III. LA COOPÉRATION SPATIALE FRANCO-CANADIENNE
A. INTERVENTION DE M. MARCEL-PIERRE CLÉACH, SÉNATEUR DE LA SARTHE, PRÉSIDENT DU GROUPE D'AMITIÉ SÉNATORIAL FRANCE-CANADA, SUR LA CRISE DE L'INDUSTRIE SPATIALE EUROPÉENNE
M.
Marcel-Pierre Cléach
a
tout d'abord renouvelé ses
voeux de bienvenue à ses collègues et amis canadiens au nom de
l'ensemble des sénateurs du groupe interparlementaire France-Canada du
Sénat, ainsi que la bienvenue dans la «
Haute
assemblée
», la deuxième maison du Parlement, à
ses collègues députés.
Il a ensuite présenté les intervenants de cette première
réunion : en premier lieu, Mme Lizza Frulla, députée
canadienne, qui présentera une communication au nom de la section
canadienne de l'association, ensuite, M. Le Franc, directeur adjoint des
relations internationales du CNES, le Centre national des études
spatiales, et M. Emmanuel de Lipowski, secrétaire
général du Groupe Parlementaire Espace, qui apporteront leur
expertise.
Il a ensuite abordé le premier thème de la matinée, la
politique spatiale, en se proposant de rappeler les événements
importants et sans doute décisifs qui ont marqué les huit
derniers mois, dans lesquels l'Europe a été confrontée
à une crise sévère, qu'elle semble avoir partiellement
surmontée.
Une crise sévère de l'industrie spatiale européenne
L'échec, le 11 décembre 2002, du lancement de la
fusée Ariane V a mis en lumière une grave crise de
l'industrie spatiale européenne.
En effet, l'espace est pour l'Europe un secteur économique très
important qui représente 5,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires et
35 000 emplois, dont la moitié en France. Cette activité est
à la fois civile, militaire et liée aux lanceurs - les
fusées Ariane - et aux satellites. Ce secteur est d'autant plus
important pour l'Europe qu'il avait connu une réussite remarquable.
Sous l'impulsion de la France et plus particulièrement du
général de Gaulle et de Georges Pompidou, des programmes
ambitieux ont été lancés dans les années 1960 dont
la première fusée Diamant, programmes qui ont abouti au
succès technique, commercial et politique d'Ariane, l'Europe
détenant aujourd'hui une part de marché
prépondérante - les deux tiers - dans le domaine du
lancement des satellites commerciaux.
Or, le retournement de la conjoncture économique dans le domaine des
télécommunications et le développement de la concurrence,
voire la surcapacité mondiale des moyens de lancement, a
fragilisé l'équilibre économique d'Ariane. Ainsi, chaque
lancement Ariane coûte deux fois plus cher qu'il n'est facturé au
client.
Cette fragilité de l'industrie spatiale européenne est
également mise en lumière par la détermination des
Etats-Unis à soutenir leur propre industrie spatiale par des commandes
publiques et, pour l'essentiel, militaires très importantes. A titre de
comparaison, le chiffre d'affaires de l'industrie spatiale américaine,
liée aux commandes publiques, est de 32 milliards d'euros. Les firmes
Boeing et Lockheed-Martin ont également développé leurs
propres lanceurs commerciaux afin de concurrencer Ariane.
A cette crise globale s'ajoutaient, en France, d'importantes difficultés
de gestion du CNES qui s'expliquent par le trop grand nombre de programmes
menés de front par rapport à son budget.
Ainsi, à travers l'échec d'Ariane V en décembre 2002, se
posait la question de la pérennité de l'industrie spatiale
européenne, de sa capacité à surmonter l'obstacle et
à mobiliser les énergies pour préserver ce qui avait
été patiemment construit depuis près de 40 ans.
Les réactions européennes
Face
à cette crise, les réactions ont été à la
fois européenne et française. Au niveau européen, la
Commission européenne a mobilisé un groupe de travail
réunissant, dès juillet 2001, les principaux responsables du
secteur et qui a effectué une « revue stratégique
aérospatiale pour le 21
e
siècle » rendue publique
en 2002. La Commission a également lancé un grand débat
européen en janvier 2003 en entamant la rédaction d'un «
livre vert » qui va aboutir à l'automne 2003 à l'implication
du Parlement européen et la présentation d'un plan d'action de la
Commission dans un prochain « livre blanc ».
De son côté, le gouvernement français, à travers Mme
Claudie Haigneré, ministre de la recherche et ancienne astronaute, a
décidé de remettre à plat sa politique spatiale afin de
mieux définir les priorités et d'y concentrer les moyens
financiers.
Le gouvernement français a présenté ses nouvelles
orientations le 15 avril 2003. Il a décidé de réaffirmer
sa priorité stratégique pour l'industrie spatiale et de conforter
la position du CNES, tout en le restructurant. La décision la plus
importante est l'augmentation de 45 millions d'euros de la contribution
française à l'Agence spatiale européenne, qui atteindra
685 millions entre 2003 et 2009, afin d'assurer le succès d'Ariane V,
mais surtout l'autonomie européenne d'accès à l'espace. Le
gouvernement s'est également engagé à stabiliser la
dotation du CNES à hauteur de 667,5 millions d'euros pour lui permettre
de se restructurer. Sur 44 programmes en cours, 10 seront gelés ou
supprimés pour retrouver une liberté de manoeuvre d'ici 2005.
Au niveau européen, une première étape a été
franchie le 27 mai 2003 lors du Conseil ministériel exceptionnel de
l'Agence spatiale européenne. Trois décisions fondamentales ont
été prises : la poursuite du programme Ariane V avec un
investissement de plus de 550 millions d'euros, le lancement d'un programme de
recherche pour la génération suivante de lanceur pour 960
millions d'euros, l'accueil à Kourou du lanceur russe Soyouz pour 260
millions d'euros. Ont été également décidés
: le renforcement de la participation européenne à la station
spatiale internationale et le lancement de programmes satellitaires très
importants comme Galileo, concurrent direct du GPS américain.
Enfin, la politique spatiale a été intégrée dans le
projet de Constitution européenne comme l'une des compétences de
l'Union européenne.
M. Cleach
a estimé, en conclusion, qu'il n'était pas
inutile de faire ce bref retour en arrière pour montrer les défis
que doit relever l'Europe dans le domaine spatial, mais aussi sa volonté
réelle de défendre ses positions, notamment à
côté des Etats-Unis, et de s'inscrire comme un pôle
d'équilibre.
Il a passé ensuite la parole à Mme Lizza Frulla.
B. INTERVENTION DE MME LIZZA FRULLA, DÉPUTÉE, RAPPORTEUR POUR LE GROUPE CANADIEN SUR LA COOPÉRATION SPATIALE CANADA-FRANCE
La
nécessité de communiquer sur de vastes distances dans un pays peu
peuplé ainsi que des capacités technologiques avancées ont
vite incité le Canada à élaborer et à adapter une
technologie spatiale qui réponde à ses besoins particuliers. En
fait, selon des responsables du programme spatial canadien, « le Canada
est un des plus grands utilisateurs mondiaux de services et systèmes
spatiaux : télécommunications, recherche et sauvetage,
navigation, gestion des ressources, surveillance et observation de
l'environnement ». La coopération internationale caractérise
notre programme spatial depuis les débuts, y compris avec l'Agence
spatiale européenne en général et la France en
particulier.
