IV. JUSTICE ET SÉCURITÉ PUBLIQUE
M. Marcel-Pierre Cleach a ensuite proposé d'aborder la seconde partie de la matinée, consacrée au thème « Justice et Sécurité », et a présenté les intervenants : le sénateur de la Seine et Marne, Jean-Jacques Hyest, M. Bernard Pagès Procureur de la République à Nanterre, le lieutenant-colonel Dupouy, commandant une unité de Gendarmerie à Bastia, qui devrait rejoindre prochainement l'ambassade de France au Canada, et enfin le Sénateur Beaudoin, qui n'a pas besoin d'être présenté.
A. INTERVENTION DE M. JEAN-JACQUES HYEST, SÉNATEUR, RAPPORTEUR POUR LA SECTION FRANÇAISE, SUR LES PRINCIPALES ORIENTATIONS DE LA POLITIQUE FRANÇAISE
M. Jean-Jacques Hyest a précisé que son propos introductif avait pour objectif de présenter les principales orientations de la politique suivie par le Gouvernement depuis un peu plus d'un an.
Crise de l'institution judiciaire et hausse de la délinquance
Au cours
des campagnes pour les élections présidentielle et
législative de mai et juin 2002, le thème de la justice et de la
sécurité a tenu une place très importante.
L'actuelle majorité a fait un double constat : la crise de l'institution
judiciaire et la nécessité de lutter contre la hausse de la
délinquance et de la criminalité.
En matière de justice, les points les plus problématiques
étaient :
-
- l'insuffisance des moyens matériels et financiers de la justice
malgré une hausse de son budget de près de 18 % entre 1998 et
2002, se traduisant par un engorgement et une trop grande lenteur des
procédures ;
- l'incapacité du système judiciaire à faire face à la montée de la délinquance des mineurs et à l'augmentation de la « judiciarisation » des litiges de la vie quotidienne ;
- une insuffisante prise en compte des victimes ;
- et, enfin, une surpopulation des prisons, conjuguée à de nombreuses difficultés dans l'application des peines.
Les mesures adoptées depuis mai 2002
Fort de
ce constat, la nouvelle majorité a pris une série de mesures
regroupées dans deux textes principaux : deux lois d'orientation et de
programmation sur la justice et la sécurité intérieure,
définissant les grandes lignes de l'action du Gouvernement dans les cinq
années à venir. Ces textes ont ensuite été
déclinés dans plusieurs lois votés au Parlement au cours
de l'année passée.
En matière de justice, la loi d'orientation et de programmation
permettra d'accroître de manière très sensible les moyens
de la Chancellerie. 3,65 milliards d'euros sur cinq ans ont été
débloqués. Plus de 10 000 emplois nouveaux seront
créés, ainsi que 3 300 postes de juges de proximité. Ces
moyens nouveaux ont pour objectif de réduire le délai de
traitement des affaires, d'améliorer le fonctionnement concret de la
justice et de construire ou de rénover tribunaux et prisons. L'orateur
n'a pas insisté sur ces points car la délégation a
rencontré la veille M. Pierre Bédier et devait être
reçue à la Cour d'appel d'Angers pour s'entretenir avec des
magistrats des conditions d'exercice de leur métier.
Le second point très important est la création d'une justice de
proximité assurée par des magistrats non professionnels pour les
petits délits en matière civile ou pénale. Il s'agit en
réalité de la « re-création » des
« juges de paix » qui existaient avant 1958. Ces juges de
proximité seront sélectionnés en fonction de leur
expérience professionnelle et de leurs connaissances juridiques.
Un troisième ensemble de dispositions a été pris en
matière pénale : droit pénal des mineurs, procédure
pénale et aide aux victimes. Parmi les mesures les plus «
médiatiques », notons la création de « centres
éducatifs fermés » pour les mineurs et l'attribution, dans
certaines conditions, de l'aide juridictionnelle aux victimes.
