CHAPITRE PREMIER
UN PAYS DÉCHIRÉ PAR LA GUERRE DEPUIS
1983 ET ISOLÉ SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE
Depuis l'indépendance, arrachée aux Anglo-égyptiens le 1 er janvier 1956, le Soudan s'enfonce dans une crise politique, économique, religieuse et socio-culturelle inextricable. Les régimes successifs, arrivés au pouvoir tantôt par la voie démocratique, tantôt après un coup d'Etat militaire, tantôt à la suite d'une révolte populaire, n'ont pas pris en considération la spécificité du pays. Au contraire, les dirigeants nordistes n'ont cessé, depuis 40 ans, d'imposer par le feu et le fer la domination arabo-musulmane sur cette terre multiraciale (597 groupes ethniques, 177 langues et dialectes) et multiconfessionnelle (trois religions : 60 % de musulmans, 25 % d'animistes et 15 % de chrétiens).
I. UN PAYS DÉCHIRÉ PAR LA GUERRE
A. LES RACINES DU CONFLIT
Si l'on
en croit Gérard Prunier
3(
*
)
,
chercheur au CNRS et spécialiste de l'Afrique orientale, "
la
question du Sud, principal problème de la nation soudanaise depuis
l'indépendance, n'est pas apparue en 1956. En fait, l'opposition
Nord-Sud est consubstantielle à l'existence du Soudan en tant que nation
et date de l'occupation égyptienne, c'est-à-dire de
1820
. "
En effet, la conquête du Soudan par les armées de Muhammad Ali
était motivée par le désir maintes fois exprimé du
vice-roi de " ramener des Nègres " pour son armée.
Mais, à la différence des musulmans soudanais qui, même
très métissés, furent très vite
considérés comme " arabes " et pouvaient servir
d'auxiliaires au pouvoir égyptien, les groupes animistes étaient
regardés comme un réservoir d'esclaves. Par la suite, les
régions marécageuses du Sud du pays furent explorées par
une " bande d'aventuriers aux origines internationales " et furent
l'objet de véritables " campagnes saisonnières de chasse
à l'homme ".
Ce n'est qu'avec l'avènement du khédive Ismaïl en 1863, que
les autorités du Caire commencèrent à mettre en place une
politique de répression de la traite, par l'intermédiaire
notamment de deux Européens, sir Samuel Baker et le colonel Charles
Gordon. Mais, cette politique alimenta la rancoeur de la population musulmane
soudanaise à l'égard du colonisateur égyptien et contribua
au succès du mouvement mahdiste entre 1881 et 1885. En effet,
ruinée par la fin de la traite (qui rendait les caravanes non rentables)
et choquée de voir des chrétiens européens placés
dans des positions d'autorité, la population du Nord se rallia
massivement au mouvement de lutte contre l'occupant et de retour aux valeurs de
l'islam. On comprend que ce mouvement anti-impérialiste qui fait, encore
aujourd'hui, la légitime fierté des Nord-Soudanais, ne signifie
pas grand chose pour les sudistes !
C'est à cet héritage de violence et de conflit entre
" Arabes " et Négro-Africains que se trouva confrontée
l'administration coloniale britannique après la conquête du Soudan
en 1898. Les très nombreuses révoltes des sudistes conduisirent
l'occupant britannique à mettre en place un encadrement administratif
colonial singulier au Sud-Soudan. Il s'agissait d'assurer un minimum d'ordre au
moindre coût. Très autonomes, les administrateurs du Sud,
d'origine sociale modeste, moins bien payés que leurs homologues du
Nord, apprenaient fréquemment les langues tribales locales et
s'identifiaient d'autant plus étroitement avec " leur " peuple
qu'ils restaient souvent de nombreuses années en poste. Soucieux de
" protéger " les cultures indigènes, ils
gérèrent le Sud de façon " minimaliste ",
laissant le système éducatif aux mains des missions
chrétiennes et maintenant le pays dans un état de
sous-développement économique, social et intellectuel
préjudiciable à la future unité du pays.
Par ailleurs, alors que dans le Nord, l'arabe et l'islam ne furent jamais
combattus ni dévalorisés, par crainte de provoquer un
réveil des sensibilités religieuses et nationalistes, l'anglais
fut déclaré seule langue officielle dans le Sud. Sept langues
locales furent transcrites pour servir de langues administratives,
éducatives et religieuses. L'arabe " pidginisé "
continua cependant de prospérer dans les centres urbains et militaires
créés par les Anglais, demeurant la " langue du pain "
et de l'intégration sociale.
