C. UNE SITUATION ÉCONOMIQUE EN CONSTANTE AMÉLIORATION
Au moment de son indépendance, la Lituanie s'est trouvée confrontée à une grave crise économique dont elle a commencé à se relever à la fin de l'année 1993, soit avec une année de retard par rapport à ses voisins baltes. La crise bancaire de 1995 a, en outre, conduit la Lituanie à solliciter l'octroi d'un prêt d'ajustement structurel de la Banque mondiale, en échange de réformes de structure (qui tardent à se mettre en place) non seulement dans le secteur bancaire, mais également dans les secteurs de l'agriculture, de l'énergie et de la sécurité sociale.
1. Le redressement économique de la Lituanie
a) Une économie confrontée jusqu'en 1993 à des chocs externes et internes
Une
dégradation macro-économique sans précédent
La Lituanie, comme tous les pays du bloc soviétique, a dû faire
face à une période de transition.
La crise générale propre aux économies
post-soviétiques n'a pas épargné la Lituanie, à
l'instar de la Lettonie et de l'Estonie : forte baisse de la production
industrielle, fermeture d'entreprises, chute du pouvoir d'achat,
appauvrissement de certaines catégories de la population comme les
retraités, gestion irrationnelle de l'environnement pesant lourdement
sur le secteur agricole...
Au début de son indépendance, la Lituanie a dû faire face
à un double choc économique : le premier en 1990-1991, à
la suite de l'éclatement de l'URSS, et le second en 1992, après
que les pays de la CEI eurent relevé le prix des matières
premières.
En 1990-1991, l'effondrement de l'URSS a entraîné le
démantèlement du système de planification
centralisée qui avait prévalu jusqu'alors. Il en est
résulté aussitôt, pour la Lituanie, des pénuries
d'approvisionnement et des pertes de débouchés majeures.
Rappelons que le commerce de la Lituanie avec les pays de la CEI comptait pour
près de 80 % du total des échanges.
4(
*
)
Le PIB s'est contracté ainsi de
60 % entre 1990 et 1993.
La rupture progressive des relations avec ces partenaires a conduit à
une chute dramatique de la production et du commerce en 1991 et 1992.
Après une baisse du PIB de 38 % en 1992, dont 51 % pour la
seule production industrielle, la baisse en 1993 " n'était que de
16 % ".
Par ailleurs, les insuffisances logistiques et la désorganisation des
circuits de paiement ont créé un choc interne important sur
l'économie lituanienne. L'inflation avait atteint 1020 % en 1992
alors que le rouble se dépréciait fortement. De surcroît,
les importations étaient coûteuses et la demande forte.
Au début de l'année 1992, les Etats baltes ont
été ébranlés par une nouvelle secousse en
provenance de Russie et des autres pays de la CEI. Ceux-ci ont en effet
aligné brutalement le cours des matières premières sur les
tarifs internationaux. En l'espace de quelques mois, certains prix de
l'énergie ont été multipliés par soixante dix. Le
choc énergétique qui en a découlé a plongé
la région dans une récession sans précédent.
Une crise structurelle
Constitué de larges conglomérats industriels
hérités de l'ère soviétique, l'appareil de
production s'est avéré rapidement inadapté aux besoins de
l'économie. Sa restructuration et sa dénationalisation ont
été politiquement délicates, la main d'oeuvre étant
pléthorique et souvent de nationalité russe.
Toutefois, les difficultés majeures se sont manifestées dans un
autre secteur, celui des banques. Chacun des pays baltes a traversé une
grave crise bancaire, imputable, certes, aux difficultés de
l'économie, mais surtout à des erreurs de gestion et, du moins
dans la phase initiale, à certaines failles de la réglementation
prudentielle. Si des banques importantes sont tombées en faillite, il
n'y a toutefois pas eu, à proprement parler, de crise systémique.
