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Table des matières
Malades en fin de vie (Question orale avec débat)
SÉANCE
du mardi 8 avril 2008
70e séance de la session ordinaire 2007-2008
présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président
La séance est ouverte à 10 h 5.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Chèque emploi associatif
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'extension du chèque emploi associatif.
Discussion générale
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille. - (Applaudissements à droite) C'est un honneur pour moi de défendre ce premier texte au Sénat en tant que nouvelle secrétaire d'État chargée de la famille. Je représente M. Xavier Bertrand, qui, retenu, ne peut être présent ce matin.
Cette proposition de loi, portée par MM. les députés Decool et Lamour, qui étend le chèque emploi associatif, répond aux attentes des associations en simplifiant des procédures administratives. J'aimerais défendre plus souvent de tels textes : simples, rendant compte des réalités du terrain et favorisant les embauches et l'emploi, objectif essentiel dans le contexte économique actuel.
Le secteur associatif est un secteur dynamique qui se caractérise par le bénévolat. Pour appuyer l'activité de leurs membres bénévoles, les associations embauchent souvent des salariés. Sur les 1 100 000 associations recensées en France, 160 000 emploient 1 600 000 salariés. La réduction des formalités administratives liées à l'embauche est donc susceptible de leur apporter la souplesse dont leurs administrateurs ont besoin pour se concentrer sur leurs missions premières. Plus de simplicité pour embaucher, c'est plus d'embauches !
Tel a été l'objectif du chèque emploi associatif créé par la loi du 19 mai 2003. Ce dispositif accessible aux associations à but non lucratif facilite le paiement des salaires et des charges sociales et simplifie les procédures liées à l'embauche. En paiement du salaire, l'association remet au salarié un chèque dont le montant brut est majoré de 10 % au titre de l'indemnité représentative des congés payés. Parallèlement, elle adresse au Centre national du chèque emploi associatif (CNCEA), rattaché à l'Urssaf d'Arras, un volet social qui permet l'envoi d'une attestation d'emploi valant bulletin de paye et le calcul du montant des charges sociales qui seront prélevées automatiquement sur le compte bancaire de l'association. L'association utilisant le chèque emploi associatif se voit aussi dispensée de certaines formalités administratives comme la déclaration unique d'embauche ou les déclarations annuelles des salaires. Près de la moitié des associations utilisatrices déclarent leurs salariés par Internet.
Initialement réservé aux associations employant au plus un équivalent temps plein, le chèque emploi associatif a vu son plafond porté à trois équivalents temps plein, correspondant à 4 821 heures de travail par an, par l'ordonnance du 18 décembre 2003. La présente proposition de loi porte le plafond à neuf équivalents temps plein. Cette extension est raisonnable parce qu'elle réserve le chèque emploi associatif aux associations de moins de dix salariés, seuil déclencheur d'une série d'obligations sociales -dont le versement transport- peu compatibles avec ce titre de paiement.
Avec cette extension, nous apportons aux associations plus de facilité dans la gestion de leur personnel, avec des effets sur l'emploi qui se feront sentir dès l'embauche d'un quatrième salarié. Cette mesure de simplification n'a pas pour autant vocation à se substituer systématiquement à l'établissement d'un contrat de travail. En effet, le chèque emploi associatif suppose l'accord du salarié et, d'autre part, il est dans certains cas difficilement compatible avec l'application de conventions collectives auxquelles sont soumises les associations. Les associations de moins de dix salariés peuvent d'ailleurs bénéficier d'une assistance à la gestion de leur personnel grâce au dispositif « Impact Emploi Association » mis en place par l'Urssaf, qui leur permet de faire appel à un tiers de confiance pour gérer les salaires et les cotisations sociales. Avec le relèvement du plafond, les associations de moins de dix salariés disposeront d'une gamme plus étendue d'outils leur permettant d'embaucher plus facilement.
Le Gouvernement est favorable à cette proposition de loi. C'est avec de telles propositions d'origine parlementaire, relevant ce qui se fait de mieux sur le terrain, que nous rendons un maximum de service à nos concitoyens. En tant que membre du Gouvernement et ancienne représentante du peuple, je plaide pour la multiplication d'initiatives telles que celle de M. Decool, présent à la tribune, et de M. Lamour. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur de la commission des affaires sociales. - Ce texte a un objectif simple : faciliter la vie des associations, et notamment des plus petites d'entre elles. Elle répond à leur attente. Je rends hommage à nos collègues députés qui en ont pris l'initiative, M. Decool, présent ce matin dans nos tribunes, et M. Lamour.
L'importance du secteur associatif dans notre pays n'est plus à démontrer.
La France compte plus d'un million d'associations ; il s'en crée près de soixante mille par an. Elles relèvent de secteurs d'activité très divers, le sport, la culture et les loisirs, la défense des droits et des causes, l'action sociale et la santé. Plus de vingt millions de personnes en sont membres et quatorze millions de bénévoles y travaillent, soit l'équivalent de plus de neuf cent mille emplois à temps plein. Leur budget cumulé, de l'ordre de 59 milliards d'euros, croît plus rapidement que la richesse nationale.
Avec un million neuf cent mille salariés, soit un peu plus d'un million d'équivalents temps plein, l'emploi associatif représente plus de 5 % de l'emploi salarié total. Parmi les cent soixante-douze mille associations employeurs, la moitié emploient un ou deux salariés et les trois quarts moins de dix salariés. Les communes entretiennent des relations financières avec les deux tiers des associations, l'État ne participant au financement que de 10 % d'entre elles. Ces chiffres témoignent de la vitalité du secteur associatif et de son potentiel en termes d'emplois.
Pour faciliter les formalités d'embauche, particulièrement dissuasives pour les petites structures, la loi du 19 mai 2003, votée à l'initiative de M. Decool et que j'avais rapportée devant le Sénat, a créé le chèque emploi associatif. Émis par les banques, il permet le paiement des salaires et le calcul des charges sociales par le Centre national du chèque emploi associatif (CNCEA), géré par l'Urssaf d'Arras. Ces charges sont ensuite prélevées automatiquement. Le chèque emploi associatif dispense de nombreuses obligations administratives, de la déclaration unique d'embauche aux déclarations annuelles des salaires en passant par la tenue d'un registre du personnel, l'établissement de bulletins de paie -qui sont envoyés aux salariés par le CNCEA- ou d'un contrat de travail écrit.
Le succès de ce dispositif a conduit le Gouvernement à élargir le champ du chèque emploi associatif : l'ordonnance du 18 décembre 2003 a porté à trois équivalents temps plein le nombre de salariés permettant d'y recourir, la durée annuelle du travail ne devant pas dépasser 4 821 heures. Fin 2007, un peu plus de quarante-quatre mille associations utilisaient le chèque emploi associatif pour rémunérer environ cent treize mille salariés, soit soixante-deux mille équivalents temps plein, ce qui est loin d'être négligeable.
Cette proposition de loi propose de porter de trois à neuf équivalents temps plein l'effectif maximal permettant d'utiliser le chèque emploi associatif. Selon les chiffres approximatifs dont nous disposons, plus des trois quarts des associations employeur, soit plus de trois cent mille salariés, en bénéficieront au lieu de quatre-vingt à quatre-vingt-dix mille aujourd'hui.
Le choix du nouveau seuil, plutôt que la généralisation du dispositif, se justifie par le fait que l'objet de celui-ci est avant tout de simplifier le fonctionnement des petites structures. En outre, à partir de dix salariés, la structure des cotisations assises sur les salaires devient plus complexe et la centralisation par le CNCEA serait plus difficile à gérer.
Cette proposition de loi prend en compte la réalité du terrain et favorisera les embauches. Elle étend de façon pragmatique un dispositif qui marche, elle simplifie et facilite l'application des règles sociales. Par sa souplesse, le chèque emploi associatif convient à l'association employeur comme au salarié ne désirant travailler que quelques heures. Il permet aussi de justifier plus facilement l'usage des subventions reçues. La commission vous propose d'adopter ce texte conforme. Nous ferons ainsi oeuvre utile pour le développement d'un secteur vivant et dynamique, auquel les élus comme les citoyens sont à juste titre attachés. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Janine Rozier. - Avec plus d'un million d'associations, la France est l'un des pays où le mouvement associatif est le plus développé. La participation de bénévoles au service de la communauté est en forte croissance. Les notions d'altruisme, d'engagement, de solidarité sont sans doute plus présentes lorsque le monde se durcit.
