TABLE RONDE 3 - SE DÉVELOPPER LOCALEMENT : FINANCEMENT ET INVESTISSEMENT
Table ronde animée par M. Antoine CORMERY, Journaliste
Ont participé à cette table ronde :
M. Eric TAINSH, Direction de l'International, BPI France
M. Philippe JOHANN, Directeur commercial - Commerce International, Société Générale
Mme Delphine GIEUX, Avocat au Barreau de Paris, UGGC Avocats
M. Didier ROBERT, Directeur général adjoint, Geoconcept
____________________
M. Antoine CORMERY. - M. Tainsh, BPI France regroupe plusieurs organismes publics. Quelle aide pouvez-vous apporter aux chefs d'entreprise qui souhaitent s'implanter sur le marché indien ?
M. Eric TAINSH - BPI France a été créée il y a quelques mois via le regroupement d'OSEO, du Fonds stratégique d'investissement (FSI), FSI Régions et CDC Entreprises.
Pour aider les entreprises françaises dans leur développement, nous disposons de deux atouts :
- un réseau très développé, grâce à 1 000 collaborateurs sur le terrain, dont 400 chargés d'affaires. Nous comptons des spécialistes de l'innovation, du financement de projet, des investisseurs, ou encore des spécialistes de l'intervention en fonds propres ;
- la capacité d'intervenir en fonds propres, de financer l'innovation, en particulier la R&D, de proposer un financement direct et une garantie auprès des partenaires bancaires.
Nous nous appuyons sur la synergie entre nos différents métiers.
M. Antoine CORMERY. - Comment travaillez-vous avec les chefs d'entreprise ?
M. Eric TAINSH - L'intégralité de l'offre publique en matière d'accompagnement et de financement est accessible dans nos 40 points d'accès à travers la France. Nous disposons de 12 milliards d'euros pour intervenir en fonds propres sur les cinq prochaines années. Pour réussir à l'international, une structure financière extrêmement solide est en effet nécessaire. Nous cherchons ainsi à convaincre les entrepreneurs qui ont du talent d'ouvrir leur capital. Nous nous inscrivons sur la durée, nous sommes raisonnables en matière de rentabilité et nous examinons avec une attention toute particulière les aspects R&D. Toutes les entreprises ne souhaitant pas nécessairement ouvrir leur capital, des « financements patients » peuvent également être proposés. Les prêts sont d'une durée de sept ans et ne sont remboursables qu'à partir de la troisième année.
M. Antoine CORMERY. - M. Johann, quel est le rôle de la Société Générale en matière de financements ?
M. Philippe JOHANN. - En tant que partenaires de BPI France, nous sommes particulièrement mobilisés auprès des petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI). La Société Générale met à disposition ses 800 conseillers de clientèle pour vous accompagner à conquérir le marché indien depuis la France. Nous sommes implantés en Inde depuis une trentaine d'années. Nous comptons trois agences et deux nouvelles agences devraient ouvrir tout prochainement. Une centaine de collaborateurs travaillent au service des entreprises, aussi bien de grands groupes indiens cherchant à s'implanter à l'international que d'entreprises françaises.
La décision d'implantation dépendra du marché, de l'activité, des relations et du focus géographique retenu dans ce pays continent. Nous pouvons effectuer toutes les démarches pour l'ouverture d'un compte en Inde. Notre structure en Inde pourra également vous apporter toutes les solutions de banque universelle (financement, gestion des moyens de paiement, cash management ...). Depuis la France, vous pouvez organiser vos exportations et sécuriser vos courants d'affaires avec l'Inde. En Inde, le crédit bancaire est coûteux. Le crédit documentaire est particulièrement efficace. Si l'on vous impose le Swift , n'hésitez pas à y adosser une lettre de crédit. Le recouvrement est extrêmement difficile. Les paiements sont longs et les échéances ne sont pas toujours respectées.
M. Antoine CORMERY. - Quelles entreprises avez-vous accompagnées ? Quelles sont les erreurs à éviter ?
M. Philippe JOHANN. - Nous accompagnons majoritairement des grands groupes qui s'implantent en Inde, dans les secteurs automobile ou nucléaire par exemple. Nous nous adressons également aux PME et ETI. Un simple bureau de représentation ne vous permettra pas de vendre sur place tandis qu'une succursale vous permettra de commercialiser les produits de la maison-mère. Une filiale vous offrira davantage de liberté. Votre implantation sur place doit être guidée par la nécessité d'être présent auprès de vos partenaires ou des collaborateurs que vous recrutez en Inde.
