B. INFORMER LE PUBLIC SANS INTERMÉDIAIRES
Dans le but de structurer les stratégies de visibilité des agents sociaux avides d'obtenir plus d'espace dans les médias, des communicateurs expérimentés sont fréquemment recrutés sur le marché. La prolifération effrénée des services de presse, de communication sociale ou de relations publiques est, en elle-même, un indice de l'importance croissante que les acteurs sociaux attribuent à la capacité d'influencer, voire de contrôler le flux informatif 699 ( * ) .
Les structures de communication institutionnelle se sont accrues et perfectionnées dans le monde entier. Elles sont chères et sophistiquées, mais elles conservent un talon d'Achille : elles dépendent du mot final de la presse et de ses gatekeepers. Les hauts investissements n'avanceront en effet à rien si, au sein des moyens de communication, le feu vert à la divulgation du thème en question n'est pas donné. Et le feu tend à s'allumer plus fréquemment rouge que vert. Même si la presse était à l'abri des interférences économiques, politiques ou de toute autre nature, elle est obligée d'opérer un choix quotidien, car elle n'a pas les moyens d'inclure tous les thèmes. L'espace des informations est physiquement limité. D'où l'agressivité de plus en plus forte des stratégies de sensibilisation des médias. Tous sont conscients qu'il n'y a pas d'espace pour tout le monde et que la présence d'un point de vue dans l'agenda médiatique peut représenter l'exclusion d'un autre.
In strong competition against each other, the relevant groups and institutions try to establish `their' issue on the public agenda and to push de rivals aside. In this struggle over the agenda, the media function like a filter and an amplifier - picking up and enforcing certain issues, while ignoring others. Agenda-building, can be seen as an interactive process, in which different pressure groups try to instrumentalize the mass media for their own goals - affirment MATHES et PFETSCH 700 ( * ) .
La production quotidienne d'informations par les sources s'accroît en quantité et en sophistication. Les techniques productives se surpassent. Du simple texte, les primitives notes d'informations divulguées à la presse, le plus souvent à des moments ponctuels, des moments de crise, on est passé à une communication pro-active avec une production quotidienne, à la thématique plus vaste et mise à disposition sous la forme de bulletins plus rapides et plus denses.
Le professionnel de ces nouvelles structures informatives doit faire son possible pour éviter que son message se perde, ou termine dans les poubelles de la rédaction. Comme un véritable journaliste - suggère OLARREAGA 701 ( * ) - il doit cultiver ses sources d'information et avoir en permanence des informations fraîches . Pour faire parvenir à la presse tout ce contenu, ces professionnels se sont emparés d'outils typiques des agences de presse - télex, fax, téléphotographie et, plus tard, Internet. Les sources se sont aussi mis à produire des reportages radiophoniques et télévisuels. Le matériel, nommé rádio releases et vídeorelease (communiqué radio et communiqué vidéo), est destiné aux supports audiovisuels qui sont dans l'impossibilité de couvrir certains faits en raison de la distance physique, des coûts économiques ou même du manque de journalistes dans leurs propres rédactions.
En mettant gratuitement à la disposition de la presse les « reportages » déjà élaborés et édités avec un niveau de qualité et une technique professionnelles, les chances que le thème soit divulgué sont plus grandes. Mais il y aura toujours le risque d'un rejet éditorial. D'une manière générale, les informations mises à disposition sont reçues avec réticence par certains moyens de communication. Es una fuente escaparate: maquillada y producida para entusiasmar - analysent Pablos Coello et Mateos Martín 702 ( * ) . Pour être assuré de la diffusion, la seule solution est d'avoir son propre média, son propre canal.
1. L'information de la source au consommateur
Conscientes du fait qu'il n'existe pas, dans les sociétés contemporaines, un intérêt public unique, mais des intérêts publics diversifiés 703 ( * ) , qui reflètent les différences et les multiplicités sociales, les structures de communication institutionnelle ont dépassé leurs tâches traditionnelles pour pénétrer dans le champ des grands médias, dans le but d'assurer la visibilité qu'ils revendiquent et d'être présents dans la mosaïque des relations sociales.
Le rétrospectif historique national démontre que divers segments sociaux, mécontents du filtrage journalistique des médias, ont choisi de réaliser leur propre presse. Au niveau international, une telle construction de supports propres a aussi été observée, une des motivations étant les coûts élevés payés aux médias pour la publicité. À partir de la fin des années 1980, une partie substantielle des fonds dépensés en publicité et qui finançaient les médias traditionnels a progressivement été utilisée dans des mécanismes d'auto-divulgation, dans des médias que les sources pouvaient elles-mêmes contrôler 704 ( * ) . Néanmoins, comme le décrit DEMERS, le profil des nouveaux outils était plus proche du champ publicitaire que du champ journalistique. Le développement s'est fait à travers l'utilisation de brochures, de prospectus, de bulletins, ainsi que l'utilisation d'Internet et des canaux publicitaires.