Les bénévoles ne peuvent à eux seuls faire fonctionner les associations, ils doivent s'adjoindre l'aide de salariés, quelques heures par semaine ou par mois. Le secteur associatif remplit ainsi, outre son rôle social, un rôle économique majeur puisqu'il est l'un des premiers employeurs de France avec un million cinq cent mille à deux millions de salariés. Une association sur six emploie au moins un salarié.
Il était autrefois très dissuasif pour une petite association de s'exposer aux lourdeurs et à la complexité de notre réglementation sociale en embauchant des salariés. Les bénévoles peinent généralement à établir un contrat de travail, les fiches de paie et les déclarations trimestrielles, à correspondre avec les organismes sociaux. Le recours à un prestataire externe est coûteux, la confection d'une fiche de paie revenant à environ 25 euros, même pour rémunérer trois ou quatre heures de travail.
La création du chèque emploi associatif en 2003, suivant l'exemple du chèque emploi service, a répondu à une forte demande des associations. Un premier bilan montre que le dispositif a favorisé les embauches et a contribué à lutter contre le travail au noir. Le taux d'utilisation du chèque associatif est proche de 50 % pour les associations concernées. Ce succès se heurte toutefois au seuil retenu en mai, puis en décembre 2003.
Selon une estimation du ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, 30 % des employeurs associatifs ont de trois à neuf salariés. Selon le CNCEA, le chèque emploi concerne actuellement cent treize mille postes ; ce chiffre pourrait être porté à plus de cent trente-sept mille si le seuil passait à neuf équivalents temps plein.
L'impact de cette proposition de loi est donc loin d'être négligeable et va dans le sens de l'écoute due aux familles, principales utilisatrices des associations ; je me réjouis de la présence ce matin de la nouvelle secrétaire d'État à la famille.
Aller au-delà du seuil de neuf équivalents temps plein créerait des complications administratives, juridiques et sociales. La solidarité nationale doit avant tout s'exercer au profit des petites associations, qui ne rencontrent pas les mêmes problèmes de financement et d'emploi que les plus grandes. Pour le groupe UMP, le seuil retenu est le bon. Nous voterons ce texte qui nous donne l'occasion de rendre hommage au monde associatif, au sein duquel s'expriment les passions et le dévouement de nos concitoyens. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-François Voguet. - Permettez tout d'abord au membre de la commission des affaires culturelles que je suis de regretter que ce texte n'ait pas été soumis pour avis à cette commission, dont relève la vie associative. Il n'a pas non plus été soumis au Conseil national de la vie associative, ni aux représentants traditionnels de la vie associative, ni aux syndicats de salariés.
On s'apprête à modifier une nouvelle fois le code du travail, sans la concertation nécessaire.
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - C'est une proposition de loi !
M. Jean-François Voguet. - Il fallait consulter, négocier, d'abord parce que le chèque emploi associatif fut - déjà !- créé dans la précipitation en 2003. Il devait permettre aux associations d'embaucher dans des conditions allégées. Pourtant, un mois avant son entrée en vigueur prévue au 1er janvier 2004, une ordonnance l'étendait aux associations employant trois équivalents temps plein au lieu d'un, transformant ce qui était un moyen de simplification en outil de gestion. Mme Desmarescaux, rapporteur de la première proposition de loi, jugeait alors que « les associations plus importantes disposent des ressources humaines et matérielles nécessaires pour faire face à leurs démarches administratives ». Le rapport de l'Assemblée nationale affirmait clairement : « il faut permettre aux associations qui n'ont pas encore franchi le cap du passage au statut d'employeurs de surmonter les réticences psychologiques qui l'accompagnent ». Le nouveau dispositif était donc destiné à de petites structures n'ayant besoin que de quelques heures de travail hebdomadaire rémunéré, mais pour qui ce travail était indispensable.
Avant de modifier le chèque emploi association, il eût été pertinent de l'évaluer en concertation avec les intéressés. A fortiori, avant de le dénaturer encore en l'élargissant aux trois-quarts des associations employeurs ! Il nous est en réalité proposé de précariser davantage encore l'emploi associatif, alors que les pouvoirs publics soutiennent depuis plusieurs années sa professionnalisation.
Cette proposition de loi vient après le blocage des budgets destiné à la formation des bénévoles, après la chute des subventions, après la réduction des partenariats locaux en faveur de l'éducation populaire. À cela s'ajoutent les interrogations sur l'avenir des contrats pluriannuels. Ainsi la politique gouvernementale prend-elle forme par touches successives, qui vont toutes dans le même sens : leurs ressources diminuant et devenant précaires, les associations doivent disposer d'outils de gestion pour précariser leur personnel. Tel est le sens de la proposition de loi. Dorénavant, des emplois permanents ou semi-permanents pourront être rémunérés sans contrat de travail ; il sera plus facile de s'en libérer en cas de restriction des crédits.
Quelque cent treize mille personnes travaillent déjà sous ce régime précaire, ne percevant ni prime de précarité ni indemnité de licenciement quand il est mis fin à leur travail. Avec le texte, ce nombre dépasserait deux cent mille. Selon l'un de ses auteurs, M. Lamour, qui était en 2003 ministre de la vie associative, 31 % des salariés rémunérés par chèque emploi associatif sont des jeunes de 20 à 29 ans, comme s'il était naturel de faire rimer jeunesse et précarité. A contrario, près de 70 % des intéressées sont des adultes, dont les familles aussi subissent cette précarité. Et vous voudriez aller plus loin ! Nous ne pouvons l'accepter. En développant ces relations du travail au sein du monde associatif, vous ouvrez la porte à leur extension dans l'ensemble des petites entreprises.
Si nous refusons son extension, nous ne rejetons pas le dispositif en son principe. Puisque seules 21 % des associations pouvant y prétendre l'utilisent, il faudrait mieux le faire connaître. Nous pourrions même l'étendre, à condition que son usage soit limité à un certain nombre d'heures ou à certains types d'emplois. Il pourrait alors faciliter la rémunération de certaines activités, sans compromettre les emplois permanents, indispensables à la pérennité d'associations dont notre société a tant besoin.
D'autre part, il faudrait examiner la convention collective de référence et le cadre des droits à la retraite. Ni le droit aux congés, ni celui à la formation professionnelle ne sont actuellement établis. Après une vraie réflexion, nous sommes prêts à revaloriser ce dispositif ; aujourd'hui, nous ne pouvons que voter contre la proposition de loi.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. - Dommage !
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - Dommage pour les associations !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. - L'activité du secteur associatif en France, l'attachement de nos concitoyens, l'importance de son activité culturelle et sociale en font un sujet de premier ordre.
L'extension du chèque emploi associatif s'inscrit dans un contexte qui va de la gestion des associations à la vie des quartiers ou à la culture de proximité, couvrant ainsi le quotidien de nombreux Français. Sur le sujet, nous disposons d'une littérature abondante, qui ne date pas d'hier. Depuis 1901, les structures associatives ont connu bien des aménagements, mais autour de principes unificateurs : la liberté d'agir dans un espace spécifique, entre l'État et le marché, régi par la société civile, le caractère non lucratif, la réalisation d'objectifs sociaux.
Il est peu d'acquis sociaux à l'origine desquels on ne trouve des regroupements d'hommes et de femmes associés pour faire reconnaître des droits ou des besoins, pour créer de nouveaux services : depuis qu'elles existent, les associations ont toujours été porteuses d'innovations. L'extension du chèque emploi associatif n'est pas exactement une nouveauté : il s'agirait plutôt d'une réparation, une amélioration nécessaire mais insuffisante, que les associations appellent de leurs voeux.
Rappelez-vous : lorsque M. Raffarin est arrivé aux affaires en 2002, il a gravement mis à mal le monde associatif. Il ne se doutait pas que sa formule fleurie « la pente est rude, mais la route est droite » serait particulièrement appropriée au débat d'aujourd'hui. (Sourires)
M. Jean-Pierre Michel. - Pour accéder au perchoir !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. - Il lui avait sans doute échappé que la pente dirige vers le bas et que l'emprunter en ligne droite fait descendre plus vite ! En supprimant d'un revers de manche les emplois jeunes, les contrats emploi solidarité (CES) et les contrats emploi consolidés (CEC), le Premier ministre illustrait avec panache le génie de sa formule, puisqu'il mettait le milieu associatif sur la pente douce des difficultés.
Pour corriger les méfaits de cette décision incongrue, la loi du 19 mai 2003 a créé le chèque emploi associatif. Dès le 18 décembre suivant, une ordonnance portait de un à trois équivalents temps plein le nombre maximal de salariés pouvant être rémunérés par ce moyen. C'était une sorte de reconnaissance des grands besoins des associations...