Enfin, en matière d'application des peines,
M. Hyest
a
simplement mentionné la création du « bracelet
électronique », qui est directement inspiré de
l'expérience canadienne.
Il s'est voulu plus synthétique à propos de la
sécurité intérieure. Deux mesures principales ont
été prises. La première est la réorganisation du
dispositif de sécurité intérieure. Au niveau national, ont
été créés un Conseil de sécurité
intérieure auprès du Président de la République et
un ministère de la sécurité intérieure à qui
ont été confiées la police et la direction
opérationnelle de la gendarmerie, auparavant du ressort du
ministère de la défense. Chaque force, qu'il s'agisse de la
police ou de la gendarmerie, est en train de se réorganiser à
travers notamment des redéploiement territoriaux afin de tenir compte
des évolutions de la population et de la délinquance et, surtout,
la création de forces communes d'intervention et d'investigation, les
GIR (groupements d'intervention régionaux), au niveau régional.
Ces mesures de réorganisation sont soutenues par une dotation
financière très importante : 5,6 milliards d'euros
supplémentaires sur cinq ans et la création de 13 500 emplois.
Les problématiques judiciaires et de sécurité sont, en
France, d'une très grande actualité et correspondent aux
priorités du Gouvernement qui a pris de nombreuses mesures pour
améliorer la situation. Ces questions continuent d'ailleurs de susciter
un très vif débat pour savoir qu'elles sont les meilleures
solutions à apporter. L'expérience canadienne en la
matière, qui a constitué une importante source d'inspiration,
suscite en France un très grand intérêt.
Il a laissé ensuite la parole à son homologue, l'Honorable
Gérald Beaudoin.
B. INTERVENTION DE L'HONORABLE GÉRALD BEAUDOIN, SÉNATEUR, RAPPORTEUR POUR LE GROUPE CANADIEN, SUR LE SYSTÈME DE JUSTICE PÉNALE AU CANADA
L'honorable Gérald Beaudoin
,
Sénateur,
rapporteur pour le groupe canadien
, s'est d'abord
référé à la Charte canadienne des droits et
libertés, qu'il considère comme le plus grand
événement sur le plan constitutionnel au Canada depuis l'adoption
du fédéralisme, et s'est avoué très
impressionné par le débat européen en cours sur le
confédéralisme et le fédéralisme, à son avis
la plus belle période européenne depuis des siècles, qui
est en train de changer complètement le système européen,
avec des incidences indirectes sur le plan mondial. Les Américains l'ont
fait en 1787, sous la direction de Georges Marshall, qui est, à son
avis, le plus grand juge de tous les temps, puisqu'il a créé le
contrôle de la constitutionnalité des lois, un trait de
génie qui a changé toute l'histoire du monde.
Le système de justice pénale au Canada est essentiellement
composé d'un ensemble de processus qui interagissent pour s'occuper des
auteurs d'actes criminels. Les processus diffèrent selon les
catégories de délinquants : jeunes contrevenants,
délinquants adultes, délinquants dangereux, délinquants
souffrant de troubles mentaux, délinquants autochtones,
délinquants engagés dans le crime organisé, etc. La liste
n'est pas exhaustive. À la différence de ce qu'on observe dans
beaucoup d'autres pays, les compétences législatives et
gouvernementales à l'égard d'un grand nombre de ses
éléments ne relèvent pas d'un seul ordre de gouvernement.
La notion de sécurité publique a fait l'objet
d'interprétations variées et complexes. Pour assurer la
sécurité publique, il ne faut pas compter exclusivement sur la
répression, le châtiment, bien qu'on y ait eu recours lorsqu'il y
avait lieu, par exemple dans des initiatives récentes comme celles qui
portent sur le crime organisé et le terrorisme.
