Quel avenir pour le Soudan
Rapport GA 23 - Compte rendu de la visite au Soudan du Groupe Sénatorial France-Soudan du 6 au 12 juin 1998
Table des matières
- COMPOSITION DE LA DÉLÉGATION
- PROGRAMME DE LA VISITE DE LA DÉLÉGATION
- LE SOUDAN : QUELQUES POINTS DE REPÈRE
- INTRODUCTION
-
CHAPITRE PREMIER
UN PAYS DÉCHIRÉ PAR LA GUERRE DEPUIS 1983 ET ISOLÉ SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE -
CHAPITRE II
UN RÉGIME CRITIQUABLE QU'IL NE FAUDRAIT POURTANT PAS ACCABLER DE TOUS LES MAUX- I. LA VOLONTÉ DE TRANSFORMATION RADICALE DE LA SOCIÉTÉ S'EST TRADUITE PAR UNE MAIMISE DU POUVOIR ISLAMIQUE SUR LA SOCIÉTÉ SOUDANAISE
- II. DES ACCUSATIONS À PRENDRE AVEC PRUDENCE
-
CHAPITRE III
UN PAYS EXSANGUE À LA RECHERCHE D'UNE NOUVELLE LÉGITIMITÉ -
CHAPITRE IV
QUEL AVENIR POUR LE SOUDAN ? - CONCLUSION
COMPTE
RENDU DE LA VISITE AU SOUDAN D'UNE DÉLÉGATION DU GROUPE
SÉNATORIAL FRANCE-SOUDAN
DU 6 AU 12 JUIN 1998
COMPOSITION DE LA DÉLÉGATION
M. Paul
d'ORNANO Sénateur des Français établis hors de France
Groupe du Rassemblement pour la République (RPR)
Président du groupe sénatorial France-Soudan
M. Georges BERCHET Sénateur de la Haute-Marne
Groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
(RDSE)
M. Aubert GARCIA Sénateur du Gers
Groupe socialiste
La délégation était accompagnée par Mlle Anne
ESAMBERT, administrateur des services du Sénat, secrétaire
exécutif du Groupe sénatorial France-Soudan.
PROGRAMME DE LA VISITE DE LA DÉLÉGATION
-
•
Samedi 6 juin
21 h 45 : Arrivée à Khartoum
Accueil à l'aéroport par M. Michel Raimbaud, Ambassadeur de France au Soudan, et par le Dr. Mohamed el Bassir, Président du groupe d'amitié Soudan-France de l'Assemblée nationale soudanaise
• Dimanche 7 juin
8h 00 : Petit déjeuner de travail à la résidence de l'Ambassadeur (avec les chefs de service)
10 h 00 : Entretien avec le Dr Hassan al-Tourabi, Président de l'Assemblée nationale
11 h 00 : Entretiens avec les vice-présidents de l'Assemblée nationale et les présidents de commissions
12 h 00 : Réunion avec le groupe d'amitié Soudan-France
13 h 30 : Déjeuner offert par le groupe d'amitié Soudan-France sur le Nil
16 h 00 : Visite de l'Ambassade, du Centre culturel Français, de l'antenne du Centre culturel à l'université (ex-CEDUST) et de l'Ecole Française
19 h 00 : Réception à la résidence en compagnie de membres de la communauté française et de personnalités soudanaises
• Lundi 8 juin
10 h 00 : Entretien avec le Dr Abdallah Hassan Ahmed, ministre de la coopération internationale et de l'investissement
11 h 00 : Entretien avec le Dr Kabachour Kokou, ministre de l'éducation nationale
12 h 00 : Entretien avec le Général el Tayeb Ibrahim Mohamed Kheir, ministre de la planification sociale
13 h 00 : Entretien avec le Dr Awad el Jaz, ministre de l'énergie et des mines
14 h 00 : Déjeuner à la résidence
16 h 00 : Entretien avec les représentants de l'opposition nordiste
18 h 00 : Entretien avec les représentants de l'opposition sudiste, dont M. Abel Alier, ancien vice-président de la République
19 h 30 : Cocktail offert par le Conseil de l'amitié populaire (Association d'amitié franco-soudanaise)
20 h 30 : Dîner offert par M. Jean-Daniel Taupenas, premier conseiller à l'Ambassade de France
• Mardi 9 juin - Annulation du voyage à Juba
13 h 30 : Déjeuner à la résidence de l'Ambassadeur en compagnie de M. Paulino Zizi, député
15 h 00 : Visite du dispensaire de Médecins Sans Frontières (MSF) dans un camp de déplacés de la périphérie de Khartoum
17 h 00 : Visite du lycée technique Saint-Joseph, dirigé par le Père Donati
20 h 00 : Dîner offert par le Dr Mohamed Ahmed Tewfiek Hieba, homme d'affaires
• Mercredi 10 juin
5 h 30 : Départ par avion spécial vers les mines d'or de Hassaï (700 kms au Nord-Est de Khartoum) exploitées par la société " Ariab Mining Co " (AMC), joint-venture franco-soudanaise
Visite des carrières à ciel ouvert et des installations chimiques
Déjeuner sur le site
16 h 30 : Retour à Khartoum
20 h 30 : Dîner à l'hôtel
• Jeudi 11 juin
9 h 00 : Entretien avec le Dr Abdallah Souleiman, Secrétaire aux relations extérieures au Congrès national
10 h 30 : Entretien avec Monseigneur Gabriel Roreig, ministre d'Etat au ministère des relations extérieures
11 h 30 : Entretien avec M. Riek Machar, adjoint du chef de l'Etat et président du Conseil de coordination des Etats du Sud
12 h 00 : Audience de M. Ali Osman Taha, premier vice-président de la République
13 h 00 : Conférence de presse
14 h 30 : Déjeuner offert par Son exc. M. l'Ambassadeur en compagnie des chefs de missions diplomatiques (Union européenne, Nations Unies, CICR,...)
16 h 30 : Entretien avec Monseigneur Marco Dino Brogi, Nonce apostolique
20 h 30 : Dîner franco-soudanais, à la Résidence
• Vendredi 12 juin
LE SOUDAN : QUELQUES POINTS DE REPÈRE
I. SITUATION GÉOGRAPHIQUE
Situé au nord-est de l'Afrique, à la charnière des mondes
arabo-musulman et africain, et étendu sur
2 505 810 km
2
, le Soudan est le plus grand pays du
continent africain. Il s'étire du nord au sud sur 2 250 km et
d'est en ouest sur 1 950 km. Sa population est d'environ
30 millions d'habitants.
Le Soudan a une seule frontière naturelle : la mer rouge sur
environ 700 km au nord-est. Sinon, il est bordé par le Kenya,
l'Ouganda et le Zaïre au sud ; la République centrafricaine,
le Tchad et Libye à l'ouest, l'Erythrée et l'Ethiopie à
l'est, et l'Egypte au nord.
La capitale, Khartoum, composée de Khartoum Nord, Khartoum Sud et
Omdurman, abrite une population estimée à 3 millions d'habitants.
Il existe d'autres villes importantes comme :
- Port Soudan, 200 000 habitants, seul port important du pays sur la mer
rouge ;
- Wad Medani, 250 000 habitants, chef-lieu de la région la plus
fertile du pays : la Gezira, à 200 km au sud de Khartoum ;
- Juba, capitale de l'Equatoria, la seule ville importante du sud,
200 000 habitants ;
- El Obeid, capitale du Kordofan, vaste région au centre du pays,
150 000 habitants, altitude 585 mètres, ancien marché
caravanier ;
- El Fasher, capitale du Darfour à l'ouest du pays,
150 000 habitants, altitude 730 mètres, ancien marché
caravanier.
II. CLIMAT
Le
Soudan est l'un des pays les plus chauds du monde. Il est soumis à un
climat de type tropical chaud sans influence maritime, à l'exception de
la ligne côtière au nord-est.
La saison des pluies dure entre deux mois, voire moins dans le nord
( 100 mm par an) et sept mois dans le sud ( 1 500 mm par an). La
température moyenne annuelle varie entre 20°C au sud et 32°C
au nord. Les températures sont maximales avant la saison des
pluies : avril, mai, juin au nord (42°C à Khartoum) et de
décembre à mars au sud (38°C à Juba) ; elles
sont minimales en janvier au nord (15°C à Khartoum) et en
juillet-août au sud (20°C à Juba).
III. LA POPULATION
Enregistrant un taux de croissance de 2,8 % entre 1983 et 1993, la
population, dont la moitié vit sur 15 % du territoire, atteint
actuellement 30 millions d'habitants. Selon le dernier recensement de 1993, 6,8
millions d'habitants vivent en zone urbaine (22 %), 17,8 millions en zone
rurale et 2,4 millions suivent un mode de vie nomade.
On assiste à un phénomène d'exode rural puisque la
population urbaine a été multipliée par sept de 1956
à 1993, alors que la population rurale, y compris nomade, a seulement
doublé. Ainsi, le volume de migration interne est passé de
4,3 % en 1956 à 13 % en 1993. La région la plus
attractive est Khartoum, qui reçoit plus de 40 % des migrants
internes.
La population est composée de diverses ethnies (19 groupes principaux
et 597 sous-groupes) dont la plus importante est celle des Arabes (40 %),
suivie des Dinkas (12 %), des Béjas (7 %), etc. On recense
également une importante communauté de réfugiés
(1.002.700) répartie selon les nationalités suivantes :
55,7 % d'Erythréens, 25,4 % d'Ethiopiens, 14,3 % de
Tchadiens, 4,2 % d'Ougandais et 0,4 % de Zaïrois.
IV. RELIGION
L'Islam, sans être officiellement " religion d'Etat ", jouit d'un statut très privilégié et inspire non seulement le droit pénal, mais aussi de nombreux aspects de la vie civile. Il est fortement implanté dans la moitié nord du pays. Le sud du pays est principalement chrétien et représente 15 % de la population. Quant aux 25 % restants, il s'agit de diverses religions ethniques.
V. INSTITUTIONS POLITIQUES
Il s'agit d'un système dit " fédéral " composé de 26 États depuis 1994 au lieu de 9 précédemment. Chaque État possède un gouvernement et un corps législatif. Les élections présidentielles et législatives de mars 1996 ont cherché à " légitimer " la mouvance (islamiste fondamentaliste) en place depuis 1989, à la suite d'un coup d'Etat du général El Bechir sans renouveler pour autant le personnel politique et militaire en place.
VI. CHRONOLOGIE
1820-1882 Période égyptienne
1882-1885 Période madhiste
1896-1898 Reconquête anglo-égyptienne
1899 Signature du Traité anglo-égyptien établissant un
condominium sur le Soudan
1956 Indépendance du Soudan
Mai 1969 Coup d'Etat de Ja'afar al-Nimeiri
Mars 1972 Accords d'Addis-Abeba avec les Sudistes
1983 Reprise de la guerre au sud après onze années de paix
Introduction de la shari'a (lois islamiques)
Avril 1985 Fin du pouvoir de Nimeiri et formation d'un conseil militaire
transitoire
1986-1989 Gouvernement de Sadeq al-Madhi
Suspension (mais non abrogation) des lois islamiques
Juin 1989 Coup d'Etat du général Omar Hassan Ahmed El Bechir qui
consacre la prise du pouvoir par le Front islamique (FNI) de Hassan El Tourabi
1991 Réintroduction de la sharia
Mars 1996 Elections législatives et présidentielles
légitimant le gouvernement du général Omar Hassan El Bechir
Avril 1997 Signature d'une charte pour la paix avec quelques factions rebelles
Mai 1998 Référendum organisé pour approuver la Constitution
30 juin 1998 Promulgation de la Constitution
INTRODUCTION
Une
délégation du Groupe sénatorial France-Soudan s'est rendue
au Soudan du 6 au 12 juin 1998.
Cette visite, organisée après une longue période de
sommeil du Groupe sénatorial consécutive au coup d'Etat survenu
au Soudan en 1989, avait pour objet de mesurer les efforts entrepris par les
autorités soudanaises pour se conformer aux exigences occidentales en
matière de démocratisation du régime et de respect des
droits de l'homme. Elle constituait la première visite de
représentants du Parlement français depuis presque vingt ans.
La délégation souhaitait notamment interroger les
différentes composantes du paysage politique soudanais, et en
particulier les représentants de l'opposition
1(
*
)
, sur la nouvelle Constitution qui, à la date de
la visite sénatoriale, venait d'être approuvée par
référendum et allait être promulguée (elle l'a
été le 1
er
juillet 1998). Elle souhaitait
également s'enquérir sur les accusations de soutien au terrorisme
et d'esclavage dont le Soudan est l'objet. Elle se rendait enfin dans le plus
grand pays d'Afrique avec la volonté très vive de transmettre un
message de paix et de tolérance dans un pays où la guerre -
qui dure depuis 1983 - a été la cause directe ou indirecte d'un
million et demi de morts. La famine qui ravage le pays depuis le début
de l'année nous le rappelle de façon cruelle.
D'emblée, nos hôtes soudanais, extrêmement cordiaux et
chaleureux, se sont montrés très soucieux de décrire les
progrès réalisés par leur pays dans le sens de la
démocratie et de répondre aux questions de la
délégation en toute transparence afin de dissiper tous les
soupçons et accusations qui pèsent sur leur pays. Ils sont
apparus également très désireux que la France
intercède plus largement dans la recherche d'un accord de paix entre le
gouvernement et les factions rebelles.
Toutefois, bien que leur désir d'établir la vérité
nous apparut sincère, un incident contribua à instiller un doute
parmi les membres de la délégation sur la bonne foi des
autorités soudanaises.
En effet, le déplacement que la délégation devait
accomplir à Juba, la principale ville du sud du pays, où elle
devait rencontrer des organisations humanitaires, l'Evêque de Juba, le
Gouverneur et M. Riek Machar, Président du Conseil de coordination
des Etats du Sud, a été annulé en raison du
" retard " puis de la " panne " de l'avion. Panne
organisée ou panne réelle ? Nous ne le saurons probablement
jamais. Les autorités soudanaises ne pouvaient pourtant ignorer que
l'annulation délibérée d'un tel voyage porterait un coup
sérieux à leur crédit.
La délégation a néanmoins pu se rendre dans un des camps
de " déplacés " de la périphérie de
Khartoum pour constater le dénuement de la population et la faiblesse
des moyens dont disposent les organisations humanitaires pour y faire face.
Elle a également rencontré le vice-président de la
République, plusieurs membres du gouvernement, le président de
l'Assemblée nationale, de nombreux parlementaires, les leaders de
l'opposition restés dans le pays, des représentants de missions
diplomatiques et le nonce apostolique. Elle a enfin pu rencontrer M. Riek
Machar alors qu'il venait de s'entretenir avec John Garang.
A l'issue de cette mission, rien ne permet aux membres de la
délégation de nier ou de confirmer l'existence de l'esclavage,
d'assistance à des éléments terroristes, de brimades
à l'endroit des opposants politiques et d'actes d'intolérance
à l'égard des minorités catholiques et animistes. N'ayant
ni la compétence, le pouvoir ou les moyens de mener une enquête
approfondie dans le pays, la délégation s'est contentée de
recueillir les avis et témoignages des interlocuteurs qu'elle a pu
rencontrer sur chacun de ces sujets, avis et témoignages pas toujours
divergents au demeurant.
Quoi qu'il en soit, après s'être lui-même mis au ban de la
communauté internationale en raison des exactions qu'il a commises
à l'endroit des minorités et de son soutien au terrorisme, le
gouvernement soudanais apparaît désormais très soucieux de
réhabiliter la réputation du Soudan.
Il convient ainsi de porter au crédit des dirigeants soudanais actuels
la rédaction et la promulgation d'une Constitution qui, sans être
totalement laïque, semble préserver les droits des
minorités, rétablir le multipartisme et permettre l'alternance.
La délégation a formulé aux autorités le souhait
que les lois qui en permettront l'application seront votées rapidement
et autoriseront sa transcription fidèle. Elle a également
appelé à l'organisation d'élections libres et
démocratiques. Elle a toutefois pu mesurer le scepticisme des
représentants des oppositions nordiste et sudiste sur ce sujet,
scepticisme qu'alimente malheureusement la vague d'arrestations de membres des
anciens partis politiques restés au Soudan qui a eu lieu peu
après la visite sénatoriale, après qu'une série
d'attentats eut détruit des centrales électriques et des
dépôts de pétrole dans la capitale soudanaise et dans sa
banlieue.
C'est ce décalage entre une volonté affichée de
rétablir l'unité du pays dans la tolérance et le maintien
de mesures sécuritaires et liberticides qui fait craindre à la
délégation sénatoriale que la paix ne soit pas à
portée de main. De surcroît, la recrudescence des combats dans le
Sud du pays oblitère sérieusement les espoirs que pouvaient faire
naître les pourparlers de paix engagés sous l'égide de
l'IGAD
2(
*
)
depuis un an.
Or, seul le rétablissement de la paix permettra de mettre fin à
dix ans de famine dans le Sud du pays. La paix est également une
condition indispensable au retour des investisseurs étrangers et au
développement économique d'un pays riche de très
nombreuses ressources agricoles, minières et pétrolières.
Avant même de dresser un bilan de leur visite, les membres de la
délégation souhaitent rendre hommage à l'action
particulièrement efficace de S. Exc. M. Michel Raimbaud,
Ambassadeur de France au Soudan, et à celle de M. Eltigani Fidail,
Ambassadeur du Soudan en France, qui ont beaucoup contribué au
succès du voyage.
Ils souhaitent également adresser leurs plus vifs remerciements aux
parlementaires soudanais du groupe d'amitié Soudan-France qui les ont
très chaleureusement accueillis.
CHAPITRE PREMIER
UN PAYS DÉCHIRÉ PAR
LA GUERRE DEPUIS 1983 ET ISOLÉ SUR LA SCÈNE
INTERNATIONALE
Depuis l'indépendance, arrachée aux Anglo-égyptiens le 1 er janvier 1956, le Soudan s'enfonce dans une crise politique, économique, religieuse et socio-culturelle inextricable. Les régimes successifs, arrivés au pouvoir tantôt par la voie démocratique, tantôt après un coup d'Etat militaire, tantôt à la suite d'une révolte populaire, n'ont pas pris en considération la spécificité du pays. Au contraire, les dirigeants nordistes n'ont cessé, depuis 40 ans, d'imposer par le feu et le fer la domination arabo-musulmane sur cette terre multiraciale (597 groupes ethniques, 177 langues et dialectes) et multiconfessionnelle (trois religions : 60 % de musulmans, 25 % d'animistes et 15 % de chrétiens).
I. UN PAYS DÉCHIRÉ PAR LA GUERRE
A. LES RACINES DU CONFLIT
Si l'on
en croit Gérard Prunier
3(
*
)
, chercheur au
CNRS et spécialiste de l'Afrique orientale, "
la question du
Sud, principal problème de la nation soudanaise depuis
l'indépendance, n'est pas apparue en 1956. En fait, l'opposition
Nord-Sud est consubstantielle à l'existence du Soudan en tant que nation
et date de l'occupation égyptienne, c'est-à-dire de
1820
. "
En effet, la conquête du Soudan par les armées de Muhammad Ali
était motivée par le désir maintes fois exprimé du
vice-roi de " ramener des Nègres " pour son armée.