Elle a rappelé que le Canada a été le troisième
pays, après les États-Unis et l'URSS, à avoir un satellite
dans l'espace. En 1962, le satellite canadien Alouette 1 a
été lancé à partir de la base aérienne de
Vandenberg en Californie. Il était conçu pour mesurer la
répartition de la densité électronique dans
l'atmosphère, qui posait un problème pour les radiocommunications
dans le Nord. Au moment de la conception du satellite, sa vie utile avait
été estimée à un an, mais il a très bien
fonctionné pendant dix ans. Alouette 1 a été le
premier d'une série de satellites similaires conçus pour
l'étude des phénomènes atmosphériques.
En 1972, le Canada a fait oeuvre de pionnier dans une autre technologie
liée à l'espace en devenant le premier pays au monde à
mettre sur pied un système intérieur de
télécommunications par satellite. Le système a
débuté par le lancement du premier satellite Anik et a pris de
l'ampleur au fil des décennies pour inclure de nombreux autres
satellites de plus en plus perfectionnés et puissants permettant
d'offrir à tous les Canadiens - y compris ceux qui vivent dans des
communautés éloignées du Nord - des chaînes de
radio, des réseaux de télévision et des services
téléphoniques améliorés. Aujourd'hui, le Canada
demeure un chef de file mondial dans le domaine des
télécommunications par satellite, ayant ajouté la
radiodiffusion directe à la gamme de services offerts.
La télédétection est un autre centre
d'intérêt du programme spatial canadien depuis le début des
années 1970. Le premier satellite d'observation de la Terre au monde,
Landsat-1, a été lancé par les États-Unis et ses
premières images ont été captées par une station au
sol située à Prince Albert, en Saskatchewan. En s'appuyant sur
cette expérience précoce, le Canada s'est forgé une
réputation internationale d'excellence dans le domaine de la technologie
de réception au sol de signaux de satellites.
En se fondant sur l'expérience acquise avec Landsat et d'autres
programmes d'observation de la Terre par satellite, le Canada a mis au point la
technologie Radarsat-1 avec la participation du gouvernement
fédéral, de plusieurs gouvernements provinciaux et du secteur
privé. Radarsat est le premier satellite d'observation de la Terre au
Canada et le premier radar commercial à antenne synthétique (SAR)
au monde. Contrairement aux autres satellites d'observation de la Terre qui ont
besoin de soleil et de ciels dégagés pour « voir » la
surface de la Terre et produire des images, la technologie à base de
radar permet d'obtenir des images par tous temps jour et nuit. L'imagerie peut
être traitée et livrée rapidement, ce qui s'est
révélé d'une aide très précieuse dans des
applications telles que la navigation, la cartographie, la recherche
géologique, la surveillance maritime, les opérations de secours
en cas de catastrophe et la surveillance des cultures et des forêts. On
est en train de planifier Radarsat-2 qui, comme beaucoup d'initiatives
canadiennes relatives à l'espace, sera le fruit d'un partenariat entre
le gouvernement et le secteur privé.
L'élément peut-être le mieux connu du programme spatial
canadien à l'échelle internationale est sans doute le «
Canadarm » ou, en termes techniques, le «
télémanipulateur ». Ce bras robotique perfectionné a
été conçu et construit au Canada. Il a effectué son
premier voyage dans l'espace en 1982 à bord d'une navette spatiale
américaine. Il fait maintenant partie de l'équipement standard de
la navette, où il est utilisé pour sortir de lourdes charges
utiles de la soute, pour récupérer des objets dans l'espace qui
sont ensuite rapportés sur Terre à bord de la navette et pour
fournir une plate-forme aux astronautes durant les activités
extravéhiculaires.
Une version améliorée du bras canadien est maintenant
installée sur la station spatiale internationale (SSI) et joue un
rôle de premier plan dans la construction et la maintenance de la
station. Le fait que le Canada ait apporté cette technologie essentielle
aux programmes spatiaux américains a valu aux astronautes canadiens une
place à bord des missions des navettes et de la SSI. Marc Garneau,
actuel chef de l'Agence spatiale canadienne, a volé trois fois et Chris
Hadfield deux fois.
Les activités du Canada reliées à l'espace sont
dirigées par l'Agence spatiale canadienne (ASC), qui a été
créée en 1989. Le siège de l'ASC est situé à
Saint-Hubert, près de Montréal, et environ 420 personnes y
travaillent. L'ASC a pour mandat
« de promouvoir l'exploitation et le
développement pacifiques de l'espace, de faire progresser la
connaissance de l'espace par la science et de faire en sorte que les Canadiens
tirent profit des sciences et technologies spatiales sur les plans tant social
qu'économique »
. Au fil des ans, le secteur de l'espace est
devenu une part importante de l'économie canadienne avec, en 2000,
quelque 6 000 employés et des recettes totales de
1,431 milliard de dollars. Les télécommunications continuent
de prédominer, générant 62 % des revenus. Près
de la moitié de tous les revenus réalisés dans le secteur
de l'espace proviennent des exportations.
Tout au long de son histoire, le programme spatial canadien a comporté
un degré important de coopération internationale. En plus des
liens avec le programme spatial américain indiqués ci-dessus, le
Canada a aussi favorisé une collaboration étroite avec l'Agence
spatiale européenne, dont la France est le principal État membre.
Le Canada et la France ont aussi réalisé plusieurs projets en
partenariat. La section suivante du présent rapport examine ces liens
internationaux.
La coopération canadienne avec les sociétés
européennes dans le domaine spatial a commencé au début
des années 1970. L'Organisation européenne de recherche spatiale,
qui allait devenir par la suite l'Agence spatiale européenne (ESA), a
fourni plusieurs éléments essentiels d'un des premiers satellites
expérimentaux de télécommunication du Canada (Hermes), y
compris de puissants panneaux solaires. Ce satellite représente une
évolution importante par rapport aux satellites Anik qui l'avaient
précédé, sa plus grande puissance et son utilisation de
différentes longueurs d'ondes permettant d'utiliser des stations de
réception au sol plus petites et mieux réparties. Hermes a rendu
les télécommunications par satellite beaucoup plus accessibles et
a diminué considérablement le coût de l'équipement
de réception.
Cette expérience a permis aux deux parties de constater les avantages
mutuels dont elles pourraient bénéficier en coopérant dans
le secteur spatial nouveau et en plein essor et, en 1978, le Canada a
signé son premier accord de coopération avec l'ESA. Conclu pour
une période de cinq ans, l'accord a été renouvelé
à maintes reprises depuis et demeure en vigueur. Le Canada est le seul
pays non européen qui possède le statut de membre
coopérant de l'ESA. L'accord lui donne le droit de participer aux
instances de décision de l'ESA et de soumissionner aux appels d'offres
des programmes de l'ESA.