Les efforts de prévention du crime, axés sur les causes profondes
de l'activité criminelle et des comportements antisociaux, ont
été une importante priorité dans la protection de la
sécurité publique au niveau des collectivités. Les
programmes de réadaptation proposés aux délinquants pour
les aider à résister à la tentation de récidiver
sont au coeur d'une grande partie des efforts des autorités
correctionnelles visant aussi bien les jeunes contrevenants que les
délinquants adultes.
Enfin, les efforts de justice réparatrice - prévoyant que les
délinquants assument la responsabilité de leurs actes, fassent
amende honorable et restituent aux victimes ce qu'ils leur doivent - sont une
autre façon d'assurer la sécurité dans la
collectivité. Cette démarche trouve son origine dans les
traditions et approches autochtones ou fondées sur la foi en
matière de règlement des différends. Elle a suscité
la controverse.
Les diverses initiatives fédérales récentes illustrent ces
différentes façons d'aborder la sécurité et la
sûreté publiques.
L'honorable Gérald Beaudoin
a
proposé de traiter en premier du contexte constitutionnel dans lequel
ces initiatives ont été prises, pour ensuite donner un certain
nombre d'exemples concernant la prévention du crime, les jeunes
contrevenants, les peines, l'incarcération et la réadaptation des
délinquants adultes.
Contexte constitutionnel
Les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 décrivent les compétences accordées aux assemblées législatives et aux gouvernements aux échelons fédéral et provincial. Le paragraphe 91-27 donne au Parlement du Canada la compétence en matière de droit pénal, sauf en ce qui concerne la procédure pénale et l'établissement des tribunaux de juridiction pénale. Le paragraphe 92-14 confie aux assemblées législatives provinciales l'administration de la justice, y compris « la création, le maintien et l'organisation de tribunaux de justice pour la province, ayant juridiction civile et criminelle ». Le paragraphe 91-28 donne au Parlement du Canada la compétence à l'égard des « pénitenciers », où les délinquants purgent des peines de deux ans ou plus. Enfin, le paragraphe 92-6 confère aux assemblées législatives provinciales la compétence sur les « prisons publiques et maisons de réforme », où sont purgées les peines d'au plus deux ans moins un jour.
Prévention du crime
Les
conséquences du crime pour la sécurité et la
sûreté publiques préoccupent vivement les Canadiens. Les
mesures classiques visant à renforcer la sécurité publique
et à réduire le nombre de victimes s'appliquent une fois que le
mal est fait. Elles comprennent la détection du crime, les
enquêtes, les arrestations, les procédures judiciaires et la
détermination de la peine. Depuis un certain nombre d'années,
plusieurs croient que cette approche fondée sur la réaction ne
suffit pas à réprimer la criminalité et à
réduire le nombre de victimes. Nombreux sont ceux qui, prenant comme
point d'appui un modèle médical, ont préconisé
l'élaboration de programmes de prévention pour réduire la
fréquence des comportements criminels.
Depuis 1994, la
Stratégie nationale sur la sécurité
communautaire et la prévention du crime
s'appuie sur une approche de
développement social afin de réduire l'incidence des
comportements criminels en mettant l'accent sur les facteurs sous-jacents,
comme les familles dysfonctionnelles, les taux d'échec scolaire, la
toxicomanie, l'analphabétisme, le sous-financement des
collectivités, le chômage et la pauvreté, autant
d'éléments qui minent la sécurité de la
collectivité. Il s'agit donc d'une approche axée sur la
collectivité, encourageant les approches locales, inter-institutions,
publiques et privées de la prévention. Elle comprend un
Centre
national de prévention du crime
, qui conseille le gouvernement, qui
diffuse de l'information et qui permet de constituer une base de données
sur les pratiques exemplaires de prévention du crime.
Outre le Centre, la stratégie comprend quatre programmes de financement
: programme d'action des entreprises ; programme de mobilisation des
collectivités ; fonds d'investissement dans la prévention du
crime ; programme de partenariat en prévention du crime. En ce qui
concerne les éléments essentiels des projets financés en
vertu de la Stratégie, notons qu'ils sont fondés sur la
collectivité, répondent aux besoins locaux et comprennent une
composante d'évaluation qui permet de mesurer leur efficacité et
de voir s'ils atteignent les objectifs définis.