Mais, à la différence des musulmans soudanais qui, même
très métissés, furent très vite
considérés comme " arabes " et pouvaient servir
d'auxiliaires au pouvoir égyptien, les groupes animistes étaient
regardés comme un réservoir d'esclaves. Par la suite, les
régions marécageuses du Sud du pays furent explorées par
une " bande d'aventuriers aux origines internationales " et furent
l'objet de véritables " campagnes saisonnières de chasse
à l'homme ".
Ce n'est qu'avec l'avènement du khédive Ismaïl en 1863, que
les autorités du Caire commencèrent à mettre en place une
politique de répression de la traite, par l'intermédiaire
notamment de deux Européens, sir Samuel Baker et le colonel Charles
Gordon. Mais, cette politique alimenta la rancoeur de la population musulmane
soudanaise à l'égard du colonisateur égyptien et contribua
au succès du mouvement mahdiste entre 1881 et 1885. En effet,
ruinée par la fin de la traite (qui rendait les caravanes non rentables)
et choquée de voir des chrétiens européens placés
dans des positions d'autorité, la population du Nord se rallia
massivement au mouvement de lutte contre l'occupant et de retour aux valeurs de
l'islam. On comprend que ce mouvement anti-impérialiste qui fait, encore
aujourd'hui, la légitime fierté des Nord-Soudanais, ne signifie
pas grand chose pour les sudistes !
C'est à cet héritage de violence et de conflit entre
" Arabes " et Négro-Africains que se trouva confrontée
l'administration coloniale britannique après la conquête du Soudan
en 1898. Les très nombreuses révoltes des sudistes conduisirent
l'occupant britannique à mettre en place un encadrement administratif
colonial singulier au Sud-Soudan. Il s'agissait d'assurer un minimum d'ordre au
moindre coût. Très autonomes, les administrateurs du Sud,
d'origine sociale modeste, moins bien payés que leurs homologues du
Nord, apprenaient fréquemment les langues tribales locales et
s'identifiaient d'autant plus étroitement avec " leur " peuple
qu'ils restaient souvent de nombreuses années en poste. Soucieux de
" protéger " les cultures indigènes, ils
gérèrent le Sud de façon " minimaliste ",
laissant le système éducatif aux mains des missions
chrétiennes et maintenant le pays dans un état de
sous-développement économique, social et intellectuel
préjudiciable à la future unité du pays.
Par ailleurs, alors que dans le Nord, l'arabe et l'islam ne furent jamais
combattus ni dévalorisés, par crainte de provoquer un
réveil des sensibilités religieuses et nationalistes, l'anglais
fut déclaré seule langue officielle dans le Sud. Sept langues
locales furent transcrites pour servir de langues administratives,
éducatives et religieuses. L'arabe " pidginisé "
continua cependant de prospérer dans les centres urbains et militaires
créés par les Anglais, demeurant la " langue du pain "
et de l'intégration sociale.
Ce mélange de négligence, de souci d'économie, de
particularisme administratif et de désir de protéger les sudistes
forme la base de ce que l'on a appelé la
Southern policy
4(
*
)
qui coupa radicalement le Nord du Sud. Pour
Catherine Miller, chercheur au CNRS, "
la principale conséquence
de la politique linguistique britannique fut non pas la modification des usages
linguistiques, mais la cristallisation des attitudes conflictuelles concernant
le rôle de la langue arabe et de l'islam dans la future nation
soudanaise. Pour l'élite nordiste, arabophone et musulmane, la langue
arabe et l'islam représentaient des valeurs authentiquement soudanaises.
Pour la petite élite sudiste, chrétienne et anglophone, la langue
arabe et l'islam constituaient des valeurs étrangères, voire des
symboles d'acculturation
5(
*
)
. "
A l'indépendance, les Nordistes voulurent voir dans cette politique
" un plan diabolique, soigneusement préparé, qui avait pour
but de développer les antagonismes et les conflits entre les enfants
d'un même pays ". Leur tort fut de ne pas prendre en compte les
particularités culturelles et le retard de développement du Sud
et de refuser la solution fédérale proposée par les
représentants du Sud à l'Assemblée constituante. Le 18
août 1954, le Premier ministre Ismaïl al-Azhari menaça de
" la force de l'acier tout sudiste qui oserait attenter à
l'unité nationale ".
Mais l'agitation anti-nordiste se répandit à travers le Sud
lorsqu'en octobre 1954, sur 800 postes de fonctionnaires créés
pour remplacer les Britanniques, la commission de soudanisation ne nomma que 6
sudistes. En août 1955, la 2
e
Compagnie de l'
Equatoria
Corps
se mutinait à Tori et massacrait ses officiers nordistes
nommés en remplacement des officiers anglais. Cette mutinerie constitue
l'acte fondateur d'une guerre civile qui, excepté la parenthèse
de onze ans de paix (1972-1983) sous le régime autoritaire du
général Nimeiri, n'a jamais cessé.
Au total,
la description du conflit soudanais comme une guerre " entre
le Sud animiste et chrétien et le Nord musulman " correspond
à une vision simpliste et trompeuse du Soudan
6(
*
)
. Outre le fait que la rébellion sudiste ne
combat pas pour des valeurs religieuses, le Soudan n'a jamais été
un pays uni et l'erreur des Anglais lors de l'abolition de la
Southern
policy
en 1946 fut, selon Gérard Prunier, de déclarer les
peuples négro-africains du Soudan "
inextricablement liés
au Moyen-Orient et au Nord-Soudan arabisé
" et de créer
un lien purement artificiel entre deux entités que tout séparait
depuis plus d'un siècle.
Aujourd'hui, le conflit avec Khartoum mêle arguments culturels (Arabes
contre Africains), ethniques (Nuers et Shilluks contre Dinkas), religieux
(Islam contre christianisme et animisme), mais aussi économiques et
politiques. Les champs pétrolifères étant, pour
l'essentiel, localisés au Sud, les sudistes reprochent aux
autorités de Khartoum - au sein desquelles ils sont faiblement
représentés - de vouloir contrôler ces richesses à
leur unique profit.
B. LA REPRISE DE LA GUERRE EN 1983
La
guerre connut une trêve de onze ans sous le régime militaire du
général Nimeiri. Progressiste, soutenu par le Parti communiste
soudanais, Nimeiri ne souhaitait ni poursuivre une politique d'islamisation
forcée qui avait fait la preuve de son inefficacité, ni la
sécession du Sud-Soudan. Il créa un ministère des Affaires
du Sud, d'abord confié à Joseph Garang, puis à Abel Alier,
tous deux des sudistes de l'ethnie Dinka. Le 27
février 1972
,
l'
accord d'Addis Abeba
, négocié par Abel Alier, scella la
paix entre le gouvernement et la rébellion sudiste. L'accord instaurait
un Etat fédéral gouverné par une Assemblée
régionale élue au suffrage universel et par un Haut Conseil
exécutif (HCE), tous deux installés à Juba, qui devenait
la capitale de la région autonome du Sud. L'article 6 donnait à
l'arabe le rang de langue nationale mais reconnaissait l'anglais comme
" langue principale de la région du Sud ". D'autres
dispositions préservaient l'unité de citoyenneté,
garantissaient des droits égaux sans distinction d'origine, de langue ou
de religion, organisaient la collecte de l'impôt et prévoyaient la
création d'une commission d'aide aux réfugiés.
Toutefois, le manque d'empressement des autorités soudanaises à
mettre en oeuvre le volet économique de l'accord d'Addis-Abeba fut la
cause d'un désenchantement croissant de la population sudiste, qui
était pourtant initialement très favorable au président
Nimeiri. Prenant comme justification la difficulté du Sud à
absorber les capitaux faute de personnel qualifié capable de les
utiliser, le Nord commença à ne pas payer les fonds prévus
pour la région. La commission de développement régional de
Juba ne toucha jamais le million de livres soudanaises qui devait former son
capital de départ. Le montant de l'aide internationale était plus
de dix fois celui que Khartoum consacrait au Sud.
Par ailleurs, la
politique de Réconciliation nationale
mise en
oeuvre par Nimeiri à partir de 1977 pour se concilier les
représentants des forces islamistes et traditionalistes après
l'expulsion du gouvernement de ses alliés communistes, élargit la
fêlure entre le Nord et le Sud en menaçant l'un des acquis de
l'accord d'Addis-Abeba, la laïcité. Une commission fut en effet
chargée de revoir l'ensemble de la législation pour la modifier
en accord avec les préceptes de la sharia coranique. En outre, au fur et
à mesure que l'influence islamiste remontait à Khartoum, le
rôle des sudistes dans le gouvernement central diminuait.
Enfin,
deux événements approfondirent la rupture entre le Nord
et le Sud
. En premier lieu, la
politique de redivision du
Sud
7(
*
)
menée par le nouveau chef de
l'exécutif sudiste, Joseph Lagu à partir de 1978, fut la cause
d'un déchirement au sein de la classe politique sudiste entre pro et
anti-redivisionnistes. Selon Gérard Prunier
8(
*
)
, Joseph Lagu, originaire de l'Equatoria-oriental, et
fondateur du Mouvement de libération du Sud-Soudan en 1970, était
"
doué de plus d'esprit de revanche contre la
" dinkacratie " du régime Alier que d'efficacité ou
d'honnêteté
".
En second lieu, alors que la perspective d'une
exploitation
pétrolière
suscitait des espoirs immenses dans le Sud, le
gouvernement de Khartoum prit la décision d'exporter directement le brut
en construisant un pipe-line jusqu'à Port-Soudan, ce qui confortait la
population sudiste dans la conviction qu'à l'exemple du canal de
Jongleï, tous les projets établis sur son sol étaient
entrepris au seul bénéfice du Nord-Soudan.
Le catalyseur de la reprise de la guerre fut la
mutinerie de la garnison de
Bor
, qui refusait sa mutation au Nord. Le président Nimeiri
déclencha une opération militaire en mai 1983 contre les mutins
et proclama la redivision de la région autonome du Sud. Enfin, le 9
septembre 1983, il instaurait des lois islamiques
9(
*
)
qui rendirent la guerre avec le Sud absolument
inexpiable. Il céda le pouvoir en 1985 à un Conseil militaire
transitoire, puis à un pouvoir civil démocratiquement élu
en 1986.
C. LES FACTEURS D'EXACERBATION DES TENSIONS
Le
conflit a depuis été envenimé et compliqué par
plusieurs événements. En 1989, alors que les partis traditionnels
au pouvoir, discrédités auprès de la population du fait de
leurs divisions incessantes, s'avéraient incapables de rétablir
la paix, le
coup d'Etat du général Omar el-Béchir
porta au pouvoir le Front national islamique (FNI) dirigé par Hassan
al-Tourabi. Le nouveau régime soudanais intensifia la politique
d'islamisation forcée du Sud, sans hésiter à pratiquer des
déplacements de population, des conversions forcées et la torture.
Par ailleurs, en août 1991,
la rébellion sudiste
, affaiblie
par la chute du président éthiopien Mengitsu Hailé Mariam,
son seul soutien extérieur,
éclata en deux factions
rivales
: le mouvement populaire de Libération du Soudan (MPLS)
- dont le bras armé est l'Armée de libération du
Soudan " (APLS) - du leader historique John Garang, partisan d'un
" Nouveau Soudan " laïc et respectueux des minorités, et
un courant dissident, favorable à la sécession du Sud du pays,
l'
APLS unifié
, dirigé par Riek Machar et Lam Akol. Les
raisons d'une telle sécession sont liées à l'histoire de
la guérilla mais aussi aux divisions tribales. Ecoutons Roland
Marchal
10(
*
)
:
"
Lorsque John Garang prend la direction de la rébellion en
1983, il élimine sans coup férir le courant favorable à la
sécession du Sud et dirige l'APLS en véritable autocrate. Huit
ans plus tard, la crise éclate au sein d'une guérilla affaiblie
puisqu'elle vient de perdre le sanctuaire éthiopien, à la suite
de la chute du président Mengitsu. C'est le moment que choisissent les
contestataires pour s'en prendre à la " dictature " de John
Garang et fonder l'APLS unifié. Le mouvement dissident s'appuie sur une
base ethnique composée essentiellement de Shilluks et de Nuers, tandis
que le courant majoritaire est censé représenter les
intérêts des Dinkas. Il défend la thèse de la
sécession - une revendication qui fait de plus en plus d'adeptes au
delà même des rangs de l'APLS unifié, tant les
désillusions sont grandes vis-à-vis des partis nordistes. La
popularité croissante du discours autonomiste oblige John Garang, en
octobre 1993, à prôner à son tour
l'autodétermination du Sud-Soudan.
"
La scission inaugura une période d'affrontements meurtriers
,
favorable à l'émergence de seigneurs de la guerre, vendus au plus
offrant. Ainsi, après avoir suivi Riek Machar (originaire de la tribu
des Nuers) en 1991, Lam Akol, accusé de collaborer avec Khartoum, fut
chassé de l'APLS unifié en 1994. Il mène depuis une
politique de chef de guerre indépendant, régnant sur le petit
fief de son ethnie, les Shilluk, à l'extrême Nord de l'Etat du
Haut-Nil.
Par ailleurs, isolé par le rapprochement de John Garang et des opposants
nordistes réunis au sein de l'Alliance nationale démocratique
(AND) en juin 1995, Riek Machar créé un nouveau parti, le
Mouvement pour l'Indépendance du Sud-Soudan
(MISS). En avril
1996, il est contraint de signer un accord de paix à Khartoum, devenant
paradoxalement un allié militaire du gouvernement islamiste. En 1997, il
fonde le
Front de Salut National Démocratique et Uni
(FSNDU) et
est nommé Président du Conseil de Coordination des Etats du Sud
et " adjoint " du Président de la République.
Enfin, l'armée gouvernementale a favorisé partout
l'émergence de milices tribales pour diviser la rébellion et
saper sa base civile, à tel point que les luttes de clans et d'ethnies
font probablement plus de victimes que les combats avec l'armée.
Un conflit tribal entre l'influente tribu des Habbaniyah et la tribu des Abou
Dereq dans le Sud-Darfour a ainsi récemment fait plus de 100
morts.
D. UN DÉSASTRE HUMANITAIRE
Les
combats ensanglantent tout le Sud, un territoire de 700 000
kilomètres carrés que l'armée gouvernementale ne
contrôle qu'en partie. Les pistes, seules voies de communication
existantes sont impraticables la moitié de l'année, lors de la
saison des pluies. Aussi, la
famine
touche-t-elle le pays de
façon plus ou moins endémique, en dépit des moyens
humanitaires consacrés par la communauté internationale. Elle
concerne essentiellement les
populations civiles
déplacées
du fait de la guerre qui sont estimées
à 1,5 million de personnes.
Déjà, en 1983, Médecins sans frontières
décrivait la situation du Soudan comme la plus grave et la plus profonde
des crises humanitaires que connaisse la planète. Depuis, la situation
ne s'est pas améliorée.
En 1988, une famine fit plus de 250 000 morts. Les Nations Unies
réagirent en créant l'Opération " ligne de vie pour
le Soudan " ou "
Lifeline Soudan
" (OLS), un consortium
d'une quarantaine d'organisations non gouvernementales (ONG) et d'agences
onusiennes.
Dix ans plus tard, la famine n'a toujours pas été
éradiquée. En 1998, outre des conditions climatiques peu
favorables liées au phénomène d'el Nio, une rupture dans
l'acheminement de l'aide alimentaire est intervenue à la suite des
hostilités déclenchées en janvier dans la région du
Bahr el-Ghazal par le chef rebelle Kerubino qui a rompu la trêve qu'il
avait signée avec le gouvernement. Sa tentative de prendre de
l'intérieur la ville de Wau avec l'appui des forces de l'APLS a
occasionné de nombreux massacres, jeté des milliers de personnes
sur les routes et provoqué une vive réaction de Khartoum qui a
interdit toute opération humanitaire pendant deux mois.
Sous la pression de la communauté internationale, le gouvernement
soudanais a rétabli le 31 mars 1998 les autorisations de vol
humanitaires interrompus pendant les trois premiers mois de l'année. Il
a en outre accepté d'en renforcer le rythme et s'est engagé
à garantir l'accès de l'ensemble du territoire soudanais aux
organisations travaillant dans le cadre de l'OLS. Les secours aux milliers de
personnes déplacées, menacées de famine ont repris, mais
ils ont été toutefois gravement perturbés par la poursuite
des combats.
Par ailleurs, à la suite d'une visite inopinée du
Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, à
Khartoum en mai 1998, le gouvernement soudanais a annoncé l'ouverture de
la région des Monts Nouba, dans le Kordofan méridional, à
l'aide humanitaire.
Malgré ces mesures, la situation a continué à se
détériorer. L'augmentation du taux de mortalité par
malnutrition, constatée mi-juillet dans le Bahr el-Ghazal, la
prolifération de la malaria, de la dysenterie, d'infections
respiratoires et l'état de plus en plus critique dans lequel des
familles arrivent vers les centres où travaillent les organisation non
gouvernementales (ONG) ont fait éclater l'évidence de
détournements systématiques de nourriture au profit des
combattants ou des tribus les mieux implantées sur le lieu des
distributions.
Au plus fort de la famine, au cours du mois de juillet 1998, les organisations
humanitaires faisaient ainsi état de 50 à 70 décès
par jour dans le seul petit village d'Ajiep dans l'Etat du Bahr el-Ghazal.
1.330 personnes sont mortes à Wau, la capitale, au cours du mois
d'août. 55 % des enfants de moins de cinq ans souffraient de
problèmes de malnutrition. La délégation
sénatoriale a d'ailleurs pu prendre la mesure de ce drame à la
périphérie de Khartoum, dans un camp de déplacés
rassemblant des centaines de milliers de Soudanais.
Face à cette situation, un
cessez-le-feu de trois mois a
été décrété
par les deux parties en
conflit
le 15 juillet 1998
, pour permettre l'acheminement de l'aide vers
les populations civiles les plus vulnérables du Bahr el-Ghazal. Il a
permis au Programme alimentaire mondial (PAM) d'organiser le pont aérien
le plus important et le plus coûteux de son histoire (un million de
dollars par jour). 16.400 tonnes de nourriture ont ainsi pu être
délivrées à la population en août grâce
à la mobilisation de 15 avions Hercule, contre 10.300 tonnes en juillet.
Le cessez-le-feu a été prolongé de trois mois par les deux
parties au début du mois d'octobre.
Bien que la situation semble maîtrisée à l'heure où
ce rapport est mis sous presse, la sécurité alimentaire des
habitants du Sud du Soudan n'est pas assurée avant les prochaines
moissons, soit dans plus d'un an (octobre 1999). Or, pour que les terres
puissent être cultivées, il faut que les agriculteurs en disposent
en toute sécurité.
Au total, la communauté internationale se trouve aujourd'hui devant un
dilemme bien difficile à trancher : il va de soi que la perfusion
alimentaire permanente depuis dix ans du Sud Soudan contribue à
perpétuer les luttes entre le Nord et le Sud, et pourtant, le monde ne
peut se permettre de laisser les Soudanais mourir de faim.