Il faudra attendre 2008 pour que le seuil soit porté à neuf équivalents temps pleins, sous réserve que l'association emploie moins de dix salariés. Sans cette réserve, le progrès nous entraînerait trop loin. La route est longue...
M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et de solidarité, devait répondre aux attentes des partenaires sociaux. Les associations, notamment celles réunies dans le collectif Ni pauvres, ni soumis, sont restées cruellement sur leur faim. Pour marcher sur une pente rude et étroite, il y a deux écoles : celle qui évalue et s'engage ; celle qui parade au lieu d'avancer.
Vous nous avez d'abord servi le très insuffisant revenu d'existence, d'ailleurs expérimental -je vous épargne la revalorisation de l'AAH, une arlésienne du Président Sarkozy...
M. Nicolas About, président de la commission. - Elle est engagée au rythme promis !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. - Après les coupes franches du dernier projet de loi de finances, il est clair que vous êtes de la seconde école, celle qui promet sans faire.
Je vous rappelle qu'en 1981, la gauche arrivée au pouvoir avait reconnu le mouvement associatif comme une composante spécifique de la société civile, un partenaire des pouvoirs publics. On découvrit alors que ce secteur employait 700 000 salariés -deux millions aujourd'hui. Cette évolution reflète le dynamisme et la professionnalisation d'un secteur incontournable, qui représentent aujourd'hui 5 % de notre économie.
Hélas ! Les crédits d'intervention du programme « Jeunesse et vie associative » régresseront cette année de 4,2 % en euros constants. Résultat : 67 % des associations estiment que l'insuffisance des moyens budgétaires compromet l'exercice de leur mission. Pourtant, le travail de leurs 14 millions de bénévoles fait faire des économies à l'État.
Vous pourriez reprocher au Gouvernement de M. Jospin de n'en avoir pas fait assez.
M. Nicolas About, président de la commission. - Je ne vous le fais pas dire !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. - Avec cette proposition de loi, vous vous contentez du minimum minimorum qui ne pourra répondre aux besoins d'un acteur pourtant essentiel de notre vie sociale. Vous ne corrigez pas les méfaits de la politique peu éclairée menée depuis 2002, qui va à l'encontre de l'intérêt de nos concitoyens. Quand on prive les Français des moyens de se réunir, d'échanger, de vivre décemment et de se cultiver, il faut bien soutenir ceux qui oeuvrent à les encadrer. C'est le moins que l'on puisse faire. C'est ce que vous faites : le moins. (Sourires)
Ce texte cache mal le désengagement de l'État envers la vie associative ! Elle concerne pourtant un Français sur deux et est devenue indispensable en raison même du désengagement de l'État. Insertion sociale, vie des quartiers, lutte contre les violences scolaires, soutien extrascolaire, activités culturelles et sportives de proximité : la vie associative est un pilier de l'économie sociale !
Vous qui répétez à l'envi les termes d'économie, de valeur travail, de rentabilité, pourquoi êtes-vous si frileux quand il s'agit de soutenir une pépinière aussi prometteuse que les associations ?
M. Nicolas About, président de la commission. - Ce texte est audacieux !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. - C'est aussi dans les associations qu'il faut investir pour l'emploi, elles ont de l'endurance ! Mais pour vous, l'État ne doit investir dans l'économie que pour autant qu'elle n'est pas sociale... Vous allez me répondre que neuf emplois équivalent temps plein, c'est toujours mieux que trois, mais personne n'est dupe de votre esbroufe, ce chèque associatif ne remplacera pas une politique active en faveur des associations et de l'emploi associatif, fondée sur des relations partenariales équilibrées avec les pouvoirs publics ! Pour nous, il doit toujours être question de démocratie et de solidarité.
M. Nicolas About, président de la commission. - Ce chèque est bon à prendre !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. - Le groupe socialiste ne votera pas contre, mais nous nous abstiendrons, refusant de cautionner le « moins-disant » de la politique conduite par le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. - Je m'associe à l'hommage rendu par Mme le rapporteur et par Mme Rozier aux associations, dans lesquelles un Français sur trois est engagé et qui sont devenues essentielles à la vie sociale de notre pays. Monsieur Voguet, vous vous trompez sur la précarité : le chèque emploi associatif facilitera les démarches sociales, encouragera la déclaration des salariés associatifs, donc l'acquisition de droits et l'accès à l'emploi durable. Je répondrai également à Mme Jarraud-Vergnolle que le chèque emploi associatif est un outil supplémentaire pour l'emploi, nous le confions aux associations pour conforter leur action, elles nous le demandent. Quant aux emplois jeunes, chacun a pu constater, sur le terrain, leurs effets dévastateurs : ils étaient une voie sans issue pour les jeunes eux-mêmes ; avec M. Bertrand nous choisissons une voie plus lisible et plus sûre, pour les associations comme pour les publics. J'ai craint à vous entendre, qu'en annonçant un vote contre vous ne vous égariez encore dans le dédale des fausses solutions pour l'emploi ; votre abstention augure, je l'espère, que vous retrouverez bientôt le chemin qui facilite le retour à l'emploi, car c'est bien sur ce chemin là que nous devons nous retrouver, tous ensemble ! (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - Nos collègues de l'opposition n'ont visiblement pas compris l'intérêt de ce texte pour les associations ! (Exclamations à gauche) Monsieur Voguet, vous nous reprochez d'être aveugles sur la précarité, alors que nous permettons l'acquisition de droits. Votre critique sur le manque de concertation n'est guère plus recevable : chacun de nous travaille au quotidien avec des associations, nous les avons rencontrées, M. Decool et moi, nous connaissons bien leurs attentes ! Vous votez contre, alors que vous vous étiez abstenus en 2003. Et vous souhaitez vous-même que le chèque emploi associatif soit mieux connu. De mon côté, je ne politise pas ce sujet, je m'occupe seulement des associations et de leurs besoins : elles demandent l'extension du chèque emploi service, le fait que le chemin ait été long n'enlève rien à l'actualité de leur demande !
Madame Jarraud-Vergnolle fait l'exégèse d'une pente raide (sourires), sans voir que tout dépend du sens dans lequel on la prend...
M. Nicolas About, président de la commission. - Avec les socialistes, c'est toujours en descente ! (Sourires)
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - Aujourd'hui, nous répondons à une demande des associations : c'est le sens même de cette proposition de loi ! (Applaudissements à droite et au centre)
La discussion générale est close.
Article unique
L'article unique de la proposition de loi est adopté.
La séance est suspendue à 10 h 55.
La séance reprend à 16 h 5.
présidence de M. Christian Poncelet
Rappel au règlement
M. Gérard Le Cam. - Mon rappel au règlement porte sur l'organisation de nos travaux concernant le projet de loi sur les organismes génétiquement modifiés.
Nous venons d'apprendre que le rapport de la commission des affaires économiques est reporté du 9 au 15 avril, sachant que nos travaux en séance publique auraient lieu dans la foulée, les 16 et 17. Ce resserrement des délais complique énormément notre travail, d'autant plus que nombre de conseils municipaux budgétaires auront lieu à ce moment.
Nous souhaitons donc que l'examen en séance publique de ce projet de loi soit reporté à la première semaine de mai, après la suspension de nos travaux.
M. le Président. - La Conférence des présidents se réunit demain à 17 heures ; elle étudiera votre demande.
Malades en fin de vie (Question orale avec débat)
M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question. - Il y a trois ans, quasiment jour pour jour, nous avons eu un débat très intéressant, mais aussi extrêmement frustrant, sur la fin de vie et l'euthanasie. Les circonstances de ce nouveau débat sont quasiment identiques à celles d'il y a trois ans ; j'espère que l'issue en sera différente. Les groupes socialiste, CRC et UC avaient en effet quitté l'hémicycle avant la fin des débats pour protester contre l'impossibilité de faire adopter le moindre amendement, même ceux qui avait été adoptés le matin même en commission.
Placé sous le feu de l'actualité, notre débat doit s'extraire des cas récents pour s'élever au niveau de l'intérêt général. Les parlementaires doivent s'inscrire résolument dans les débats de leur temps car, comme l'écrivait un quotidien du matin, « c'est l'honneur du politique, sa plus haute mission, que de légiférer sur l'essentiel d'une société, la vie et la mort ».