Cette brève description donne une idée de l'engagement des
autorités fédérales à l'égard de la
prévention du crime comme stratégie de réduction du
comportement criminel et du nombre de victimes. Des initiatives analogues
existent aux niveaux provincial et local. Comme ces stratégies ne sont
en place que depuis assez peu de temps, il est trop tôt pour dire quels
sont leurs effets sur la criminalité. Par contre, elles marquent une
nette évolution par rapport à l'approche classique,
réactive, des problèmes de justice pénale.
Jeunes contrevenants
C'est en
1908 que le Canada s'est donné une première loi portant
exclusivement sur les jeunes contrevenants : la Loi sur les jeunes
délinquants. Elle a été remplacée en 1982 par la
Loi sur les jeunes contrevenants.
Cette nouvelle loi a elle-même fait l'objet de profondes modifications
dans les années 1980 et 1990. Avant de décrire la loi la plus
récente que le Parlement a adoptée au sujet des jeunes
contrevenants,
le sénateur Beaudoin
a rappelé quelques
principes de base :
-
- premièrement, les lois sur les jeunes contrevenants au Canada ont
toujours porté surtout sur la procédure, c'est-à-dire
qu'elles prévoient les modalités que le système de justice
pénale doit respecter à l'égard des jeunes contrevenants.
Les infractions pour lesquelles ils peuvent être inculpés et
condamnés et purger une peine relèvent du Code criminel et
d'autres lois qui s'appliquent aux délinquants adultes ;
- deuxièmement, bien que ces lois soient adoptées par le Parlement fédéral, leur application courante relève de tribunaux et d'autres institutions de compétence provinciale ;
- troisièmement, les lois sur les jeunes contrevenants adoptées par le Parlement ne s'appliquent qu'aux jeunes âgés de 12 à 18 ans. Les enfants de moins de 12 ans ne peuvent être inculpés d'une infraction pénale, tandis que les jeunes de plus de 18 ans sont inculpés et traités comme des adultes. Ces trois éléments sont des constantes de toutes les lois sur les jeunes contrevenants adoptées par le Parlement, y compris de la plus récente.
Le Parlement a adopté la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui est entrée en vigueur le 1er avril 2003.
Cette mesure législative a également été au centre d'une vive controverse. Des provinces comme l'Alberta et l'Ontario la critiquaient, lui reprochant d'être trop indulgente à l'égard des auteurs de crimes graves et des récidivistes. Par contre, le Québec, qui a une approche originale visant à garder le plus grand nombre possible de jeunes contrevenants à l'extérieur du système de justice pénale, déplorait que la nouvelle Loi compromette sa propre démarche et assujettisse un trop grand nombre de jeunes au système de justice pénale. Cette province est allée jusqu'à demander à la Cour d'appel du Québec de se prononcer sur la constitutionnalité de la nouvelle Loi. Le tribunal a jugé que certains de ses éléments étaient incompatibles avec la Charte des droits.
Tous ceux qui critiquent la nouvelle Loi s'entendent pour dire qu'elle est excessivement complexe et qu'elle sera difficile à appliquer par ceux qui doivent s'en servir concrètement. Le problème du sous-financement et du niveau des ressources disponibles fait toujours l'objet de mécontentement chez bon nombre de ceux qui s'occupent du système de justice pénale pour les jeunes.
Malgré sa complexité et la controverse qui l'a entourée, la nouvelle Loi ne marque pas une rupture radicale par rapport au dispositif législatif qu'elle remplace. Elle prévoit néanmoins un certain nombre de moyens de rechange pour réagir à certaines infractions et traiter avec les délinquants qui ont maille à partir avec le système de justice pénale pour les jeunes, des cas les plus anodins jusqu'aux plus graves.