Au fil des ans, le Canada et l'ESA ont coopéré à plusieurs
projets d'envergure, principalement dans les domaines des
télécommunications par satellite, de la
télédétection et du développement de technologies
génériques. Les paragraphes suivants fournissent davantage
d'information sur plusieurs de ces efforts de coopération, afin
d'illustrer la synergie entre les programmes spatiaux canadien et
européen.
L'ESA a amorcé le programme Olympus en 1978. Olympus était un
satellite de télécommunications qui, pour les scientifiques et
ingénieurs canadiens, était la suite logique du travail
expérimental effectué sur le satellite de grande puissance
Hermes. Le Canada était le troisième participant en importance du
projet Olympus, fournissant des éléments aussi importants que des
sous-systèmes de panneaux solaires, des composantes
hyperfréquences et des amplificateurs de charge utile. En outre, les
programmes Hermes et Anik avaient amené le Canada à construire
des installations de calibre mondial destinées à l'assemblage,
à l'intégration et à l'essai de satellites à
Shirley's Bay, près d'Ottawa. À l'époque, l'Europe ne
possédait pas cette infrastructure essentielle et l'ESA a eu recours aux
installations canadiennes dans le cadre du programme Olympus.
Dans le domaine de la télédétection, le Canada avait mis
au point le radar à antenne synthétique (SAR) pour recueillir des
images de la Terre à partir de l'espace dès le début des
années 1970. Les premières images numériques de l'espace
recueillies grâce au SAR ont été reçues et
traitées au Canada. Le succès qu'a connu le SAR dès le
début a convaincu le Canada de prendre part aux travaux de l'ESA qui
devaient mener au premier satellite européen de
télédétection (ERS-1), muni d'un radar imageur à
faisceau large à haute résolution. La principale contribution du
Canada au programme ERS-1 a consisté à développer la
composante sol et le matériel hyperfréquence. Des stations au sol
situées à Gatineau (Québec) et à Prince Albert
(Saskatchewan) reçoivent et traitent des données provenant du
ERS-1 et de son successeur, le ERS-2, qui a été lancé en
1995.
C'est notamment grâce à l'expertise qu'il a acquise en participant
aux projets ERS que le Canada a amorcé la conception, la mise au point
et la construction de Radarsat-1, le premier satellite SAR commercial au monde,
lancé en 1995. Comme il peut fonctionner par tous temps jour et nuit, ce
satellite fournit des renseignements vitaux dans des domaines tels que la
surveillance de la concentration de glace, la pollution et les désastres
naturels, la navigation météorologique, l'exploration
extracôtière et la surveillance de la pollution et des
catastrophes naturelles.
Le Canada a tiré parti de l'expérience cumulative qu'il a acquise
dans le cadre du programme ERS et de la construction de Radarsat-1 pour
participer à une initiative plus récente de l'ESA -Envisat-1- qui
a été lancé en février 2002. Envisat-1 continuera
de collecter les données radar essentielles collectées par ERS-1
et 2 et Radarsat-1, mais avec de nouveaux instruments à la fine pointe
de la technologie.
À titre de membre coopérant de l'ESA, le Canada a
participé dès le début à la conception, à la
construction et au déploiement d'Envisat-1. Au moins cinq compagnies
canadiennes ont fourni des composants essentiels, qu'il s'agisse d'instruments
de bord, de sous-systèmes opérationnels ou de matériel de
transmission et de traitement de données au sol. L'Agence spatiale
canadienne a fourni l'appui nécessaire à la poursuite, à
la télémesure et à la télécommande depuis
ses installations de Saint-Hubert pour le lancement d'Envisat à bord
d'une fusée ARIANE-5 effectué aux installations françaises
de Kourou, en Guyane. De toute évidence, les programmes et les
industries de l'espace en Europe et au Canada bénéficient de la
collaboration étroite qui s'est développée au cours des
trois dernières décennies.
Comme on le sait, la France, premier contributeur au budget de l'ESA, avec
près de 30 %, a joué un rôle de premier plan dans les
programmes de l'ESA et, par conséquent, fait partie de l'histoire de la
coopération multilatérale avec le Canada dans le domaine spatial.
Toutefois, en plus de cette activité multilatérale, le Canada et
la France ont mené de concert plusieurs projets spatiaux
bilatéraux et multilatéraux.
En 1988, par exemple, le Canada, la France, l'URSS (aujourd'hui la Russie) et
les États-Unis ont signé un accord international relatif au
Programme Cospas-Sarsat visant à mettre sur pied le premier
système de recherche et de sauvetage à l'échelle de la
planète. Les satellites et leurs stations de réception au sol
fournissent à la communauté internationale rapidement et sans
discrimination des informations d'alertes de détresse et des
données sur les lieux qui sont exactes et fiables. En vertu des
modalités régissant l'accord initial, l'URSS et les
États-Unis ont fourni les satellites qui ont ensuite été
équipés d'instruments de recherche et de sauvetage fournis par le
Canada et la France. Les instruments fonctionnent sur deux fréquences
qui sont utilisées universellement par les balises de détresse.
D'autres pays se sont joints au Programme, certains avec des satellites
(l'Inde) et de nombreux autres avec des stations de réception au sol.
Depuis sa mise en place, le système a été utilisé
pour des centaines d'opérations de recherche et de sauvetage partout
dans le monde et a permis de sauver des centaines de vies.
Le Canada et la France ont aussi coopéré à plusieurs
projets spatiaux au fil des ans. Ainsi, lorsque la NASA a lancé le
satellite UARS de recherche dans la haute atmosphère en septembre 1991,
celui-ci transportait un instrument appelé WINDII
(interféromètre d'imagerie des vents) mis au point conjointement
par l'Agence spatiale canadienne et le Centre national d'études
spatiales (CNES). Cet instrument mesure les vents, la température et les
taux d'émissions entre 80 et 300 kilomètres d'altitude.
WINDII fonctionne toujours et, depuis son lancement, il a fourni une
quantité phénoménale de données sur la haute
atmosphère qui sont utilisées par les scientifiques du monde
entier dans des applications qui permettent de caractériser le
comportement des ondes atmosphériques sur une grande échelle, de
mesurer les variations saisonnières et à long terme la
composition atmosphérique et de modéliser la température
dans la haute atmosphère.
Le CNES collabore aussi avec des scientifiques de divers pays à la
réalisation du premier satellite scientifique canadien depuis 1971. Le
satellite canadien SCISAT-1, qui doit être lancé en juillet 2003,
comprendra une mission appelée ACE (expérience sur la chimie
atmosphérique), dont le principal objet scientifique est de mesurer et
de comprendre les processus chimiques qui régissent la
répartition de l'ozone dans l'atmosphère terrestre,
particulièrement à haute altitude. Les données recueillies
par le satellite en orbite autour de la Terre aideront les scientifiques et les
décideurs canadiens à évaluer la politique
environnementale en vigueur et à élaborer des mesures de
protection pour améliorer l'état de notre atmosphère et
empêcher que la couche d'ozone ne se détériore davantage.