Si le groupe socialiste a posé aujourd'hui cette question orale avec débat, c'est parce qu'il se rappelle ce qui s'est passé ici même il y a trois ans. Les intervenants sont les mêmes, seul le représentant du Gouvernement a changé et j'espère, madame la ministre, que vous vous montrerez plus réceptive que ne l'avait été votre prédécesseur.
La mort est la plus grande angoisse de la condition humaine, elle est source de révolte, mais finalement elle est inévitable. Elle n'est pas la même pour tout le monde : certains meurent paisiblement dans leur lit, ou surpris en pleine activité, alors que d'autres doivent affronter des souffrances parfois longues. Si 70 % des Français déclarent vouloir mourir paisiblement chez eux, dans les faits, ils sont aussi 70 %, et même 85 % en milieu urbain, à mourir à l'hôpital.
Dans Je ne suis pas un assassin, le docteur Chaussoy écrit : « Il faut une sage-femme pour mettre l'homme au monde, il faut aussi des passeurs, des hommes et des femmes sages, pour l'accompagner dans ce monde et l'aider à bien le quitter ».
Le débat sur la question de la fin de vie met en cause deux principes fondamentaux qui peuvent sembler contradictoires : le respect de la vie d'une part, le respect de la dignité et de la liberté de l'homme d'autre part. Il est interdit de donner la mort : tel est l'impératif éthique, social et politique. Mais, au nom de la liberté, tout homme doit avoir l'assurance qu'il pourra vivre sa mort conformément à ses choix.
La question est difficile à aborder parce qu'elle fait appel à des convictions morales ou religieuses ; il me semble néanmoins que, dans un pays laïc, la morale religieuse, fort respectable au demeurant, ne saurait empêcher de légiférer.
Je suis intimement convaincu qu'au lieu de demander à des tierces personnes (médecins, soignants, proches), ce qui est permis ou défendu en matière de lutte contre la douleur, d'acceptation ou de refus de traitement et d'euthanasie, il faut faire de la personne concernée le centre de gravité de tout le système. Le droit des êtres humains sur la fin de leur vie devrait être absolu. La vie n'appartient ni aux médecins, ni aux philosophes, ni aux procureurs, ni aux juges, ni aux hommes de religion, ni aux techniciens de machines destinées à maintenir artificiellement en vie des patients dont seule la volonté devrait être prise en compte. Sur ces questions douloureuses, il ne s'agit pas de savoir qui a définitivement raison ; les avis sont divergents et le resteront. Il s'agit de trancher la seule question qui compte, c'est-à-dire celle du respect et de la liberté de choix et du droit à l'autodétermination de la personne humaine.
On distingue parfois l'euthanasie active de l'euthanasie passive. Je rappelle d'abord que le terme « euthanasie » se définit étymologiquement comme « la bonne mort ». Par « euthanasie passive », on désigne les cas d'omission ou d'interruption de traitement de survie, par refus d'un acharnement agressif et inutile, que d'ailleurs condamne l'éthique médicale, à plus forte raison lorsque le malade a refusé ce traitement. Même si les auteurs du texte s'en défendent toujours, c'est bien ce que prévoit la loi de 2005. Mais dans quelles conditions ? L'omission ou l'interruption d'un traitement ne suffisent pas toujours ; la sédation endort, elle ne sert qu'à faire perdre au patient la perception de la réalité, du temps et de sa propre fin de vie.
Si l'euthanasie passive est reconnue dans certains cas, il est difficile de voir la distinction morale avec l'euthanasie active. Y a-t-il d'ailleurs vraiment une euthanasie passive ? La distinction doit-elle être faite ? A mon avis, non. La seule question est de savoir si l'on reconnaît ou non à chacun le droit à disposer de sa mort. Pour moi, le droit à l'euthanasie n'est pas un choix entre la vie et la mort ; c'est un choix entre deux façons de mourir.
Il me semble important de m'arrêter sur le cas de la Belgique dont la législation, qui date de 2002, me semble un modèle à suivre tant dans son contenu que dans son mode d'élaboration : il a fallu deux ans de débat avant l'adoption du texte final, deux ans pendant lesquels la discussion fut générale : certains débats ont même été retransmis à la télévision.
Aujourd'hui bien acceptée, la loi, n'en déplaise à ses détracteurs, est loin d'être laxiste. En 2007, 495 personnes ont été euthanasiées et toutes remplissaient les conditions : capables et conscients, les patients, qui connaissaient une souffrance constante, insupportable, ne pouvant être apaisée et résultant d'une maladie grave et incurable, ont formulé une demande volontaire, réfléchie et répétée, qui a été examinée par les médecins, et a donné lieu à un rapport d'euthanasie dans les quatre jours. Aucun cas suspect n'a été signalé parmi ces morts qui représentent 0,5 % des décès.
Ayant constaté leur retard en ce domaine, les Belges et les Néerlandais portent leurs efforts sur les soins palliatifs, sans remettre en cause la loi de 2002. Ce n'est pas la voie choisie par notre pays il y a trois ans ; je vous renvoie aux analyses que François de Closets consacre à l'adoption de la loi dans Le divorce français.
La loi du 22 avril 2005 a permis des avancées, de belles avancées. S'inscrivant dans le prolongement des lois de 1999 et 2002, elle a légalisé le double effet, ce qui représente un progrès pour les médecins dont les bonnes pratiques en fin de vie sont dépénalisées, comme pour les malades, dont le droit à refuser des soins est reconnu. Cependant, force est de constater ses lacunes. En 2005, le groupe socialiste avait demandé que la loi fasse l'objet d'une évaluation par l'office parlementaire d'évaluation des politiques de santé et soit réexaminée dans les trois ans. Ce qui se passe aujourd'hui nous donne raison et le débat s'engagerait dans un climat plus serein si notre amendement avait été adopté. Le Gouvernement a demandé en urgence à M. Leonetti d'évaluer la loi mais ce n'est pas à l'auteur d'une loi de l'évaluer : une procédure collégiale aurait plus de sens.
M. François Autain. - Vous avez raison.
M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question. - Certains disent que beaucoup ignorent ce que permet la loi. Il est possible qu'il faille renforcer l'information mais il serait hypocrite de s'en arrêter là.
L'autre lacune majeure concerne les soins palliatifs. Le rapport de Mme de Hennezel dresse un état de carence généralisée et établit les insuffisances dans la diffusion de la culture des soins palliatifs dont le financement n'est pas à la hauteur des enjeux. On se heurte d'ailleurs aux effets pervers de la tarification hospitalière. Quelles suites a-t-on données à ce rapport, autre que la circulaire que vous venez d'adresser aux agences régionales de l'hospitalisation ?
Si je partage le constat sur les soins palliatifs, je ne crois pas qu'il suffira de les développer car le débat ne se résout pas à une alternative entre euthanasie et soins palliatifs : ils sont complémentaires. Ceux-ci doivent réduire au mieux les souffrances. Au mieux... Personne ne peut prétendre qu'ils sont la solution ultime, parfaite pour les personnes en fin de vie, pour garantir un succès absolu contre les douleurs physiques ou psychiques.
Il est donc nécessaire d'aller plus loin et de reconnaître l'aide active à mourir, comme l'a recommandé le comité consultatif national d'éthique en 2000. « Face à certaines détresses, on peut se trouver amené à prendre en considération le fait que la simple sollicitude conduit à faire face ensemble dans un engagement solidaire » Pour le comité, « de telles détresses appellent la compassion et la sollicitude. Conjuguées avec le respect et marquées par la recherche d'une relation partenariale authentique, elles incitent à l'humanité, à la sensibilité et à la solidarité. Dépassant le seul registre du droit moral et de la revendication, elles marquent des ouvertures inédites, autorisées par le partage de l'humaine condition ».
Comme nous vous le proposions il y a trois ans, il ne s'agit pas dépénaliser l'euthanasie, mais d'encadrer et de soumettre à des conditions précises une aide active à mourir, une aide prodiguée par un médecin, dans une procédure collégiale et avec le consentement clair, libre et réitéré de la personne.
Les personnes en état de dépendance totale doivent faire appel à un tiers pour chacun des actes de la vie quotidienne mais elles ne le peuvent pas pour mettre fin à leurs jours. M. Leonetti appelait que le suicide n'est pas un droit mais une liberté. Une liberté qu'on leur refuse, en ajoutant la souffrance à la souffrance par une dernière discrimination.