Dans le cas des infractions mineures, les policiers jouissent d'une discrétion expresse et plus claire, qui leur permet de s'occuper des jeunes contrevenants sans les engager dans un système de justice pénale aux lourdes procédures. Elle prévoit également la possibilité de mesures de justice réparatrice comme les cercles de détermination de la peine et de guérison, des comités de justice communautaires et des conférences de « groupe familial » ou de concertation familiale. Ces techniques fondées sur la foi religieuse et la tradition autochtone visent à amener le jeune contrevenant à prendre conscience des conséquences de son comportement criminel et à présenter des excuses à la victime.
La Loi prévoit également des dispositions à l'égard des infractions plus graves et des récidivistes en permettant que les infractions soient considérées comme des infractions d'adulte.
Ces deux démarches étaient possibles sous le régime de la Loi antérieure, mais la nouvelle Loi renforce les dispositions à cet égard et facilite leur utilisation lorsque les circonstances s'y prêtent.
Détermination de la peine
Le
Canada a un code pénal (le Code criminel) depuis 1892, année de
son adoption par le Parlement. À l'époque, il contenait un
certain nombre de dispositions portant sur la définition de la
responsabilité pénale, les moyens de défense, les
éléments des infractions pénales et la
détermination de la peine, ainsi que sur les procédures et les
appels. Le Code a fait l'objet de révisions en profondeur au milieu des
années 1950, mais ces révisions se fondaient essentiellement sur
les principes généraux qui se trouvaient dans le Code depuis le
début. Malgré un certain nombre d'efforts avortés au fil
des ans, le code pénal du Canada n'a pas fait l'objet d'une nouvelle
codification reflétant l'évolution de la réalité
sociale depuis la fin du XIXe siècle.
Une exception, cependant, à ce constat général : les
dispositions sur la détermination de la peine. Le Parlement en est venu
à adopter au milieu des années 1990 un projet de loi qui
proposait une nouvelle codification complète des mesures du Code
criminel sur la détermination de la peine. Le projet de loi est
entré en vigueur en 1996.
Avant d'aborder divers aspects de cette nouvelle codification, il importe de
bien saisir les éléments principaux du régime de
détermination de la peine proposé aux juges. La gamme des peines
possibles comprend l'absolution inconditionnelle, l'absolution conditionnelle,
les mesures de rechange, les ordonnances de service communautaire, la
probation, le sursis au prononcé de la peine, la condamnation à
l'emprisonnement avec sursis, la restitution, l'indemnisation, les amendes et
l'emprisonnement. Le juge qui prononce la peine peut imposer deux ou plusieurs
peines, selon la nature de l'infraction et selon le délinquant, en
fonction de la durée de la peine permise par le Code.
Le Code prévoit fort peu de peines minimum. La plus connue est la peine
minimum d'emprisonnement à vie que peut entraîner le meurtre au
premier ou au deuxième degré. Dans tous les autres cas, un
maximum est fixé, mais aucun minimum : quatorze jours, six mois, deux
ans, cinq ans, sept ans, quatorze ans, à vie.
Les modifications apportées au Code en 1996 ont réorganisé
cette partie de la loi, codifié les préceptes applicables sous la
forme de principes généraux et prévu de nouveaux types de
peine.
L'objectif et les principes énoncés dans le Code reposent sur des
pratiques établies depuis longtemps et une solide jurisprudence. Les
peines visent à protéger la société en
dénonçant les conduites illégales, en dissuadant les
délinquants et d'autres personnes de commettre des infractions, en
isolant au besoin les délinquants de la société, en
facilitant la réadaptation des délinquants, en réparant le
préjudice causé à la victime ou à la
collectivité, et en aidant le délinquant à assumer la
responsabilité du tort causé à la victime et à la
collectivité.