Le Canada et la France, ainsi que la Finlande, ont également
collaboré à la mission suédoise ODIN, qui est
consacrée tant à l'astronomie qu'aux sciences
atmosphériques et qui étudiera la chimie et la physique de
l'espace interstellaire. Lancée en février 2001, la mission
devrait durer deux ans. Le Canada a fourni le spectrographe optique et imageur
dans l'infrarouge (OSIRIS) nécessaire aux études
atmosphériques et la France a mis au point une partie des
sous-systèmes d'analyse astronomique construits par la Suède.
Dans le domaine de la télédétection, en plus des projets
mentionnés plus tôt auxquels l'ESA a collaboré, le Canada
participe au programme français SPOT (Satellite pour l'observation de la
Terre) depuis 1986. Les images couvrant l'ensemble de l'Amérique du Nord
sont reçues et traitées par une station au sol
gérée par le Centre canadien de
télédétection.
Un dernier exemple de la coopération entre le Canada et la France dans
le domaine spatial est l'accord conclu entre l'ASC et le CNES, aux termes
duquel les installations de poursuite canadiennes fournissent un soutien de
télémesure aux lancements d'ARIANE dans une orbite polaire.
En conclusion,
Mme Frulla
a jugé que la coopération
spatiale est maintenant bien établie entre le Canada et la France et
qu'elle est très productive. La relation que les deux pays ont
nouée leur a permis d'établir leurs domaines d'expertise propres
et de développer une structure industrielle apte à soutenir et
à maintenir cette expertise. Il reste à espérer que cette
relation mutuellement bénéfique puisse se poursuivre encore de
nombreuses années.
M. Marcel-Pierre Cleach
a remercié Mme Frulla pour son
exposé très renseigné et lui a accordé que les
raisons de continuer à travailler dans le cadre de la diplomatie
parlementaire sont effectivement très nombreuses.
Il a passé ensuite la parole à M. Le Franc.
C. INTERVENTION DE M. JEAN-PASCAL LE FRANC, DIRECTEUR ADJOINT DES RELATIONS INTERNATIONALES DU CNES
M.
Jean-Pascal Le Franc
a proposé alors de décrire
brièvement la politique spatiale française, avec une mention
particulière pour la coopération franco-canadienne, soit dans le
cadre de l'Agence spatiale européenne, soit dans le cadre du CNES et
donc en relation bilatérale avec le Canada.
Comme cela a été rappelé, les derniers
événements en matière de politique spatiale ont
été très importants et, entre le mois d'avril et le mois
de mai, il s'est passé trois événements
considérables qui ont remodelé le paysage spatial européen
et français.
-
- tout d'abord, la communication au Conseil des ministres, le 15 avril
dernier, de Mme Claudie Haigneré, Ministre déléguée
à la Recherche et aux Nouvelles Technologies, qui, comme chacun le sait,
est une astronaute expérimentée puisqu'elle a effectué
trois vols dans l'espace avec les Russes, d'abord dans la station Mir puis dans
la station spatiale internationale où elle a été la
première femme à séjourner ;
- ensuite, le Conseil d'administration du CNES qui, à la suite de la « surprogrammation » évoquée précédemment, a dû prendre un certain nombre de mesures, d'arrêts ou de gels de programmes de façon à reconstruire un plan d'action à moyen terme qui donne toute liberté d'action ;
- enfin, le Conseil de l'Agence spatiale européenne (ESA) s'est réuni au niveau ministériel et a traité d'un certain nombre de sujets qui seront développés par la suite.
Il a présenté ensuite un graphique les différentes contributions des Etats membres au budget de l'Agence spatiale européenne sur lequel on pouvait constater que le Canada apporte sa contribution à l'effort européen.
Dans sa communication en Conseil des ministres, Mme Haigneré a réaffirmé la dimension stratégique de l'espace pour plusieurs raisons, en particulier pour des raisons liées à la défense, mais aussi à l'environnement et plus généralement à la culture et à l'éducation. La diffusion de programmes de télévision par satellite et l'impact de ces programmes de télévision n'est pas sans incidence sur la manière dont notre société évolue.
M. Lefranc a évoqué ensuite brièvement, à propos du développement durable, le programme GMES qui est initié à la fois par l'Agence spatiale européenne et par l'Union européenne et dans lequel le Canada envisage de participer. Il vise à mettre l'ensemble des outils spatiaux au service du développement durable, c'est-à-dire aussi bien l'environnement que les risques de pollution ou les risques naturels, en mettant à la disposition des utilisateurs finaux des produits directement utilisables ; la difficulté de cette activité vient du décalage entre les produits à haute valeur technologique qui sont proposés et les capacités des utilisateurs finaux - services publics, sécurité civile, par exemple - à les mettre en oeuvre en vue de solutions aux problèmes qu'ils ont à résoudre. Il y a un gros travail d'intégration que ce programme GMES va essayer d'accomplir.
Il a ensuite exposé les raisons pour lesquelles les capacités de l'industrie spatiale françaises sont un peu supérieures à celles de ses autres partenaires, tant en chiffre d'affaires qu'en terme d'emplois ; l'Etat français a en effet investi plus que tous les autres dans le domaine spatial, depuis la création du CNES et de l'Agence spatiale européenne, procurant ainsi un surplus de compétitivité à l'industrie spatiale française qui se développe et qui exporte aussi beaucoup de ses capacités.
Si l'on considère l'ensemble des dépenses publiques, à la fois civiles et militaires, des différents pays européens dans le domaine spatial, rapportées à leur poids économique, on constate là encore le rôle assez déterminant joué par la France dans le développement des activités spatiales, effort qu'elle aimerait bien voir un peu mieux partagé par ses voisins allemands, italiens et anglais.
M. Lefranc a expliqué que l'exercice conduit par le nouveau président du CNES, M. Yannick d'Escatha, a consisté à évaluer tous les projets en cours au sein du CNES pour éviter la surprogrammation. Un certain nombre de ces projets ont été confirmés, d'autres redéfinis et d'autres gelés ou arrêtés. Il mentionne certains des programmes qui sont les plus essentiels pour la vie du CNES, en particulier PLEIADES qui est la suite du programme SPOT.
PLEIADES est une constellation de satellites d'observation de la terre que le CNES entend développer conjointement avec les Italiens, ces derniers s'occupant de la partie radar de la constellation et la France de la partie optique en capitalisant sur les trente années d'expérience acquise grâce à la série SPOT. La nouveauté de ce programme, qui va consister à mettre en orbite quatre satellites radar dont les résolutions seraient inférieures au mètre, est d'être dual c'est-à-dire qu'il est conçu à la fois pour des utilisateurs civils et pour les besoins militaires de pays présentant une capacité d'utilisation, de programmation et d'exploitation des données de la constellation spécifiques pour leurs propres besoins.
Ce programme franco-italien a été signé en janvier 2001 par les deux premiers ministres. Il entre actuellement dans la phase où les contrats de réalisation de ces satellites devraient être lancés avec l'industrie française.
