II. UN PAYS ISOLÉ SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE
L'orientation islamiste du régime soudanais, les suspicions pesant à son égard en matière de soutien au terrorisme, la poursuite du conflit du Sud, les violations des droits de l'homme et sa position pro-irakienne lors de la guerre du Golfe ont conduit à un certain isolement du Soudan sur la scène internationale.
A. LES SANCTIONS INTERNATIONALES
L'attentat contre le président égyptien Hosni
Moubarak
à Addis-Abeba le 26 juin 1995 a été l'origine d'une
série de résolutions du Conseil de Sécurité
des Nations Unies :
- La résolution 1044 adoptée à l'unanimité le 30
janvier 1996 a condamné les menées terroristes du régime
et lui a enjoint de livrer trois des auteurs présumés de
l'attentat qui ont trouvé refuge sur son territoire ;
- Faute de réponse satisfaisante, des sanctions à
caractère diplomatique ont été décidées par
la résolution 1054 du 26 avril 1996 (abstention de la Chine et de la
Russie) qui stipule que "
tous les Etats prendront des mesures
pour restreindre l'entrée des membres du gouvernement soudanais et des
membres des forces armées soudanaises sur leur territoire, ainsi que le
transit par ce territoire
". En conséquence, tous les Etats ont
réduit leur personnel diplomatique, et restreint le nombre de visas
délivrés aux personnalités officielles ;
- Enfin, une troisième résolution (1070) votée le 16
août 1996 a décidé d'un embargo aérien contre la
compagnie
Sudan Airways
, en dépit des vives réticences du
résident coordinateur des Nations Unies à Khartoum, qui craignait
qu'un tel embargo ait des conséquences humanitaires dramatiques pour les
populations du Sud-Soudan. Toutefois, le débat au Conseil de
Sécurité sur la mise en oeuvre de l'embargo, engagé depuis
le 22 janvier 1997, s'est enlisé en raison des divergences entre la
France et les Etats-Unis au sujet de la durée et des modalités de
reconduction des sanctions.
B. LA POSITION DES PAYS OCCIDENTAUX
1. Les sanctions américaines
L'implication de Soudanais dans l'attentat du World Trade
Center en
février 1993 a par ailleurs conduit les Etats-Unis à inscrire le
Soudan sur la liste des pays qui soutiennent le terrorisme. Depuis lors,
l'administration américaine cherche à isoler le régime
soudanais et s'appuie pour cela sur les pays voisins. Parallèlement, les
représentants de l'opposition soudanaise ont été
reçus. Washington estime cependant que l'Alliance nationale
démocratique (AND) qui regroupe les principaux partis d'opposition et le
mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS) n'offre pas
d'alternative crédible au régime en place.
Enfin, le Président Clinton a établi un embargo économique
à l'égard du Soudan par un décret du 3 novembre 1997 et
Madame Madeleine Albright, Secrétaire d'Etat, a réaffirmé
le 10 décembre 1997 la détermination des Etats-Unis à
isoler le régime soudanais.
2. Le " dialogue franc " de l'Union européenne
L'Union
européenne a suspendu dès 1990 son aide au développement
en faveur du Soudan au titre des Accords de Lomé et n'accorde plus
qu'une aide humanitaire destinée aux populations civiles victimes du
conflit dans le Sud du pays. Elle a multiplié les démarches pour
condamner les violations des droits de l'homme.
En février 1994, alors que les combats redoublaient dans le Sud du
Soudan, les membres de l'Union européenne décidaient d'engager un
" dialogue franc " avec les autorités soudanaises sur
"
tous les points politiques et humanitaires qui
préoccupent la communauté internationale
". Il
était simultanément décidé de poursuivre les
contacts avec les factions du Sud " dans l'intérêt de la
paix " . Le Conseil de l'Union a enfin décidé le 15
mars 1994 un embargo sur les armes à destination du Soudan.
3. La position " réservée " de la France
D'une
manière générale, les relations entre la France et le
Soudan n'ont jamais été ni très profondes, ni très
nourries, hormis durant une courte période sous le régime du
général Nimeiri (mai 1969, avril 1985).
L'instauration d'un régime islamiste au Soudan après le coup
d'Etat du général el-Béchir le 30 juin 1989 a conduit la
France à adopter une position réservée à
l'égard des nouvelles autorités soudanaises. L'aide publique
française a été suspendue dès après le coup
d'Etat en 1989, seule une aide humanitaire étant maintenue.
Depuis le début de l'année 1994, la position de la France
à l'égard de régime soudanais s'inscrit dans le cadre du
" dialogue franc " européen. La France respecte en outre
l'embargo sur les exportations d'armes.