Le principe fondamental de la détermination de la peine contenu dans le
Code veut que la peine imposée par le juge soit proportionnelle à
la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité
du délinquant. Ce principe fondamental est étayé par
d'autres principes : le rôle des circonstances aggravantes dans
l'établissement de la durée de la peine, la similitude des peines
imposées dans des circonstances similaires, l'imposition de peines qui
ne sont pas exagérément sévères ou longues, la
modération dans la privation de liberté, le recours, autant que
possible, à toutes les autres mesures avant le recours à
l'incarcération, notamment en ce qui concerne les délinquants
autochtones.
Pour respecter ces objectifs et ces principes, les juges doivent
considérer chacun d'eux et voir comment ils s'appliquent dans un cas
donné pour arriver à déterminer la peine qui convient. En
outre, ils doivent rédiger les motifs de leurs décisions en
expliquant la façon dont ils ont appliqué les objectifs et
principes à la détermination de la peine choisie.
Deux questions en cause dans ces mesures relativement nouvelles sur la
détermination de la peine ont donné lieu à des
controverses et des litiges : la modération dans l'imposition de peines
d'incarcération aux délinquants autochtones et les condamnations
à l'emprisonnement avec sursis. La Cour suprême du Canada a
été saisie de ces deux questions et elle a maintenu les
dispositions en cause.
Le Parlement a adopté le principe de la modération dans
l'incarcération des délinquants autochtones pour réduire
le taux d'incarcération disproportionné des Autochtones dans
certaines régions du Canada. D'aucuns ont critiqué cette
approche, disant qu'elle établit un processus distinct, fondé sur
la race, pour la détermination de la peine des délinquants
autochtones, ce qui vaudra à ceux-ci un traitement plus indulgent. Cette
disposition n'est qu'une des nombreuses dispositions qui guident les juges pour
qu'ils imposent la peine qui convient dans un cas donné.
La condamnation à l'emprisonnement avec sursis est une nouvelle mesure
qui a suscité la controverse et semé la confusion. Il s'agit
d'une peine d'emprisonnement de moins de deux ans à purger dans la
collectivité si cela ne présente aucun risque. La seule
restriction qui s'applique est que l'infraction en cause n'entraîne pas
une peine minimum. Le Parlement du Canada a adopté cette mesure pour
réduire le taux d'incarcération au Canada.
Cette mesure a été dénoncée par un certain nombre
de provinces et d'organisations non gouvernementales parce qu'elle peut
s'appliquer à la plupart des infractions pénales. Selon les
critiques, elle ne devrait pas s'appliquer dans les cas où il y a perte
de vie ou violence grave, ni aux autres infractions graves ou lorsqu'il y a
récidive. Ils ajoutent qu'on ne peut la distinguer de la probation ou du
sursis au prononcé de la peine, ce qui sème la confusion.
Lorsqu'elle a étudié la question, la Cour suprême du Canada
a dit que la condamnation à l'emprisonnement avec sursis doit contenir
un élément punitif comme l'assignation à résidence
ou d'autres conditions pour pouvoir s'appliquer légitimement et se
distinguer d'autres mesures analogues.
Incarcération et réadaptation des délinquants
L'honorable Gérald Beaudoin
a rappelé que le
Parlement et le gouvernement fédéral ont compétence
à l'égard des délinquants condamnés à des
peines de prison de deux ans ou plus.
Le Parlement a adopté en 1992 la Loi sur le système correctionnel
et la mise en liberté sous condition. Cette loi a modernisé et
rationalisé le système déjà en place. Elle n'a pas
établi de nouvelles institutions ni de nouvelles formes de
libération sous condition de délinquants renvoyés dans la
collectivité selon une formule ou une autre. Elle constitue le fondement
législatif du Service correctionnel du Canada, de la Commission
nationale des libérations conditionnelles et de l'Enquêteur
correctionnel (ombudsman qui reçoit les plaintes des détenus).