Il y a trois ans, nous voulions ajouter à la loi l'aide active pour mourir et cette proposition reste d'actualité. Il faut l'étudier dans le respect de la liberté de conscience de chacun. Il ne s'agit pas de revenir sur l'interdit éthique « Tu ne tueras point » qui concerne la mort imposée à ceux qui ne la désirent pas, mais d'avancer dans la voie qu'avaient voulu tracer les auteurs de la loi de 2005. Le Parlement s'honorerait à regarder la question de l'euthanasie en face : nous ne pouvons plus nous réfugier derrière des faux-semblants.
Il va falloir convaincre. C'est pourquoi je propose qu'une mission d'information prépare des évolutions de la loi de 2005. J'espère que vous accueillerez bien cette idée. Il y a trois ans, le Sénat n'avait pu faire entendre sa voix ; saisissons cette opportunité. Nous sommes attendus, interpelés, et nous le serons de plus en plus. Humanistes et respectueux de la vie d'autrui, soyons à l'écoute de ceux qui ne demandent que la liberté de choix, la liberté de décider pour soi et par soi des conditions de la fin de sa vie, le médecin étant le compagnon privilégié et indispensable à la prise de décision. (Applaudissements à gauche et sur plusieurs bancs au centre)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. - Notre collègue Godefroy vient d'exprimer ses convictions avec sensibilité et détermination. Je le remercie de cette intervention car toutes les opinions sont respectables qui respectent l'homme. J'ai entendu ses mots. Comment ne pas comprendre l'angoisse de celui qui sait que, demain, il sera confronté à la dépendance ? L'allongement de la durée de vie rend en effet cette perspective encore plus vraisemblable. Pour certains, comme pour cette femme atteinte de la maladie d'Ehlers Danlos, il s'agit même de certitude. Nos concitoyens sont donc de plus en plus impliqués dans le débat.
Cependant, avant de changer la loi, il faut en évaluer les effets et c'est l'objet de la mission que la ministre à confiée à M. Leonetti. Nous disposons déjà d'éléments d'information, avec le rapport de Mme de Hennezel sur la France palliative. Il en ressort la grande ignorance de nos concitoyens et des médecins sur le contenu d'une loi qui offre pourtant la possibilité d'accompagner les malades dans la quasi-totalité des cas.
M. Alain Gournac. - Tout à fait !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. - En mars 2007, la Société française d'accompagnement et des soins palliatifs et plus de 6 700 professionnels de santé ont pris position contre la légalisation du suicide assisté qui modifierait nos repères sociétaux : selon eux, « le tragique ne peut nous faire admettre que la mort donnée soit la solution ».
Mais alors, qu'attendons-nous pour mettre en oeuvre d'autres solutions ? Mourir seul dans un milieu hyper médicalisé n'est pas une solution mais un scandale : c'est socialement destructeur, économiquement stupide et humainement indigne.
On meurt seul, et c'est aussi mortifère socialement, lorsque la famille ne peut pas entourer celui qui s'en va dans ses derniers instants, parce que l'aide aux aidants est insuffisante dans notre pays, parce que, plutôt que de réduire le temps de travail, il serait infiniment plus utile d'organiser les interruptions de carrière pour accompagner un proche en fin de vie. C'est la conception de la famille et les liens qui la fondent qui sont ici remis en cause. On meurt à l'hôpital parce qu'il est difficile d'avoir accès à l'hospitalisation et aux soins palliatifs à domicile.
L'atteinte aux liens sociaux et familiaux se double d'une absurdité économique. Trop souvent certains veulent mourir parce que la dépendance dans laquelle ils vivent n'est pas ou pas assez prise en charge ou parce qu'ils sont victimes de négligences, voire de maltraitances répétées. Et c'est humainement indigne. Quelle que soit leur lutte quotidienne qui marque leur attachement à la vie, ils préfèrent un jour, à bout de forces ou d'humiliation, quitter une société qui les a abandonnés. Comment ne pas les comprendre ?
Et, en même temps, il ne faut pas confondre, dans l'émotion suscitée par la récente médiatisation de cas spectaculaires, des situations par nature différentes, faites de parcours singuliers. Je veux ici distinguer au moins trois cas. Quand un individu en pleine santé ou, bien que malade, disposant encore de la faculté physique d'accomplir le geste irrémédiable, décide de prendre sa propre vie, cela relève de son choix, de ses convictions et ce n'est pas au législateur d'intervenir ; je n'en parlerai donc pas sauf pour dire ma compassion. Le deuxième cas concerne les personnes en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable : pour elles, la loi déjà votée permet de résoudre la plupart des questions douloureuses.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. - La plupart...
M. Nicolas About, président de la commission. - Mais il est un troisième cas que la loi ne règle pas : je veux parler des personnes qui se retrouvent, jeunes ou moins jeunes, en situation de très grande dépendance, à la suite d'un accident ou d'une maladie invalidante qui les prive de toutes leurs facultés physiques pour se déplacer, bouger, communiquer. Je parle ici de personnes totalement conscientes et non de celles qui tombent dans le coma ou sont privées de leurs facultés mentales. Il ne s'agit pas de personnes en fin de vie qui n'ont pas la faculté physique de mettre fin à leur existence. Être privé de toute possibilité de mouvement, être aveugle, bref, être quasi emmuré vivant et rencontrer une extrême difficulté à communiquer avec autrui ; être jeune, avec un coeur suffisamment solide pour avoir devant soi la perspective de nombreuses années de vie dans cette situation-là, sans issue possible, et pour seul horizon la disparition des rares proches restés à son chevet : il y a dans cet appel à mourir, répété, conscient, responsable, une voix qu'il nous faut entendre.
Là encore, il ne peut y avoir de généralisation possible : dans les cas de locked-in syndrom, par exemple, il est aussi des voix humaines qui s'élèvent -également respectables- pour crier leur envie de vivre. Songeons au témoignage vibrant de M. et Mme Philippe Vigand dans un ouvrage récent. Je trouve d'ailleurs qu'il est délicat, pour ne pas dire inconvenant, d'utiliser, à ce stade, comme le font certaines associations, le terme de « mourir dans la dignité ». Qui peut dire si vivre dans la grande dépendance est conforme ou non à la dignité humaine ? Je me demande s'il ne conviendrait pas d'instaurer une sorte de « droit opposable à la vie », tant ce que réclament nos concitoyens -y compris parmi les plus dépendants- consiste davantage en des conditions de vie décentes. Ils viennent encore de nous le rappeler massivement, le 29 avril dernier, dans une grande manifestation qui a rassemblé plus de 35 000 personnes handicapées à Paris. Si la dignité humaine se définit d'abord par tout ce qui peut lui porter atteinte, si -comme le rappelait le professeur Axel Kahn- « la dignité repose sur le regard signifiant posé sur autrui », c'est-à-dire sur notre capacité toujours renouvelée à nous indigner, alors je rêverais d'un monde qui se mobilisât, en faveur des personnes âgées, handicapées ou dépendantes, aussi promptement et massivement pour leur « droit de vivre dans la dignité » qu'en faveur d'une « aide à mourir ». (Applaudissements à droite) Le premier droit, pour une personne en situation de grande dépendance, c'est celui de vivre dans la dignité ! Interrogeons-nous d'abord quand elle en vient à demander à mourir, si tout, absolument tout, a bien été fait pour lui donner ou redonner l'envie de vivre. Qui n'a perçu le formidable désir de vivre qu'exprimaient les personnes handicapées qui nous interpellaient, en 2003, en faisant des grèves de la faim (exclamations à gauche), et qui nous ont conduits, au Sénat même à élaborer le fameux droit à compensation ?
