TABLE RONDE 2 - APPROCHE D'UN MARCHÉ-CONTINENT : EXPORTER OU S'IMPLANTER ?

Table ronde animée par M. Antoine CORMERY, Journaliste

Ont participé à cette table ronde :

M. Pierre LIGNOT, Directeur d'Ubifrance pour la zone du sous-continent indien
M. Onkar PATWARDHAN, Directeur Inde, Pramex International
M. Serge RICHARD, Directeur général, Centre de recherches en biologie (CERB)

______________

M. Antoine CORMERY. - M. Lignot, vous êtes Directeur d'Ubifrance pour la zone du sous-continent indien, zone qui couvre non seulement l'Inde mais aussi le Pakistan, le Sri Lanka et le Bangladesh, et vous êtes installé à New Delhi. Quels sont les secteurs porteurs pour l'offre française ?

M. Pierre LIGNOT. - Quelques opportunités ont déjà été mentionnées. Dans le secteur agroalimentaire, le potentiel est particulièrement important en matière d'équipements de transformation (fruits et légumes, lait) et de la chaîne du froid. La perte entre les lieux de récolte et les lieux de consommation est en effet d'environ 30 à 40 %.

Dans le secteur de la santé, si l'Inde est une très grande productrice de médicaments génériques, le potentiel est particulièrement important en matière de dispositifs médicaux et d'équipements hospitaliers, en particulier auprès du secteur privé de la santé et des chaînes d'hôpitaux privés.

L'énergie constitue également un secteur particulièrement intéressant. Au Tamil Nadu, notamment dans la région de Chennai, l'électricité peut être coupée jusqu'à 8 heures par jour. Les entreprises tournent au fioul, ce qui renchérit les coûts de production. Les industriels souhaitent ainsi développer leurs propres solutions énergétiques basées sur les énergies renouvelables, en particulier sur le solaire.

M. Antoine CORMERY. - M. Richard, votre entreprise est implantée dans le domaine de la santé. Comment vos relations avec l'Inde ont-elles débuté ?

M. Serge RICHARD. - En 1998 via internet un client indien, travaillant chez Ranbaxy, a contacté mon entreprise, qui travaille sur le développement préclinique,. Je l'ai reçu en France et une relation forte s'est nouée. Je suis toujours en lien avec ce client, qui m'a beaucoup aidé à m'implanter en Inde. J'ai également été aidé par Ubifrance, en particulier par Mme Shilpa Patil, responsable de la section pharmacie, santé et cosmétique à Bombay. Depuis 2004, je me rends chaque année, deux à trois semaines, en Inde auprès de mes clients indiens. Je compte en effet une dizaine de laboratoires pharmaceutiques clients.

Les Indiens ont reconnu la propriété industrielle en 2004-2005 et ont racheté quasiment l'ensemble des entreprises de médicaments génériques européennes. L'industrie pharmaceutique est en pleine mutation, le modèle de découverte de nouvelles molécules cédant la place à un modèle de développement de ces molécules à l'échelle internationale. Les entreprises pharmaceutiques indiennes (Piramal, Torrent Pharmaceuticals, ...) font souvent partie de trusts et développent des small molecules , c'est-à-dire la chimie médicinale traditionnelle, en parvenant à produire à bas coûts.

M. Antoine CORMERY. - Comment a été conclu le premier contrat avec ce client ?

M. Serge RICHARD. - Ce client nous a confié un petit contrat et est venu quatre jours dans notre entreprise, à Baugy, à côté de Bourges, pour participer aux études. Nous avons noué une relation de confiance et avons commencé à travailler pour Ranbaxy.

Le taux de rotation étant important parmi les cadres, de bonnes relations personnelles peuvent permettre très vite de développer le nombre de ses contacts indiens. J'ai ainsi quinze à vingt contacts en Inde et une dizaine de clients récurrents. La chute de la roupie rend toutefois les exportations difficiles.

M. Antoine CORMERY. - Avez-vous envisagé une implantation ?

M. Serge RICHARD. - Oui. La situation sur notre marché intérieur n'est toutefois pas favorable, ce qui m'a contraint à réduire les effectifs. Lorsque j'ai commencé à travailler avec l'Inde, le moment n'était sans doute pas propice, l'Inde n'ayant pas, à l'époque, de système de contrôle de santé. Elle s'est dotée d'un tel système il y a deux ou trois ans. Le niveau d'éducation y est très élevé et il n'est pas nécessaire de faire appel à de nombreux expatriés. Vous l'avez sans doute compris, l'Inde est un pays auquel je suis très attaché.