Sans entrer dans le détail, M. Lefranc a mentionné l'existence de nombreux programmes d'observation et de sciences de la terre dont la plupart sont réalisés en coopération soit avec les Etats-Unis, soit avec d'autres pays comme l'Inde dans le cas de MEGA-TROPIQUES.
Dans le domaine des sciences spatiales, la plupart des activités du CNES se déroulent dans le cadre de l'Agence spatiale européenne. Les seuls programmes gelés sont des programmes liés à la station spatiale internationale qui a elle-même pris du retard. L'exploration de Mars, en coopération avec la Nasa, n'a pas pu être poursuivie mais devrait pouvoir l'être dans le cadre de l'Agence spatiale européenne.
Il a également mentionné GALILEO, un programme auquel les Canadiens portent beaucoup d'intérêt et auquel ils devraient participer. GALILEO est un système de navigation par satellite qui devrait être complémentaire du GPS et de GLONASS. Les décisions ont été prises pour un premier financement de plus d'un milliard d'euros, sur un coût total évalué à trois milliards d'euros. Cette première tranche devrait permettre de déployer dès 2005-2006 les premiers satellites en orbite qui permettront de valider le bon fonctionnement du service et de démontrer la capacité à déployer la totalité de la constellation qui en comprendra trente au total.
Il a commenté ensuite très rapidement les principaux résultats du Conseil de l'Agence spatiale européenne au niveau ministériel. Deux résolutions importantes ont été prises sur les lanceurs. La première permet, d'une part, de remettre en vol Ariane 5 avec deux vols prévus en 2004 et, d'autre part, lance un programme appelé « garantie d'accès à l'espace » qui permet, par le biais du financement de coûts fixes au sein de l'industrie européenne, d'assurer à l'ensemble de la filière Ariane l'équilibre économique dont elle a besoin pour traverser la phase difficile entre 2005 et 2009.
La seconde prépare l'avenir post-Ariane V en autorisant une coopération stratégique avec la Russie sur le développement des programmes futurs de manière à utiliser au mieux les capacités russes qui, en matière de développement technologiques dans le domaine des lanceurs, et tout particulièrement dans le domaine de la propulsion, sont tout à fait exceptionnelles et remarquables. Dans le cadre de ce partenariat avec la Russie, la décision a été prise de construire à Kourou, en Guyane, un pas de tir consacré au lanceur Soyouz qui y effectuera un vol inaugural en 2006.
D'autres résolutions importantes ont été prises, notamment le déblocage de 124 millions d'euros qui va permettre de poursuivre le programme d'exploitation de l'ISS (International Space Station) avec l'ensemble des partenaires internationaux, ainsi qu'une résolution importante visant à renforcer les liens entre l'Union européenne et l'ESA. Il s'agit d'un sujet d'autant plus important que la Commission européenne s'intéresse à l'espace et commence à y consacrer des financements ; elle a engagé des consultations sur un Livre vert qui vont déboucher sur un Livre blanc et aboutir au final à un plan spatial concret de la Commission ; c'est enfin d'autant plus important que le nouveau traité qui va être négocié entre les Etats de l'Union mentionne le domaine spatial au titre des compétences partagées, ouvrant ainsi des perspectives de développement qui réjouissent les acteurs de la filière.
La coopération entre l'Agence spatiale européenne et le Canada est ancienne, puisqu'elle remonte à 1978, et renouvelée, puisque un nouvel accord a été signé, en juin 2000, avec le Gouvernement canadien pour une période dix ans. Le Canada est le seul pays non européen a être associé aux travaux de l'Agence spatiale européenne.
Le retour industriel canadien apparaît satisfaisant, au moins à fin décembre 2000. C'est-à-dire que l'argent investi par le Canada a été à son tour redistribué dans l'industrie canadienne pour réaliser les parties des programmes auxquels le Canada participe. Il va de soi que la participation de l'industrie canadienne est ouverte dans l'ensemble des programmes où le Canada a décidé de participer puisque la plupart des programmes conduits par l'Agence spatiale européenne le sont sur une base optionnelle, en fonction notamment de l'intérêt industriel de chaque participant.
Le Canada est présent dans beaucoup de domaines : les télécommunications, la navigation, l'observation de la terre et, plus généralement, les sujets de recherches technologiques.
La participation du Canada à l'Agence spatiale européenne a évidemment des conséquences sur l'industrie canadienne, qui bénéficie des contrats en provenance de l'Etat mais doit, en contrepartie s'aligner sur un certain nombre de règles inhérentes au fonctionnement de l'Agence spatiale européenne qui s'appliquent à l'ensemble des industriels sous-traitant, qu'ils soient canadiens ou européens.
Au-delà de cette coopération avec l'Agence spatiale européenne, il existe également une coopération bilatérale entre le CNES et l'Agence spatiale canadienne qui porte sur un certain nombre de projets scientifiques qui, pour la plupart, s'intègrent dans un ensemble plus large, que ce soit avec les Etats-Unis, avec les Russes, les Suédois. On peut citer les programmes WINDII, INTERBALL et ODIN, qui font l'objet de cette coopération bilatérale.
Il faut signaler par ailleurs l'utilisation d'une station canadienne dans le cadre d'un accord pour suivre la fusée Ariane lors de tous les lancements qui ont lieu vers le nord. Ces lancements sont très importants puisque tous les satellites d'observation sont lancés vers le nord, secteur ou l'Europe ne disposant pas de moyens propres est heureuse de pouvoir bénéficier des moyens canadiens.
Pour terminer, M. Lefranc a mentionné la charte sur les risques naturels pour laquelle le Canada a été le premier pays à rejoindre l'ESA et le CNES dans une initiative autorisant une observation gratuite et aussi rapide que possible de la terre en cas de catastrophes naturelles de façon à faciliter l'intervention sur les lieux et l'organisation des secours.
M. Marcel-Pierre Cleach a passé ensuite la parole au Professeur Cabal, avant d'ouvrir le débat.
D. INTERVENTION DE M. CHRISTIAN CABAL, DÉPUTÉ DE LA LOIRE, PRÉSIDENT DU GROUPE PARLEMENTAIRE SUR L'ESPACE, SUR L'EUROPE, PUISSANCE SPATIALE
M. Christian Cabal
a débuté son propos par
un rappel historique sur la longue histoire de la « vieille
Europe » dans l'espace : la Russie, au début de
l'ère soviétique dans les années 1920-1925, l'Allemagne et
la France. L'importance de la place qu'elle accorde au spatial, sur les plans
scientifique, industriel et même politique, est une conséquence
logique de l'ancienneté et de la puissance de la recherche et de
l'industrie aéronautiques.
Longtemps la politique spatiale, au plan mondial, a été
dominée par la compétition américano-soviétique qui
a affecté des crédits considérables tant sur le plan civil
que sur le plan militaire. Le programme Appolo en est l'exemple le plus
marquant. L'Europe est toujours resté un peu à la traîne,
à l'exception de la France où la volonté du
Général de Gaulle de posséder une force de frappe
indépendante - la motivation était, il est vrai,
essentiellement militaire à l'origine - lui a permis de
développer une industrie de lanceurs extrêmement importante pour
la force de frappe stratégique française. Cette démarche
est à l'origine du développement de technologies très
pointues dans le domaine des lanceurs, pour une part, mais aussi dans celui des
composantes telles que les recherches sur la rentrée
atmosphérique ou celui des satellites.