M. Jean-Louis Carrère. - Chacun son prêche...
M. Nicolas About, président de la commission. - Ceci étant, dans certains cas extrêmes -je dis bien extrêmes-, quand tout aura été tenté pour redonner le goût à la vie, quand toutes les aides humaines, techniques, financières, psychologiques auront été mises en oeuvre, alors seulement je me demande s'il ne faut pas, en toute humanité, entendre cette ultime demande d'arrêter de lutter. Personne n'est en droit de la juger, car personne n'est à la place de celui qui la formule. Demander le droit à mourir, n'est-ce pas alors une tentative de donner un ultime sens à la vie ? N'est-ce pas pour l'esprit, submergé par les tumultes d'un corps qu'on ne maîtrise plus, une manière de refuser que ceux-ci au final dictent leur loi ? Ce n'est pas la dépendance qui, en soi, est insupportable. Ce qui est insupportable, c'est la perte de tout contrôle sur son existence. Souvenons-nous des grands combats menés dans cet hémicycle lors de l'examen des textes récents sur le handicap, la dépendance ou le droit des malades, le droit à l'autonomie, le droit à la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, le droit au libre choix de vie, le droit à l'assistance sexuelle, le droit au consentement éclairé du patient. Au fond, nous ne traitions que d'une seule et même chose : le droit pour tout être humain, quel que soit son état de santé, de handicap ou de dépendance, de garder le pouvoir sur un corps qu'il est obligé d'abandonner aux autres. Lorsque je rencontre des personnes en situation de grande dépendance, que me disent-elles ? Qu'elles veulent choisir qui va les accompagner, dans leur vie de tous les jours, qui va les soigner, quels gestes de soin on va pratiquer sur elles et dans quel ordre ; elles veulent choisir leur mode et leur rythme de vie, l'heure à laquelle elles veulent manger, se coucher... Mais lorsqu'on ne peut plus rien décider du tout parce que toutes les facultés physiques ou de communication sont perdues et que même la vie de l'esprit ne supplée plus ce vide, demander à ne plus vivre peut avoir un sens. C'est peut-être l'ultime façon de rester un être humain, et cela, nous devons l'entendre. Prévoir une situation d'exception applicable à ces demandes me paraît répondre à cette nécessité. Parfois, savoir qu'on pourra y avoir recours un jour, lorsque l'état de dépendance sera devenu trop intolérable, peut suffire. Oui, il y a une part d'anxiété profonde dans la demande d'un malade à qui la médecine vient d'avouer son impuissance. Qu'on reconnaisse son droit futur à choisir sa mort, cette liberté peut aussi constituer en soi un apaisement, un remède, une délivrance, c'est parfois le seul calmant qui reste, quand tout a été essayé. Alors pourquoi le refuser ? Oui, pour ces quelques cas, je crois qu'il faut trouver une solution.
C'est pour cette raison et pour passer au crible tous les aspects du problème complexe de la fin de vie que j'ai proposé - pardon, monsieur Godefroy, mais je pense que ma solution est meilleure que la vôtre- à la commission des affaires sociales de constituer un petit groupe de travail que je présiderai. Je ne sais pas encore ce qui résultera de notre réflexion mais je me demande si l'on ne pourrait pas envisager la création d'une instance, une sorte de Haute autorité qui disposerait de tous les moyens afin de veiller, par la contrainte s'il le faut, à ce que l'ensemble des aides humaines, techniques, financières, médicales, psychologiques soient apportées au demandeur, pour soulager son existence. En contrepartie, cette Haute autorité se verrait aussi confier le droit, dans les cas extrêmes, et pour répondre à la volonté réaffirmée de la personne, de lever à l'avance au nom du peuple français, -cela me semble essentiel tant c'est une décision qui implique l'ensemble de la société- les poursuites pénales contre ceux qui l'aideraient à mourir. Je veux espérer que rares seront les cas où l'on irait jusqu'au bout de cette démarche. S'il devait s'en présenter de nombreux, ce ne serait pas que notre société aurait un problème avec la mort, c'est qu'elle ne permettrait pas réellement la vie. Je ne veux pas croire que l'on puisse plus facilement choisir d'accompagner la mort que d'accompagner la vie. (Applaudissements à droite, sur plusieurs bancs au centre et sur quelques bancs socialistes).
M. François Autain. - Nous étions nombreux sur ces bancs, le 12 avril 2005, à considérer que la proposition de loi Léonetti, malgré le caractère novateur de certaines de ses dispositions, ne permettrait pas de répondre à tous les cas auxquels sont confrontés les médecins et les familles. Nous ne pensions pas que l'actualité viendrait aussi rapidement nous donner raison. Nous avions espéré alors que le Sénat, dans sa sagesse, amenderait un texte manifestement insuffisant, comme le reconnaissent aujourd'hui les députés qui l'avaient alors élaboré. Malheureusement, il n'en a rien été. Les auteurs des amendements, qu'ils soient de gauche, du centre ou de droite, ont très vite compris que la porte était fermée. L'objectif du Gouvernement, partagé par la majorité sénatoriale, n'était pas tant d'améliorer le texte que d'obtenir un vote conforme. Il fallait éviter à tout prix une nouvelle lecture qui aurait fait éclater à l'Assemblée nationale ce miraculeux et fragile consensus obtenu au prix de nombreux malentendus et, pourquoi ne pas le dire, grâce à l'aveuglement de ceux qui semblent, ces derniers temps, avoir brusquement recouvré la vue. Aussi, madame la ministre, affirmer comme vous l'avez fait jeudi dernier lors de la séance des questions d'actualité, que cette loi aurait fait l'objet d'un consensus est une contre-vérité que vous n'êtes malheureusement pas la seule à colporter. Ce jour-là au Sénat, le vote fut tout sauf consensuel puisque seuls les parlementaires de l'UMP et du RDSE y participèrent. En démocratie, le consensus n'est pas un objectif à rechercher systématiquement car il ne garantit pas la pérennité et la qualité d'une loi. Le Sénat, qui dans cette affaire s'est rabaissé au rang d'une simple chambre d'enregistrement, trouverait une occasion de faire entendre sa voix en créant par exemple une mission d'information chargée de faire des propositions pour modifier la législation sur les malades en fin de vie. La constitution d'un groupe de travail sur ce sujet a été proposée par le président About : j'espère que son travail sera fructueux et permettra d'arriver à des solutions positives.
Il est indispensable, trois ans après la promulgation de la loi, de dresser le bilan de son application. Mais on peut se demander si M. Leonetti était le mieux placé pour mener à bien la mission qui vient de lui être confiée, car il s'agit moins de déterminer comment la loi est appliquée que de savoir si elle est applicable. Force est de constater qu'elle ne répond pas à la situation de détresse physique et psychologique de bien des malades en fin de vie, et le cas emblématique de Chantal Sébire ne doit pas nous faire omettre tous les autres, confinés au sein de familles désemparées, dont les appels ne viennent pas jusqu'à nous. Maître Gilles Antonowicz, dans son livre Fin de vie, signale que son association a consigné dans un livre blanc la liste des malades atteints d'affections graves et incurables et décédés dans des conditions où la loi Léonetti ne leur fut hélas d'aucun secours. Elle est de fait inadaptée à ceux dont l'agonie se prolonge durant des semaines ou des mois, comme aux personnes plongées dans un coma végétatif chronique irréversible : la famille ou le tiers de confiance ne peut pas même déclencher de procédure collégiale préalable à l'interruption des soins, du seul ressort du médecin. Elle n'aurait pas permis non plus à Vincent Humbert de mettre fin à ses jours, comme il le désirait ; elle n'aurait pas mis le Docteur Chaussoy à l'abri d'éventuelles poursuites pénales.
Pour toutes ces raisons, il faut faire évoluer la loi. Pour sortir de l'hypocrisie actuelle, il faut autoriser le suicide médicalement assisté et l'euthanasie volontaire, en s'inspirant des exemples belges et néerlandais. Sortir de l'hypocrisie, c'est ainsi reconnaître le « double effet » pour ce qu'il est, une euthanasie qui ne s'assume pas. Un traitement qui, en calmant la douleur, peut avoir pour effet secondaire d'abréger la vie ? Voilà une définition qui peut fort bien dissimuler une euthanasie à la morphine, ou mieux encore aux sédatifs que l'on utilise pour soulager les souffrances rebelles aux antalgiques morphiniques, et qui peuvent provoquer une sorte d'anesthésie générale de plusieurs semaines jusqu'à ce que la mort s'ensuive. De fait, la différence entre sédation répétée et euthanasie directe est si ténue qu'on peut la tenir pour purement imaginaire. Pourquoi, dès lors, dans les situations extrêmes, s'opposer à l'euthanasie directe lorsqu'elle fait l'objet d'une demande réitérée, sinon pour des motifs religieux ou idéologiques sans rapport avec l'intérêt de la personne concernée ?
Sortir de l'hypocrisie, c'est aussi reconnaître que la forme de suicide médicalement assisté qu'organise la loi est barbare et inhumaine. Est-il tolérable, de laisser mourir une personne en offrant à sa famille le spectacle de la souffrance et de la dégradation ? Souvenons-nous de l'américaine Teri Schiavo, décédée deux semaines après que l'on eut cessé de l'alimenter artificiellement. Souvenons-nous d'Hervé Pierra, décédé dans des conditions cauchemardesques, après huit ans de coma végétatif et six jours d'agonie qui furent pour toute une famille un temps d'horreur et de traumatisme. Une injection de produit létal n'eut-elle pas été préférable ? Le docteur Chaussoy, soulignant très justement que « le produit injecté n'a que peu d'importance... l'important, c'est la décision d'arrêter la réanimation » rappelle qu'« aider les hommes à mourir dignement lorsqu'on ne peut plus les aider à vivre fait partie du métier de réanimateur ».
