CHAPITRE II
UN RÉGIME CRITIQUABLE QU'IL NE FAUDRAIT POURTANT PAS
ACCABLER DE TOUS LES MAUX
Deux
éléments sont incontournables lorsque l'on tente de comprendre
l'histoire du Soudan : la superficie du pays (2,5 millions de
km
2
, soit cinq fois la France, ce qui en fait le plus grand pays
d'Afrique et du monde arabe), et la très grande diversité de ses
trente millions d'habitants : la population aux quatre cinquièmes
rurale est en effet divisée en 583 tribus qui parlent plus de 280
dialectes et embrassent des religions et des coutumes différentes.
Dans ce cadre, le problème majeur auquel se heurte l'unité
nationale est celui du Sud du pays (650 000 km
2
, 8
à 10 millions d'habitants).
Entre 1972 et 1983, sous le gouvernement du général Nimeiri, le
Soudan a tenté une expérience de large autonomie avec
dévolution de pouvoirs législatifs et exécutifs à
la région Sud. Puis, en 1983, Nimeiri prit des décisions
défavorables au sud, ce qui conduisit à une reprise de la guerre
(voir supra), le MPLS de John Garang demandant désormais l'instauration
d'un système laïque et fédéral pour l'ensemble du
pays, seul garant à ses yeux de l'égalité de tous les
citoyens soudanais. L'incapacité du gouvernement central à mettre
un terme à ce conflit est l'une des causes majeures du coup d'Etat du 30
juin 1989, et c'est en prétendant réussir là où un
gouvernement élu démocratiquement avait échoué que
le nouveau régime espérait conquérir sa
légitimité
12(
*
)
.
Le système politique mis en place par la Révolution de salut
national du 30 juin 1989 repose sur trois piliers : l'adoption de la
sharia, le système fédéral et la " démocratie
populaire participative ". L'ensemble de ce dispositif a été
mis en place par la "
Comprehensive National Strategy
", entre
1992 et 1995, à travers la création des congrès de base,
des congrès d'Etat régional, puis celle du Congrès
national, parallèle à l'élection du Parlement et du
président de la République.
Or, derrière l'apparence " populaire " et démocratique
d'un système pyramidal censé impliquer l'ensemble de la
population dans le processus révolutionnaire en cours, l'analyse du
fonctionnement réel des institutions montre au contraire un renforcement
de la mainmise du pouvoir central sur la société soudanaise.
La mise en place du régime islamiste et la poursuite de la guerre ont eu
pour conséquence une aggravation des répressions
policières et militaires. Outre les exactions commises à
l'endroit des membres de l'opposition, il semble qu'un certain nombre de
milices de défense populaires, dont la constitution a été
institutionnalisée par le gouvernement, aient échappé
à son contrôle et se soient livrées à des
excès unanimement condamnés.
Pourtant, il serait injuste d'accabler les autorités soudanaises de maux
dont elles ne sont pas directement coupables. Ainsi, les accusations de soutien
au terrorisme ou à l'esclavage semblent participer davantage d'une
volonté de discréditer le gouvernement que d'une politique
délibérée de ce dernier.
Au total, s'il convient de rester lucide et méfiant à
l'égard d'un pouvoir qui se maintient essentiellement par la force et la
contrainte, il ne faut pas pour autant tomber dans l'excès inverse
consistant à dénigrer systématiquement la moindre
velléité d'assouplissement du régime de Khartoum.