Aussi, est-il d'autant plus urgent de trouver une solution politique à
ce conflit dramatique, pour ne pas avoir à en panser les
plaies.
II. UN PAYS ISOLÉ SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE
L'orientation islamiste du régime soudanais, les suspicions pesant à son égard en matière de soutien au terrorisme, la poursuite du conflit du Sud, les violations des droits de l'homme et sa position pro-irakienne lors de la guerre du Golfe ont conduit à un certain isolement du Soudan sur la scène internationale.
A. LES SANCTIONS INTERNATIONALES
L'attentat contre le président égyptien Hosni
Moubarak
à Addis-Abeba le 26 juin 1995 a été l'origine d'une
série de résolutions du Conseil de Sécurité
des Nations Unies :
- La résolution 1044 adoptée à l'unanimité le 30
janvier 1996 a condamné les menées terroristes du régime
et lui a enjoint de livrer trois des auteurs présumés de
l'attentat qui ont trouvé refuge sur son territoire ;
- Faute de réponse satisfaisante, des sanctions à
caractère diplomatique ont été décidées par
la résolution 1054 du 26 avril 1996 (abstention de la Chine et de la
Russie) qui stipule que "
tous les Etats prendront des mesures
pour restreindre l'entrée des membres du gouvernement soudanais et des
membres des forces armées soudanaises sur leur territoire, ainsi que le
transit par ce territoire
". En conséquence, tous les Etats ont
réduit leur personnel diplomatique, et restreint le nombre de visas
délivrés aux personnalités officielles ;
- Enfin, une troisième résolution (1070) votée le 16
août 1996 a décidé d'un embargo aérien contre la
compagnie
Sudan Airways
, en dépit des vives réticences du
résident coordinateur des Nations Unies à Khartoum, qui craignait
qu'un tel embargo ait des conséquences humanitaires dramatiques pour les
populations du Sud-Soudan. Toutefois, le débat au Conseil de
Sécurité sur la mise en oeuvre de l'embargo, engagé depuis
le 22 janvier 1997, s'est enlisé en raison des divergences entre la
France et les Etats-Unis au sujet de la durée et des modalités de
reconduction des sanctions.
B. LA POSITION DES PAYS OCCIDENTAUX
1. Les sanctions américaines
L'implication de Soudanais dans l'attentat du World Trade
Center en
février 1993 a par ailleurs conduit les Etats-Unis à inscrire le
Soudan sur la liste des pays qui soutiennent le terrorisme. Depuis lors,
l'administration américaine cherche à isoler le régime
soudanais et s'appuie pour cela sur les pays voisins. Parallèlement, les
représentants de l'opposition soudanaise ont été
reçus. Washington estime cependant que l'Alliance nationale
démocratique (AND) qui regroupe les principaux partis d'opposition et le
mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS) n'offre pas
d'alternative crédible au régime en place.
Enfin, le Président Clinton a établi un embargo économique
à l'égard du Soudan par un décret du 3 novembre 1997 et
Madame Madeleine Albright, Secrétaire d'Etat, a réaffirmé
le 10 décembre 1997 la détermination des Etats-Unis à
isoler le régime soudanais.
2. Le " dialogue franc " de l'Union européenne
L'Union
européenne a suspendu dès 1990 son aide au développement
en faveur du Soudan au titre des Accords de Lomé et n'accorde plus
qu'une aide humanitaire destinée aux populations civiles victimes du
conflit dans le Sud du pays. Elle a multiplié les démarches pour
condamner les violations des droits de l'homme.
En février 1994, alors que les combats redoublaient dans le Sud du
Soudan, les membres de l'Union européenne décidaient d'engager un
" dialogue franc " avec les autorités soudanaises sur
"
tous les points politiques et humanitaires qui
préoccupent la communauté internationale
". Il
était simultanément décidé de poursuivre les
contacts avec les factions du Sud " dans l'intérêt de la
paix " . Le Conseil de l'Union a enfin décidé le 15
mars 1994 un embargo sur les armes à destination du Soudan.
3. La position " réservée " de la France
D'une
manière générale, les relations entre la France et le
Soudan n'ont jamais été ni très profondes, ni très
nourries, hormis durant une courte période sous le régime du
général Nimeiri (mai 1969, avril 1985).
L'instauration d'un régime islamiste au Soudan après le coup
d'Etat du général el-Béchir le 30 juin 1989 a conduit la
France à adopter une position réservée à
l'égard des nouvelles autorités soudanaises. L'aide publique
française a été suspendue dès après le coup
d'Etat en 1989, seule une aide humanitaire étant maintenue.
Depuis le début de l'année 1994, la position de la France
à l'égard de régime soudanais s'inscrit dans le cadre du
" dialogue franc " européen. La France respecte en outre
l'embargo sur les exportations d'armes.
Enfin, en application de la résolution 1054 des Nations Unies du 26
avril 1996, l'effectif diplomatique de l'Ambassade du Soudan à Paris a
été réduit d'un diplomate (sur huit). La France a,
jusqu'à présent, fait une lecture restrictive de la
résolution et n'a délivré de visas à des membres du
gouvernement soudanais que dans le cadre de réunions internationales se
déroulant à Paris, ou bien dans des cas jugés
exceptionnels (un visa a ainsi été accordé en 1997
à M. Awad el-Jaz, ministre des mines).
La remise du terroriste " Carlos " en août 1994 n'a apparemment
pas modifié les relations franco-soudanaises.
C. LA MÉFIANCE DES VOISINS
Alors
que le renversement en mai 1991 du président Mengitsu en Ethiopie
était de nature à favoriser l'insertion régionale du
Soudan, le prosélytisme islamique soudanais et l'accueil, voire le
soutien, de groupes d'opposition armée régionaux ont conduit
à une dégradation des relations entre le Soudan et ses voisins.
La poursuite du conflit dans le Sud y a également contribué.
Ainsi, l'Ouganda et l'Erythrée, confrontés à des
infiltrations d'opposants islamistes armés, ont rompu leurs relations
diplomatiques avec Khartoum, respectivement en décembre 1994 et en avril
1995. Enfin, le risque de déstabilisation de ces pays, grands amis des
Etats-Unis, a poussé Washington à jouer la carte du MPLS depuis
1994.
Quelques 350 000 réfugiés fuyant la guerre du Sud-Soudan
sont installés dans des camps au nord de l'Ouganda. Depuis le printemps
de 1996, ils sont devenus la cible des rebelles ougandais du West-Nile Bank
Front (musulmans en majorité), nostalgiques du régime d'Idi Amin
Dada, et des millénaristes chrétiens de l'Armée de
résistance du Seigneur (LRA) de Joseph Kony. Ces deux mouvements
seraient soutenus par le gouvernement soudanais qui soupçonne les camps
de réfugiés de servir de bases de soutien aux combattants de
l'APLS. En riposte, le président ougandais, Yoweri Museveni s'est
engagé depuis quatre ans dans un soutien actif à la
rébellion sud-soudanaise. Une offensive de l'APLS, vraisemblablement
appuyée par l'armée ougandaise, a ainsi détruit plusieurs
bases rebelles nord-ougandaises en territoire soudanais en mars 1997.
Aujourd'hui, l'Ouganda réclame comme préalable à toute
normalisation des relations diplomatiques, le retour des jeunes-filles
enlevées par la rébellion nord-ougandaise et détenues au
Soudan.
Par ailleurs, en réponse au soutien dont bénéficieraient
les groupes de rébellion érythréens installés au
Soudan (Djihad érythréen, Front de libération de
l'Erythrée...), Asmara a accueilli l'Alliance Nationale
Démocratique (AND), opposition soudanaise nordiste de l'extérieur
alliée au MPLS de John Garang. La tension entre les deux pays s'est
sensiblement accrue au cours de l'année 1996, notamment avec l'ouverture
d'un front le long de la frontière commune par les forces de l'AND.
300 000 réfugiés érythréens
résideraient toujours sur le territoire soudanais.
Au total, la rupture des relations du Soudan avec l'Erythrée et
l'Ouganda s'est traduite par la constitution, avec l'appui des Etats-Unis,
d'une ligne de front contre le régime islamiste de Khartoum, ainsi que
par la dimension régionale accrue du conflit sud-soudanais.
Avec l'Ethiopie, les relations bilatérales sont tendues en raison des
soupçons portés par Addis Abeba sur un soutien du régime
de Khartoum aux mouvements islamistes éthiopiens. L'attentat contre le
Président égyptien Hosni Moubarak à Addis Abeba le 26 juin
1996, en marge du sommet de l'OUA, a conduit l'Ethiopie à saisir l'OUA,
puis le Conseil de Sécurité des Nations Unies (10 janvier 1996,
adoption de sanctions en avril 1996). Ces relations ont connu de nouveaux
développements avec l'appui discret accordé par l'Ethiopie
à l'opposition extérieure soudanaise (AND) et en particulier
à la rébellion du Sud : incursion le 12 janvier 1997 en
territoire soudanais à partir de l'Ethiopie. Pour autant, le dialogue
n'a jamais été rompu. Le rapatriement volontaire des
réfugiés éthiopiens au Soudan devrait s'achever cette
année (30 000 selon le HCR).
L'attentat contre le président Moubarak a également ravivé
les tensions entre le Soudan et l'Egypte, tensions alimentées par un
litige frontalier
11(
*
)
et par le soutien
soudanais présumé du mouvement islamiste égyptien, la
Jama'a Islamiyya. Toutefois, l'interdépendance des deux pays
(communauté soudanaise installée en Egypte estimée
à deux millions de personnes, contrôle des eaux du Nil) conduit
les autorités égyptiennes, très attachées au
maintien de l'unité du Soudan, à ménager
Khartoum.
CHAPITRE II
UN RÉGIME CRITIQUABLE QU'IL NE
FAUDRAIT POURTANT PAS ACCABLER DE TOUS LES MAUX
Deux
éléments sont incontournables lorsque l'on tente de comprendre
l'histoire du Soudan : la superficie du pays (2,5 millions de
km
2
, soit cinq fois la France, ce qui en fait le plus grand pays
d'Afrique et du monde arabe), et la très grande diversité de ses
trente millions d'habitants : la population aux quatre cinquièmes
rurale est en effet divisée en 583 tribus qui parlent plus de 280
dialectes et embrassent des religions et des coutumes différentes.
Dans ce cadre, le problème majeur auquel se heurte l'unité
nationale est celui du Sud du pays (650 000 km
2
, 8
à 10 millions d'habitants).
Entre 1972 et 1983, sous le gouvernement du général Nimeiri, le
Soudan a tenté une expérience de large autonomie avec
dévolution de pouvoirs législatifs et exécutifs à
la région Sud. Puis, en 1983, Nimeiri prit des décisions
défavorables au sud, ce qui conduisit à une reprise de la guerre
(voir supra), le MPLS de John Garang demandant désormais l'instauration
d'un système laïque et fédéral pour l'ensemble du
pays, seul garant à ses yeux de l'égalité de tous les
citoyens soudanais. L'incapacité du gouvernement central à mettre
un terme à ce conflit est l'une des causes majeures du coup d'Etat du 30
juin 1989, et c'est en prétendant réussir là où un
gouvernement élu démocratiquement avait échoué que
le nouveau régime espérait conquérir sa
légitimité
12(
*
)
.
Le système politique mis en place par la Révolution de salut
national du 30 juin 1989 repose sur trois piliers : l'adoption de la
sharia, le système fédéral et la " démocratie
populaire participative ". L'ensemble de ce dispositif a été
mis en place par la "
Comprehensive National Strategy
", entre
1992 et 1995, à travers la création des congrès de base,
des congrès d'Etat régional, puis celle du Congrès
national, parallèle à l'élection du Parlement et du
président de la République.
Or, derrière l'apparence " populaire " et démocratique
d'un système pyramidal censé impliquer l'ensemble de la
population dans le processus révolutionnaire en cours, l'analyse du
fonctionnement réel des institutions montre au contraire un renforcement
de la mainmise du pouvoir central sur la société soudanaise.
La mise en place du régime islamiste et la poursuite de la guerre ont eu
pour conséquence une aggravation des répressions
policières et militaires. Outre les exactions commises à
l'endroit des membres de l'opposition, il semble qu'un certain nombre de
milices de défense populaires, dont la constitution a été
institutionnalisée par le gouvernement, aient échappé
à son contrôle et se soient livrées à des
excès unanimement condamnés.
Pourtant, il serait injuste d'accabler les autorités soudanaises de maux
dont elles ne sont pas directement coupables. Ainsi, les accusations de soutien
au terrorisme ou à l'esclavage semblent participer davantage d'une
volonté de discréditer le gouvernement que d'une politique
délibérée de ce dernier.
Au total, s'il convient de rester lucide et méfiant à
l'égard d'un pouvoir qui se maintient essentiellement par la force et la
contrainte, il ne faut pas pour autant tomber dans l'excès inverse
consistant à dénigrer systématiquement la moindre
velléité d'assouplissement du régime de
Khartoum.
I. LA VOLONTÉ DE TRANSFORMATION RADICALE DE LA SOCIÉTÉ S'EST TRADUITE PAR UNE MAIMISE DU POUVOIR ISLAMIQUE SUR LA SOCIÉTÉ SOUDANAISE
Le coup d'Etat de 1989 peut apparaître comme une révolution, moins à cause de la rhétorique, assez peu originale, de ses leaders pour légitimer leur prise de pouvoir, qu'à cause de la volonté du régime de conduire d'une main de fer, dans tout le pays, tout un ensemble de transformations. Mais il ne faut pas oublier que ce coup est d'abord l'aboutissement d'une logique militaire, et non d'un mouvement social.
A. LES OBJECTIFS DE LA RÉVOLUTION DE SALUT NATIONAL
1. Un système qui se veut fédéral
Dans le
prolongement de la tentative assez poussée de dévolution de
pouvoirs aux provinces entreprise par le régime du maréchal
Nimeiri à partir de 1980, l'expérience de
fédéralisme entreprise par le régime issu du coup d'Etat
de 1989 est présentée comme visant à mieux répartir
le pouvoir et les richesses, à permettre l'expression de la
diversité culturelle du pays, à impulser le développement
et à résoudre la question des rapports entre la religion et
l'Etat.
La mise en place du projet fédéral devait, selon la
"
Compréhensive National Strategy 1992-2002
", se
dérouler en deux étapes. Dans une première étape
(1993-1994), était prévue la mise en place des différents
rouages du système :
Au niveau fédéral, l'Assemblée nationale transitoire,
composée de 300 membres nommés et l'exécutif :
président de la République et ministères de
souveraineté (Défense, Sécurité, Politique
étrangère, ministère de la Justice, ministères
économiques et de services publics) ;
Au niveau fédéré, trois étages :
- la
wilaya
(c'est-à-dire l'ex-région devenue Etat
fédéré), avec un organe " judiciaire ", en fait
pseudo-législatif (le Conseil wilayal), et un organe exécutif
(
wali
et gouvernement wilayal) ;
- la
province
, avec un gouverneur et un Conseil provincial. Le
gouverneur exécute des missions qui lui sont confiées par le
pouvoir central, comme la mobilisation populaire, et a un rôle de
coordination qui lui est imparti par la loi sur le gouvernement local ;
- le
niveau local
représente le " point central de la
participation populaire au pouvoir " ; il doit " augmenter
l'efficacité de la société ainsi que son
indépendance à l'égard du pouvoir politique ". Il
représente aussi la base du gouvernement local avec des organes tels que
les conseils municipaux et les conseils ruraux.
La seconde étape (1995-1999) doit renforcer les structures et les
ressource matérielles et humaines :
- au niveau fédéral : déconcentration des
activités des ministères, appui aux projets d'envergure
nationale, coordination entre les
wilayas
pour éviter des
écarts trop grands et renforcer la cohésion nationale ;
- au niveau wilayal : développement de l'autonomie
financière des
wilayas
, par l'impôt,
l'investissement... ;
- au niveau local : développement des recettes par des dotations
des
wilayas
, développement des infrastructures, gestion des
marchés agricoles locaux, création d'une banque du
développement local à prêts bonifiés.
Le 4
e
décret constitutionnel du 4 février 1991 a
divisé le Soudan en 9 Etats fédérés qui reprennent
les contours des anciennes provinces
13(
*
)
qui
ont eux-mêmes été divisés en 65 provinces.
Puis, en 1994, le 10
e
décret constitutionnel a
accentué le mouvement de redécoupage du pays, en créant 26
Etats (voir carte). Il s'agissait officiellement d'approfondir le processus de
décentralisation et de parvenir à une
" revitalisation " radicale de la société, grâce
à la " choura
14(
*
)
" qui
nécessite un contact direct avec le peuple.
Chaque Etat est doté d'un budget et d'une personnalité juridique
propre. Les nouveaux Etats ont à peu près le même statut et
les mêmes attributions que celles accordées aux régions par
le
Regional Development Act
de 1980, c'est-à-dire
compétence en matière de planification et de
développement, de fiscalité, de commerce, de petite industrie,
d'agriculture, d'habitat, de tourisme, d'adduction d'eau, de santé,
d'éducation, de gouvernement local, de communications et de transports,
de protection de l'environnement.
Outre les recettes fiscales provenant d'un certain nombre de taxes locales
(taxes sur les animaux, dîme sur les récoltes, taxes
foncières, taxes des terres riveraines du Nil, taxes sur les
palmiers...), des subventions fédérales, l'impôt sur les
bénéfices des sociétés, les emprunts, les taxes et
les amendes locales, et l'autosuffisance, les Etats
fédérés bénéficient en principe de la
redistribution de 20 % des ressources fédérales.
Les
organes dirigeants
(gouverneur ou
wali
, gouverneur-adjoint et
ministres) sont tous
nommés par le pouvoir central et non
élus
par le peuple. Ainsi, les responsables des 65 provinces sont
pratiquement systématiquement des islamistes. Les ministres de la
wilaya
et le gouverneur sont responsables devant le Président de
la République et devant l'Assemblée fédérée
de la
wilaya
.
Cette absence d'autonomie des instances régionales est un
sérieux obstacle à l'édification d'un authentique
fédéralisme.
L'Assemblée fédérée de chaque
wilaya
est
chargée de la
choura
(conseiller l'exécutif) et des
fonctions législatives. Les députés sont en nombre
égal, élus au niveau de l'Etat, ou promus des échelons
inférieurs, provinciaux ou locaux, où se tiennent des
conférences censées représenter les " masses ",
tandis qu'un reliquat est nommé directement par le chef de l'Etat. Ils
s'engagent à travailler sans aucune attache partisane. La durée
des législatures est de deux ans et peut être étendue de la
même durée par un simple décret républicain, pris
par le chef de l'Etat.
2. Un Islam prétendument moderniste et fédérateur
Le
discours du pouvoir met l'accent sur une nouvelle identité soudanaise,
visant à une intégration nationale informée par l'islam.
Ce projet dessine les contours d'une réforme radicale de l'individu par
une pratique religieuse rénovée.