M. Antoine CORMERY. - M. Patwardhan, pouvez-vous revenir sur le problème posé par la forte rotation des cadres ?

M. Onkar PATWARDHAN. - Le développement des transports, l'augmentation du nombre de jeunes qualifiés et parlant anglais, ainsi que la hausse des échanges avec l'étranger favorisent ce phénomène. Dans le domaine des technologies de l'information, le taux de rotation est particulièrement élevé, bien plus que dans les industries manufacturières ou de la santé.

M. Antoine CORMERY. - Quelles sont les clefs d'une implantation réussie en Inde ?

M. Onkar PATWARDHAN. - Si le premier contact peut être extrêmement chaleureux, il convient d'examiner avec attention la situation de ses partenaires (infrastructures, synergies culturelles, stratégie). Dans de nombreuses entreprises, la prise de décision est en effet familiale. Il convient d'être extrêmement sélectif sur les activités à développer, notamment en observant la politique d'investissements étrangers autorisés. Cette politique est gérée de manière centralisée, mais certaines décisions sont prises à l'échelon régional.

M. Antoine CORMERY. - M. Richard, avez-vous déjà réfléchi plus avant à une implantation ?

M. Serge RICHARD. - Des paliers devront d'abord être validés. J'ai effectué une mission avec le Ministre du Commerce extérieur de l'époque, M. François Loos, et le Medef International. Nous nous sommes rendus à l'Ambassade de France à New Delhi, au Consulat de Bombay et à la Chambre de commerce et d'industrie franco-indienne. J'avais au préalable lu une étude sur les biotechnologies en Inde que j'avais téléchargée sur internet, ce qui avait permis de développer plus facilement des contacts.

M. Antoine CORMERY. - M. Lignot, les démarches pour s'implanter en Inde sont-elles complexes ?

M. Pierre LIGNOT. - L'Inde est un pays ouvert. À l'exception de quelques secteurs dont les produits peuvent être soumis à autorisation, vous pouvez exporter vos produits en Inde sans créer de structure locale. Il est tout à fait possible de mettre en place un réseau de distribution avec des importateurs dotés d'une licence et des agents.

Si vous souhaitez vous implanter, un certain nombre de prestataires (Chambre de commerce, agences régionales de développement, ...) peuvent vous proposer une offre d'incubateurs. Un commercial est alors mis à votre disposition pour prospecter votre marché.

Une société peut être créée en Inde en un mois à un mois et demi. Là encore, des prestataires peuvent vous assister dans les démarches.

Il ne faut toutefois pas vous tromper de stratégie. L'Inde est un marché complexe. Avant de vous lancer dans une démarche de prospection ou d'implantation, il convient d'évaluer le potentiel, de bien choisir le lieu d'implantation et le mode de développement. La qualité de l'éventuel partenaire doit faire l'objet d'une attention toute particulière.

M. Antoine CORMERY. - Pouvez-vous nous donner l'exemple d'échecs sur ce point ?

M. Pierre LIGNOT. - La plupart des grandes entreprises françaises qui se sont implantées à la fin des années 1990 avec un partenaire local ont connu quelques difficultés. Le Groupe Accor a par exemple changé trois fois de partenaire. Renault s'est d'abord associé à Mahindra pour produire la Logan, avant de revenir en Inde avec Nissan, sans partenaire indien. De plus en plus, les grands groupes français dirigent à 100 % leurs opérations en Inde.

Ce n'est néanmoins pas nécessairement la voie à suivre pour les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), excepté dans les marchés de niche. Trois options sont offertes aux ETI : créer sa société seule ; s'associer avec un partenaire indien ; racheter une structure locale. La chute de la roupie crée, sur ce dernier point, des opportunités indéniables. Le rachat permet d'accéder à un outil de production et à des contacts, essentiels pour réussir en Inde.

M. Antoine CORMERY. - M. Richard, pouvez-vous nous donner l'exemple d'un échec ?

M. Serge RICHARD. - Une entreprise de ma région du secteur agroalimentaire, qui souhaitait implanter une malterie en Inde, a acheté un terrain qui s'est révélé appartenir à quelqu'un d'autre, et a dû finalement abandonner son projet.

M. Antoine CORMERY. - Avez-vous des questions ?

M. Christian LAPASSADE, PDG de Lapassade . - Je dirige une PME qui exporte du bois. Les paiements sont-ils sécurisés ? Le crédit documentaire peut-il être utilisé ?

M. Onkar PATWARDHAN. - Vous pouvez débuter par un système d'acompte proportionnel avant de vous orienter vers une lettre de crédit ou un crédit documentaire. La problématique des charges doit toutefois être examinée.

M. Antoine CORMERY. - Merci à l'ensemble de nos intervenants.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page