Ce mélange de négligence, de souci d'économie, de
particularisme administratif et de désir de protéger les sudistes
forme la base de ce que l'on a appelé la
Southern policy
4(
*
)
qui coupa radicalement le Nord du
Sud. Pour Catherine Miller, chercheur au CNRS, "
la principale
conséquence de la politique linguistique britannique fut non pas la
modification des usages linguistiques, mais la cristallisation des attitudes
conflictuelles concernant le rôle de la langue arabe et de l'islam dans
la future nation soudanaise. Pour l'élite nordiste, arabophone et
musulmane, la langue arabe et l'islam représentaient des valeurs
authentiquement soudanaises. Pour la petite élite sudiste,
chrétienne et anglophone, la langue arabe et l'islam constituaient des
valeurs étrangères, voire des symboles
d'acculturation
5(
*
)
. "
A l'indépendance, les Nordistes voulurent voir dans cette politique
" un plan diabolique, soigneusement préparé, qui avait pour
but de développer les antagonismes et les conflits entre les enfants
d'un même pays ". Leur tort fut de ne pas prendre en compte les
particularités culturelles et le retard de développement du Sud
et de refuser la solution fédérale proposée par les
représentants du Sud à l'Assemblée constituante. Le 18
août 1954, le Premier ministre Ismaïl al-Azhari menaça de
" la force de l'acier tout sudiste qui oserait attenter à
l'unité nationale ".
Mais l'agitation anti-nordiste se répandit à travers le Sud
lorsqu'en octobre 1954, sur 800 postes de fonctionnaires créés
pour remplacer les Britanniques, la commission de soudanisation ne nomma que 6
sudistes. En août 1955, la 2
e
Compagnie de l'
Equatoria
Corps
se mutinait à Tori et massacrait ses officiers nordistes
nommés en remplacement des officiers anglais. Cette mutinerie constitue
l'acte fondateur d'une guerre civile qui, excepté la parenthèse
de onze ans de paix (1972-1983) sous le régime autoritaire du
général Nimeiri, n'a jamais cessé.
Au total,
la description du conflit soudanais comme une guerre " entre
le Sud animiste et chrétien et le Nord musulman " correspond
à une vision simpliste et trompeuse du Soudan
6(
*
)
. Outre le fait que la rébellion
sudiste ne combat pas pour des valeurs religieuses, le Soudan n'a jamais
été un pays uni et l'erreur des Anglais lors de l'abolition de la
Southern policy
en 1946 fut, selon Gérard Prunier, de
déclarer les peuples négro-africains du Soudan
"
inextricablement liés au Moyen-Orient et au Nord-Soudan
arabisé
" et de créer un lien purement artificiel entre
deux entités que tout séparait depuis plus d'un siècle.
Aujourd'hui, le conflit avec Khartoum mêle arguments culturels (Arabes
contre Africains), ethniques (Nuers et Shilluks contre Dinkas), religieux
(Islam contre christianisme et animisme), mais aussi économiques et
politiques. Les champs pétrolifères étant, pour
l'essentiel, localisés au Sud, les sudistes reprochent aux
autorités de Khartoum - au sein desquelles ils sont faiblement
représentés - de vouloir contrôler ces richesses à
leur unique profit.
B. LA REPRISE DE LA GUERRE EN 1983
La
guerre connut une trêve de onze ans sous le régime militaire du
général Nimeiri. Progressiste, soutenu par le Parti communiste
soudanais, Nimeiri ne souhaitait ni poursuivre une politique d'islamisation
forcée qui avait fait la preuve de son inefficacité, ni la
sécession du Sud-Soudan. Il créa un ministère des Affaires
du Sud, d'abord confié à Joseph Garang, puis à Abel Alier,
tous deux des sudistes de l'ethnie Dinka. Le 27
février 1972
,
l'
accord d'Addis Abeba
, négocié par Abel Alier, scella la
paix entre le gouvernement et la rébellion sudiste. L'accord instaurait
un Etat fédéral gouverné par une Assemblée
régionale élue au suffrage universel et par un Haut Conseil
exécutif (HCE), tous deux installés à Juba, qui devenait
la capitale de la région autonome du Sud. L'article 6 donnait à
l'arabe le rang de langue nationale mais reconnaissait l'anglais comme
" langue principale de la région du Sud ". D'autres
dispositions préservaient l'unité de citoyenneté,
garantissaient des droits égaux sans distinction d'origine, de langue ou
de religion, organisaient la collecte de l'impôt et prévoyaient la
création d'une commission d'aide aux réfugiés.