Pour Hassan al-Tourabi, l'islam au Soudan n'est pas un mouvement uniquement
culturel, c'est aussi un mouvement intellectuel, qui tend à renouveler
l'expression des valeurs islamiques pour traiter les problèmes
contemporains. Il s'agit d'un islam qui s'affirme moderniste, ouvert à
l'économie de marché et cherchant à unifier le pays au
delà des différences ethniques, tribales et culturelles. Il se
bat contre la corruption politique et pour une certaine moralité mais
sans objectif expansionniste. Hassan al-Tourabi se dit partisan d'une
"
évolution vers l'islam plutôt que d'une
révolution pour l'islam
", car selon lui "
imposer
l'islam par la force, ce n'est pas gagner les coeurs. Il lui faut une
évolution sincère et graduelle, basée sur la conviction de
la société
". Ce qui n'empêche pas les Musulmans
d'utiliser la force pour se défendre.
3. La démocratie populaire participative, mythe ou réalité ?
Il y a
dans le régime islamiste soudanais une volonté radicale de
transformation qui ne s'applique pas seulement à l'individu mais
également à la société politique. Un des acquis de
la Révolution de salut national de 1989 est ainsi le système des
" congrès populaires " qui sont censés favoriser
l'émergence de la véritable démocratie : une
démocratie qui ne serait pas biaisée par l'intermédiation
de représentants nationaux animés par leur seule ambition et
leurs seuls intérêts. L'idée de l'autonomie des masses par
rapport à l'Etat cherche à traduire une conception islamique du
fonctionnement social, où l'Etat ne serait qu'un " mal
nécessaire ", la communauté des croyants devant trouver en
elle-même le consensus qui lui permettra d'avancer dans la
" quête du bien et le pourchas du mal "
15(
*
)
.
La lutte pour le pouvoir doit ainsi être remplacée par la
mobilisation de tous contre le sous-développement. Cela doit se faire
par un système remontant de la base : le peuple est censé
s'exprimer dans les conférences populaires, qui ont un rôle
politique, prenant des décisions et donnant l'orientation
générale de l'Etat. Ces conférences sont ouvertes à
tous, au niveau du quartier, du village, du campement ; le débat y
est libre, sur tous les problèmes, y compris la politique
générale de l'Etat, et sur les affaires politico-administratives
locales.
Parallèlement, le pouvoir législatif et exécutif est
détenu par des conseils (ou comités) populaires, qui constituent
le gouvernement au niveau local, et qui exécutent les décisions
prises par les conférences populaires de base. Les Assemblées des
Etats fédérés sont elles aussi l'émanation, en
deuxième instance, de ces conférences populaires de base.
Quant au Parlement, il est élu par une Conférence nationale
formée de délégués promus d'une conférence
populaire au niveau des 26 Etats, de représentants des quatre secteurs
importants de la société et de quatre autres (la défense
et la sécurité, l'administration, la diplomatie et la justice),
10 % étant nommés par le chef de l'Etat.
B. LA MAINMISE DU POUVOIR SUR LA SOCIÉTÉ SOUDANAISE
1. La prise du pouvoir par le Front Islamique National (FNI)
Bien
qu'Hassan al-Tourabi rappelle systématiquement à ses
interlocuteurs qu'il est retiré de la vie politique et que son ancien
parti, le Front Islamique National
16(
*
)
(FNI) a
été, comme tous les autres partis, dissous en 1989, l'emprise du
Front National islamique sur le gouvernement et sur la société
soudanaise est avérée.
En effet, si, à l'été 1989, la mise en place d'un Conseil
de commandement révolutionnaire (CCR) a laissé croire à un
coup d'Etat militaire, la réalité semble plus complexe
17(
*
)
: il apparaît qu'en dépit de
l'implication de certains secteurs de l'armée dans le nouveau
régime, plusieurs responsables du FNI, dirigé à
l'époque par Hassan al-Tourabi, aient joué, dès le
début, un rôle essentiel, quoique discret, dans le gouvernement.
Discrédité comme tous les partis politiques du fait de sa
participation au gouvernement du maréchal Nimeiri (1979-1985), puis
à celui de Sadeq el-Mahdi (mai 1988) le FNI ne souhaitait en effet pas
prendre le risque d'agir à visage découvert et s'est servi d'une
armée plus populaire dont il s'était rapproché les
dernières années. Toutefois, en octobre 1993, le
démantèlement du CCR a révélé la mainmise du
pouvoir islamiste sur l'Etat après que le FNI eut purgé
l'armée et ses forces de sécurité et pris le
contrôle de l'appareil d'Etat. Dès le coup d'Etat, le FNI avait
d'ailleurs créé un Conseil des " quarante " dont Hassan
al-Tourabi avait pris la tête et qui détenait la
réalité du pouvoir.
Visionnaire, Gérard Prunier écrivait en 1989 : "
Si
l'on voit le recrutement bourgeois, petit-bourgeois et sous-prolétaire
du parti (sociologiquement très semblable à celui des partis
fascistes dans l'Europe de l'entre-deux-guerres), il faut s'attendre à
un régime autoritaire politiquement, totalitaire idéologiquement
et libéral économiquement. Un tel assemblage est-il viable dans
un Soudan post bellum ? Nul ne le sait. Mais il semble souvent qu'Hassan
al-Tourabi et ses amis désirent avant tout l'exercice du pouvoir et
qu'en fait son contenu importe peut-être moins qu'une forme permettant de
le symboliser, et peut-être de le pérenniser
. "
18(
*
)
2. Le contrôle progressif de la société
Selon
Marc Lavergne
19(
*
)
, la décentralisation
instituée par le gouvernement du général el-Bechir a en
fait permis, sous couvert de fédéralisme, de
"
contrôler la population au plus près, tout en
multipliant les postes et les prébendes, en donnant satisfaction
à des chefs locaux traditionnels, et en favorisant l'émergence de
petits centres ruraux, au détriment des capitales régionales
remuantes et hostiles à l'ordre nouveau
". Chaque ministre
d'Etat fédéré reçoit ainsi une ou deux voitures de
fonction, dont une tout terrain japonaise à 30 000 dollars, une
maison de fonction...
La redivision de 1994 a en réalité repris, en les accentuant,
certaines des initiatives de Nimeiri (kokora) avec la même intention de
" diviser pour régner
20(
*
)
".
Pour Marc Lavergne, l'expérience tant du fédéralisme que
du gouvernement local " apparaît comme une vaste tentative de
camouflage de deux préoccupations contradictoires :
- d'une part, un quadrillage autoritaire du pays, grâce à un
maillage fin de relais du haut vers le bas (la mobilisation des masses, mise en
oeuvre par un ministère de la planification sociale, longtemps tenu par
Ali Osman Taha, le n° 2 du FNI), l'impulsion du haut vers le bas et
le doublement de l'administration par la structure clandestine du Front
national islamique (...) ;
- d'autre part, la logique ultralibérale du régime, partisan du
désengagement de l'Etat de l'économie, même s'il met en
avant la justification religieuse de l'autonomie des masses au sein de la
Communauté des croyants pour expliquer cette défiance profonde du
courant tourabiste à l'égard de l'Etat. On peut parler à
cet égard d'un véritable " reaganisme islamique ", qui
laisse le champ libre aux affairistes liés au régime, mais a des
conséquences dramatiques pour la majorité de la population. "
L'instauration de l'état d'urgence a permis la suspension du
régime parlementaire avec toutes les mesures liberticides qui
l'accompagnent : suspension de la Constitution, des partis politiques, des
syndicats et des libertés fondamentales (presse, droit de réunion
et d'association).
Puis, l'armée a été restructurée au lendemain d'une
tentative de putsch en 1990. Une cinquantaine de généraux ont
été mis à la retraite, la moitié des officiers a
été éliminée et ceux considérés comme
non fiables ont été envoyés dans le Sud.
Enfin, une milice armée, les Forces de défense populaires, a
été institutionnalisée par la loi sur la défense
populaire d'octobre 1989. Sur le modèle iranien, elle est
composée de 100 000 membres environ mais ne dispose par d'une
réelle capacité de combat, à l'exception de quelques
unités d'élite. Selon des experts soudanais, l'armée de
Khartoum est composée à 80 % de milices fidèles aux
islamistes, ce qui limite sensiblement le risque d'un coup d'Etat militaire.
Lorsqu'on critique le caractère fort peu démocratique du
régime qu'il inspire, Hassan al-Tourabi, volontiers cynique rappelle que
l'islam est une des religions les plus démocratiques qui soit
puisqu'à la différence de la religion catholique, où la
relation entre Dieu et les hommes est intermédiée, l'Islam n'a
pas de clergé, ce qui favorise le dialogue direct de la
communauté des croyants avec Dieu et évite la confiscation du
pouvoir par les écclésiastes...
3. Un secteur économique islamiste
L'émergence d'un secteur économique islamiste est
liée à la rencontre d'une offre et d'une demande
21(
*
)
. En effet, le boom pétrolier de 1973-1974 fut
à l'origine d'une grande disponibilité de pétrodollars
à une époque où le Soudan se convertit au
libéralisme, après l'échec de l'expérience
d'économie dirigée sous le régime de Nimeiri (1971-1976).
Un deuxième plan (1977-1983) chercha ainsi à attirer les
investisseurs étrangers, et surtout les banques islamistes et les
sociétés d'investissement (SII). Les pays producteurs de
pétrole voulurent faire du Soudan le " grenier du monde
arabe " avec le concours des capitaux arabes et de la technologie
occidentale.
A la suite de la politique de Réconciliation nationale menée par
Nimeiri en 1977, un grand nombre de Soudanais qui avaient émigré
dans les pays du Golfe au cours des années 60 et qui occupaient des
postes de cadres dans de nombreuses entreprises ou administrations proche et
moyen-orientales, fournirent une base de sympathisants prêts à
contribuer financièrement ou à servir d'intermédiaire avec
des hommes d'affaires islamistes.
C'est ainsi que virent le jour la Banque islamique Fayçal
22(
*
)
(BIF) en 1978, première banque commerciale
islamique, suivie en 1983 de la création de la banque islamique El
Tadamoun. En 1988, le secteur bancaire comptait 7 banques islamiques. Dans le
domaine de l'investissement, la société islamique de
développement fut créée en 1983 avec un capital
théorique d'un milliard de dollars, dont 40 % devaient être
apportés par des Soudanais.
Aujourd'hui, le libéralisme économique est la politique
économique officielle des autorités de Khartoum, adoptée
lors de la conférence économique de janvier 1990, qui a
donné naissance au Code de promotion de l'investissement de 1990. Mais
avant même son accession au pouvoir, le FNI avait investi le champ des
activités économiques, profitant des nouvelles dispositions
bancaires de 1983 pour créer de nouvelles banques islamiques.
En investissant tous les secteurs économiques, et en particulier le
secteur financier et commercial, le FNI cherche à substituer à la
bourgeoisie traditionnelle une "
nouvelle élite
économique islamiste
". L'objectif initial est tout à
fait louable : il s'agit d'offrir une chance d'ascension sociale aux
jeunes diplômés "
ne disposant pas de l'entourage social
nécessaire pour se lancer seuls dans les affaires
". En outre,
il s'agit de prouver que l'économie islamique peut-être une
alternative aux expériences capitalistes et socialistes.
Cependant, comme l'écrit Einas Ahmed, "
la propension de ces
nouveaux acteurs économiques à intervenir par la
spéculation financière et immobilière et la recherche de
gains rapides au détriment de l'investissement à long terme dans
le secteur productif pose la question du rôle du secteur islamique
privé dans le développement de l'économie
soudanaise
".
En effet, la pratique des banques islamiques et des SSI a eu tendance à
se concentrer sur des opérations de spéculation très
rentables à très court terme, selon les principes de la
murabaha
par laquelle la banque achète des marchandises pour le
compte du client afin de lui revendre à un prix
prédéterminé. Le caractère islamique d'un tel
contrat est d'ailleurs douteux car le taux de bénéfice est
prédéterminé, ce qui peut l'assimiler à
l'intérêt qui est interdit par le droit musulman.
Ces opérations ont été réalisées grâce
aux privilèges fiscaux sans équivalent accordés par le
gouvernement soudanais. En outre, la nouvelle bourgeoisie favorisée par
l'Etat islamiste a accès aux pratiques plus traditionnelles comme
l'octroi de marchés captifs garantis par l'Etat.
En contrepartie, le secteur économique islamique subventionne le
mouvement islamiste. La bienveillance de l'Etat lui est acquise non seulement
en raison des rapports symbiotiques entre l'élite politique et le monde
des affaires, mais aussi grâce aux dons sous forme de
zakat
à certaines organisations non gouvernementales (ONG) et associations,
satellites du régime militaro-islamiste. Les unes offrent des emplois
à des jeunes désoeuvrés, susceptibles de constituer une
clientèle (Fondation pour la jeunesse...), d'autres se placent en
parallèle et en concurrence avec les administrations et les institutions
nationales (la Fondation pour la paix et l'amitié entre les peuples pour
ce qui est de la diplomatie ; la Fondation des martyrs pour
l'armée), ou servent de relais aux actions de prosélytisme et de
promotion du modèle islamique à l'intérieur comme à
l'extérieur du pays (la
Da'wa Islamiyya
, l'
Islamic Africain
Relief Agency
).
Parallèlement, une politique de discrimination à l'égard
de la bourgeoisie traditionnelle et des petits commerçants est
pratiquée (une double imposition, les impôts classiques et la
zakat
), et se traduit par le refus de délivrance des licences
d'import/export et la confiscation des biens, notamment au profit des
organisations islamiques comme l'Organisation des jeunes du parti. Les grandes
familles qui dominaient le marché l'ont quitté et de nouveaux
noms liés au FNI sont apparus.
Dans sa pétition ouverte au Président Omar el-Beshir et au Dr
Hassan al-Tourabi du 1
er
février 1997, Abel Alier, ancien
vice-président de la République et ancien Président du
Haut-Conseil exécutif du Sud, écrit ainsi :
"
Les petits commerçants du Sud Soudan ont été
chassés du marché et ont été remplacés par
ceux du gouvernement. Ce groupe de citoyens a maintenant été
réduit à la banqueroute, à la misère et à la
pauvreté ; quelques membres d'une communauté non
négligeable qui, il y a sept ans étaient des commerçants
prospères dans le Nord du Soudan, gisent en prison, du fait des
impôts exagérés et de pratiques injustes et
discriminatoires de la part du gouvernement favorisant certains
individus
. "
C. EN DÉPIT D'UN DISCOURS TOLÉRANT, LE SORT RÉSERVÉ AUX CHRÉTIENS RESTE AMBIGU
Les
statistiques sur la population chrétienne du Soudan varient selon les
sources.
Ainsi, selon les chiffres fournis par l'ambassade du Soudan à
Paris
23(
*
)
, les Chrétiens constitueraient
5 % de l'ensemble de la population soudanaise et 17 % de la
population du Sud-Soudan (65 % d'animistes et 18 % de Musulmans).
Le Conseil des Eglises du Soudan évalue, quant à lui, à
13 % le pourcentage des Chrétiens dans l'ensemble du pays et
à 43,3 % dans le Sud (48,7 % d'Animistes et 8 % de
Musulmans).
Outre son soutien présumé au terrorisme et ses pratiques
liberticides à l'encontre des opposants politiques, les conversions
forcées de non-musulmans à l'islam et les mauvais traitements
réservés aux Chrétiens et aux Animistes sont à
l'origine de l'exécrable réputation internationale du Soudan. Or,
s'il convient de nuancer les accusations portées contre le régime
au pouvoir, on constate toutefois un décalage entre un discours officiel
emprunt de tolérance et la réalité de la situation des
Chrétiens sur le terrain.
1. Un discours tolérant
Il est
difficile de croire, en voyant le cheikh Hassan al-Tourabi,
soupçonné d'être le maître à penser de la
classe dirigeante soudanaise et le fomentateur du coup d'Etat de 1989, que ce
sexagénaire souriant, policé et d'allure délicate est le
responsable des répressions terribles et des violations des droits de
l'homme dont le Soudan est accusé. Docteur en droit et en lettres de
l'Université de la Sorbonne, diplôme d'Oxford, ancien ministre de
la Justice et des Affaires étrangères, ancien doyen de la
faculté de droit de Khartoum, l'actuel Président de
l'Assemblée Nationale cherche visiblement à séduire
ses interlocuteurs.
Ses propos sont modérés et argumentés. Pour justifier
l'interdiction des partis politiques, il invoque la perte d'énergie
résultant des alternances : selon lui, les régimes
démocratiques remettent en cause, à chaque alternance, le travail
de leurs prédécesseurs, et épuisent donc les
énergies des pays qui, comme le Soudan, ont pour priorité la
sortie du sous-développement.
Il observe cependant que l'Assemblée Nationale soudanaise
24(
*
)
possède des représentants de toutes
origines ethniques, tribales et confessionnelles : 78
députés sont en effet issus des Etats du Sud, dont 43
Chrétiens (soit 10 % des députés). Il fait valoir que
les femmes comptent 21 représentantes sur 400 députés
(soit 5 %) et que leur représentation est garantie par un quota de
sièges.
On compte par ailleurs un certain nombre de Chrétiens parmi les
autorités politiques du pays : ainsi, outre le
vice-président de la République et un des deux
vice-présidents du Parlement, six ministres et secrétaires
d'Etat, quarante-deux ministres fédéraux, quarante membres du
Parlement, sept ambassadeurs et quinze préfets sont chrétiens, ce
qui contrebalance l'idée couramment répandue d'une islamisation
à outrance de la société soudanaise. Le ministre d'Etat
aux relations extérieures, Mgr Gabriel Roreig, d'origine dinka, est
ainsi cardinal de l'Eglise Episcopalienne soudanaise.
Puisse Hassan al-Tourabi être donc sincère lorsqu'il affirme :
" Nous sommes en faveur de la renaissance de la libre-pensée,
modérée et tolérante à l'égard de toutes les
confessions. Nous prônons un modèle économique
libéral et social. "
2. Une situation contrastée
S'il est
vrai que les lois islamiques établies en septembre 1983 constituent un
des foyers de tension entre le gouvernement et la rébellion sudiste, il
faut toutefois préciser qu'elles ne sont pas la cause directe de la
reprise de la guerre civile puisque cette dernière a
éclaté en mai 1983, soit cinq mois avant l'établissement
des lois islamiques. En outre, Gérard Prunier
25(
*
)
observe que ces lois ont été
"
conçues pour couper l'herbe sous le pied des mouvements
islamiques au Soudan
", et relève le "
caractère
laïquement autoritaire (répression des délits d'opinion, des
droits syndicaux, etc.) et fort peu canonique de textes qui seront d'ailleurs
utilisés contre les Frères musulmans eux-mêmes dans les
derniers jours du régime
".
En outre, il convient de noter que la loi islamique n'est pas appliquée
au Sud où vivent également de nombreux Musulmans. En effet, si le
système fédéral adopté par le Soudan à
l'issue de la Conférence du dialogue national sur la paix qui s'est
tenue du 9 septembre au 21 octobre 1989, impose la sharia comme source de leur
législation aux états majoritairement peuplés de
Musulmans, il laisse aux états à majorité
chrétienne ou animiste le choix de leur source de législation.