Sortir de l'hypocrisie, c'est reconnaître que la loi Leonetti a implicitement légalisé l'euthanasie. Car en cessant de dispenser tout traitement dans les conditions où elle l'autorise, le médecin provoque délibérément la mort, contrevenant ainsi à l'article 38 du code de déontologie médicale. Interrompre une perfusion nécessaire au maintien de la vie n'est assurément pas moins grave ni très différent du geste consistant à ouvrir le robinet d'une perfusion qui délivrera rapidement une dose mortelle de médicament. Stopper les perfusions médicamenteuses, débrancher le respirateur, mettre fin à l'intubation du patient sont bien des « actes délibérés pratiqués par un tiers, destinés à entraîner la mort d'une personne malade pour éviter des souffrances ». C'est la définition même de l'euthanasie que donne M. Léonetti dans son rapport de 2004.
Sortir de l'hypocrisie, c'est reconnaître que toute personne dont l'état le requiert ne pourra pas bénéficier du droit aux soins palliatifs que lui reconnaît la loi. Pour ceux qui en douteraient encore, je recommande la lecture du récent rapport de Mme de Hennezel qui dénonce, en la matière, un état de carence généralisé. Au reste, la pratique des soins palliatifs ne fera pas disparaître la demande d'euthanasie : certaines souffrances leur restent réfractaires. Et comment parler de soins palliatifs sur des personnes inconscientes ? Certains malades, enfin, pour des raisons philosophiques très respectables, en refusent le principe, plaçant le médecin, en l'état actuel de notre législation, dans une situation impossible où le droit du patient de refuser les soins entre en conflit avec son devoir de les lui dispenser.
Bref, sortir de l'hypocrisie serait adopter un texte qui autoriserait l'euthanasie volontaire tout en interdisant certaines pratiques, quand la loi Léonetti organise exactement l'inverse. Car n'est-il pas paradoxal d'interdire formellement d'abréger intentionnellement la vie et de permettre, dans le même temps, de ne pas empêcher, en certaines circonstances, la survenue de la mort ? N'est-il pas paradoxal de proclamer l'égalité de toute vie humaine et de faire appel, dans le même temps, à la notion de qualité de vie pour placer des limites au devoir de préserver la vie à tout prix ?
Compte tenu de la diversité des convictions religieuses et philosophiques dans notre pays, il serait certes vain d'espérer un jour un consensus moral sur l'euthanasie. C'est pourquoi il nous faut rechercher les principes moraux minimaux susceptibles de recueillir l'agrément du plus grand nombre, afin que personne ne puisse se voir imposer des actes contraires à ses propres valeurs. L'accompagnement de la fin de vie ne doit pas exclure l'aide à mourir, se définissant comme l'intention délibérée, lorsque la demande est reconnue, assumée, expresse et réitérée, de hâter la mort d'un malade atteint d'une affection terminale. La médecine doit enfin reconnaître que la mort est avant tout l'affaire de celui qui meurt.
N'oublions pas que ce débat répond à une promesse du Président de la République. L'exemple des Pays-Bas et de la Belgique doivent constituer pour nous un modèle. L'actualité récente nous a permis d'en apprécier la validité. Le hasard a voulu que le jour du décès de Chantal Sébire coïncide avec celui d'Hugo Claus, ce grand écrivain belge de 78 ans plusieurs fois pressenti pour le Nobel, atteint de la maladie d'Alzheimer, et qui avait sollicité une aide à mourir, comme la loi belge le lui permettait. Comme l'ont rapporté les journaux, sa femme et l'une de ses amies, qui l'accompagnait, ont déclaré : « C'était très calme. C'était un moment très doux pour nous. Il était serein et tranquille ». Tous trois ont bu une coupe de champagne puis Hugo Claus a été endormi avant de recevoir une injection de substance létale. Ce climat apaisé contraste singulièrement avec la controverse indécente suscitée par la fin tragique, dans la solitude et la clandestinité, de Chantal Sébire. Le Président de la République et la justice sont restés sourds à l'appel à l'aide de cette femme admirable de courage et de lucidité. Songeons que le permis d'inhumer a été refusé et que l'on a ouvert une enquête préliminaire pour rechercher, poursuivre et peut-être condamner ceux qui ont répondu à son appel. Personne ne souhaite revivre une telle affaire et c'est pourquoi il est urgent de modifier la loi. Je ne doute pas que ce Gouvernement saura mener à bien une tâche que celui qui l'a précédé a, hélas, laissée en chantier. (Applaudissements à gauche et sur plusieurs bancs au centre)
Mme Sylvie Desmarescaux. - Parler de fin de vie, de mourants, de mort, est difficile. Le cas douloureux de Chantal Sébire ne laisse personne indifférent. Les images vues à la télévision furent bouleversantes, les propos de Chantal Sébire poignants ; mais aujourd'hui encore, je ne comprends toujours pas une telle médiatisation.
Ce qui est certain, c'est que le débat sur l'euthanasie refait surface : le nombre d'articles de presse, l'importance des débats télévisés, sans oublier tous les courriers que nous recevons, en témoignent.
Or, en 2005, menant un travail serein loin de toute pression médiatique, le législateur avait pris le temps de la réflexion pour aboutir à un texte équilibré qui constitue, j'en reste persuadée, une avancée majeure pour les droits des malades en fin de vie. Le choix avait été fait de ne pas modifier le code pénal pour ne pas banaliser « l'autorisation de tuer », et de ne toucher qu'au seul code de la santé publique : entre le fait de donner la mort et celui de ne pas l'empêcher, il est une différence éthique fondamentale, qui mérite d'être maintenue.
Les rapports de M. Aubry et Mme de Hennezel le confirment : si la loi est décriée, c'est qu'elle est mal connue, mal comprise et donc mal appliquée. Alors qu'elle couvre un large éventail de situations douloureuses de fin de vie, et malgré les efforts notables faits ces dernières années pour développer les soins palliatifs et d'accompagnement, trop de malades meurent encore dans des souffrances non soulagées et dans la solitude.
Face à cette souffrance et à cette solitude, autoriser la mort, abréger la vie peut sembler l'unique façon d'aider à mourir dans la dignité.
Or, pour l'avoir vécu, je reste convaincue que la réponse est ailleurs, dans l'accompagnement et le soutien au malade : lui prodiguer des traitements sans obstination déraisonnable, lui administrer tous les soins adaptés, se tenir à ses côtés. « Ils auraient mieux aimé de nous un sourire pendant leur vie que toutes nos larmes après leur mort », écrit Chateaubriand.
Répondant à l'un de nos collègues, Madame le Ministre, vous avez rappelé que, fréquemment, une demande d'euthanasie n'est pas maintenue si des soins palliatifs de qualité sont proposés.
En 2004, à l'annonce de la reprise de son cancer avec métastases, ma fille a dit à son père, médecin : « Je ne veux plus souffrir, dépendre de tous ces traitements ; fais quelque chose, papa, car je ne veux plus vivre ». La maladie s'aggravant, elle a été admise dans une unité de soins palliatifs ; après quelques jours, elle disait : « Je dois vivre, il y a Xavier, il y a les enfants, je veux revenir à la maison ». Elle était apaisée, rassurée. Chaque jour, chaque heure, elle recevait des soins prodigués avec compétence, mais aussi tendresse ; sa famille était auprès d'elle. Elle nous a quittés six semaines plus tard.
Je suis convaincue qu'un malade en fin de vie, s'il est bien entouré, peut changer d'avis, même s'il sent la mort proche. Je veux ici remercier l'équipe des soins palliatifs de Zuydcoote, établissement que le Président Sarkozy et vous-même, madame la ministre, êtes venus visiter. Tout le personnel est exemplaire dans la prise en charge de la douleur du malade.
Mais ne le nions pas : les soins palliatifs ne sont pas suffisamment développés en France et, de ce fait, de profondes inégalités subsistent dans l'accès aux soins.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Et cela ne va pas s'arranger...
Mme Sylvie Desmarescaux. - Or la démarche palliative doit être considérée comme une véritable démarche médicale. Pour faire face aux situations douloureuses, il faut créer de nouvelles unités ; mais il faut aussi que tout le personnel médical soit formé à la culture des soins palliatifs.