L'interprétation de l'optimisation des fonds ne doit pas être ignorée, mais d'autres éléments se sont ajoutés dans la construction de ce tableau. Parmi eux, la nécessité de créer un espace pour permettre la contradiction. Si nous raisonnions uniquement sous l'optique de la réduction des coûts publicitaires, le monde n'aurait pas connu le Comandante Marcos, avec sa pipe et son bonnet de skieur. Grâce à une action de communication corporative, il a influencé l'agenda journalistique mondial, en divulguant au monde entier la lutte des Chiapas. CASTELLS considère la diffusion de newsletters sur Internet par le mouvement Zapatiste comme a first informational guerrilha movement 705 ( * ) . Grâce à elle, la situation mexicaine est devenue connue du monde entier et le mouvement, avec la visibilité qu'il a atteint, a réussi à sensibiliser divers segments sociaux.
Les informations distribuées et produites par les sources ont obtenu un traitement éditorial, visuel et esthétique similaire au travail effectué par la presse. Les house organs, des publications institutionnelles au format de journaux et magazines, sont apparus. Les nouvelles technologies ont réduit les coûts de l'acte d'informer, les publications ont atteint de grands tirages et le journalisme institutionnel a dépassé les frontières de la communication imprimée, en parvenant jusqu'aux médias audiovisuels et électroniques. Les nouvelles avancées technologiques se sont révélées favorables à la décentralisation et au pluralisme des contenus 706 ( * ) . Cette presse institutionnelle a pu bénéficier de ses propres canaux de communication, principalement dans les médias radiophoniques, mais aussi sur des chaînes de télévision. Le public s'est mis à consommer des programmes faits par des corporations, des syndicats de travailleurs, des associations de micro-entrepreneurs, des églises et même des secteurs des pouvoirs publics. L'objectif était de franchir la barrière des publics internes, d'atteindre la société dans son ensemble, et sans courir le risque d'être filtré par les gatekeepers. C'est ainsi que cette presse assume des caractéristiques opérationnelles similaires à celles des moyens de communication de masse. Un fait qui nous a incités à les nommer médias de source.
En mettant en oeuvre de tels moyens de communication, il a été possible de s'adresser simultanément aux gatekeepers de la presse et au grand public, en permettant ainsi à l'opinion publique d'être elle-même le chien de garde de la presse. Il s'agit d'une situation similaire à celle qu'ELÍAS a observée avec le développement de l'utilisation d'Internet par les partis politiques. La sociedad puede acceder a ellas (noticias) al mismo tiempo que los redactores y puede conocer de primera mano qué se escoge para publicar y si esta selección se ejecuta conforme a una honesta subjetividad o a un fin manipulador 707 ( * ) .
La stratégie informative peut être aussi bien le fruit d'un choix de marketing que d'une incitation à la citoyenneté. La différence entre l'un et l'autre, selon GOUPIL, est qu'à travers le choix citoyen, les TIC peuvent favoriser l'émergence d'une nouvelle conscience citoyenne en favorisant l'expression critique et l'engagement du citoyen. D'un autre côté, l'option marketing pourrait davantage favoriser le maintien des pouvoirs existants puisqu'elle viserait davantage à transmettre une information non critique 708 ( * ) . Ainsi, une question qu'il nous reste à résoudre est de déterminer si l'existence de médias de source constitue encore la réponse au modèle hégémonique de diffusion de l'information utilisé par la presse traditionnelle, une arme pour se défendre contre cette hégémonie, ou si elle est au service de l'accroissement de la présence des agenda-setters puissants sur la scène médiatique.
* 699 TICHENOR, P., DONOHUE, G., et OLIEN, C., 1980.
* 700 MATHES, Rainer et PFETSCH, Barbara, 1991, p. 34.
* 701 OLARREAGA, Manuel, 1971, apud BELTRO op.cit. p. 88.
* 702 PABLOS COELLO, José Manuel et MATEOS MARTÍN, Concha, 2004, p. 6.
* 703 REIS, Ruth, 1997, p. 12.
* 704 DEMERS, François, 1995, p. 16.
* 705 CASTELLS, Manuel, 1997, p. 79.
* 706 BERTRAND, Claude-Jean, 1983, p. 2-5.
* 707 ELÍAS, Carlos, 2002, p. 288-289.
* 708 GOUPIL, Sylvie, 2004, p. 10.