Le nonce apostolique de Khartoum, Monseigneur Marco Dino Brogi, que la
délégation sénatoriale a rencontré, reconnaît
lui-même que les Chrétiens sont protégés et que
leurs droits sont garantis. Il observe par ailleurs que le discours faisant du
régime de Khartoum un Etat oppresseur est exagéré et que
si l'arrestation de l'archevêque de Khartoum au mois de mai 1998
était une erreur politique deux jours avant la conférence de paix
de Nairobi, elle s'est avérée de très courte durée
et dénuée de tout lien avec la fonction religieuse de
l'archevêque.
Enfin, les Chrétiens disposent d'écoles privées et les
enfants chrétiens qui sont dans les écoles publiques sont
dispensés des cours d'éducation islamique. Le gouvernement
s'engage à leur fournir des enseignants pour assurer leur
éducation chrétienne. Un programme religieux est assuré
chaque dimanche (jour ouvrable au Soudan) dans les médias publics pour
les Chrétiens qui sont autorisés à s'absenter pour prier.
Les fêtes religieuses chrétiennes sont des jours
fériés.
Il faut toutefois regretter un certain nombre de pratiques et d'obstructions
qui rendent difficile la pratique de la religion chrétienne et
maintiennent la communauté non-musulmane du Soudan dans une position
d'infériorité par rapport aux musulmans. Ainsi, en dépit
des dénégations des autorités soudanaises, il semble que
les lieux de culte chrétiens
26(
*
)
figurent plus facilement que les lieux de culte musulmans sur les sites
destinés à être détruits en vertu de la
planification urbaine. Par ailleurs, bien que les autorités centrales de
l'Etat accordent parfois l'autorisation de construire des Eglises et de
nouveaux lieux de culte, il semble que les instructions ne soient pas
respectées par les autorités subalternes, à tel point que
l'Eglise ne demande plus de permis de construction.
Par ailleurs, les relations entre les Chrétiens et le régime de
Khartoum sont empreintes d'une grande méfiance. La population vit en
particulier dans la crainte des forces de sécurité qui ne
semblent pas totalement contrôlées par le gouvernement. Il semble
enfin qu'il y ait un phénomène d'insubordination chronique de la
part des autorités locales.
II. DES ACCUSATIONS À PRENDRE AVEC PRUDENCE
Le
Soudan est un pays en guerre et comme tel, connaît à la fois une
répression policière et une crise alimentaire. Ainsi, les
diverses violations des droits de l'homme (exactions policières,
arrestations sans jugement, déplacements forcés, torture,
traitements dégradants...) sont des faits avérés et
dénoncés depuis 1994 par le rapporteur spécial de la
Commission des droits de l'homme des Nations Unies, M. Gaspar Biro. De
même, il semblerait que la vague d'attentats qui a secoué Khartoum
après le passage de la délégation sénatoriale en
juin 1998 et qui a servi de prétexte à l'arrestation d'un certain
nombre d'opposants au régime, ait été
délibérément orchestrée par les autorités
soudanaises pour accroître la surveillance policière.
Toutefois, il ne faudrait pas prêter au régime de Khartoum plus
qu'il n'en fait réellement. Les accusations de soutien au terrorisme ou
à l'esclavage dont le Soudan est l'objet sont symptomatiques de cette
exagération dont la presse occidentale, et notamment anglo-saxonne, se
fait le vecteur.
Par ailleurs, contrairement à sa réputation, le régime de
Khartoum semble aujourd'hui faire preuve de tolérance à
l'égard des minorités chrétienne et animiste, même
si l'on est loin d'une situation idyllique.
A. LE SOUDAN SEMBLE SE MONTRER DÉSORMAIS DISPOSÉ À LUTTER CONTRE LE TERRORISME
Depuis
1989, et surtout 1991, Khartoum pâtit d'une réputation sulfureuse
qui n'est sans doute pas totalement usurpée. Le régime islamiste
en place est en effet accusé, non seulement d'abriter, mais de soutenir
logistiquement et d'aider financièrement les groupuscules terroristes
(Hezbollah, Hamas, Jihad islamique palestinien...) qui frappent jusqu'au coeur
des Etats-Unis.
Le soutien présumé de Khartoum aux Groupes islamiques
armés (GIA) est ainsi à l'origine d'un gel des relations entre le
Soudan et l'Algérie depuis 1993, Alger accusant le régime d'Omar
el-Béchir d'avoir mis à la disposition des GIA plusieurs camps
d'entraînement, notamment dans la banlieue de la capitale, qui abritait
à elle seule près de cinq cents " Afghans ". Un agent
de la Direction de la recherche et de la sécurité
algérienne qui est parvenu à infiltrer les Afghans, a permis
d'évaluer à mille cinq cents le nombre d'Algériens
présents dans les camps et de les localiser à Markhiate, dans la
banlieue de Khartoum et dans la province de Damazine, principal pôle
industriel du Soudan. Les précieux renseignements que cet agent à
recueilli ont en particulier permis aux services algériens d'annihiler
plusieurs tentatives d'intrusion d'islamistes dans le Sud algérien et de
démanteler des réseaux chargés de réceptionner les
armes provenant de divers trafics.
Les autorités affirment aujourd'hui que le " refuge " d'un
certain nombre de terroristes au Soudan était la conséquence
d'une
politique d'immigration plus souple qu'ailleurs
(les
ressortissants de pays arabes n'avaient pas besoin de visas) à laquelle
elles ont désormais mis un terme.
Ainsi, après la tentative d'assassinat de Hassan al-Tourabi en janvier
1994, à Khartoum, 14 Algériens soupçonnés d'avoir
été impliqués dans l'attentat ont été
extradés vers l'Algérie. En août 1994, le gouvernement
soudanais a livré Illich Ramirez Sanchez, alias Carlos, à la DST
française.
Depuis 1996, le gouvernement soudanais affiche sa volonté de ne plus
accueillir de membres de mouvements radicaux islamistes et a annoncé
différentes mesures pour contrôler leurs activités et
réduire leur nombre (obligation de visa pour les ressortissants de pays
arabes, enregistrement des militants de mouvements d'opposition
étrangers, fermeture de bureaux de représentation).
Le richissime homme d'affaires saoudien, Oussama ben Laden
27(
*
)
, que la rumeur soupçonnait de financer les
vétérans des maquis afghans, a ainsi été
invité à quitter le pays avec sa garde prétorienne. Son
départ constituait un impératif avant toute possibilité
d'amélioration des relations du Soudan avec l'Arabie saoudite. Ceux qui
choisissent de rester au Soudan sont cantonnés dans leur casernement et
ne peuvent en sortir que la nuit.
Plus encore,
le Soudan déclare partager le désir de la
communauté internationale de prévenir, combattre et
éliminer toute forme de terrorisme international
. Khartoum, qui a
toujours affirmé ignorer la localisation des trois auteurs
présumés de l'attentat contre le président Moubarak, se
dit prêt à coopérer avec les autorités
éthiopiennes pour les rechercher, les arrêter et les
extrader
28(
*
)
. Mais les autorités
soudanaises reprochent au gouvernement éthiopien de ne pas leur avoir
fourni suffisamment d'informations
29(
*
)
pour
pouvoir répondre avec succès à sa demande d'extradition,
puis d'avoir régionalisé le conflit en le portant devant
l'
Organe central pour la prévention, la gestion et le
règlement des conflits entre pays
de l'Organisation de
l'Unité Africaine (OUA), et enfin d'avoir internationalisé le
litige en saisissant le Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Les arguments de Khartoum ne semblent pas totalement dénués de
fondement puisque Le Caire n'a communiqué le nom de la troisième
personne suspectée d'avoir pris part à l'attentat d'Addis Abeba
que le 16 mai 1998.
Enfin, après avoir bombardé l'usine pharmaceutique
d'el-Chifa
30(
*
)
le 20 août 1998 au
prétexte qu'elle produisait en réalité un composant
(Empta) pouvant servir à la fabrication d'armes chimiques, les
Américains eux-mêmes semblent moins certains de leur
légitimité. Ironiquement, la reconstruction de l'usine a
été confiée à une entreprise américaine,
probablement pour donner l'assurance aux Etats-Unis que la nouvelle usine ne
produirait pas de substances illicites...
B. L'ESCLAVAGE NE SEMBLE PAS PARTICIPER D'UNE POLITIQUE DÉLIBÉRÉE DU GOUVERNEMENT
Comme
l'écrit Alex de Waal
31(
*
)
, de
l'association
African Rights
, "
l'esclavage est un sujet
complexe, où la réalité peut être voilée par
des arguments émotionnels. Il irrigue très profondément la
mémoire historique soudanaise, au Nord et au Sud.
".
Ainsi, s'il convient d'interpréter avec toute la prudence
nécessaire les vigoureuses condamnations de l'esclavage par nos
interlocuteurs soudanais, il faut également nuancer les accusations dont
le gouvernement est l'objet à la lumière de l'histoire et de la
guerre civile. Au demeurant, les personnalités rencontrées par la
délégation ont été les premiers à se montrer
préoccupés par la situation des droits de l'homme dans leur pays.
L'esclavage au Soudan est devenu une controverse internationale depuis qu'en
1995, à grand renfort de publicité, deux journalistes du journal
américain
the
Baltimore Sun
payèrent chacun 500
dollars pour racheter un esclave au marché de Manyiel
contrôlé par l'APLS dans le Bahr el-Ghazal. Ils cherchaient ainsi
à contredire Louis Farrakhan, dirigeant de la
Nation of Islam,
qui, de passage au Soudan, avait dénoncé les allégations
sur l'esclavage, pour endiguer les sympathies dont ce dernier jouissait parmi
les Afro-Américains. La controverse a pris une ampleur
considérable dans le débat américain qui identifie souvent
l'esclavage au Soudan à une reproduction plus ou moins directe de
l'expérience des Afro-Américains.
Cet événement doit cependant être replacé dans son
contexte.
L'argumentation des autorités soudanaises, exécutives comme
législatives, est de dire que ce qui est aujourd'hui qualifié
d'esclavage par la communauté internationale constitue une survivance de
pratiques tribales coutumières, et que le terme
d' " esclavage " est inadéquat. En effet, dans les
guerres inter-communautaires traditionnelles pour des questions de
bétail ou de pâturages entre tribus sédentarisées et
tribus nomades, des captifs (ou otages) - généralement des
femmes et des enfants - sont enlevés et gardés pendant la
durée des hostilités. Ainsi préservés, ils servent
ensuite de monnaie d'échange au moment des négociations qui ont
lieu lors de grandes " conférences de paix ", et contribuent,
dans une certaine mesure, à éviter toute surenchère dans
les combats. Le gouvernement s'emploie d'ailleurs à institutionnaliser
de telles conférences pour prévenir les razzias et prises
d'otages.
Ainsi, comme l'écrit Alex de Waal, "
à la fin 1995, 674
esclaves furent renvoyés à leurs familles après une
conférence Dinka-Rizigat, comme part d'un accord sur la limitation des
hostilités et l'octroi d'accès à des
pâturages : de modestes indemnisations furent payées pour le
prix du voyage des enfants
. "
Il s'avérerait donc que les deux journalistes américains auraient
en réalité contribué à libérer un otage,
sans prévoir qu'une telle initiative pouvait être manipulée
par des commerçants et des responsables locaux et même motiver des
rapts d'enfants en échange d'une rançon ! Conscientes de la
publicité qu'une telle mise en scène pouvait leur apporter, il
semblerait d'ailleurs que certaines associations chrétiennes
32(
*
)
se soient emparées de la question de
l'esclavage avec des motivations autant financières qu'humanitaires.
Quoi qu'il en soit, l'esclavage ne relève pas d'une politique officielle
du gouvernement même s'il ferme les yeux sur des pratiques qui ont
été à l'origine de la réapparition de
l'asservissement au Soudan. Il convient en effet de rappeler que les conflits
inter-communautaires
33(
*
)
ont été
délibérément entretenus par les gouvernement successifs
depuis la reprise de la guerre civile en 1983, et notablement par celui de
Sadeq el-Mahdi, afin d'affaiblir l'Armée populaire de libération
du Soudan (APLS). Certaines milices furent même armées par le
président Nimeiri puis par le Conseil militaire transitoire entre 1985
et 1986, avant d'être dotées d'un statut légitime comme
" Forces de défense populaires " par Sadeq el-Mahdi en 1986.
Alex de Waal écrit ainsi
34(
*
)
:
" Les gouvernements successifs du Soudan ont utilisé les milices
comme éléments d'une stratégie militaire contre l'APLS.
Ces milices sont généralement appelées Murahilin
(déformation de l'arabe Marahil, nomade). L'inébranlable soutien
gouvernemental à ces Murahilin a été jusqu'à
être complice de l'asservissement.(...) De 1985 à 1989, les
Murahilin ont organisé une série d'actions
dévastatrices
35(
*
)
dans le nord du
Bahr el-Ghazal, tuant des dizaines de milliers de Dinka, en
déplaçant des centaines de milliers, volant peut-être
l'essentiel du bétail de la région et raptant des milliers de
femmes et d'enfants."
La grande majorité des cas confirmés d'asservissement datent
toutefois des années 80. La délégation est par
conséquent encline à croire l'ex-ministre de la justice Alison
Monani Magaya, aujourd'hui vice-président de l'Assemblée
nationale, lorsqu'il s'engage devant la délégation
sénatoriale à poursuivre quiconque serait accusé
d'esclavage, du simple citoyen au Président de la République.
Enfin, il est important d'ajouter que l'APLS a également utilisé
le travail forcé, notamment des porteurs civils et des captifs ou des
enfants qui avaient migré vers les camps de réfugiés en
Ethiopie dans les années 80. Le rapport sur les droits de l'homme du
département d'Etat américain de 1991 évoque par ailleurs
la conscription forcée de 10 000 jeunes mineurs dans les
armées de la rébellion sudiste.
CHAPITRE III
UN PAYS EXSANGUE À LA
RECHERCHE D'UNE NOUVELLE LÉGITIMITÉ
Après s'être lui-même mis au ban de la
communauté internationale en parvenant illégalement au pouvoir,
puis en soutenant les organisations terroristes, le régime soudanais
affiche désormais sa volonté de reconquérir une
honorabilité. Ainsi, après avoir durci la politique d'immigration
à l'encontre des mouvements terroristes qui cherchaient refuge sur son
territoire, il cherche désormais à donner des gages de
démocratie et multiplie les démarches en faveur de la paix. Une
telle évolution n'est certainement pas sans lien avec la reprise des
combats dans le Sud et l'Est du pays qui fragilise les positions de
l'armée soudanaise. Elle résulte également de
l'extrême dénuement du pays qui alimente un fort
mécontentement parmi la population. Nombreux sont les étudiants
qui déclarent ainsi vouloir émigrer.
En conséquence, s'il convient de se féliciter des efforts
consentis, il faut également rester vigilant et attentif aux signes de
concrétisation d'une telle volonté.
I. UN RÉGIME A LA RECHERCHE D'UNE NOUVELLE LÉGITIMITÉ
Quelles
que soient ses motivations, on ne peut occulter les gestes significatifs
consentis par le régime de Khartoum dans le sens des exigences
occidentales. Deux faits méritent ainsi d'être
considérés avec optimisme : la promulgation d'une nouvelle
Constitution, et la reprise des négociations de paix.
En l'absence de progrès démocratiques réels et
d'avancées notables dans le processus de paix, il convient toutefois de
rester vigilant.
A. DES CONCESSIONS POUR L'INSTANT PLUS SYMBOLIQUES QUE RÉELLES
1. Le simulacre démocratique de 1996
Conformément au calendrier établi, la
Conférence nationale a été élue le premier
trimestre 1995, le Parlement national en mars 1996 et le président de la
République, le général Omar el-Béchir, au suffrage
universel fin 1996.
Mais, contrairement aux chiffres officiels, les estimations les plus
crédibles font état de 12 000 électeurs qui se
seraient rendus aux urnes à Khartoum (environ 4,5 millions d'habitants),
lors des élections locales de mai 1995. Ce nombre dérisoire
montre le manque de connaissance et le manque d'intérêt des
citoyens pour cet édifice représentatif destiné à
légitimer le pouvoir du régime.
Les partis politiques (officiellement interdits) ont boycotté les
élections. L'opposition et les observateurs ont surtout
dénoncé le refus de lever l'interdit qui frappait les partis
politiques, toute candidature ne pouvant ainsi être que personnelle. Il y
eut 41 candidats à l'élection présidentielle. Mais seul le
président sortant disposait de tous les moyens de mener une campagne
digne de ce nom, d'autant que la durée officielle de la campagne
électorale n'était que de douze jours.
2. La promulgation d'une Constitution
A partir
de juillet 1997, un projet de Constitution a été
préparé au sein de deux comités, l'un composé de
parlementaires, l'autre associant la société civile (449 membres
cooptés par le pouvoir). Accepté par le Congrès national
le 18 février 1998, le projet a d'abord été
approuvé par l'Assemblée nationale avec quelques amendements,
puis adopté par référendum en mai, et enfin
promulgué le 30 juin 1998.
La Constitution établit un Etat de type fédéral et
d'orientation nettement présidentielle. Elle entend répondre aux
aspirations des populations sudiste en indiquant notamment dans son article
premier que "
l'Islam est la religion de la majorité de la
population. Le Christianisme et les croyances traditionnelles comptent un
nombre d'adeptes considérable
". L'Etat n'est ni
déclaré " islamique ", ni laïc et la Constitution
n'impose par que le Président de la République soit de religion
musulmane. Néanmoins, l'article 65 prévoit que "
La loi
islamique, le consensus de la nation, exprimé par
référendum, la Constitution et la coutume constituent les sources
du droit
".
L'article 21 consacre l'égalité de tous les citoyens et interdit
toute discrimination selon la race, le sexe ou la religion. Enfin, la
liberté d'association politique est garantie par l'article 26
"
à condition que les décisions soit prises selon une
procédure consultative, que la direction soit exercée de
façon démocratique et que la compétition politique soit
fondée sur l'usage du dialogue et non sur celui de la force, et en
respectant les principes constitutionnels
". Une loi précisera
les modalités d'organisation et d'action des partis
politiques.
3. Des ouvertures en direction de l'opposition traditionnelle
Sur le
plan interne, la popularité du nouveau pouvoir s'est vite
effondrée. Celui-ci bénéficiait pourtant de la lassitude
d'une population déçue par l'immobilisme du gouvernement
dirigé par le premier ministre Sadeq el-Mahdi de 1986 à 1989 et
par la dégradation sensible de la situation économique. Selon
Roland Marchal, "
une telle désaffection tient moins à
l'islamisation de la société qu'aux méthodes
employées pour y parvenir
. "
Aussi, menacé au sud et à l'est, le régime soudanais
s'efforce aujourd'hui de faire preuve d'ouverture notamment en direction de
l'opposition nordiste.