Les contraintes de contrôle des changes et d'investissements n'interdisent pas de trouver des financements bancaires sur place. Le marché indien est relativement accessible avec une trentaine de grandes banques indiennes dans le secteur public, une quarantaine de banques dans le secteur privé et une cinquantaine de grandes banques internationales.
Nous travaillons avec toutes les grandes banques et jouons un rôle de facilitateur si votre partenaire est client de l'une de ces banques.
M. Antoine CORMERY. - Maître Gieux, vous êtes spécialiste du droit indien. Quels sont les écueils à éviter ?
Mme Delphine GIEUX. - Nous accompagnons des entreprises françaises qui investissent en Inde. Le sujet du financement est une clef, le cash étant le nerf de la guerre. Le taux de base bancaire indien est de 9,7 %, auxquels s'ajoute une marge de 3-4 %. Se financer sur des emprunts en roupies peut ainsi se révéler extrêmement coûteux. En tant qu'investisseur étranger, vous ne pouvez pas financer votre filiale en devises. La situation peut ainsi être difficile en cas de besoin de refinancement. Un business plan de cash flow sur les trois prochaines années est par conséquent essentiel. A ce business plan , je conseille toujours d'ajouter 50 % de marge.
M. Antoine CORMERY. - M. Robert, vous avez ouvert une filiale à Chennai. Quelle est votre activité et pourquoi le choix de Chennai ?
M. Didier ROBERT. - Nous réalisons des logiciels qui équipent les pompiers français, optimisent la logistique pour des réseaux de distribution ou encore fondent la business intelligence notamment dans les agences de la Société Générale. Nous avons eu une opportunité pour effectuer de l'externalisation simple d'une partie de nos activités de production des logiciels. Si Chennai est moins touchée par le turn over que Bangalore à condition d'atteindre une masse critique suffisante, notre projet d'outsourcing manquait d'ambition et les évolutions proposées aux salariés indiens étaient insuffisantes.
En dépit de contraintes réglementaires, il est toutefois possible, depuis l'Inde, de devenir une entreprise globale. Nous travaillons par exemple avec de grands groupes indiens en lien avec les Émirats Arabes Unis ou l'Est de l'Afrique. Nous avons parallèlement modifié certaines de nos procédures à partir de notre expérience indienne.
Nous comptons 120 salariés et réalisons 15 millions d'euros de chiffre d'affaires. Notre croissance est assez forte. Pour trouver les financements adaptés, nous avons ouvert notre capital avec un fonds de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). Les premières années en Inde ont été difficiles. Une expansion en Inde est en effet extrêmement coûteuse en interne pour une PME. Un business plan à long terme est nécessaire. Nous avons travaillé avec Oseo pour la R&D et avec la Coface pour la prospection commerciale. Nous avons également trouvé un partenaire bancaire qui nous accompagne sur le long terme.
M. Antoine CORMERY. - Maître Gieux, quels sont vos conseils ?
Mme Delphine GIEUX. - Les entreprises choisissent souvent de s'allier avec un partenaire alors que ce n'est pas toujours nécessaire.
M. Didier ROBERT. - Nous ne nous sommes pas alliés à un partenaire et nous ne regrettons pas ce choix même s'il n'est pas dénué de certaines contraintes en termes de profitabilité.
Mme Delphine GIEUX. - Il est rare que le choix d'un partenaire local se justifie compte tenu des contraintes en matière de financement et d'investissement. Dans le cadre d'une coentreprise ( joint-venture ), il est en effet extrêmement difficile de réinvestir. Les Indiens n'ont pas de liquidités car ils les réinvestissent dans d'autres entreprises ou dans le secteur immobilier. Le besoin de refinancement peut ainsi mettre en péril le partenariat en faisant apparaître la divergence de stratégie. L'anticipation est indispensable.
M. Antoine CORMERY. - Faut-il y aller seul, M. Johann ?
M. Philippe JOHANN. - La réponse dépend de votre projet économique. Il est possible de réussir depuis la France avant d'ouvrir un bureau de représentation. Nous avons beaucoup évoqué la complexité des réglementations. Votre partenaire bancaire doit vous conseiller pour bien mesurer les responsabilités que vous prenez. BPI France, Ubifrance et la Coface peuvent vous aider. Une assurance prospection ou encore un « prêt patient » permettent de limiter les risques.