Alors que l'Estonie à été touchée dès 1992,
pour les deux autres républiques baltes, la crise n'a
éclaté que beaucoup plus tard, en 1995. En Lituanie, les
difficultés traversées par l'Innovation Bank, la Vakaru Bank et
la Litimpex Bank -qui à elles trois gèrent près d'un tiers
des dépôts bancaires- ont marqué l'apogée de la
crise.
Une économie souterraine en développement
Le commerce frauduleux a connu depuis 1992 une forte croissance, portant
essentiellement sur des produits russes transitant vers l'Ouest à
travers les Pays Baltes.
Cette économie informelle pourrait continuer à représenter
entre 24 et 27 % du PIB officiel.
b) Les succès enregistrés
" La situation économique de la Lituanie
continue
à s'améliorer de façon spectaculaire avec une croissance
qui a atteint 5,8 % en 1997 et approchera les 7 % cette année,
une inflation ramenée à moins de 9 %, un taux de
chômage qui reste faible ".
Tel est le constat de l'éditorialiste de la " Lettre des Pays
Baltes " portant sur la Lituanie dans son numéro 64 du mois de juin
1998. Si la crise russe force à réviser à la baisse les
prévisions de croissance pour 1998 -environ 5 à 6 % au lieu
de 7 %- la délégation sénatoriale a pu constater la
sérénité de tous ses interlocuteurs sur ce sujet.
Ce constat témoigne d'un véritable redressement économique.
Les indicateurs macro-économiques sont positifs
Le retour à la croissance
La fin 1993 et le début de l'année 1994 ont vu une stabilisation
et une reprise de la production avec une croissance estimée à
1 % pour 1994, 3 % pour 1995, 3,6 % en 1996 et 5,7 % en 1997. On
prévoit pour 1998 une croissance de 5 % et non de 7 %
initialement envisagée, et ce en raison de la crise russe.
Il convient cependant de noter que les statistiques locales traitent
essentiellement de la production de l'appareil d'Etat qu'elles connaissent
bien, mais qu'elle appréhendent mal la situation du nouveau secteur
privé, qui, dans certaines branches (confection, meubles, services) est
florissante.
On estimait en mars 1997 la part du secteur privé dans le PIB à
plus de 50 %. Le PIB par habitant serait de 2.932 $ en 1997, ce qui
situerait la Lituanie dans la fourchette inférieure des pays
considérés comme relativement riches (PIB/hab/an compris entre
2.000 et 8.000 $).
La croissance de 1997 placerait la Lituanie, avec la Croatie, en tête des
pays d'Europe centrale et orientale en termes de croissance du PIB.
Une inflation maîtrisée et une réforme
monétaire réussie
L'inflation qui avait atteint 1.020 % en 1992 a diminué dès
la sortie de la zone rouble pour atteindre 188 % en 1993, 45 % en
1994, 35 % en 1995, 13,1 % en 1996 et 8,6 % en 1997. Pour les
cinq premiers mois de l'année 1998, le taux d'inflation se monte
à 3,1 %.
Cette chute de l'inflation a été concomitante à la sortie
de la zone rouble avec l'introduction à parité en septembre 1992
d'une monnaie transitoire, le talonas, puis en juin 1993 de la devise
nationale, le Litas, qui, depuis le 1er avril 1994 est lié au
dollar au taux de 1USD = 4 LTL dans le cadre d'une réforme instaurant,
comme en Estonie, un Conseil monétaire (" currency board ")
faisant dépendre la masse monétaire des contreparties en devises
et en or de la Banque centrale.
La réforme monétaire a été une réelle
réussite de la politique économique lituanienne : la monnaie
nationale est convertible et il n'y a ni monnaie ni taux de change
parallèle.
Rappelons que la France a officiellement restitué, dès le
début des années 1990, les 2.246 kilos d'or
déposés par la Lituanie en 1992.