Toutefois, le manque d'empressement des autorités soudanaises à
mettre en oeuvre le volet économique de l'accord d'Addis-Abeba fut la
cause d'un désenchantement croissant de la population sudiste, qui
était pourtant initialement très favorable au président
Nimeiri. Prenant comme justification la difficulté du Sud à
absorber les capitaux faute de personnel qualifié capable de les
utiliser, le Nord commença à ne pas payer les fonds prévus
pour la région. La commission de développement régional de
Juba ne toucha jamais le million de livres soudanaises qui devait former son
capital de départ. Le montant de l'aide internationale était plus
de dix fois celui que Khartoum consacrait au Sud.
Par ailleurs, la
politique de Réconciliation nationale
mise en
oeuvre par Nimeiri à partir de 1977 pour se concilier les
représentants des forces islamistes et traditionalistes après
l'expulsion du gouvernement de ses alliés communistes, élargit la
fêlure entre le Nord et le Sud en menaçant l'un des acquis de
l'accord d'Addis-Abeba, la laïcité. Une commission fut en effet
chargée de revoir l'ensemble de la législation pour la modifier
en accord avec les préceptes de la sharia coranique. En outre, au fur et
à mesure que l'influence islamiste remontait à Khartoum, le
rôle des sudistes dans le gouvernement central diminuait.
Enfin,
deux événements approfondirent la rupture entre le Nord
et le Sud
. En premier lieu, la
politique de redivision du
Sud
7(
*
)
menée par le
nouveau chef de l'exécutif sudiste, Joseph Lagu à partir de 1978,
fut la cause d'un déchirement au sein de la classe politique sudiste
entre pro et anti-redivisionnistes. Selon Gérard Prunier
8(
*
)
, Joseph Lagu, originaire de
l'Equatoria-oriental, et fondateur du Mouvement de libération du
Sud-Soudan en 1970, était "
doué de plus d'esprit de
revanche contre la " dinkacratie " du régime Alier que
d'efficacité ou d'honnêteté
".
En second lieu, alors que la perspective d'une
exploitation
pétrolière
suscitait des espoirs immenses dans le Sud, le
gouvernement de Khartoum prit la décision d'exporter directement le brut
en construisant un pipe-line jusqu'à Port-Soudan, ce qui confortait la
population sudiste dans la conviction qu'à l'exemple du canal de
Jongleï, tous les projets établis sur son sol étaient
entrepris au seul bénéfice du Nord-Soudan.
Le catalyseur de la reprise de la guerre fut la
mutinerie de la garnison de
Bor
, qui refusait sa mutation au Nord. Le président Nimeiri
déclencha une opération militaire en mai 1983 contre les mutins
et proclama la redivision de la région autonome du Sud. Enfin, le 9
septembre 1983, il instaurait des lois islamiques
9(
*
)
qui rendirent la guerre avec le Sud
absolument inexpiable. Il céda le pouvoir en 1985 à un Conseil
militaire transitoire, puis à un pouvoir civil démocratiquement
élu en 1986.
C. LES FACTEURS D'EXACERBATION DES TENSIONS
Le
conflit a depuis été envenimé et compliqué par
plusieurs événements. En 1989, alors que les partis traditionnels
au pouvoir, discrédités auprès de la population du fait de
leurs divisions incessantes, s'avéraient incapables de rétablir
la paix, le
coup d'Etat du général Omar el-Béchir
porta au pouvoir le Front national islamique (FNI) dirigé par Hassan
al-Tourabi. Le nouveau régime soudanais intensifia la politique
d'islamisation forcée du Sud, sans hésiter à pratiquer des
déplacements de population, des conversions forcées et la torture.
