Le dépositaire du pacte fondamental

Après le coup d’État du 2 décembre 1851, Louis-Napoléon BONAPARTE, « persuadé que la prépondérance d’une seule assemblée est une cause permanente de trouble et de discorde », en tire les enseignements. La Constitution du 14 janvier 1852 instaure, aux côtés du Corps législatif, une chambre haute pondératrice et gardienne du pacte fondamental142. Celui qui est encore le Président de la République présente en ces termes le Sénat :


« Une autre assemblée prend le nom de Sénat. Elle sera composée des éléments qui, dans tout le pays, créent les influences légitimes : le nom illustre, la fortune, le talent et les services rendus. Le Sénat n’est plus, comme la Chambre des Pairs, le pâle reflet de la Chambre des Députés […].


Il est le dépositaire du pacte fondamental et des libertés compatibles avec la Constitution ; et c’est uniquement sous les rapports des grands principes sur lesquels repose notre société, qu’il examine toutes les lois et qu’il en propose de nouvelles au pouvoir exécutif. Il intervient, soit pour résoudre toute difficulté grave qui pourrait s’élever pendant l‘absence du Corps législatif, soit pour expliquer le texte de la Constitution et assurer ce qui est nécessaire à sa marche. Il a le droit d’annuler tout acte arbitraire et illégal143. »


Le système bicaméral du Second Empire repose donc sur une spécialisation de chacune des deux chambres, la première étant douée de la puissance législative, la seconde du pouvoir constituant.


Tout comme le Sénat du Premier Empire, celui de 1852 est composé de l’élite de la nation. Nommés par celui qui est pour quelques mois encore président de la République, ses membres sont tout naturellement choisis parmi plus enthousiastes envers la personne de Louis-Napoléon BONAPARTE. De fait, c’est à l’unanimité moins une voix d’abstention que les quatre-vingt-sept sénateurs adoptent, le 7 novembre 1852, le sénatus-consulte rétablissant la dignité impériale pour le 2 décembre 1852.

Figure 40 : Sénateurs du Second Empire en tenue, Archives du Sénat, 71S 344. (JPG - 100 Ko)

Figure 40 : Sénateurs du Second Empire en tenue,

Archives du Sénat, 71S 344.

Le Sénat de « l’Empire autoritaire » à « l’Empire parlementaire »


La nouvelle chambre haute se compose de sénateurs nommés et de membres de droit. Ces derniers sont les membres de la famille impériale, les cardinaux, les maréchaux et les amiraux. Constitué de quatre-vingt membres à l’origine, le Sénat impérial en compte à la fin du règne cent-cinquante, les membres nommés étant d’anciens diplomates, ministres ou militaires gratifiés ainsi pour leurs services.


À l’aune des vifs débats et des grandes discussions qui, sous la Monarchie de Juillet, ont agité la chambre des Pairs, le Sénat du Second Empire est un modèle de docilité. De fait, la Constitution de 1852 ne lui laisse ni la liberté de parler ni celle d’agir, puisque cette assemblée est avant tout gardienne « du pacte fondamental et des libertés publiques144». En outre, à l’instar de celles du Sénat conservateur, les séances du Sénat du Second Empire ne sont pas publiques et ne font pas, à l’origine, l’objet d’un compte rendu. Certes, quelques membres remuants revendiquent le droit à la discussion, comme en 1856, mais ces velléités sont bien vite étouffées. Le sénateur Édouard DROUYN DE LHUYS, illustre diplomate français et ancien ministre des Affaires étrangères, démissionne du Sénat pour l’occasion mais est bien vite convaincu de le réintégrer.


Le processus de libéralisation du Second Empire, mis en place au début de la décennie 1860, apporte son lot de modernisation dans le fonctionnement de la Chambre Haute. Le Sénatus-consulte des 2 et 4 février 1861 dispose ainsi  que « les comptes rendus des séances du Sénat et du Corps législatif […] sont adressés chaque soir à tous les journaux. En outre, les débats de chaque séance sont reproduits par la sténographie et insérés in extenso dans le journal officiel [Le Moniteur] du lendemain145. »


En 1867, un grand pas est accompli dans le sens de la liberté parlementaire à l’occasion de la publication de la lettre de NAPOLÉON III du 19 janvier 1867. La Constitution est amendée par le sénatus-consulte du 14 février de la même année qui instaure le droit d’interpellation du Gouvernement par les deux chambres146. Un parlementaire peut dorénavant questionner ou interpeller le Gouvernement durant les séances du Corps législatif comme lors de celles du Sénat. En outre, le Sénat se trouve partiellement réintégré dans le processus législatif en renouant avec un droit de veto suspensif. Il obtient en effet le pouvoir de renvoyer au Corps législatif une proposition de loi pour une nouvelle délibération147. La première interpellation trouve son origine dans la question romaine et la défense des États pontificaux face aux chemises rouges de Garibaldi. À la suite d’une interpellation signée par plusieurs cardinaux-sénateurs parmi lesquels l’archevêque de Paris, monseigneur DARBOY, le ministre des Affaires étrangères, le marquis de MOUSTIER, est sommé de préciser, lors des séances des 23 et 30 novembre 1867, la politique de la France à l’égard de PIE IX148.


Le 8 mai 1870, au terme d’un plébiscite approuvé par plus de 7 millions de « oui » – le troisième usage de cet outil éminemment bonapartiste depuis 1851 – une révision constitutionnelle transforme le régime en un système authentiquement parlementaire. La spécialisation des deux chambres étant abandonnée, le Sénat perd le pouvoir constituant qu’il a pour la dernière fois, et à regret, utilisé par le sénatus-consulte du 20 avril qui sanctionne sa propre dépossession. Mais il partage dorénavant le pouvoir législatif avec l’Empereur et le Corps législatif149.

Le registre de la famille impériale


Aux termes de l’article 8 du sénatus-consulte du 25 décembre 1852 portant interprétation de la Constitution du 14 janvier: « Les actes de l’état civil de la famille impériale sont reçus par le ministre d’État et transmis, sur un ordre de l’Empereur, au Sénat, qui en ordonne la transcription sur ses registres et le dépôt dans ses archives150. » Le Sénat est donc gardien des actes d’état civil de la famille impériale.


C’est pourquoi il conserve un registre sous la forme d’un « grand ouvrage in-quarto relié en velours vert impérial, orné aux quatre coins d’abeilles, sculptures en argent doré151 […] ». Y est notamment inscrit le mariage de NAPOLÉON III avec Eugénie de MONTIJO créditée, pour l’occasion, d’une abondante titulature nobiliaire. Figurent également le mariage du prince NAPOLÉON avec Marie-Clotilde DE SAVOIE en 1859 et la naissance du prince impérial, le 12 mars 1856, durant le Congrès de Paris152.

 Figure 41 : Le registre des Abeilles, acte d’état-civil de la famille impériale, Bibliothèque du Sénat, RFP 789. (JPG - 38 Ko)


Figure 41 : Le registre des Abeilles, acte d’état-civil de la famille impériale,
Bibliothèque du Sénat, RFP 789.

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