Il a ainsi multiplié les contacts avec l'Imam Ahmed el-Mahdi, le nouveau
dirigeant de la confrérie des Ansars, depuis la défection en
décembre 1996 de Sadeq el-Mahdi, son oncle. Il a par ailleurs
abandonné en mai 1997 les poursuites judiciaires engagées contre
les dirigeants de l'opposition nordiste extérieure (Sadeq el-Mahdi et
Osman el-Mirghani). Il s'est enfin montré conciliant envers d'anciens
dignitaires militaires qui avaient adressé un message soulignant la
nécessité d'aboutir à un règlement pacifique du
conflit du sud et à prononcé un non-lieu à l'égard
de l'ancien président Nimeiri, réfugié au Caire (avril
1997).
Le retour à Khartoum de Cherif el-Hindi en juin 1997, intellectuel
respecté et dirigeant de la branche du PUD qui n'a pas rejoint l'AND et
rejette la lutte armée, a permis une relance de l'initiative de
réconciliation nationale. Le Comité populaire pour le dialogue
national, dirigé par Abdallah Suleiman est ainsi devenu le vecteur de
cette politique de réconciliation.
Enfin, le 24 août 1998, le tribunal criminel de Khartoum a
acquitté quatre dirigeants des Ansar, aile religieuse du parti Oumma,
poursuivis pour incitation à la violence, menaces contre l'ordre public
et diffusion d'informations mensongères. La cour a affirmé que
tous les citoyens avaient le droit de critiquer le gouvernement et d'exprimer
des opinions sur les sujets d'ordre public. Toutefois, le régime a
défié la justice en arrêtant de nouveau les quatre
dirigeants acquittés quatre jours après leur libération.
L'ouverture politique du régime a été accompagnée
de l'introduction à l'Assemblée nationale de véritables
débats sur le multipartisme et le règlement de la question du
Sud. Ces thèmes ont débordé l'enceinte parlementaire,
notamment par le biais de la presse.
B. LA RELANCE DU PROCESSUS DE PAIX
Après avoir repris progressivement le contrôle du
Sud,
les autorités soudanaises ont lancé en 1995 une initiative de
paix " de l'intérieur ", qui a débouché sur la
signature le 10 avril 1996, d'une Charte pour la paix avec quelques factions
rebelles.
Puis, la création fin 1996-début 1997 de nouveaux fronts aux
frontières érythréenne et éthiopienne qui menacent
des points stratégiques (barrage de Damazin qui fournit l'essentiel de
l'électricité de Khartoum, route de Port-Soudan, seul
débouché maritime), le regain d'activité de la
rébellion au Sud, soutenue par l'Ouganda, ont conduit le pouvoir central
à faire un pas de plus en direction de la paix.
Ainsi, le 21 avril 1997 a été signé un accord entre le
gouvernement et quelques mouvements d'opposition, qui a donné lieu au
14
ème
décret constitutionnel : ce dernier
prévoit dans son article 15 l'organisation d'un référendum
d'autodétermination pour les citoyens du Sud au terme d'une
période transitoire de quatre années, durant laquelle le Sud est
dirigé par un Conseil de coordination des Etats du Sud
(présidé par Riek Machar). Les nouvelles institutions ont
été progressivement mises en place. Les nouveaux gouverneurs des
Etats du Sud ont ainsi été élus dans sept capitales le
1
er
décembre 1997.
Parallèlement, Khartoum s'est montré disposé à
reprendre la négociation avec le MPLS de John Garang, qui a reconquis
des positions, en acceptant une relance de la médiation entreprise par
l'Autorité intergouvernementale pour le développement
36(
*
)
(IGAD) qui était dans l'impasse depuis
septembre 1994. C'est ainsi que des pourparlers directs ont repris en novembre
1997 à Nairobi, sur la base de principes de négociation
acceptés de part et d'autre. La seconde session de négociations
qui a eu lieu du 4 au 6 mai 1998 à Nairobi a confirmé le principe
d'un référendum d'autodétermination sans toutefois que
soient réglées les questions de la définition
géographique du Sud et de la nature de l'Etat.
La dernière session de pourparlers qui a eu lieu du 3 au 6 août
à Addis Abeba n'a pas permis non plus de faire progresser ces deux
questions. Alors que l'APLS propose la mise en place d'une
confédération entre le Nord et le Sud pendant une période
intérimaire de deux ans avant la tenue du référendum
d'autodétermination, chaque partie confédérée ayant
sa propre Constitution et sa propre législation, le gouvernement est
attaché au maintien de l'unité du pays pendant la période
intérimaire. En tout état de cause, l'APLS pose comme condition
au maintien d'un Soudan uni la séparation de la religion et de l'Etat et
l'instauration d'un régime laïque.
L'APLS souhaite par ailleurs le rattachement de la zone d'Abyei,
majoritairement peuplée de Dinkas, au Sud du pays. Cette région
avait été rattachée au Nord du Soudan par les Britanniques
en 1956. Les autorités de Khartoum se fondent quant à elles sur
les frontières de 1956 pour opposer un refus catégorique aux
revendications sudistes.
Il faut noter enfin que les deux parties observent depuis juillet 1998 un
cessez-le-feu dans l'Etat du Bahr el-Ghazal, afin de favoriser l'acheminement
de l'aide humanitaire aux 2,4 millions de Soudanais touchés par la
famine. Ce cessez-le-feu, initialement proclamé pour une durée de
trois mois, vient d'être prolongé de trois mois.
La prochaine session de négociations devrait avoir lieu à Nairobi
en février 1999. Les rebelles accusent le régime de Khartoum de
ne pas rechercher la paix mais de profiter des périodes de trêve
qui précèdent chaque négociation pour gagner du temps et
reconstituer ses stocks d'armes.
Enfin, au début du mois d'août 1998, le Secrétaire
Général de l'Organisation des Nations Unies, Kofi Annan, a
proposé sa médiation dans la résolution de la guerre
civile soudanaise.
Tous les interlocuteurs rencontrés par la délégation
sénatoriale ont exprimé leur
souhait que la France
intercède plus largement
dans la recherche d'un accord de paix entre
le gouvernement et les factions rebelles. Il faut à cet égard
rappeler que certains pays européens s'efforcent d'être actifs
dans le règlement du conflit du Sud. C'est le cas, notamment, des
Pays-Bas (visite du ministre de la coopération en avril 1995 dans le
cadre du " Groupe des amis de l'IGAD " créé en
février 1995 à l'instigation des Etats-Unis), de l'Italie qui a
pris le relais des Pays-Bas en créant en novembre 1996 le Forum des
partenaires de l'IGAD (visite du Secrétaire d'Etat aux affaires
étrangères en mars-avril 1998), de l'Allemagne (visite du
Secrétaire d'Etat parlementaire à l'Auswertiges Amt en
février 1998), de la Suède (visite du Sous-secrétaire
d'Etat à la coopération en avril 1998) et de la Norvège
(visite de la ministre de la coopération en mai 1998). Les ministres
concernés ont souvent complété leur séjour à
Khartoum par des rencontres avec des représentants de la
rébellion sudiste en Egypte ou au Kenya.
II. UN PAYS EXSANGUE QUI CHERCHE À SÉDUIRE LES INVESTISSEURS
A. UNE ÉCONOMIE EXSANGUE
Le coup
d'Etat militaire accompagné de la prise de pouvoir par les islamistes,
la poursuite de la guerre dans le Sud qui prive le pays d'une grande partie de
ses provinces utiles et les défauts de paiement accumulés par le
Soudan depuis une dizaine d'années, ont privé le pays des flux
d'aide et des capitaux nécessaires à son développement
(suspension de l'aide publique française en 1989 et de l'aide
européenne en 1990). Ce pays, autrefois décrit comme " le
grenier à blé de l'Afrique ", est aujourd'hui incapable de
nourrir sa population.
Ecrasé par une dette extérieure évaluée à 24
milliards de dollars, le gouvernement consacre les devises de ses exportations
au financement de la guerre, qui coûte un million de dollars par jour.
Dans ces conditions, le maintien du lien avec la communauté
financière est difficile. Inéligible aux ressources ordinaires du
FMI depuis 1986, puis suspendu du droit de vote en 1993, le Soudan a
régulièrement été menacé d'exclusion du
Fonds depuis 1994. Ayant interrompu ses remboursements en août 1996, une
procédure d'exclusion n'a pu être évitée
qu'
in
extremis
grâce au soutien financier de la Malaisie.
Depuis lors, le Soudan a signé une lettre d'intention avec le Fonds en
mai 1997 et se soumet au programme défini (réduction des
déficits, de l'inflation, privatisation d'entreprises publiques, etc.).
Et de fait, les résultats macro-économiques du Soudan pour
l'année 1997 sont satisfaisants. L'inflation a ainsi été
ramenée à 40 %, alors que le taux d'inflation a toujours
excédé 100 % depuis 1992 (sauf en 1995 : 68 %). Le taux
de change est en voie d'être stabilisé, la balance des paiements
s'est améliorée et le déficit budgétaire a
décru. Le FMI devrait ainsi pouvoir examiner à l'automne 1998 la
conclusion d'un accord avec les autorités soudanaises sur un programme
à moyen terme (1999-2001).
Toutefois, ces résultats encourageants semblent avoir été
obtenus, pour l'essentiel, par la chute de la consommation intérieure et
par une politique stricte de contrôle des changes et des prix. La
libéralisation économique qui a suivi le coup d'Etat du
général el-Béchir a gravement affecté les
conditions d'existence des couches urbaines. La vigoureuse politique agricole
qui a été lancée aurait pu améliorer la production
et la vie dans les campagnes mais ces espoirs ont été
démentis faute d'investissements substantiels. Or, les installations
d'irrigation mises en place par les Britanniques entre Nil bleu et Nil blanc
dans la plaine de la Ghezira sont gravement détériorées.
Nos différents interlocuteurs font ainsi état d'une forte
diminution du niveau de vie de la population. Les produits de première
nécessité deviennent inaccessibles, des pénuries sont
signalées dans les magasins, les services publics sont hors d'usage ou
trop chers. Un ticket de bus coûte ainsi le montant du salaire journalier
moyen. Les fonctionnaires ne sont pas ou peu payés. Enfin, le PIB par
tête n'était en 1997 que de 475 dollars, soit un des plus
faibles du monde.
Ni le réseau fluvial vers le Sud, ni le réseau routier
limité au Nord ne sont en mesure d'assurer les flux économiques
dans le pays, délabrés par manque de pièces de rechange ou
interdits d'emploi pour cause de guerre. Le Nil, lien mythique entre le Nord et
le Sud du pays, n'est emprunt que par les seuls convois de barges militaires
qui mettent des semaines pour relier Khartoum à Juba. Les trois barrages
principaux alimentant le Soudan utile, c'est-à-dire la capitale et les
régions de l'Est, ne fonctionnent que de façon saisonnière
et les quelques centrales thermiques autour de Khartoum sont tributaires des
livraisons de fuel par les pays amis. L'électricité est une
denrée rare et la situation énergétique est catastrophique.
La situation du réseau routier est aussi critique. Il est
constitué essentiellement par l'axe Khartoum-Port Soudan, d'environ
1 200 kilomètres. Commencé au début des années
1970 et achevé en 1980, cette artère commerciale n'a jamais
été restaurée et demeure très dangereuse à
la circulation. La liaison avec l'Egypte, par Wadi Halfa n'est toujours qu'un
mirage. Enfin, le Sud reste totalement enclavé : l'interruption
pour cause de guerre des travaux du canal de Jongleï
37(
*
)
et l'impossibilité d'y exploiter les indices
pétroliers accentuent la cassure économique avec le Nord.
La guerre et la situation économique désastreuse ont
incité quatre millions de Soudanais à quitter le pays pour
l'étranger, notamment l'Egypte, où ils emploient souvent des
postes de cadres. Quatre autres millions ont fui les zones de guerre pour se
replier vers l'intérieur des terres.
B. LE SOUDAN EST À LA RECHERCHE D'INVESTISSEURS
1. Un pays potentiellement riche
Le
Soudan bénéficie d'un des plus importants potentiels de
développement agricole du continent africain : 84 millions
d'hectares de terres cultivables et 80 millions d'hectares de pâturages.
15 % seulement du potentiel agricole sont utilisés soit 30 millions
de feddans sur 200 millions de feddans de terres arables.
Malgré la sous-exploitation des ressources hydrauliques, 20 % des
terres sont irriguées. La Gezirah entre le Nil Blanc et le Nil Bleu
constitue ainsi la plus vaste zone agricole irriguée au monde, avec
880 000 hectares et plus de 100 000 agriculteurs. Le secteur agricole
représente 37 % du PIB et contribue à 80 % aux
exportations soudanaises (sésame, arachide, coton, gomme arabiques...).
Par ailleurs, le Soudan possède un riche sous-sol ; divers
gisements de minerais ont été identifiés : or,
amiante, chrome, manganèse, gypse, mica, talc, fer, plomb, uranium,
zinc, cuivre, cobalt, granit, marbre, nickel, argent et étain. Mais
seules des réserves de chrome, de gypse et d'or sont exploitées
actuellement.
S'agissant des ressources pétrolières sur lesquelles les
autorités fondent beaucoup d'espoir, la concurrence que se livrent les
différentes compagnies pétrolières internationales laisse
supposer que les gisements ne sont pas sans intérêt.
Officiellement, les réserves du Soudan s'élèvent à
900 millions de barils. Le gouvernement escompte atteindre l'autosuffisance
dès juin 1999 et commencer à exporter 150 000 barils par
jour à partir du mois de septembre de la même année, et
250 000 barils/jour au bout de deux ans.
2. Le poids des Chinois, des Malais et des Canadiens dans l'économie soudanaise
A la
suite de l'isolement dont il a fait l'objet sur la scène internationale,
le Soudan a opéré une réorientation économique vers
l'Asie où il recherche un soutien diplomatique, ainsi que des
investissements et une aide financière.
Une ambassade a ainsi été ouverte en Corée du Sud tandis
que celle de Beijing était considérablement
étoffée. La visite de M. Ji Pei Ding, adjoint au ministre
des Affaires étrangères chinois, à Khartoum, le 26
février 1998, a été l'occasion de passer en revue les
champs nombreux de la coopération bilatérale.
Par ailleurs, l'intervention de la Malaisie dans le règlement de la
crise avec le FMI en janvier 1997 en fait aujourd'hui un partenaire
économique privilégié : elle s'est ainsi vue octroyer
un très gros contrat pétrolier et une banque soudano-malaise a
été constituée, sans doute pour préserver les
avoirs du FNI en cas de crise politique majeure à Khartoum.
M. Mohamed Mahathir, premier ministre malais, a effectué une visite
au Soudan du 13 au 15 mai 1998.
En outre, plusieurs compagnies sont déjà présentes au
Soudan, dans le secteur pétrolier, pressentant un potentiel important
pour l'avenir.
Ainsi, en 1992, le consortium pakistano-canadien
Arakis Energy
Corporation
a obtenu une licence d'exploitation pour prendre le relais de
Chevron
38(
*
)
à El Muglad, à 200
kilomètres d'Heglig dans le Haut-Nil (production de 10 000 barils
par jour).
La
Gulf Oil International (GOI)
est impliquée dans la remise en
service des trois puits de Chevron dans la région d'Adaryed (province du
Haut Nil), auxquels viendront s'ajouter 13 nouveaux forages sur un gisement
estimé à 182 millions de barils. Pour ce faire, la GOI a
déjà construit 110 kilomètres de piste reliant les champs
pétroliers au port de Melut sur le Nil blanc. La société
appartient à 54 % à la compagnie nationale qatarie de
pétrole, à 30 % à la
Petronas
malaise,
8 % à la compagnie nationale soudanaise et enfin 8 % à
la société privée
Sudanese Concorp
.
Les principales opérations d'exploration, de construction et de
production dans les concessions de Heglig et de Unity sont confiées au
consortium GREATER NILE PETROLEUM OPERATING COMPANY (GNPOC) créé
en 1997. Le gouvernement soudanais y est présent à hauteur de
5 %. Les Chinois sont majoritaires avec 40 % des parts
détenues par la
Great Wall Company
, associés aux malais
Petronas/Carigali
(30 %) et à la société
canadienne Arakis (25 %). C'est la première fois que la Chine
exporte le savoir-faire de sa société nationale.
Un autre programme concerne le forage de cent puits d'extraction, dont un
certain nombre sont déjà réalisés à El
Muglad dans le Sud-Kordofan
. Schlumberger
et
Géoservices
sont sous contrat avec la
GNPOC
sur le site d'El Muglad pour les
forages, l'évaluation des ressources, la cimentation des puits. La piste
d'Heglig a déjà été agrandie pour accueillir les
avions de l'armée avant la construction programmée d'un
véritable aéroport.
Le 26 mai 1998, les travaux de l'oléoduc de 1 610 kilomètres
qui doit relier les champs pétroliers de l'Ouest (Sud Kordofan) à
Port-Soudan, ont commencé. Cet oléoduc doit permettre
d'évacuer la production de brut de la compagnie canadienne
Arakis
sur les gisements de Heglig et Unity dans la région de Bentiu. Sa
construction regroupe des multinationales argentine, britannique, malaise,
chinoise et allemande. Le maître d'oeuvre est le consortium
GNPOC
.
Le calibre inhabituel de la canalisation (28 pouces) s'explique par la
prépondérance des Chinois qui ont créé un
marché captif de pièces détachées. De plus, ils ont
importé la totalité des ouvriers du chantier (un million de visas
auraient été demandés aux autorités consulaires).
Malais et Canadiens participeront à la commercialisation des produits.
Enfin, le gouvernement soudanais a lancé la construction de deux
raffineries à Jailli et à Port Soudan. Ces deux unités,
dont la première est actuellement en chantier, doivent permettre au pays
d'économiser 300 millions de dollars d'importations annuelles
d'hydrocarbures.
Avec ces programmes, le Soudan escompte exporter 150 000 barils de
pétrole par jour en juillet 1999 depuis le puits de Muglad.
3. La position modeste de la France
Dans le
passé, la France a joué un rôle non négligeable dans
le développement du Soudan. Ainsi, alors que la paix régnait dans
le Sud du pays et que les relations politiques bilatérales se
développaient, le Soudan a bénéficié de cinq
protocoles financiers (1978-1983) d'un montant total de 860 millions de francs,
auxquels s'ajoutaient 284 millions de francs de prêts. En 1979 notamment,
un prêt de 150 millions de francs fut octroyé au Soudan afin de
financer la part rapatriable en devises incombant à ce pays dans le
cadre du projet soudano-égyptien de creusement du canal de Jongleï,
opération menée par un consortium d'entreprises françaises
dirigé par la société des Grands Travaux de Marseille
(GTM). Elle mit fin aux travaux en 1983, lorsque la guerre civile reprit dans
le Sud du pays.
Par ailleurs, dans le cadre des mesures de Dakar, le Soudan a
bénéficié d'une annulation de créances
françaises pour un montant de 380 millions de francs. Les
arriérés de paiement se situent à ce jour à environ
2,1 milliards de francs.
