupéfiant est punie d'une peine d'emprisonnement de 10 ans et d'une amende de 7 500 000 € (article 222-37 du code pénal). En pratique, les tribunaux tiennent compte de la quantité détenue et des circonstances.
• Vente
La vente illicite est punie d'une peine d'emprisonnement de 10 ans et d'une amende de 7 500 000 € (article 222-37 du code pénal). Toutefois lorsqu'elle est conclue avec « une personne en vue de sa consommation personnelle », elle est sanctionnée d'une peine d'emprisonnement de 5 ans et d'une amende de 75 000 € (article 222-39 du code pénal). La peine d'emprisonnement est portée à 10 ans lorsque le cannabis est offert ou cédé à des mineurs.
• Culture
La « production ou fabrication illicite » est punie par l'article 222-35 du code pénal de 20 ans de réclusion criminelle et d'une amende de 7 500 000 €.
La loi ne prévoit pas le cas de la culture destinée à la consommation personnelle.
L'action publique n'est pas nécessairement exercée. En effet, le magistrat du parquet peut prononcer une « injonction thérapeutique ». Dans cette hypothèse, si l'intéressé suit le traitement jusqu'à son terme, il n'est pas poursuivi. Il en va de même lorsque les toxicomanes se présentent librement et spontanément dans un service de soins, où ils peuvent être traités sous couvert de l'anonymat.
Depuis 1978, les circulaires du ministère de la Justice recommandant aux parquets d'éviter de poursuivre les simples usagers se sont succédé.
La circulaire du 16 février 2012 relative à l'amélioration du traitement judiciaire de l'usage de produits stupéfiants souligne que « le maintien de la pénalisation de l'usage de produits stupéfiants est un volet essentiel de la politique [du Gouvernement] de prévention aux conduites addictives ». Elle recommande :
- pour l'usager non toxicodépendant, la mesure de stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de produits stupéfiants et à défaut l'ordonnance pénale délictuelle tout en excluant les classements sans suite en opportunité et en limitant le classement avec rappel à la loi ;
- pour l'usager toxicodépendant, d'envisager systématiquement l'injonction thérapeutique s'il nécessite des soins et de privilégier les poursuites devant le tribunal correctionnel à l'encontre de ces usagers réitérants ou récidivistes ».
Dans son avis du 21 juin 2001 intitulé « Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique », le Conseil national du sida a recommandé au législateur la levée de « l'interdiction pénale de l'usage de stupéfiants dans un cadre privé ».
Comme la consommation de drogues suppose l'approvisionnement, on a analysé, pour chacun des pays retenus, les mesures relatives non seulement à la consommation stricto sensu , mais aussi à la détention, à la vente et à la culture du cannabis. En revanche, les dispositions qui régissent l'utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques n'ont pas été prises en compte.
2. Observations sur les législations étudiées
L'analyse des dispositions en vigueur dans les huit pays retenus fait ressortir que :
- seule la Suisse continue à considérer la consommation du cannabis comme une infraction pénale, en prévoyant quelques aménagements ;
- le Portugal, les Pays-Bas et l'Uruguay ont explicitement dépénalisé la détention d'une petite quantité de cannabis, tandis que, dans les autres pays, divers mécanismes juridiques permettent de ne pas sanctionner non plus cette infraction ;
- la vente et la culture du cannabis, qui constituent partout des infractions pénales, sont cependant tolérées aux Pays-Bas et, à un moindre degré, en Suisse ;
- la culture du cannabis destinée à la consommation personnelle pourrait être légalement autorisée à l'avenir en Uruguay, si le projet de loi en cours d'examen à Montevideo est adopté.