Les Canadiens lui ont brûlé la politesse avec Alouette mais de peu
puisque, quelques semaines plus tard, les Français lançaient de
façon autonome le satellite Astérix avec la fusée Diamant,
depuis le Sahara.
Cette phase de la politique spatiale a souffert de façon un peu
paradoxale de l'arrêt de la compétition planétaire entre
l'Union soviétique et les Etats-Unis, aussi bien sur le nouveau
continent que sur le vieux continent. A part quelques points de
coopération qui avaient symboliquement marqué une action commune
américano-soviétique, l'arrêt ou le ralentissement de la
course aux armements - les Américains ayant gagné par KO
technique ou par abandon de l'autre partie - les crédits spatiaux
ont connu ensuite une diminution sensible partout, y compris aux Etats-Unis.
Cela étant, l'Europe a poursuivi ses efforts avec pour objectif
l'acquisition d'une capacité autonome et indépendante. A ce
titre, la France ne pouvant plus tout faire seule, elle a été un
des moteurs d'une politique européenne ambitieuse
concrétisée dans le cadre de l'ESA et qui à l'heure
actuelle mobilise des efforts financiers significatifs. Cependant ces efforts
restent relativement insuffisants par rapport aux ambitions de l'Europe. Seuls
les Américains ont relancé brutalement, depuis trois ans, leur
effort financier, dans le domaine de la recherche spatiale militaire, mais
aussi civile.
Toujours est-il que l'opinion publique n'étant plus autant
mobilisée pour l'épopée spatiale, même si un certain
nombre d'astronautes ont continué d'aller dans l'espace, il est apparu
nécessaire que l'activité spatiale européenne soit
soutenue au niveau des gouvernements nationaux, et pour ce faire une forte
mobilisation des parlements nationaux européens est apparue
nécessaire pour pousser leurs gouvernements respectifs à
continuer à voter des crédits pour la filière spatiale qui
représente 40 000 personnes de haute formation.
Il y a six ans environ, une certaine désaffection de la plupart des
gouvernements européens pour la politique spatiale ayant
été constatée, il fut créé une
conférence interparlementaire européenne, qui réunit
aujourd'hui sept ou huit parlements nationaux de l'Union européenne dont
les membres se mobilisent régulièrement et de façon
concertée sur tous les grands dossiers de dimension européenne
pour motiver certains gouvernements un peu rétifs. Par exemple, les
Britanniques de la Chambre des Communes sont très actifs, bien que les
résultats ne soient pas à la hauteur de leurs espérances
puisque la part de l'Angleterre dans l'effort spatial européen plafonne
à 11 %.
Les parlements nationaux se sont mobilisés de façon très
active dans trois pays en pointe qui sont également les plus grands
contributeurs à l'ESA : la France, l'Allemagne et l'Italie. L'Italie, on
le sait moins, est une vieille puissance spatiale, actuellement la
troisième puissance européenne, talonnant souvent l'Allemagne en
terme de réalisation, soit dans les programmes de l'ESA, soit dans les
programmes de coopération avec les Etats-Unis. Les pressions
exercées sur leurs exécutifs respectifs par les parlements de ces
trois pays, rejoints par les Britanniques, ont ainsi permis d'obtenir, il y a
deux ans, l'engagement de l'Allemagne et de l'Angleterre sur le programme
Galileo et à un certain nombre d'autres programmes.
Cette action concertée, au niveau européen, de lobbying
parlementaire connaît une certaine efficacité. En France, il
existe un groupe mixte qui réunit des députés et des
sénateurs, fait assez rare pour être remarqué. Parmi ses
membres, dispersés au sein de toutes les commissions permanentes, se
trouvent de nombreux éléments moteurs de cette conférence
européenne.
M. Christian Cabal
a cité en exemple son
cas de « vieux parlementaire » exerçant un
cinquième mandat à la commission des finances.
Il a insisté sur l'importance stratégique que revêt
l'implication croissante de la Russie démocratique dans les actions
européennes et envisage même son intégration à
l'Europe spatiale dans les cinq ans à venir. Les activités de
recherche industrielle de la Russie sont maintenant étroitement
imbriquées à celles de l'Europe et, depuis le dernier Salon du
Bourget, un certain nombre d'accords, restés secrets jusque-là,
ont été rendus publics dans ce domaine.
Il a ajouté que les Japonais ont rejoint la conférence l'an
dernier, après qu'il ait mené deux missions au Japon, et que les
Chinois le feront cette année.
Mais pour que les choses soient claires, il a précisé que si la
démarche de la conférence n'est pas de s'opposer aux Etats-Unis,
ce qui serait une approche trop brutale et inexacte, son objectif est bien de
faire en sorte qu'il y ait deux grands pôles mondiaux dans le domaine du
spatial pour maintenir une émulation - pas une concurrence -
entre le pôle américain et le pôle des autres pays du monde.
L'Union européenne mais aussi le Japon, le Canada et l'Italie jouent un
rôle important dans la station spatiale internationale (ISS), même
si les Japonais restent tributaires des Américains pour leurs lanceurs.
M. Christian Cabal
a alors appelé les parlementaires
canadiens à constituer un comité national et à rejoindre
la conférence interparlementaire.
Puisque le secrétariat est, chaque année, assuré par un
pays organisateur et que la prochaine conférence se déroulera
à Berlin, du 30 septembre au 2 octobre, il s'est alors
proposé de demander à son collègue, vice-président
du Bundestag, d'adresser aux parlementaires canadiens une invitation à y
participer ou, au moins, à être destinataires de ses conclusions.
La dernière conférence de Londres a ainsi permis de
préparer le conseil de l'ESA, qui s'est déroulé il y a
quelques semaines et qui a totalement relancé la politique spatiale
européenne dans des conditions que l'on peut reconnaître comme
assez exceptionnelles.
En complément de l'intervention de M. Le Franc, il a estimé
que l'Europe spatiale se trouve devant une perspective très ambitieuse,
avec des moyens financiers importants qui seront matérialisés par
le Livre Blanc que la Commission européenne doit publier, en septembre
ou octobre prochain. A l'heure actuelle, l'effort spatial européen
s'élève à environ 6 milliards d'euros, ce qui ne
représente que le quart de l'effort spatial américain et, si l'on
ne prend en compte que la partie militaire, que le quinzième. Le
décalage est évident et les risques d'un découplage sont
très élevés. Pour éviter ce découplage,
l'objectif doit consister à porter rapidement l'effort financier
européen en faveur de l'espace à 12 milliards d'euros et à
amener d'ici sept ou huit ans, l'effort spatial militaire européen
à un niveau équivalent à celui des Américains. Pour
y réussir, il faut au préalable que l'Europe fasse entrer le
spatial dans son domaine de compétence, ce qui n'est pas encore le cas,
l'ESA ne pouvant intervenir dans le domaine militaire. La future constitution
européenne devra donner les moyens à l'Union européenne de
s'investir dans le domaine militaire au travers d'un ministre des affaires
étrangères.