Par ailleurs, en août 1991,
la rébellion sudiste
, affaiblie
par la chute du président éthiopien Mengitsu Hailé Mariam,
son seul soutien extérieur,
éclata en deux factions
rivales
: le mouvement populaire de Libération du Soudan (MPLS)
- dont le bras armé est l'Armée de libération du
Soudan " (APLS) - du leader historique John Garang, partisan d'un
" Nouveau Soudan " laïc et respectueux des minorités, et
un courant dissident, favorable à la sécession du Sud du pays,
l'
APLS unifié
, dirigé par Riek Machar et Lam Akol. Les
raisons d'une telle sécession sont liées à l'histoire de
la guérilla mais aussi aux divisions tribales. Ecoutons Roland
Marchal
10(
*
)
:
"
Lorsque John Garang prend la direction de la rébellion en
1983, il élimine sans coup férir le courant favorable à la
sécession du Sud et dirige l'APLS en véritable autocrate. Huit
ans plus tard, la crise éclate au sein d'une guérilla affaiblie
puisqu'elle vient de perdre le sanctuaire éthiopien, à la suite
de la chute du président Mengitsu. C'est le moment que choisissent les
contestataires pour s'en prendre à la " dictature " de John
Garang et fonder l'APLS unifié. Le mouvement dissident s'appuie sur une
base ethnique composée essentiellement de Shilluks et de Nuers, tandis
que le courant majoritaire est censé représenter les
intérêts des Dinkas. Il défend la thèse de la
sécession - une revendication qui fait de plus en plus d'adeptes au
delà même des rangs de l'APLS unifié, tant les
désillusions sont grandes vis-à-vis des partis nordistes. La
popularité croissante du discours autonomiste oblige John Garang, en
octobre 1993, à prôner à son tour
l'autodétermination du Sud-Soudan.
"
La scission inaugura une période d'affrontements meurtriers
,
favorable à l'émergence de seigneurs de la guerre, vendus au plus
offrant. Ainsi, après avoir suivi Riek Machar (originaire de la tribu
des Nuers) en 1991, Lam Akol, accusé de collaborer avec Khartoum, fut
chassé de l'APLS unifié en 1994. Il mène depuis une
politique de chef de guerre indépendant, régnant sur le petit
fief de son ethnie, les Shilluk, à l'extrême Nord de l'Etat du
Haut-Nil.
Par ailleurs, isolé par le rapprochement de John Garang et des opposants
nordistes réunis au sein de l'Alliance nationale démocratique
(AND) en juin 1995, Riek Machar créé un nouveau parti, le
Mouvement pour l'Indépendance du Sud-Soudan
(MISS). En avril
1996, il est contraint de signer un accord de paix à Khartoum, devenant
paradoxalement un allié militaire du gouvernement islamiste. En 1997, il
fonde le
Front de Salut National Démocratique et Uni
(FSNDU) et
est nommé Président du Conseil de Coordination des Etats du Sud
et " adjoint " du Président de la République.
Enfin, l'armée gouvernementale a favorisé partout
l'émergence de milices tribales pour diviser la rébellion et
saper sa base civile, à tel point que les luttes de clans et d'ethnies
font probablement plus de victimes que les combats avec l'armée.
Un conflit tribal entre l'influente tribu des Habbaniyah et la tribu des Abou
Dereq dans le Sud-Darfour a ainsi récemment fait plus de 100
morts.
D. UN DÉSASTRE HUMANITAIRE
Les
combats ensanglantent tout le Sud, un territoire de 700 000
kilomètres carrés que l'armée gouvernementale ne
contrôle qu'en partie. Les pistes, seules voies de communication
existantes sont impraticables la moitié de l'année, lors de la
saison des pluies. Aussi, la
famine
touche-t-elle le pays de
façon plus ou moins endémique, en dépit des moyens
humanitaires consacrés par la communauté internationale. Elle
concerne essentiellement les
populations civiles
déplacées
du fait de la guerre qui sont estimées
à 1,5 million de personnes.
Déjà, en 1983, Médecins sans frontières
décrivait la situation du Soudan comme la plus grave et la plus profonde
des crises humanitaires que connaisse la planète. Depuis, la situation
ne s'est pas améliorée.
En 1988, une famine fit plus de 250 000 morts. Les Nations Unies
réagirent en créant l'Opération " ligne de vie pour
le Soudan " ou "
Lifeline Soudan
" (OLS), un consortium
d'une quarantaine d'organisations non gouvernementales (ONG) et d'agences
onusiennes.