• La Suisse continue à considérer la consommation du cannabis comme une infraction pénale
La consommation du cannabis demeure une infraction pénale en Suisse
Aux termes de la loi fédérale sur les stupéfiants, la consommation de tout produit stupéfiant constitue une infraction pénale, punissable d'une amende. Cependant, la loi prévoit :
- la possibilité de suspendre la procédure pénale ou de dispenser le contrevenant de peine « dans les cas bénins » ;
- que n'encourt pas de sanction pénale, mais une « réprimande », celui qui se borne à préparer (acte préparatoire) au plus 10 grammes de stupéfiants pour sa propre consommation ou pour permettre à des tiers majeurs d'en consommer avec lui simultanément après leur en avoir fourni gratuitement ;
- une procédure administrative simplifiée aboutissant au paiement d'une amende de 100 francs suisses (environ 80 €) pour les majeurs en possession d'au plus 10 grammes de cannabis, sauf contestation du contrevenant.
Tous les autres pays ont dépénalisé la consommation du cannabis
Dans les autres pays étudiés, la consommation du cannabis n'est pas une infraction pénale. Elle constitue une infraction administrative au Portugal et en Espagne. En revanche, elle ne constitue une infraction ni en Allemagne, ni en Angleterre, ni au Danemark, ni aux Pays-Bas, ni en Uruguay.
Au Portugal, depuis le 1 er juillet 2001, la consommation du cannabis n'est plus une infraction pénale, mais une infraction administrative. La procédure instituée par la loi du 30 novembre 2000 qui a dépénalisé certaines des infractions liées aux produits stupéfiants vise principalement à soigner les toxicomanes (consommateurs non occasionnels). C'est pourquoi les sanctions administratives s'appliquent aux consommateurs occasionnels récidivistes.
En Espagne, la loi organique de 1992 sur la protection de la sécurité civile a qualifié la consommation de produits stupéfiants dans les lieux publics d'infraction administrative grave, punissable d'une amende ou d'une autre sanction administrative (suspension du permis de conduire...). En pratique, la simple consommation du cannabis dans les lieux publics est rarement sanctionnée.
En Uruguay, toute personne qui est « surprise en train de consommer » du cannabis à usage personnel doit être présentée à un juge, qui peut ordonner qu'elle suive un traitement dans un établissement approprié. Le projet de loi en cours d'examen propose d'interdire à l'avenir l'accès au cannabis aux mineurs de moins de 18 ans.
En Allemagne, en Angleterre, au Danemark et aux Pays-Bas, la consommation du cannabis n'est pas interdite. Dans ces quatre pays, toutes les opérations liées aux produits stupéfiants sont prohibées, mais cette interdiction générale ne fait pas référence à la consommation.
• Si les lois portugaise, néerlandaise et uruguayenne ont dépénalisé la détention d'une petite quantité de cannabis, divers mécanismes juridiques permettent, dans les autres pays, de ne pas sanctionner non plus cette infraction
Les lois des Pays-Bas, du Portugal et d'Uruguay ont dépénalisé la détention d'une petite quantité de cannabis
La détention des produits stupéfiants n'est plus une infraction pénale :
- au Portugal, où elle constitue une infraction administrative, si la quantité détenue ne dépasse pas la consommation moyenne d'une personne pendant 10 jours ;
- aux Pays-Bas, si elle ne dépasse pas 30 grammes ;
- et en Uruguay, si la quantité « raisonnable » est destinée à la consommation personnelle. En outre, le projet de loi examiné à Montevideo depuis l'été 2013 propose de fixer à :
- 40 grammes par personne, la quantité susceptible d'être détenue pour la consommation personnelle ;
- 480 grammes par an, la quantité qu'une personne peut détenir au titre de la culture domestique de 6 pieds au plus de cannabis.