Une volonté d'assouplissement du système s'est toutefois fait
jour au sein de la nouvelle équipe gouvernementale
: le programme
indique en effet que le " Conseil monétaire " devrait
être supprimé à terme : soucieuse d'éviter tout
dérapage, le nouveau gouvernement entend toutefois mettre en oeuvre de
façon progressive cette décision de principe.
La délégation sénatoriale a pu, d'ailleurs, constater que
si le dollar était encore accepté, les commerçants
généralement exigent d'être payés en monnaie
nationale, ce qui atteste d'une véritable confiance dans la monnaie
nationale.
Une réorientation spectaculaire des échanges vers
l'Ouest
Le commerce extérieur lituanien est caractérisé, depuis
1993, par un exercice déficitaire, un niveau élevé de
réexports et une réorientation très marquée des
échanges vers l'Occident d'où l'Allemagne émerge comme le
premier partenaire. Le volume des échanges avec les Etats-Unis est
négligeable car inférieur à 2 %.
Selon le Département lituanien des statistiques, le déficit
commercial a été de 943 millions de $ en 1995,
1,2 milliard de $ en 1996 et 1,7 milliard de $ en 1997.
Les principaux produits échangés sont : à l'export, les
produits textiles et les vêtements, les engrais azotés, les
meubles, la caséine, la poudre de lait, les machines-outils, les
téléviseurs, les tubes cathodiques, les bières, les
cigarettes.
A l'import, les équipements professionnels, le pétrole, les biens
de consommation, les alcools et les métaux. Sont
réexportés les produits raffinés, les métaux et le
bois de Sibérie.
Rappelons que la Russie demeure le premier partenaire de la Lituanie qui reste
extrêmement dépendante de son grand voisin en matière
énergétique. De même, 30 % des exportations
lithuaniennes sont à destination de la Russie.
C'est pourquoi la récente crise russe affectera inévitablement
les performances macro-économiques de la Lituanie en 1998.
Si les
échanges sont libellés en dollars, la Lituanie ne devrait pas
s'inquiéter d'une éventuelle dévaluation du rouble, mais
resterait malgré tout préoccupée de voir sombrer son
principal partenaire économique. Encore faut-il que la monnaie
américaine ne soit pas -comme c'est le cas actuellement- soumise
à de fortes pressions !
Une situation financière satisfaisante
La mise en place de crédits des institutions internationales (ajustement
structurel et projets) dès la mi-1992 a conduit à un endettement
extérieur dont le montant en mai 1998 était de 1,5 milliard
de $, soit 13 % du PIB. Celle-ci reste donc globalement stable.
Parallèlement, les réserves de change se consolident à
hauteur de plus d'1,1 milliard d'US$ à la fin mai 1998.
Le déficit des paiements courants augmente, dénotant par
là même l'importance de l'effort d'équipement du pays et
l'apparition d'une classe moyenne avide de consommer. Ce déficit est en
partie comblé, pour l'instant, par des entrées de capitaux.
Par ailleurs, l'ajustement progressif des finances publiques se poursuit avec
un déficit du budget central ramené à 1,6 % du PIB
cette année et à moins de 3 % si on l'inscrit dans les
critères de Maastricht.
La réforme économique : bilan des privatisations et des
investissements
Le processus des privatisations, lancé en 1990, comprend
deux étapes. La première est une privatisation massive :
elle a commencé en 1991 et s'est achevée en juillet 1995. La
seconde étape a commencé en 1995, après l'adoption d'une
nouvelle loi sur la privatisation des biens d'Etat et des municipales.
La première étape de privatisation s'est opérée
par le biais de bons d'investissement. Elle a concerné les entreprises
appartenant à l'Etat, les appartements ainsi que les 1.160 ex-kolkhozes.
Le 5 juillet 1995 une nouvelle loi sur la privatisation a
été adoptée.
La caractéristique principale de
cette étape est la vente pour argent aux conditions du marché des
entreprises à privatiser. En outre, les modalités de ces ventes
sont identiques pour les Lituaniens et les investisseurs étrangers.