La future constitution européenne devrait donc étendre le champ
de compétence de l'Union et faire du domaine spatial une
compétence partagée. Pourquoi partagée ? Parce que
chaque pays restera libre de développer des programmes nationaux, soit
isolément soit en coopération avec d'autres pays mais avec une
implication financière forte de l'Union européenne ; le programme
Galileo en est un premier exemple puisque la part de l'Union européenne
représente
a priori
la moitié de l'enveloppe du coût
global du projet.
M. Christian Cabal
a reconnu que son optimisme est peut-être
excessif mais il a estimé que c'est effectivement une grande politique
coordonnée qui est maintenant lancée.
Il a rappelé que l'Europe dispose désormais de toute une famille
de lanceurs :
Ariane 5
, digne successeur d'
Ariane 4
dont le dernier tir, deux mois auparavant, a clôturé une fabuleuse
épopée de 120 tirs réussis, plus que pour aucun autre
lanceur de l'histoire de la conquête spatiale. Grâce à la
coopération avec les Russes,
Soyouz
s'intègrera dans la
gamme d'Arianespace et sera tiré de Kourou pour bénéficier
de la position équatoriale et avoir un lanceur de la gamme 4 tonnes
en orbite géo-stationnaire. Un troisième lanceur,
Véga
, en cours de développement avec les Italiens,
permettra de tirer dans la gamme des une tonne et d'effectuer des tirs
scientifiques. Enfin, un petit lanceur russe,
Eurocot
, ancien missile
balistique sous-marin, servira à lancer des petits satellites.
L'Europe aura donc une gamme de lanceurs complète avec Ariane 5, Ariane
générique, Soyouz, Vega et Eurocot.
Pour les satellites, l'ambition est la même. La sonde
Mars-Express
a été lancée en début d'année et devrait
atteindre la planète Mars le 24 décembre. Trois sondes
planétaires volent à l'heure actuelle vers Mars où elles
arriveront entre le 24 décembre et le 15 février, pour
explorer le territoire martien.
Le lancement du programme Galileo a constitué une décision
importante qui démontre, enfin, la volonté d'indépendance
de l'Europe et des pays qui s'associent avec elle, notamment la Chine, le Japon
et la Russie, cette dernière fournissant une partie des satellites.
Les Français, qui sont également les grands spécialistes
européens de l'observation optique, poursuivent des coopérations
bilatérales : avec l'Espagne, l'Italie et la Belgique sur la
série des satellites militaires Hélios ; avec les Allemands dans
le segment des radars ; avec les Italiens sur le programme
Pléiades
; avec les Américains sur les satellites
Skynet,
qui sont fabriqués pour une bonne part par les
Français ; et enfin avec les Canadiens, sur le programme GMES,
extrêmement ambitieux sur le plan environnemental et sur le plan
militaire, qui n'en est qu'aux ébauches et dont une partie reste
secrète.
Toute ces activités sont malheureusement confrontées à des
difficultés d'ordre structurel. L'ESA est une agence
intergouvernementale qui n'implique pas l'Union européenne puisque le
Canada y est associé, mais aussi la Suisse dont la contribution est
importante, puisqu'elle fournit la coiffe de la fusée Ariane.
L'Agence intergouvernementale, l'ESA, est donc autonome et indépendante
et fonctionne avec des contributions qui peuvent être obligatoires ou
facultatives. Le programme Soyouz, par exemple, est un programme facultatif qui
ne concerne qu'un certain nombre de pays. Le coût de Soyouz à
Kourou est de 340 millions d'euros et son financement n'est pas
entièrement bouclé car il manque encore entre 7 et 8 %, dans
l'attente des participations définitives des Italiens et des Espagnols.
L'Union européenne va désormais avoir une compétence dans
le domaine de l'espace dans le cadre du deuxième Traité de Rome
qui pourrait être signé à la fin de l'année et qui
permettra d'avoir une Constitution européenne avec des attributions, un
véritable chef de gouvernement, un ministre des affaires
étrangères et un ministre de la défense. Dans ce cadre, la
règle du financement n'est pas la même que dans celui de l'ESA, il
s'agit d'un financement obligatoire, calculé sur le RNB de chaque membre
et sans juste retour avec des appels d'offres qui ne sont pas limités
à l'Europe. Il va falloir faire cohabiter de façon progressive
ces deux ensembles, sans savoir encore très bien comment faire. Sur le
plan technique, ce ne sera pas simple non plus car l'Union européenne va
forcément être l'organe politique. L'objectif va être
d'obtenir une répartition efficace des moyens européens entre
l'organe politique, l'Union européenne, l'organe technique, l'ESA qui
utilisera les compétences des agences nationales, et les industriels,
qui sont presque totalement intégrés. Arianespace devrait se
limiter aux opérations de commercialisation et de tirs mais
n'interviendra plus du tout dans l'élaboration du lanceur.
Mais le véritable succès de l'Europe ces dernières
années, c'est la restructuration industrielle, que l'on croyait
impossible
a priori
. EADS est devenu le constructeur européen
unique dans le domaine spatial. Dans le domaine des satellites, l'Europe a
trois constructeurs, autant que les Etats-Unis, dont deux assez
importants : Astrium, filiale d'EADS, et
Alcatel Space
,
filiale du groupe Alcatel. Une restructuration est en cours, qui pourrait
déboucher sur la constitution d'un seul constructeur européen de
satellites issu du regroupement attendu entre Astrium et Alcatel.
A l'issue de cette recomposition, le segment spatial européen et ceux
qui s'y associent sera ainsi vraiment en ordre de marche avec le maître
d'ouvrage, les maîtres d'oeuvre, les industriels, les programmes, les
crédits. L'engagement prévisible de la France pourrait être
d'environ 700 millions d'euros chaque année pendant cinq ans pour l'ESA
et à peu près autant pour le CNES. Les Allemands, malgré
leurs difficultés budgétaires, et les Anglais suivent aussi.
En conclusion,
M. Christian Cabal
s'est réjoui qu'un an
à peine après avoir frôlé l'enfer ou le purgatoire,
notamment lors de l'échec d'Ariane 5, l'industrie européenne
soit désormais en ordre de marche et capable de rivaliser avec les
Etats-Unis, grâce notamment à l'appui de l'industrie russe
- le successeur d'Ariane sera un lanceur europano-russe ! - et
il a estimé que le rôle des parlementaires dans cette
réussite n'est pas négligeable, la conférence
européenne interparlementaire ayant eu un rôle d'aiguillon
politique essentiel auprès des gouvernements.
M. Marcel-Pierre Cleach
a remercié le Professeur Cabal
pour son exposé plein d'espoir et d'enthousiasme et fait remarquer que
sa proposition devrait beaucoup intéresser les parlementaires canadiens
lorsqu'elle leur sera transmise par la délégation canadienne
à son retour. Il a souhaité que les relations entre
parlementaires français et canadiens soient animées du même
esprit et fassent les mêmes progrès que ceux du groupe de travail
européen sur l'espace. Il s'est félicité enfin que le
dynamisme et la forte implication de la politique française, ces
derniers mois, sur le problème de l'espace aient participé
à ce redémarrage européen.