En revanche, depuis le coup d'Etat du général el-Béchir le
30 juin 1989, les relations politiques, économiques et
financières bilatérales entre la France et le Soudan sont assez
limitées. L'aide publique française a été suspendue
dès après le coup d'Etat, seule une aide humanitaire étant
maintenue. Par ailleurs, compte tenu de ses difficultés
financières récurrentes, le Soudan est interdit de garanties de
crédit COFACE depuis 1978. Enfin, le commerce extérieur
franco-soudanais est très réduit par comparaison avec les autres
pays arabes, bien qu'il dégage un excédent régulier en
notre faveur (plus de 200 millions de francs). Signalons en outre, pour le
symbole, qu'en fermant sa liaison bi-hebdomadaire avec le Soudan, Air France a
laissé le champ ouvert à la Lufthansa et à KLM.
Ce qui n'empêche pas la France d'être aujourd'hui le
3
ème
fournisseur du Soudan, après l'Arabie saoudite et
la Grande-Bretagne (5,5 % environ des importations totales soudanaises).
Les exportations françaises sont constituées pour plus de la
moitié de produits agro-alimentaires (farine, blé tendre,
produits phytosanitaires, etc.). Les exportations de produits industriels sont
diversifiées, relevant d'opportunités ponctuelles de contrats
(biens d'équipement, génie civil, véhicules de
transport...). La France importe essentiellement des produits agricoles :
huiles brutes, tourteaux, gomme arabique et sucre.
La France est en particulier présente dans le secteur minier à
Hassaï, dans l'Etat de la Mer Rouge, où la société La
Source, dont le BRGM est actionnaire, exploite en joint-venture avec le Soudan
(
Ariab Mining Company
) une mine d'or, que la délégation a
visitée et dont la production pour l'année 1998 devrait
s'élever à 5 tonnes. Il convient toutefois d'observer qu'à
l'instar de ce qui s'est passé dans la mine de Yanacocha au
Pérou, le BRGM semble progressivement se désengager de
l'exploitation de cette mine pourtant très rentable en perdant, au
gré des augmentations de capital, la majorité au sein de la
société La Source
39(
*
)
au profit
de son partenaire australien Normandy.
Par ailleurs, Gec-Alsthom a obtenu un contrat dans le cadre de la
réhabilitation du barrage de Roseires à Damazin.
Parallèlement, la France soutient une action de coopération
culturelle, scientifique et technique non négligeable, pour un montant
programmé de 3,33 millions de francs en 1998. La coopération
culturelle et linguistique, qui représente un budget d'un peu plus de 2
millions de francs, est notamment mise en oeuvre à travers le Centre de
coopération culturelle et linguistique créé en janvier
1997.
L'enseignement et la diffusion de la langue française constituent la
priorité de cette coopération. En effet, l'introduction d'un
enseignement obligatoire de français dans le secondaire en 1996, ainsi
que la décision prise par le ministère de l'enseignement
supérieur et de la recherche du Soudan de prendre en
considération les notes obtenues au baccalauréat soudanais
à l'épreuve de français pour l'entrée à
l'Université ont conduit à accroître le nombre
d'étudiants en français et ont pour conséquence une
pénurie d'enseignants.
Le Centre de coopération culturelle finance ainsi plusieurs bourses
linguistiques en France, au profit soit d'étudiants (8 stages de deux
mois), soit d'enseignants (15 stages de deux mois). Parallèlement,
l'Alliance française accueille environ 500 élèves par an
et organise des actions culturelles diverses (accueil de spectacles...).
Enfin, la coopération scientifique et technique se traduit par des
actions diversifiées (formations doctorales en recherche agronomique
entre l'Université de la Gezirah et différents partenaires
français, soutien de différents projets et bourses...) et la
France accorde une aide alimentaire de 18 millions de dollars au Soudan, dont
les populations du Sud sont les principales bénéficiaires. Cette
aide a été fournie dans le cadre de l'Union européenne,
des agences de l'ONU, notamment le PAM qui assure un pont aérien pour
venir en aide aux populations du Bahr el-Ghazal ou d'accords bilatéraux.
Le capital de sympathie dont jouit la France auprès de la population
soudanaise, grâce à la renommée des ONG françaises
et à l'action vigoureuse de notre Ambassadeur, devrait lui permettre de
retrouver un rôle économique important dans, la reconstruction du
pays une fois que la paix sera rétablie. Sont en particulier
portés au crédit de la France ses actions de coopération,
ses investissements passés et sa position modérée dans les
instances internationales.
Parmi les projets potentiellement prometteurs pour la France, mais
gelés, soit en raison de la guerre, soit en raison de l'opposition des
autorités soudanaises, il faut citer :
- l'exploration de la concession de 120.000 km
2
détenue par
Total dans la région de Bor ;
- la culture du blé sur surface irriguée par
Rhône-Poulenc ;
- la construction d'un tronçon d'autoroute de 120 kilomètres
entre Khartoum et Port-Soudan.
Les autorités soudanaises reprochent en particulier à la France
sa position diplomatique trop timorée qui l'a conduite à refuser
l'attribution de visas à des ministres soudanais désireux de
venir en France.
CHAPITRE IV
QUEL AVENIR POUR LE
SOUDAN ?
Il est
très difficile de pronostiquer l'avenir du Soudan. Les combats ont
repris avec une rare intensité depuis la mi-septembre 1998 dans la
région de l'Equatoria oriental (Sud) même si un cessez-le-feu est
observé depuis le 15 juillet 1998 dans la région du Bahr
el-Ghazal.
En outre, la question pétrolière constitue désormais un
facteur de complication supplémentaire dans la recherche de la paix, les
réserves se situant principalement dans le Sud du pays.
Les membres du gouvernement et les parlementaires mettent l'accent sur les
concessions faites aux revendications des rebelles dans le cadre des
négociations de paix et sur les avancées de la démocratie
au Soudan.
Les membres de l'opposition, bien que réunis au sein d'une Alliance
démocratique nationale, apparaissent désunis et ne proposent pas
d'alternative crédible au régime actuel. Ils comptent
probablement sur les victoires militaires de l'APLS au Sud et à l'Est
pour être en position de force dans les négociations de paix qui
se poursuivent sous l'égide de l'IGAD.
Il ne faut vraisemblablement pas escompter enfin un soulèvement
populaire dans la capitale, malgré l'impopularité du
régime et le dénuement de la population, non seulement à
cause du contrôle exercé d'une main de fer par un régime
qui n'a pas encore renoncé à se maintenir, mais également
à cause des désillusions déjà
expérimentées par la population avec le retour des partis
traditionnels au pouvoir. Les Soudanais s'efforcent désormais de
survivre.
Le déblocage de la situation passe, notamment, par
l'établissement d'un régime laïc et authentiquement
fédéral entre le Sud et le Nord. Cela suppose que la fraction
moderniste des dirigeants en place prenne le dessus, ce qui semble peu
probable, surtout depuis l'intervention américaine.
A défaut, l'hypothèse d'une partition du pays, bien que peu
satisfaisante, semble être le seul terrain d'entente possible entre un
gouvernement soucieux de préserver les acquis de la révolution
islamique, et une rébellion combattant pour un Soudan laïque. Rien
ne dit pourtant que l'indépendance du Sud mettra fin à la guerre
tant les divisions sont nombreuses au sein même des Sudistes.
I. DES ESPOIRS DE PAIX RESTREINTS
A. LA RECRUDESCENCE DES COMBATS
Les
combats ont repris avec une rare intensité depuis la mi-septembre 1998
dans la région de l'Equatoria oriental (Sud), région qui n'est
pas couverte par le cessez-le-feu observé par les deux parties depuis le
15 juillet 1998. Les autorités gouvernementales ont été
jusqu'à suspendre les cours dans les 26 universités et
établissements supérieurs, comme elles l'avaient fait de janvier
à octobre 1997, pour permettre aux étudiants de répondre
à l'appel à la mobilisation générale. Cet appel
s'adresse notamment aux Forces de la Défense populaire (FDP), aux
moudjahidines (combattants de la foi), aux militaires à la retraite, aux
fonctionnaires et aux employés du secteur privé, selon le
décret de mobilisation. Il vise à faire face "
à
l'agression éryhro-ougandaise
".
Pourtant, compte tenu de la géographique du pays, ni l'armée
gouvernementale soutenue par les forces de défense populaires (FDP) et
par certaines milices tribales, ni l'Armée populaire de
libération du Soudan (APLS), ne semble capable de prendre
définitivement l'avantage sur le terrain.
Dans ce contexte, il est peu probable que la paix s'établisse à
courte échéance. Après l'échec des pourparlers de
paix qui ont eu lieu début août 1998 à Addis Abeba sous
l'égide de l'IGAD, le gouvernement soudanais a récemment
annoncé qu'il ne participerait pas à une réunion technique
sur l'assistance humanitaire avec la guérilla sudiste qui devait avoir
lieu du 5 au 7 octobre à Nairobi. Cette réunion,
décidée lors des négociations d'Addis Abeba, devait
aborder, sous la présidence du diplomate norvégien Tom Vraalsen,
envoyé spécial du secrétaire général des
Nations Unies au Soudan, la question du prolongement et de l'extension
géographique du cessez-le-feu.
Le gouvernement conteste notamment la présence au sein de l'IGAD de deux
pays qu'il accuse de soutenir l'APLS, voire de participer aux combats dans le
Sud (l'Ouganda et l'Erythrée). Khartoum a d'ailleurs
déposé une plainte auprès du Conseil de
sécurité de l'ONU contre l'Ouganda ainsi que contre
l'Erythrée. Kampala accuse de son côté le Soudan de
soutenir la rébellion en Ouganda. L'APLS dément, quant à
elle, toute participation des troupes ougandaises dans les combats.
B. LE PÉTROLE CONSTITUE DÉSORMAIS UN ENJEU STRATÉGIQUE
La manne
pétrolière potentielle constitue aujourd'hui un facteur
supplémentaire d'exacerbation de la guerre civile. C'est en effet dans
le Sud que sont localisées l'essentiel des ressources
pétrolières (1,4 million de barils). Selon certains experts,
les vrais gisements de pétrole se situeraient vraisemblablement dans
l'El Buherat et le Jonglei, à l'Est de Rumbek, dans les marais au Sud de
Bentiu et au Nord de Juba, zone âprement disputée par la
guérilla sudiste.
Or, John Garang demande désormais que soient inclus les Monts Nouba dans
son projet fédéral d'indépendance, ce qui laisse à
penser qu'il n'est pas indifférent aux ressources
pétrolières que pourrait receler son sous-sol. Un tel partage
aurait pour conséquence d'attribuer la quasi-totalité des
ressources pétrolières identifiées ou en cours
d'évaluation au Sud du pays.
II. UNE OPPOSITION PEU CRÉDIBLE
A. UNE ALLIANCE CONTRE-NATURE
Tous les
partis politiques ont été interdits après le coup d'Etat
de 1989. Dans leur exil, les deux principaux mouvements politiques - le
parti Umma (le plus puissant) et le parti démocratique unioniste
(DUP)
40(
*
)
- ont choisi de s'allier aux
associations professionnelles et aux syndicats, aux petites organisations
politiques ainsi qu'au Mouvement populaire de Libération du Soudan
(MPLS) de John Garang. De ce regroupement est née l'Alliance nationale
démocratique (AND).
Toutefois, cette coalition n'a jamais eu de réelle influence au Soudan.
Déchirée par des luttes de factions et des rivalités
internes, elle n'a jamais conçu de projet national et se contente de
discréditer le régime de Khartoum sur la scène
internationale. Opportunément rassemblés par un objectif commun -
le renversement du régime islamiste de Khartoum - les partis de la
coalition sont en effet loin de poursuivre des objectifs communs. Il convient,
au contraire, de rappeler qu'avant de combattre le régime d'Omar
el-Beshir, John Garang était l'ennemi numéro un du gouvernement
de Sadeq el-Mahdi. Leur alliance actuelle apparaît par conséquent
relativement contre-nature. Rien ne dit, par exemple, qu'un gouvernement
dirigé par l'un des deux partis traditionnels n'imposerait pas la sharia
comme source de la législation nationale. N'oublions pas que Sadeq
el-Mahdi est le beau-frère de Hassan al-Tourabi...
B. UNE DUALITÉ DE DISCOURS
Rencontrant successivement des représentants de
l'opposition
nordiste (partis Umma et DUP) puis des représentants de l'opposition
sudiste, la délégation sénatoriale a pu constater
l'éloignement des discours de chacun.
Les représentants des partis Umma et DUP, qui sont pour la plupart
d'anciens ministres, tiennent un discours extrêmement agressif et
belliqueux à l'encontre des dirigeants au pouvoir. Estimant vivre dans
des " conditions exceptionnelles de dictature ", à tel point
qu'ils craignent pour leur sécurité personnelle, ils rappellent
les violences dont ils ont été l'objet au lendemain du coup
d'Etat de 1989, et notamment leur séjour carcéral dans les
" prisons fantômes " pendant lequel ils affirment avoir
été pendus par les mains.
Ils mettent l'accent sur les difficultés économiques du pays,
bien plus que sur la guerre au Sud, feignant d'oublier que le pays connaissait
les mêmes maux lorsqu'ils étaient au pouvoir. N'hésitant
pas à noircir le tableau, ils font état d'un taux de
chômage de plus de 80 % dans les services publics et dans les
entreprises, du non paiement des salaires, des pénuries de biens de
première nécessité et de leur cherté (transports,
électricité, eau, logements...), de l'inflation galopante, etc...
Ils considèrent que la tactique gouvernementale consiste à
encourager les conflits entre les tribus du Sud du pays pour mieux les
soumettre.
Leurs prises de position semblent recueillir un écho croissant
auprès de la population. Pourtant, loin de faire des propositions
constructives pour remédier à la misère réelle de
la population et pour mettre fin au conflit, ils se contentent de proposer le
renversement par la force du gouvernement actuel et leur accession au pouvoir
en fondant leur légitimité sur les résultats des
élections législatives de 1986 à l'occasion desquelles
l'Umma avait recueilli 40 % des voix et le DUP 30 %. Enfin,
l'opposition nordiste entretient toujours les mêmes
ambiguïtés sur le statut du Sud ou sur le partage du pouvoir dans
l'hypothèse d'une chute du régime.
A l'inverse, les représentants de l'opposition sudiste, également
membres de l'AND et également dépourvus de projet alternatif,
apparaissent beaucoup plus mesurés et constructifs que leurs
alliés de l'opposition nordiste. Plutôt que de condamner
définitivement la Constitution comme le fait l'opposition nordiste, Abel
Alier, ancien vice-président de la République, considère
comme des avancées notables les dispositions concernant le respect de la
liberté des cultes et le pluripartisme. S'agissant du
référendum d'autodétermination du sud, il est conscient
qu'une partition du pays serait néfaste pour les populations du Sud mais
il émet des doutes sur la transparence de la consultation dès
lors qu'elle serait organisée par le gouvernement du Nord. Il
soulève par ailleurs un certain nombre de problèmes
sensibles : quelles seront les populations appelées à
s'exprimer ? Où voteront les populations sudistes
déplacées dans le Nord ? Comment délimiter le
territoire des Etats du Sud si jamais la partition est
décidée ? Autant de questions qui restent pour l'instant
sans réponses.
Au total, force est de donner raison à Roland Marchal lorsqu'il
écrit
41(
*
)
: "
l'AND souffre
d'un manque évident de crédibilité qui l'empêche
d'apparaître comme une alternative sérieuse au régime
islamiste
. "
III. LA PARTITION DU PAYS N'EST PAS LA PANACÉE
A. LE SUD DU SOUDAN EST LOIN D'ÊTRE UNI
On l'a
déjà vu, le Sud du Soudan est loin d'être lui-même
uni. La politique coloniale avait d'ailleurs contribué à
créer des "
unités tribales compactes,
économiquement autonomes et préservées des contaminations
étrangères. L'insistance sur tout ce qui peut développer
une conscience tribale, même sur les plus petites
choses était constante
42(
*
)
. " Et de fait, c'est la pression islamisante et
assimilatrice de la partie arabe du pays qui a permis de réaliser
l'unité des différentes ethnies du Sud en 1971, unité qui
éclata peu après l'accord d'Addis-Abeba du 27 février 1972.
Les élections législatives de février 1974 à
l'Assemblée régionale de Juba sont significatives des
contradictions tribales dans le Sud. Comme le souligne Gérard
Prunier
43(
*
)
, "
dans tous les cas, les
candidats au suffrage universel direct se présentèrent dans leur
zone d'origine, non seulement tribale mais clanique
44(
*
)
, et ceux qui préférèrent se
présenter aux sièges réservés
45(
*
)
à l'électorat transethnique
étaient souvent ceux qui n'étaient pas populaires au sein de leur
propre ethnie
. "
Les élections législatives d'avril 1986 illustrent
également les divisions sudistes : "
Les partis sudistes,
éparpillés et déchirés par des rivalités
ethniques et de personnes, n'apportaient aucun contrepoids cohérent. Il
y avait d'abord les deux partis redivisionnistes de l'Equatoria, SAPCO et PPP
(People's Progressive Party). Le PPP (10 sièges), dirigé par
Eliaba Surur était à base Madi et Bari. Quant au SAPCO de Morris
Luwiya (9 sièges), c'est le parti des Azande. Le SSPA (9 sièges),
formé par des vétérans de la politique sudiste et
dominé par les Dinkas du Bahr al-Ghazal, hésitait entre
redivisionnistes, unionistes et sympathisants de l'APLS. Le Sudan African
Congress (SAC) de Walter Kunyijwok Ayoke (2 sièges)r, issu de l'ancien
mouvement étudiant Southern Sudanese in Khartoum (SSK) était le
parti des intellectuels sudistes très proche de l'APLS. Quant au
minuscule Sudan Federal Party (SFP), dont Joshua Dei Weil était le
président et le seul député, il est
considéré comme la face civile de la milice nuer Anyanya
II
. "
Ainsi, il est peu vraisemblable que l'indépendance du Sud du pays
conduise à une pacification du pays tant les inimitiés sont
tenaces entre ethnies sudistes. Il suffit de se rappeler que la redivision du
Sud (kokora) a été un des catalyseurs de la reprise de la guerre
civile au Soudan (voir chapitre I, page 23).
Aujourd'hui, non seulement les Sudistes se partagent entre les
" ralliés " au régime de Khartoum et les rebelles (voir
page 24), mais au sein des premiers, les divisions se font jour. Ainsi,
après avoir signé les accords d'avril 1997 qui ont
institué le Conseil de coordination des Etats du Sud, dirigé par
Riek Machar, Paulino Matip - pourtant un Nuer comme Machar - a
récemment qualifié d'inéquitable la distribution des
postes par ce dernier. Depuis, les forces armées des deux hommes, qui
étaient réunies depuis avril 1997 au sein des Forces de
Défense du Sud (FDS), se font la guerre dans la région d'Unity.
Le Groupe Bor mené par Arok Thon Arok s'est lui aussi retiré des
FDS pour les mêmes raisons. Enfin, le Commandant Kerubino Kuanyin Bol,
également signataire des accords de Khartoum et originaire du Bahr
el-Ghazal, s'est retourné contre le gouvernement en janvier 1998 et a
brièvement occupé la ville de Wau.