Cette deuxième étape n'est entrée en vigueur qu'en 1996,
l'Agence nationale de privatisation étant mise en place en janvier de la
même année.
Le processus de privatisation présente un état d'avancement
différent selon les secteurs concernés.
C'est dans le domaine des logements personnels que la réforme est
pratiquement achevée avec plus de 95 % retournés dans des
mains privées. La redistribution des terres a été
lancée par l'équipe Landsbergis avec pour résultat
immédiat une désorganisation de la production agricole dont le
pays a du mal à se remettre. La quasi totalité des fermes
collectives ont été démantelées et 70 % des
entreprises agricoles seraient entre des mains privées dont 16 %
à leurs anciens propriétaires ou ayant-droits. A la fin 1996,
plus de 30.000 fermiers privés ont commencé à travailler
leurs terres. Les problèmes auxquels doit faire face le gouvernement
actuel sont la parcellisation des terres avec une surface moyenne de 9 ha, le
sous-équipement des exploitations, le manque de
compétitivité des productions locales, et la liquidation des
anciennes structures kolkhoziennes qui avaient repris vie, sous les
travaillistes, sous la forme de " sociétés agricoles ".
La privatisation est moins avancée dans le domaine des entreprises
industrielles d'Etat, mais cela est moins dû à une volonté
délibérée qu'à la complexité des
opérations à mettre en oeuvre. Selon la Banque Mondiale, 50
à 65 % en valeur des entreprises publiques auraient
été privatisés. L'opération se réalise
souvent par fragmentation en petites unités, plus aisément
vendables, d'ensembles industriels.
Signalons que l'Agence de privatisation lituanienne a proposé
l'ouverture à la privatisation de neuf nouvelles sociétés
appartenant à l'Etat : il s'agit de l'usine de chaussures Inkaras
implantée à Kaunas, de la fonderie de Kaunas, Ketaus
Liéjbla, de la fabrique de tapis de Lentvaris " Kilimai ", du
fabricant de machine outils de précision " Precizckai ", de la
compagnie textile Lelija, l'usine de tricots Vilija, de l'usine Aliejus,
productrice de mayonnaise, de la brasserie Utena et de la compagnie de fuel
Lietuvos Kuras.
Le bilan des investissements étrangers dans la plus
méridionale des républiques baltes reste assez modeste. Au 1er
janvier 1998, le montant cumulé des investissements étrangers
effectivement déboursés était de 1,04 milliards de
USD, les premiers investisseurs étant :
PAYS |
MONTANT INVESTI
|
% DU TOTAL |
Etats-Unis |
271,50 |
26 |
Suède |
128,75 |
12,4 |
Allemagne |
116,75 |
11,2 |
GB |
80,75 |
7,8 |
Danemark |
64,25 |
6,2 |
Estonie |
45 |
4,3 |
Luxembourg |
39,75 |
3,8 |
Norvège |
34,25 |
3,3 |
Source
: Département des statistiques -
Lituanie
Les principales opérations sont le rachat d'une usine de tabac de
Klaipéda par Philip Morris, l'investissement dans le domaine des
télécoms par Motorola, la distribution d'essence par Shell,
Statoil et Nestlé, et l'industrie textile et de confection par divers
opérateurs.
Près de 3 500 sociétés mixtes et
étrangères seraient établies en Lituanie ; elles
sont constituées pour l'essentiel de sociétés
d'import-export ou de services avec des engagements en capitaux très
faibles. L'implication des étrangers dans le processus industriel
lituanien reste très réduit si l'on excepte d'assez nombreux
accords de production ou de " buy-back " dans les domaines de la
confection, de l'ameublement bon marché ou du développement
informatique. Il est clair qu'à ce jour ce sont surtout les bas
coûts salariaux qui attirent les opérateurs occidentaux.