M. Christian Cabal
a
souhaité apporter un
complément d'information sur le pas de tir de Soyouz à Kourou,
qui est conçu pour des vols habités. Les Russes vont
peut-être devoir quitter leur base du Kazakhstan d'ici quelques
années. L'installation à Kourou de Soyouz, qui est actuellement
le meilleur et le seul lanceur de vols habités à la suite de
l'arrêt forcé de la navette spatiale américaine, va ouvrir
la possibilité des vols habités aux Européens, qui
disposent d'un corps d'astronautes européens, totalement
indépendant des Américains. C'est un événement
important.
M. Marcel-Pierre Cleach
a vu dans cet accord avec les Russes un
symbole de garantie de paix pour l'avenir car l'idée européenne
est d'abord basée sur la recherche et le maintien de la paix.
Il a proposé alors d'ouvrir le débat.
E. DÉBAT
Mme
Lizza Frulla
s'est inquiétée de l'émergence dans le
domaine spatial de deux grands blocs, l'un européen, l'autre
américain - auquel les canadiens pourraient être
sollicités d'adhérer - qui pourrait conduire à une
certaine forme de surenchère amenant à une militarisation de
l'espace.
M. Christian Cabal
a tenu à la rassurer totalement en
précisant que le programme ABM ne peut se concevoir que dans le cadre de
l'OTAN.
Les Russes auraient effectivement souhaité développer avec les
Européens un tel programme. Mais les Européens n'ont pas voulu
donner suite parce que le programme ABM ne peut se concevoir que dans le cadre
occidental ou avec des alliés présents ou futurs. Pour plus de
clarté, il a précisé que, dans les premiers contrats
développés pour ABM, EADS est partie prenante avec les
Américains de Boeing, que l'Europe participe à ce programme ABM
sur au moins deux secteurs importants, dont celui des satellites «
early warning
» qui permettent la détection la plus
immédiate possible d'un tir dès le décollage du pas de
tirs pour localiser le lanceur, ses caractéristiques offensives ou non,
et sa trajectoire. D'autres coopérations existent avec les Britanniques,
au sujet des problèmes de la rentrée atmosphérique.
Par ailleurs, en raison de son coût, l'Europe n'a pas les moyens de
développer de son coté un programme ABM concurrent. En revanche,
cela implique un accord très large pour mettre au point dans le cadre
d'ABM des capacités d'intercepter d'éventuels lanceurs iraniens,
coréens du nord, voire d'autres pays, soit dès le
décollage, soit en vol le plus tôt possible et de les rendre
inefficaces.
Il a considéré, pour que les choses soient bien claires, que les
activités dans le cadre de l'interparlementaire se font en accord avec
l'administration américaine, qui y délègue d'ailleurs un
observateur. Cela dit, il a estimé que, de leur coté, les
Américains ne font pas de cadeau. Ils ont notamment utilisé tous
les moyens possibles et imaginables pour faire échouer le programme
Galileo. Ils ont fait pression d'abord sur les Allemands pour bloquer Galileo,
ensuite, ils ont tenté de faire renoncer les Italiens.
Il a souligné à ce propos l'extrême complication des
problèmes engendrés par les programmes en coopération. Qui
est le chef de file du programme ? Où se situent les équipes ? Le
projet Galileo a donné le spectacle d'une véritable bagarre. La
France ayant d'emblée renoncé au rôle de chef de file, les
Allemands, les Italiens, et les Espagnols se sont disputés pour savoir
où seraient localisés les centres d'expertise, les centres
techniques, la direction, la société de Galileo. Pour la
première fois de l'histoire, un programme européen était
surfinancé, les participants utilisant la surenchère pour en
avoir le
leadership
et les retombées maximum.
M. Georges Farrah
s'est interrogé, dans une perspective de
long terme, sur les positions de la Chine et du Japon.
M. Christian Cabal
a précisé que la Chine dispose d'une
agence spatiale indépendante et déploie une grande
activité qui va se manifester par l'envoi d'un astronaute dans l'espace
au mois d'octobre 2003. Ce sera la première fois qu'une nouvelle
puissance envoie des hommes dans l'espace.
Le programme spatial chinois, totalement indépendant, est complet avec
un objectif lunaire et un objectif planétaire. Pour des raisons
géostratégiques, la Chine est associée à des
programmes de recherche civile, à quelques éléments de
recherche industrielle, sans grande envergure pour l'instant. Elle va
être également associée à Galileo, pour lequel elle
a payé une droit d'entrée de 500 millions de dollars. La Chine
est donc très active même si ses programmes manquent beaucoup de
maturité et restent très tributaires des technologies russes.
Quant au Japon, il entretient une coopération de plus en plus
étroite avec les Européens, au point d'avoir initié un
accord de
back-up
entre Ariane et H2A. Le Japon mène une
politique extrêmement importante mais, comme toujours, très
discrète. Le budget spatial japonais est supérieur au budget
spatial français, avec environ 1,4 à 1, 5 milliard d'euros
en 2003. Les Japonais ont développé un lanceur H2A, de la classe
Ariane 5, qui est actuellement tributaire de quelques équipements
américains mais dont ils vont se dispenser puisqu'ils vont les acheter
à EADS. Ils ont développé une technique du puzzle, avec
des programmes épars, en apparence, et d'un seul coup, ils les
assemblent. Nous avons ainsi découvert avec un peu de surprise qu'ils
avaient été capables de lancer des satellites d'observation
militaire, au motif que les Coréens du Nord développent des
engins assez offensifs. Les Japonais ont lancé, en un an, un puis deux
satellites d'observation militaire de la catégories Hélios,
là où les européens ont mis dix ans à le faire,
tout comme les Américains d'ailleurs. Quel enseignement en tirer ?
Simplement que les techniques étaient prêtes et qu'ils n'avaient
plus qu'à les assembler.
M. Christian Cabal
s'est dit persuadé que, de la même
façon, les Japonais disposent à peu près certainement de
l'arme nucléaire, en petits morceaux, et qu'il ne leur reste plus qu'a
l'assembler en cas de besoin. En voyage au Japon un mois auparavant, il a
assisté à une grande discussion sur l'art et la manière
d'officialiser la possession d'armes nucléaires tout en
réussissant à ne pas modifier la Constitution.
Il a recommandé de ne pas sous-estimer les Japonais, qui disposent,
à l'heure actuelle, du troisième budget militaire au monde, ainsi
que du troisième budget spatial au monde, et de coopérer
très étroitement avec eux.
M. Marcel-Pierre Cleach
a souligné l'étendue des
perspectives que ce débat venait d'ouvrir, et a remarqué que les
réunions de l'Association, comme d'habitude, débouchent sur des
grandes interrogations, pour ne pas dire de grandes inquiétudes,
participant ainsi de manière exemplaire à l'information
permanente et donc, à terme, au renforcement de la
sécurité commune.
Il a remercié tous les présents d'avoir participé et suivi
ce débat.
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