M. Eric TAINSH - L'implantation sur place est extrêmement intéressante, notamment pour nouer des contacts, à condition de ne pas devoir importer toutes les matières premières. Le cours de la roupie offre évidemment des opportunités.
M. Antoine CORMERY. - Maître Gieux, pouvez-vous revenir sur les problématiques d'acquisition foncière ?
Mme Delphine GIEUX. - Lorsque l'Inde est devenue indépendante, les terrains de l'Empire sont devenus publics. Les dirigeants locaux devaient alors déclarer leurs propriétés privées. Ces déclarations ont fait l'objet de contestations par l'État. Ces biens ont parallèlement fait l'objet de transferts et d'héritages. Vingt ans plus tard, les cadastres n'étant pas tenus, la situation était extrêmement confuse. Le Gujarat, l'Haryana, le Tamil Nadu et d'autres États du Sud ont toutefois mis en place des programmes de rachat de ces terrains par les autorités municipales ( municipal corporations ), les ont équipés en infrastructures et donnés en location de longue durée aux entreprises qui s'installaient. Le risque est, dans ce cas, extrêmement limité. Lorsque le terrain est acheté en dehors de ce cadre, les incertitudes sont en revanche très importantes. La recherche de titres de propriété ne peut en effet apporter de garantie totale.
M. Antoine CORMERY. - Un des intervenants a prononcé le terme de « corruption ».
Mme Delphine GIEUX. - Certaines entreprises étrangères ont été harcelées par des autorités locales. Un géant du luxe indien, qui avait une boutique à Bombay, s'est fait par exemple harceler par les autorités locales pour une étiquette dans le mauvais sens ou encore un registre des employés non tenu à la main. Le coût pour se battre contre de telles pratiques est extrêmement élevé, et il est plus facile pour une grande entreprise d'y faire face.
M. Didier ROBERT. - Nous ne nous positionnons pas sur les marchés publics pour ces raisons. Nous sommes par ailleurs assistés sur les aspects légaux et administratifs d'un conseiller financier et d'un conseiller juridique indiens.
M. Antoine CORMERY. - Avez-vous des questions ?
Mme Olivia CALVET-SOUBIRAN, Conseiller Inde, Chambre de commerce et d'industrie Paris Ile-de-France . - La Chambre de commerce et d'industrie franco-indienne a des bureaux à New Delhi, Bombay et Chennai, qui disposent d'incubateurs. De nombreuses PME s'implantent en Inde. Les coûts sont importants puisqu'il faut généralement se rendre sur place au minimum une fois par an. Des volontaires internationaux en entreprise (VIE) peuvent être sollicités. Il convient toutefois d'être vigilant sur leur recrutement. Le distributeur, s'il donne satisfaction, peut également être employé en interne. À défaut, l'entreprise peut faire le choix d'envoyer un expatrié ou de recruter localement. Le recours à un incubateur permet d'éviter de signer un bail.
Mme Delphine GIEUX. - Je m'associe à vos propos. Les incubateurs constituent une option extrêmement intéressante.
M. Alexandre BORME, Grameen Crédit Agricole Microfinance Foundation . - Quelles sont les modalités pour ressortir son capital ou ses dividendes ?
Mme Delphine GIEUX. - La sortie de dividendes est autorisée, mais reste coûteuse car l'impôt sur bénéfices distribués est de 17 % et ne donne pas lieu à un crédit d'impôt en France. L'autorisation des prêts constituerait ainsi une aide à l'investissement étranger. Rapatrier le capital requiert en revanche l'autorisation préalable de la Banque nationale indienne, ce qui paraît exclu ces 18 prochains mois.
Mme Bénédicte BROUARD, Partner Europe, Positive Moves - Je travaille au sein d'un cabinet de chasseurs de têtes d'origine indienne. Si la constitution d'une joint-venture est intéressante, il me paraît essentiel de disposer de son propre personnel indien, notamment son propre directeur financier. De nombreuses grandes entreprises françaises en ont fait l'amère expérience.
Mme Delphine GIEUX. - Effectivement, la loyauté des managers clefs est essentielle. Faire venir les Indiens en France est en ce sens particulièrement utile. Je vous invite sur ce thème à consulter un dossier de Patrick de Jacquelot, journaliste aux Echos .
M. Antoine CORMERY. - Merci à l'ensemble des intervenants.