Enfin, en application de la résolution 1054 des Nations Unies du 26
avril 1996, l'effectif diplomatique de l'Ambassade du Soudan à Paris a
été réduit d'un diplomate (sur huit). La France a,
jusqu'à présent, fait une lecture restrictive de la
résolution et n'a délivré de visas à des membres du
gouvernement soudanais que dans le cadre de réunions internationales se
déroulant à Paris, ou bien dans des cas jugés
exceptionnels (un visa a ainsi été accordé en 1997
à M. Awad el-Jaz, ministre des mines).
La remise du terroriste " Carlos " en août 1994 n'a apparemment
pas modifié les relations franco-soudanaises.
C. LA MÉFIANCE DES VOISINS
Alors
que le renversement en mai 1991 du président Mengitsu en Ethiopie
était de nature à favoriser l'insertion régionale du
Soudan, le prosélytisme islamique soudanais et l'accueil, voire le
soutien, de groupes d'opposition armée régionaux ont conduit
à une dégradation des relations entre le Soudan et ses voisins.
La poursuite du conflit dans le Sud y a également contribué.
Ainsi, l'Ouganda et l'Erythrée, confrontés à des
infiltrations d'opposants islamistes armés, ont rompu leurs relations
diplomatiques avec Khartoum, respectivement en décembre 1994 et en avril
1995. Enfin, le risque de déstabilisation de ces pays, grands amis des
Etats-Unis, a poussé Washington à jouer la carte du MPLS depuis
1994.
Quelques 350 000 réfugiés fuyant la guerre du Sud-Soudan
sont installés dans des camps au nord de l'Ouganda. Depuis le printemps
de 1996, ils sont devenus la cible des rebelles ougandais du West-Nile Bank
Front (musulmans en majorité), nostalgiques du régime d'Idi Amin
Dada, et des millénaristes chrétiens de l'Armée de
résistance du Seigneur (LRA) de Joseph Kony. Ces deux mouvements
seraient soutenus par le gouvernement soudanais qui soupçonne les camps
de réfugiés de servir de bases de soutien aux combattants de
l'APLS. En riposte, le président ougandais, Yoweri Museveni s'est
engagé depuis quatre ans dans un soutien actif à la
rébellion sud-soudanaise. Une offensive de l'APLS, vraisemblablement
appuyée par l'armée ougandaise, a ainsi détruit plusieurs
bases rebelles nord-ougandaises en territoire soudanais en mars 1997.
Aujourd'hui, l'Ouganda réclame comme préalable à toute
normalisation des relations diplomatiques, le retour des jeunes-filles
enlevées par la rébellion nord-ougandaise et détenues au
Soudan.
Par ailleurs, en réponse au soutien dont bénéficieraient
les groupes de rébellion érythréens installés au
Soudan (Djihad érythréen, Front de libération de
l'Erythrée...), Asmara a accueilli l'Alliance Nationale
Démocratique (AND), opposition soudanaise nordiste de l'extérieur
alliée au MPLS de John Garang. La tension entre les deux pays s'est
sensiblement accrue au cours de l'année 1996, notamment avec l'ouverture
d'un front le long de la frontière commune par les forces de l'AND.
300 000 réfugiés érythréens
résideraient toujours sur le territoire soudanais.
Au total, la rupture des relations du Soudan avec l'Erythrée et
l'Ouganda s'est traduite par la constitution, avec l'appui des Etats-Unis,
d'une ligne de front contre le régime islamiste de Khartoum, ainsi que
par la dimension régionale accrue du conflit sud-soudanais.
Avec l'Ethiopie, les relations bilatérales sont tendues en raison des
soupçons portés par Addis Abeba sur un soutien du régime
de Khartoum aux mouvements islamistes éthiopiens. L'attentat contre le
Président égyptien Hosni Moubarak à Addis Abeba le 26 juin
1996, en marge du sommet de l'OUA, a conduit l'Ethiopie à saisir l'OUA,
puis le Conseil de Sécurité des Nations Unies (10 janvier 1996,
adoption de sanctions en avril 1996). Ces relations ont connu de nouveaux
développements avec l'appui discret accordé par l'Ethiopie
à l'opposition extérieure soudanaise (AND) et en particulier
à la rébellion du Sud : incursion le 12 janvier 1997 en
territoire soudanais à partir de l'Ethiopie. Pour autant, le dialogue
n'a jamais été rompu. Le rapatriement volontaire des
réfugiés éthiopiens au Soudan devrait s'achever cette
année (30 000 selon le HCR).
L'attentat contre le président Moubarak a également ravivé
les tensions entre le Soudan et l'Egypte, tensions alimentées par un
litige frontalier
11(
*
)
et par le
soutien soudanais présumé du mouvement islamiste égyptien,
la Jama'a Islamiyya. Toutefois, l'interdépendance des deux pays
(communauté soudanaise installée en Egypte estimée
à deux millions de personnes, contrôle des eaux du Nil) conduit
les autorités égyptiennes, très attachées au
maintien de l'unité du Soudan, à ménager Khartoum.