Dans les autres pays étudiés, des dispositions non législatives incitent la police ou les tribunaux à ne pas sanctionner la détention d'une petite quantité de cannabis
Au Danemark et aux Pays-Bas, le principe d'opportunité des poursuites permet au parquet de ne pas poursuivre toutes les infractions relatives aux stupéfiants. Dans ces deux pays, des directives du parquet général déterminent la conduite à tenir pour la poursuite des infractions relatives aux stupéfiants :
- les directives néerlandaises précisent que, jusqu'à 5 grammes, l'affaire doit être classée, car la quantité détenue correspond à la consommation personnelle et que, de 5 à 30 grammes, il s'agit d'une contravention dont la poursuite ne constitue pas une priorité ;
- les directives danoises précisent que jusqu'à 10 grammes de haschisch, 50 grammes de marijuana et 100 grammes de chanvre on a affaire à une détention pour la consommation personnelle qui est punie moins sévèrement et peut même ne faire l'objet que d'un avertissement. Elles dressent un tableau du montant des amendes à appliquer en fonction de la quantité et d'une éventuelle récidive.
En Allemagne, la loi sur les stupéfiants permet aux parquets de ne pas poursuivre les contrevenants et aux tribunaux de ne pas les punir, notamment lorsque les quantités détenues sont faibles.
Sur la base de ces dispositions législatives, le Tribunal constitutionnel fédéral a, en 1994, invité les ministères de la Justice des Länder à déterminer la quantité de cannabis correspondant à la consommation personnelle. Dans la plupart des Länder , elle est désormais de 6 grammes même si la fourchette est comprise entre 5 et 15 grammes.
En Espagne, la recommandation de la chambre pénale du Tribunal suprême suggère aux juges de ne sanctionner la détention de cannabis qu'au-delà de 25 grammes par personne, sous réserve des circonstances de l'espèce.
Par ailleurs, la loi organique de 1992 sur la protection de la sécurité civile fait de la détention du cannabis, une infraction administrative punie de la même façon que la consommation dans des lieux publics. En pratique, la détention n'est sanctionnée que si le contrevenant est appréhendé dans un lieu public.
En Angleterre et en Suisse, la détention du cannabis à usage personnel est une infraction spécifique punie plus légèrement. En outre, la police (Angleterre) ou la justice (Suisse) a la possibilité de ne pas donner suite aux affaires estimées mineures comme la détention d'une faible quantité de cannabis.
• La vente et la culture illicites du cannabis, qui constituent dans les pays d'Europe étudiés et en Uruguay des infractions pénales, sont cependant tolérées aux Pays-Bas et, à un moindre degré, en Suisse
La vente et la culture du cannabis sont qualifiées d'infractions pénales dans les pays d'Europe étudiés, ainsi qu'en Uruguay. Au Portugal, la vente de produits stupéfiants destinés à la consommation personnelle constitue une simple infraction administrative, au même titre que la consommation ou la détention à des fins personnelles.
Ces deux infractions pénales sont sanctionnées plus ou moins sévèrement selon les quantités sur lesquelles elles portent. Ainsi, le Portugal et la Suisse font de la culture du cannabis en vue de la consommation personnelle une infraction spécifique, punie plus légèrement.
Bien qu'elles constituent des infractions pénales, la vente et la culture du cannabis sont tolérées aux Pays-Bas sous réserve du respect des directives du parquet général fixant les critères auxquels les établissements qui vendent au détail doivent se conformer pour fonctionner (interdiction notamment de vendre des drogues dures, de faire de la publicité, de déranger le voisinage ou de vendre aux mineurs). Ces directives précisent aussi que la culture du cannabis, même si elle constitue une infraction, ne doit pas être poursuivie lorsqu'elle ne revêt pas un caractère professionnel, notamment lorsque le nombre de pieds cultivés ne dépasse pas cinq.
En Suisse, le « projet pilote » de vente de cannabis des villes de Zurich et de Bâle annoncé par la presse fin 2012 ne s'est pas concrétisé à ce jour.
Le projet de loi en cours d'examen en Uruguay prévoit cependant de permettre :
- la culture « domestique » de 6 pieds de cannabis et la culture du cannabis dans le cadre de « clubs » dont la création serait autorisée par l'exécutif et dont les cultures seraient autorisées par une autorité de régulation ;
- la vente du cannabis aux majeurs dans les pharmacies dans la limite de 40 grammes par personne et par mois et moyennant l'inscription des consommateurs à un fichier national.