Le Service et la Commission sont guidés dans leurs activités
courantes par l'objectif et les principes prévus dans la Loi. Aussi bien
dans le processus correctionnel que dans celui des diverses formes de mise en
liberté sous condition, les deux institutions sont assujetties au
principe primordial de la protection de la collectivité dans tout ce
qu'elles font. Toutes leurs activités - admission, classification,
transfèrement, traitement, réadaptation, formation,
éducation, réinsertion sociale - sont soumises à
cette considération première.
Le Service a des établissements de trois niveaux de
sécurité
- maximale, moyenne et minimale - ainsi
que des centres résidentiels communautaires (maisons de transition). Les
détenus font l'objet d'une évaluation qui permet d'établir
leur niveau de sécurité. Ils doivent être classés au
niveau de sécurité qui convient pour être accueillis dans
un établissement donné.
Plusieurs types de liberté sous condition sont à la disposition
des détenus : placement à l'extérieur, permission de
sortir, semi-liberté et liberté conditionnelle totale. Le
détenu doit présenter un faible risque de récidive pour
obtenir l'une de ces formes de liberté sous surveillance de
l'autorité habilitée à les accorder, le Service
lui-même ou la Commission nationale des libérations
conditionnelles. Bien que la réadaptation et la réinsertion
sociale soient des éléments et objectifs importants de ces mises
en liberté sous condition, la protection de la collectivité
demeure primordiale.
Le Service correctionnel du Canada est chargé du fonctionnement des
établissements pénitentiaires classiques mais il a aussi, au
cours des dix dernières années, amorcé des initiatives
nouvelles qui ont elles-mêmes donné lieu à des controverses.
Pour répondre aux besoins particuliers du petit nombre de
délinquantes sous responsabilité fédérale, le
Service exploite à leur intention quelques établissements
correctionnels de taille restreinte disséminés aux quatre coins
du Canada plutôt qu'un grand établissement central. Ces
établissements offrent des services et des programmes axés sur
les femmes, au lieu des approches classiques du modèle correctionnel
masculin.
Le réseau correctionnel fédéral se caractérise dans
certaines régions par un nombre disproportionné de détenus
autochtones. Beaucoup restent sous garde après leur date
d'admissibilité à la libération conditionnelle pour un
certain nombre de raisons, dont une préparation incomplète au
retour dans la collectivité, l'absence de programmes adaptés dans
la collectivité ou le fait que certains programmes disponibles ne sont
pas adaptés à leur culture. Devant cette situation, le Service a
conçu un certain nombre de programmes expressément
destinés aux délinquants autochtones incarcérés
dans ses établissements. En outre, il a ouvert ces dernières
années plusieurs établissements à sécurité
minimale, comme les pavillons de ressourcement, pour utiliser les coutumes et
traditions autochtones afin de faciliter la réinsertion sociale des
détenus.
Comme l'un de ses objectifs consiste à soutenir la réinsertion
sociale des délinquants, le Service a implanté ces
dernières années quelques établissements à
sécurité minimale qui présentent l'aspect de maisons en
rangée dans les quartiers de banlieue. Un certain nombre de
délinquants doivent y vivre ensemble et se charger de leurs besoins
courants au moyen d'un budget pré-établi. On essaie ainsi de
faire vivre les détenus dans un cadre contrôlé qui est le
plus près possible du mode de vie qui sera le leur lorsqu'ils
retourneront dans la société sous une forme quelconque de
liberté sous condition ou à la fin de leur peine. Cette
initiative prête particulièrement à controverse chez ceux
qui critiquent le système correctionnel fédéral.
Le
sénateur Beaudoin
a tenu à préciser, en
conclusion, que chacune de ces initiatives innovatrices est administrée
dans le respect de la valeur primordiale qu'est la sécurité
publique. Les détenus qui passent d'un niveau de sécurité
à un autre ou participent à ces initiatives originales doivent le
mériter car ils peuvent perdre ce privilège s'ils enfreignent les
règles.