B. JOHN GARANG EST FAVORABLE À L'UNITÉ DU SOUDAN
Le
dirigeant du principal mouvement rebelle, John Garang, a toujours
été partisan de l'unité du Soudan, même si
l'intransigeance des autorités soudanaises devant ses revendications l'a
conduit à se rallier à l'idée d'un
référendum d'autodétermination du Sud.
Le manifeste du MPLS, publié le 31 juillet 1983, affirme en effet le
souci unitaire et antisécessionniste du mouvement :
" La tâche immédiate de l'APLS-MPLS est de transformer le
mouvement sudiste de mouvement dirigé par des réactionnaires et
ne se préoccupant que du Sud, des emplois et de ses petits
intérêts, en un mouvement progressiste dirigé par des
révolutionnaires et se consacrant à la transformation socialiste
de tout le pays. Il faut absolument le répéter, l'objectif
principal du MPLS n'est pas la sécession du Sud. "
L'Appel au peuple soudanais du 3 mars 1984 a complété cette
orientation en insistant sur le fait que la guerre civile ne constitue ni une
lutte de races, ni une guerre religieuse. Si John Garang y dénonce le
tribalisme et les privilèges des awlad al-balad
46(
*
)
, il prend bien soin d'éviter toute accusation
anti-arabe. Il observe que si " l'oppression de Khartoum avait plus
pesé sur le Sud que sur les autres parties du pays ", le reste du
Soudan avait également souffert et que par ailleurs, " la classe
politique sudiste avait pris sa part du butin ". Il condamne les tendances
séparatistes et se déclare partisan d'un " Soudan unitaire,
socialiste et garantissant les droits de toutes les nationalités, les
croyances et les religions ".
Quoi qu'il en soit, depuis qu'il a refusé un poste ministériel
dans le gouvernement démocratique de Sadeq el-Mahdi en 1986, John Garang
s'est condamné à évoluer dans l'illégalité
et dans l'exil, sauf à accéder lui-même aux plus hautes
fonctions de l'Etat ou à renier son combat. En refusant
l'opportunité qui lui était proposé, il rendait
incontournable la future partition du pays qu'il n'appelle pourtant pas de ses
voeux.
C. LE PROBLÈME DU PARTAGE DES EAUX DU NIL
La
sécession du Sud-Soudan aurait probablement des conséquences
importantes sur le partage des eaux du Nil, ce qui constitue un des motifs pour
lesquels l'Egypte n'est pas favorable à l'indépendance du Sud.
Selon un accord de partage des eaux qui date de 1959, l'Egypte se voit en effet
attribuer 55,5 milliards de mètres cubes d'eau par an et le Soudan 18,5
sur un total de 74 milliards de mètres cubes qui sont enregistrés
au barrage d'Assouan. 10 milliards de mètres cubes sont perdus chaque
année par évaporation.
L'enjeu du partage des eaux est un enjeu régional qui rassemble
l'Ethiopie, l'Erythrée, l'Ouganda, le Burundi, le Rwanda, le Congo, le
Kenya, le Soudan et l'Egypte.
Le Soudan projette quant à lui la construction de trois nouveaux
barrages hydroélectriques le long du Nil et est à la recherche de
partenaires industriels et financiers. Une entreprise chinoise s'est
montrée intéressée par la construction du barrage de
Qajbar, au nord de Dongola. Il s'agit d'un projet de 300 millions de dollars.
Les deux autres barrages se situeraient à Chereïk et à
Merowe.
Par ailleurs, il est envisagé de relever le barrage de Damazin qui
fournit 80 % de l'électricité de Khartoum. Les centrales
thermiques sont en effet en fin de vie.
CONCLUSION
En
dépit de la tutelle de fer exercée par les islamistes sur tous
les rouages de la société soudanaise, la délégation
revient avec la conviction que la réputation " sulfureuse " du
Soudan est excessive. Ainsi, si des pratiques d'esclavage ont pu être
mises à jour, elles semblent relever d'avantage de pratiques ancestrales
ou de débordements miliciens incontrôlés que d'une
politique délibérée du gouvernement. Quant aux
éléments terroristes censés trouver refuge au Soudan, ils
semblent être davantage subis que soutenus.
Par ailleurs, il convient de prendre acte des efforts consentis par le
gouvernement pour se conformer aux exigences occidentales et pour
libéraliser le régime. Il faut maintenant que les
autorités traduisent leur volonté dans les faits en
rétablissant le multipartisme et en organisant des élections
libres et démocratiques, ce que la délégation n'a pas
manqué de leur rappeler.
La délégation sénatoriale a toutefois pu mesurer le
scepticisme des partis (interdits) d'opposition. En effet, le fait que la
nouvelle Constitution continue à énumérer la sharia au
nombre des sources de la législation du pays reste un sujet de conflit.
Or, deux conditions subordonnent l'établissement d'une paix
durable : la représentation équitable de toutes les
composantes de la société soudanaise dans les instances
exécutives, législatives et judiciaires du pays, et la garantie
des droits et des libertés de chacun.
En outre, bien que le cessez-le-feu observé depuis le 15 juillet 1998
dans la région du Bahr el-Ghazal ait été prolongé
de trois mois par les deux parties en conflit pour faciliter l'accès de
l'aide humanitaires aux populations touchées par la famine, la
recrudescence de la guerre civile dans le Sud du pays oblitère
sérieusement les espoirs que pouvaient faire naître les
pourparlers de paix engagés sous l'égide de l'IGAD depuis un an.
Les divisions demeurent tenaces.
Dès lors, en l'absence du rétablissement de la
laïcité réclamé par le Mouvement populaire de
libération du Soudan (MPLS) de John Garang, la partition du Soudan
semble la seule solution envisageable à court terme, ce qui n'est ni
satisfaisant, ni garanti. En effet, non seulement les problèmes qui
entourent l'organisation du référendum d'autodétermination
du Sud restent pendants, mais le partage du pays ne manquera par d'engendrer
des conflits sur le partage des ressources entre le Nord et le Sud.
Votre délégation formule, pour sa part, l'espoir que le sentiment
d'unité de la population et la tolérance qui forge le
caractère des Soudanais seront plus forts que la haine et les rancoeurs
accumulées. Elle veut croire Marc Lavergne lorsqu'il
écrit
47(
*
)
:
" Le sentiment d'unité est très fort, la tradition de
déplacement d'un bout à l'autre de ce vaste espace très
ancienne, et la mobilité accentuée aujourd'hui par
l'urbanisation. L'autonomie économique est un leurre dans la mesure
où l'interdépendance est très forte : il existe une
complémentarité entre les régions où règne
la grande culture mécanisée, pluviale ou irriguée, qui
dépendent traditionnellement pour la main d'oeuvre des régions de
culture traditionnelle de l'ouest. D'autres échanges, Nord-Sud, relient
les pasteurs de la savane et ceux de la steppe, tandis que Khartoum, pôle
incontesté de l'ensemble du pays, est un creuset qui rassemble dans ses
diverses composantes toute la palette humaine et assure les relations avec
l'ensemble du pays et avec le monde extérieur. "
1
Le terme est impropre compte tenu de
l'interdiction des partis depuis 1989 mais quelques membres des anciens partis
nordistes de gouvernement demeurent à Khartoum, ainsi que des
représentants de certaines mouvances de la rébellion sudiste.
2
Autorité intergouvernementale pour le développement,
créée en 1986 pour promouvoir la paix dans la région des
grands lacs.
3
Voir " Le Sud-Soudan depuis l'indépendance
(1956-1989) ", de Gérard Prunier in
Le Soudan contemporain
,
ouvrage collectif dirigé par Marc Lavergne, Ed. Karthala-Cermoc, 1989.
4
Proclamée officiellement en 1930, la politique à
l'égard du Sud fut l'oeuvre de sir Harold MacMichael, secrétaire
assistant, puis secrétaire civil du Soudan (1919-1934).
5
Voir " Langues et identité ", contribution
à l'ouvrage collectif
Le Soudan contemporain
, op. cit.
6
Au demeurant, il convient de rappeler que l'Armée populaire
de libération du Soudan (APLS) de John Garang était initialement
procommuniste et anticlérical et avait l'habitude de kidnapper les
prêtres étrangers. Voir à ce sujet Alex de Waal,
" Exploiter l'esclavage : droits de l'homme et enjeux
politiques " in
Politique africaine
n° 66, juin 1997.
7
Joseph Lagu faisait pression auprès de Nimeiri pour que la
région autonome du Sud soit divisée en trois. C'est ce que l'on
appelait la kokora (redivision).
8
Voir " Le Sud-soudan depuis l'indépendance ", op.
cit.
9
Le code pénal islamique contenait de nombreuses lois qui
permettaient de museler toute opposition. On y trouve pêle-mêle
certains articles de la loi de sûreté de l'Etat comme l'article 96
qui punit l'atteinte à la Constitution, l'incitation à la
révolte contre l'Etat, la diffusion d'informations mensongères
sur la situation intérieure du pays et la possession ou la
rédaction d'écrits contenant de telles informations.
10
Voir Roland Marchal, " Le gouvernail islamique ",
entretien avec Hassan al-Tourabi, Politique internationale n° 64,
juin 1994.
11
Le triangle de Halaieb est occupé depuis 1994 par
l'armée égyptienne.
12
Voir Marc Lavergne, "
Le nouveau système
politique soudanais ou la démocratie en trompe-l'oeil
", in
Politique africaine
n° 66, juin 1997.
13
Les 9 provinces de 1960, qui étaient devenues 21
après la réforme de 1971, étaient depuis la réforme
de 1980 transformées en 5 régions au Nord et une entité
administrative spéciale pour Khartoum, tandis que la région
autonome du Sud allait être redivisée en trois à la suite
de la " kokora " de 1983 (voir supra).
14
Cette notion sur laquelle repose le contrôle du souverain
en islam, remise à l'honneur par Nimeiri sur le tard, lorsqu'il
s'était autoproclamé Imam, implique que chaque citoyen a le droit
de s'adresser en public à ses dirigeants et de leur demander des
comptes. En pratique, l'usage de ce droit à la libre-expression conduit
tout droit à la flagellation et en prison.
15
Voir Marc Lavergne, article cité.
16
Le FNI est issu du Front de la charte islamique
créé en 1962 à la suite d'une scission des Frères
musulmans soudanais.
17
Voir Roland Marchal, " Le gouvernail islamique ",
entretien avec Hassan al-Tourabi, Politique internationale n° 64,
juin 1994.
18
Voir " Les Frères musulmans au Soudan ",
contribution de Gérard Prunier à l'ouvrage collectif
Le
Soudan contemporain
, dirigé par Marc Lavergne, Ed. Karthala-Cermoc,
1989.
19
" Le nouveau système politique soudanais ou la
démocratie en trompe-l'oeil ", article cité.
20
Lorsque la société Chevron avait découvert
du pétrole dans le Sud, Nimeiri avait ainsi créé en 1980
une province ex-nihilo intitulée " province de
l'Unité ", détachée du Sud.
21
Voir Einas Ahmed, "
Banques islamiques et
sociétés islamiques d'investissement
", in Politique
africaine n° 66, op. cit.
22
Dispensée d'impôt sur les bénéfices,
celle-ci avait réalisé un bénéfice de 100 %
dès sa première année de fonctionnement.
23
Qui dit tenir ces chiffres de " l'Union des Eglises ".
Ce sont les mêmes que ceux donnés par le ministre de la
défense au rapporteur spécial des Nations Unies.
24
Parmi les 412 députés, 275 sont élus au
suffrage universel direct, au titre des circonscriptions et 125 sont
élus au suffrage indirect, par " promotion " dans la pyramide
des congrès populaires. 12 membres appartiennent à
l'Assemblée en qualité de ministres du Gouvernement.
Néanmoins, 36 membres de l'Assemblée ont été
démis de leurs mandats pour des raisons diverses (absentéisme,
poursuites judiciaires, etc...). Il n'y a donc actuellement plus que 376
députés en fonction dont 19 femmes.
25
Voir
Les Frères musulmans au Soudan
in
Le
Soudan contemporain
, op. cit., page 369.
26
Il existe au Soudan 394 églises, 222 écoles et 82
hôpitaux et dispensaires appartenant à l'Eglise, selon les
statistiques fournies par les autorités.
27
En avril 1994, Oussama Ben Laden s'est vu confisquer ses biens et
déchoir de sa nationalité par les autorités saoudiennes
qui l'ont accusé de " comportement irresponsable portant
préjudice aux relations entre l'Arabie Saoudite et les nations
soeurs ".
28
Dans un Livre Blanc du Conseil National des Informations
Extérieures publié en février 1996, on peut ainsi
lire :
" Le Soudan réaffirme sa ferme condamnation de
toute forme de terrorisme en quelque lieu que ce soit. Le Soudan déclare
une fois encore sa totale disponibilité à coopérer avec
tout pays ou organisme concerné afin de rechercher activement les trois
suspects égyptiens supposés s'être cachés au Soudan.
Une fois localisés, le Soudan s'engage à mettre tout en oeuvre
afin de les poursuivre, de les appréhender et de les extrader vers
l'Ethiopie en vue de poursuites judiciaires. "
29
Le livre blanc précité donne un exemple
de description fournie par l'Ethiopie :
" Il s'agit d'un Egyptien
d'environ 34 ans, au teint moyennement basané, aux cheveux noirs et
courts, glabre, sans signe particulier, ne portant pas de lunettes, ayant au
poignet gauche une montre métallique digitale de marque Casio ;
marié ".
30
Ce bombardement est intervenu à la suite des
attentats commis contre les ambassades des Etats-Unis à Nairobi et
à Dar es-Salaam.
31
Voir "
Exploiter l'esclavage : droits de l'homme et
enjeux politiques
", in
Politique africaine
n° 66, op.
cit.
32
Selon Alex de Waal, Christian Solidarity International (CSI) a
ainsi organisé le rachat de plusieurs " esclaves " sur les
marchés contrôlés par l'APLS et notamment celui des deux
journalistes du
Baltimore Sun
.
33
L'essentiel du phénomène est concentré dans
une zone relativement limitée : les milices issues des Arabes
Baggara du Sud-Kordofan et du Sud-Darfour (pour l'essentiel des Misseriya et
des Rizeigat) ont attaqué des villages Dinka du Nord Bahr el-Ghazal,
kidnappé des femmes et des enfants gardés depuis en
captivité
.
34
Voir "
Exploiter l'esclavage : droits de
l'homme et enjeux politiques
", art. cité.
35
Le massacre d'Al-Daeïn est ainsi tristement
célèbre : à la fin de mars 1987, un groupe de
Murahilin accroché par l'APLS à Sahafa et ayant perdu 70 hommes
se vengea sur des civils dinka à Al-Daeïn, tuant plus de mille
personnes.
36
Créée en 1986 pour promouvoir la paix dans la
région, l'IGAD est constituée du Kenya, de l'Ouganda, de
l'Erythrée, de l'Ethiopie, de Djibouti, de la Somalie et du Soudan.
37
Le canal de Jonglei, sur le Nil blanc, tranchant à travers
400 kilomètres de terres inondables, devrait réduire de
moitié l'évaporation du Nil durant sa traversée des
marais, augmentant le débit du fleuve en aval de 4 milliards de
mètres cubes par an, tout en facilitant la circulation fluviale.
38
La raffinerie de Kosti, construite avec le concours de Chevron,
fut achevée le 2 février 1985. Le projet d'oléoduc
destiné à acheminer la production d'alors à Port-Soudan
fut abandonné à la suite des troubles qui
éclatèrent sur les sites d'exploitation et de la situation
d'insécurité chronique, toutes conditions qui conduisirent
Chevron à quitter le pays.
39
En juin 1995, le groupe BRGM s'est entendu avec le groupe
australien Normandy pour créer une société commune,
LaSource, à laquelle étaient apportés respectivement :
- par le BRGM, ses actifs miniers, à savoir ses participations dans
l'exploitation de la mine de Yanacocha (Pérou), des mines d'Ity
(Côte d'Ivoire), des mines de Léro (Guinée), des mines
d'Hassaï (Soudan), son portefeuille français de gisements (kaolins
d'Arvor, de Beauvoir, de Valence) ainsi que toutes les données de base
du BRGM sur l'Afrique.
- par Normandy, ses actifs miniers en Europe et en Asie mineure, à
savoir le domaine minier d'Eurogold qui se situe principalement en Turquie et
en Grèce et qui n'était pas encore en activité à
l'époque.
Alors que le BRGM détenait initialement la majorité du capital
avec une part de 55 %, Normandy est devenu majoritaire (65 %)
après deux augmentations du capital en juin 1997 et février
1998.Or, pendant ces deux ans, Normandy s'est servi des profits
engendrés par les actifs miniers français pour financer la mise
en exploitation du projet turque Ovacik qui s'est révélé
inopérant. A la suite de ces événements, La
société La Source a du déposer un plan social et a
licencié la moitié de son personnel, dont une majorité de
Français...
40
Le parti Umma est dirigé par Sadeq el-Mahdi,
arrière petit-fils du Mahdi qui prit la tête du soulèvement
contre la colonisation ottomane (en fait égyptienne) en 1882. Le DUP est
favorable au rapprochement avec l'Egypte. Son leader, Mohammed Osman
al-Mirghani est aujourd'hui réfugié au Caire. Ces deux partis, de
loin les plus importants, sont qualifiés de " traditionnels "
parce qu'ils ont dominé la vie politique soudanaise depuis
l'émergence du nationalisme soudanais. Ils sont fondés sur des
allégeances plus religieuses que politiques.
41
Voir " Le gouvernail islamique ", entretien avec Hassan
al-Tourabi, conduit par Roland Marchal, Politique internationale
n° 64, juin 1994, p. 281.
42
Voir Gérard Prunier, " Le Sud-Soudan depuis
l'indépendance ", op. cit.
43
Voir " Le Sud-Soudan depuis l'indépendance ",
op. cit.
44 Aux distinctions tribales, il faut ajouter les distinctions claniques. Chez
les Dinka par exemple, les clans (Aliab, Agar, Bor, Twic, etc.) jouent un
rôle de " sous-tribus ". Un Dinka Bor est
considéré comme un étranger par les Dinka du Bahr
al-Ghazal.
45
Comme pour l'élection du Parlement national soudanais, le
système électoral était mixte. La moitié des 60
sièges était pourvue au suffrage direct. L'autre moitié
était réservée à des groupes socioprofessionnels
particuliers et élue par une variété de collèges
restreints ; il y avait 3 sièges réservés aux femmes,
3 pour les fermiers, 3 pour les intellectuels, 9 pour les fonctionnaires, 3
pour les commerçants, etc.
46
Les " enfants du pays ", nom donné aux familles
" arabes " de la province Centrale (région de Khartoum-Wad
Medani) qui, depuis un siècle et demi, ont eu sous tous les
régimes un accès privilégié à
l'éducation et aux richesses. Etroitement lié par des alliances
matrimoniales, ce groupe restreint contrôle tous les partis politiques,
l'état-major, les banques, les principales entreprises, etc.
47
" Le nouveau système politique soudanais ou la
démocratie en trompe-l'oeil ", article cité.