Dix ans plus tard, la famine n'a toujours pas été
éradiquée. En 1998, outre des conditions climatiques peu
favorables liées au phénomène d'el Nio, une rupture dans
l'acheminement de l'aide alimentaire est intervenue à la suite des
hostilités déclenchées en janvier dans la région du
Bahr el-Ghazal par le chef rebelle Kerubino qui a rompu la trêve qu'il
avait signée avec le gouvernement. Sa tentative de prendre de
l'intérieur la ville de Wau avec l'appui des forces de l'APLS a
occasionné de nombreux massacres, jeté des milliers de personnes
sur les routes et provoqué une vive réaction de Khartoum qui a
interdit toute opération humanitaire pendant deux mois.
Sous la pression de la communauté internationale, le gouvernement
soudanais a rétabli le 31 mars 1998 les autorisations de vol
humanitaires interrompus pendant les trois premiers mois de l'année. Il
a en outre accepté d'en renforcer le rythme et s'est engagé
à garantir l'accès de l'ensemble du territoire soudanais aux
organisations travaillant dans le cadre de l'OLS. Les secours aux milliers de
personnes déplacées, menacées de famine ont repris, mais
ils ont été toutefois gravement perturbés par la poursuite
des combats.
Par ailleurs, à la suite d'une visite inopinée du
Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, à
Khartoum en mai 1998, le gouvernement soudanais a annoncé l'ouverture de
la région des Monts Nouba, dans le Kordofan méridional, à
l'aide humanitaire.
Malgré ces mesures, la situation a continué à se
détériorer. L'augmentation du taux de mortalité par
malnutrition, constatée mi-juillet dans le Bahr el-Ghazal, la
prolifération de la malaria, de la dysenterie, d'infections
respiratoires et l'état de plus en plus critique dans lequel des
familles arrivent vers les centres où travaillent les organisation non
gouvernementales (ONG) ont fait éclater l'évidence de
détournements systématiques de nourriture au profit des
combattants ou des tribus les mieux implantées sur le lieu des
distributions.
Au plus fort de la famine, au cours du mois de juillet 1998, les organisations
humanitaires faisaient ainsi état de 50 à 70 décès
par jour dans le seul petit village d'Ajiep dans l'Etat du Bahr el-Ghazal.
1.330 personnes sont mortes à Wau, la capitale, au cours du mois
d'août. 55 % des enfants de moins de cinq ans souffraient de
problèmes de malnutrition. La délégation
sénatoriale a d'ailleurs pu prendre la mesure de ce drame à la
périphérie de Khartoum, dans un camp de déplacés
rassemblant des centaines de milliers de Soudanais.
Face à cette situation, un
cessez-le-feu de trois mois a
été décrété
par les deux parties en
conflit
le 15 juillet 1998
, pour permettre l'acheminement de l'aide vers
les populations civiles les plus vulnérables du Bahr el-Ghazal. Il a
permis au Programme alimentaire mondial (PAM) d'organiser le pont aérien
le plus important et le plus coûteux de son histoire (un million de
dollars par jour). 16.400 tonnes de nourriture ont ainsi pu être
délivrées à la population en août grâce
à la mobilisation de 15 avions Hercule, contre 10.300 tonnes en juillet.
Le cessez-le-feu a été prolongé de trois mois par les deux
parties au début du mois d'octobre.
Bien que la situation semble maîtrisée à l'heure où
ce rapport est mis sous presse, la sécurité alimentaire des
habitants du Sud du Soudan n'est pas assurée avant les prochaines
moissons, soit dans plus d'un an (octobre 1999). Or, pour que les terres
puissent être cultivées, il faut que les agriculteurs en disposent
en toute sécurité.
Au total, la communauté internationale se trouve aujourd'hui devant un
dilemme bien difficile à trancher : il va de soi que la perfusion
alimentaire permanente depuis dix ans du Sud Soudan contribue à
perpétuer les luttes entre le Nord et le Sud, et pourtant, le monde ne
peut se permettre de laisser les Soudanais mourir de faim.
Aussi, est-il d'autant plus urgent de trouver une solution politique à
ce conflit dramatique, pour ne pas avoir à en panser les plaies.