Il restera toujours des situations de grande détresse, de grande souffrance. C'est ce qui conduit certains à réclamer une exception d'euthanasie ou la reconnaissance définitive de l'euthanasie active. Mais des dérives sont alors à craindre. Et comment légiférer sur qui peut autoriser à donner la mort, alors que le code de déontologie des médecins interdit de provoquer la mort délibérément ?
Une instance supérieure qui statuerait sur les cas particuliers difficiles à résoudre est une hypothèse à étudier, mais, j'y insiste, l'exception ne doit pas se transformer en généralité. On qualifie la France de retardataire, on cite les Pays-Bas et la Belgique. Mais le Québec, connu pour la qualité des soins palliatifs qu'il propose, résiste à la pression, refuse la dépénalisation de l'euthanasie.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Il y viendra.
Mme Sylvie Desmarescaux. - Je respecte la sincérité de ceux qui mènent avec conviction le combat en faveur de l'euthanasie active. Mais une poignée de gens guidés par un intérêt mercantile organise un business de la mort, en arrangeant par exemple des voyages en Suisse ou en Belgique...
La loi Leonetti apporte une réponse dans l'immense majorité des cas. Pour les quelques autres, insolubles, il y a une réflexion à mener et le député Jean Leonetti s'est engagé à la conduire au sein du groupe de travail créé pour évaluer la loi de 2005. Je lui fais confiance. (M. Dreyfus-Schmidt murmure.)
Qu'une vie digne jusqu'à la mort puisse toujours être respectée ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Un grand journal du soir, selon la formule consacrée, avait publié le 8 novembre 2003 un article que je lui avais adressé. Il a en 2005 ignoré une mise au point que j'avais faite, au sujet d'une tribune parue dans ses colonnes.
Dans le premier article, je notais qu'avant la loi Veil, les femmes recouraient à l'avortement à leurs risques et périls -risque vital pour elles, risque pénal pour ceux qui les aidaient. Puis un cadre légal fut enfin instauré et les craintes d'abus, démenties. La loi, je le rappelle, fut votée grâce à l'apport de la gauche et malgré l'opposition farouche qui s'était manifestée au Sénat.
La problématique est identique pour l'euthanasie. Légiférer est inévitable et nous y serons acculés par d'autres tragédies semblables à celle de Chantal Sébire, qui a tant frappé l'opinion.
Dans une tribune, « Accompagner la fin de vie demain », publiée par Le Monde, les auteurs regrettaient que le groupe socialiste au Sénat se soit abstenu sur la proposition de loi « consensuelle » adoptée par l'Assemblée nationale et votée, notamment, par deux députés de gauche, Claude Evin et Paulette Guinchard-Kunstler.
Mais le groupe socialiste ne s'est pas abstenu : il n'a pas pris part au vote, parce qu'il avait quitté l'hémicycle avant, tout comme les groupes CRC et UC, pour protester contre le refus de l'UMP d'accepter le moindre amendement -y compris ceux adoptés par la commission sur proposition de son président. Le groupe socialiste était unanime à retenir les suggestions de l'Assemblée nationale : droit au refus de l'obstination déraisonnable ; droit d'être avisé par le médecin que le traitement peut avoir pour effet d'abréger la vie ; droit au refus de tout traitement ; droit pour le médecin, lorsque le patient est inconscient, de limiter ou d'arrêter tout traitement après une procédure collégiale et la consultation d'une personne de confiance ; droit à recevoir des soins palliatifs.
Mais le groupe a jugé tout ce progrès insuffisant et a proposé d'ajouter l'euthanasie active aux euthanasies indirecte ou passive -en l'encadrant précisément. L'Assemblée nationale s'est refusé à mettre la loi en conformité avec la réalité des choses et avec l'opinion de l'immense majorité des Français : 84 % sont favorables à l'euthanasie active, 9 % seulement y étant opposés.
La discussion générale à l'Assemblée nationale était édifiante : des orateurs, de droite comme de gauche, ont estimé que le texte issu de la commission spéciale n'était qu'une étape ; d'autres y ont vu un aboutissement ; et tous se sont félicités du consensus ! Henriette Martinet, une députée UMP, a fait remarquer que le vote intervenait trente ans, jour pour jour, après le vote de la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse. Nul en revanche n'a fait observer que la loi Veil avait été tout sauf consensuelle et qu'elle n'eût pas été votée sans l'apport massif de la gauche. En octobre 1981, des parlementaires de droite à l'Assemblée comme au Sénat s'opposèrent à l'abolition de la peine de mort, tandis que les autres, en forte majorité, la votaient.
Lors de la discussion de la proposition de loi « fin de vie », tous les députés ou presque ont reconnu que la commission spéciale était née à la suite de l'émotion soulevée par l'affaire Humbert. Ils ont rendu un hommage appuyé à Vincent Humbert, à sa mère et au docteur Frédéric Chaussoy. Or, incroyable paradoxe, le texte de l'Assemblée nationale n'aurait en rien empêché l'inculpation de Marie Humbert, ni celle, pour assassinat, du docteur Chaussoy ! Les affaires de ce type ne doivent plus relever du pénal !
Mais j'irai plus loin : même inconscients, même sans y avoir pensé lorsqu'ils étaient en bonne santé, ceux qui souffrent atrocement, ceux qui ne peuvent plus vouloir vivre, doivent être aidés à mourir, sans devoir être condamnés à mourir de faim et de soif, comme l'Américaine Terry Schiavo. Et c'est une évidence : cette aide doit demeurer l'exception, et être encadrée, selon les termes du Comité consultatif national d'éthique dans son avis du 27 janvier 2000 !
Respect de la liberté de conscience des médecins ; décision collégiale de trois médecins, dont l'un au moins hospitalier, temps de réflexion obligatoire avant confirmation ou renonciation ; comptes rendus soumis à une commission régionale de contrôle. La voilà, président About, votre autorité de contrôle !
M. Nicolas About, président de la commission. - Oh là là !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Saisine possible par la commission régionale d'une autorité nationale de contrôle ayant tout pouvoir d'évocation ; registre national automatisé des directives anticipées à disposition du médecin...
Telles étaient les propositions constructives des groupes socialiste et CRC. Ces précautions existent à l'étranger et elles évitent tout dérapage.
Si nombre de croyants ont voté l'abolition de la peine de mort, ils s'opposent à cette évolution, comme Mme Bachelot-Narquin, contre l'avis de 80 % des Français. Je vois une seule solution : changer de majorité à l'Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les bancs CRC et sur les bancs socialistes)
M. Jean-Louis Carrère. - Ça viendra !
présidence de Mme Michèle André,vice-présidente
M. Gérard Dériot. - Nous débattons d'un sujet sensible qui atteint chacun de nous dans ses peurs les plus intimes : l'abandon, la souffrance, la mort. Certains de nos collègues ont rappelé qu'il y a trois ans le Sénat avait voté conforme la loi dite Leonetti. Vous aviez alors critiqué le rapporteur que j'avais l'honneur d'être car je n'avais pas accepté d'amendement. Ce n'était pas de gaieté de coeur : le principe même du Parlement est de débattre pour apporter sa pierre à l'édifice. Mais, mes chers collègues, l'état d'esprit dans lequel vous aviez abordé le problème n'était pas des plus sereins. (Exclamations à gauche) Quand une des assemblées vote un texte à l'unanimité, il faut supposer qu'un vent de folie y ait soufflé ou, plus vraisemblablement, qu'un peu de lucidité s'y soit manifesté ! Il aurait fallu en tenir compte ! A vous entendre aujourd'hui, les uns et les autres, je suis fier d'avoir tenu bon. Sinon, nous en serions toujours au même point car nous ne nous mettrons jamais d'accord sur la manière de tuer son prochain ! (Protestations à gauche) Sans cette loi, nous serions tous en difficulté, à commencer par les malades qui ne pourraient pas être soulagés.
Il est d'autant plus malaisé d'aborder ce sujet que nos sociétés ont un problème avec la mort. L'absence de guerres...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Dites-le : vivement une bonne guerre !
M. Gérard Dériot. - ... Voyons... Je disais donc que l'absence de guerres, l'allongement de la vie, l'amélioration des soins et de l'hygiène, l'accoutumance à une forme de confort inconnue des générations antérieures ont rendu insupportables la mort, la maladie, le handicap. Nous avons désormais le réflexe de nous détourner de ces réalités.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Toujours aussi nuancé !
M. Gérard Dériot. - Deux décès sur trois surviennent à l'hôpital. Cette structure qui offre le meilleur accompagnement en termes de prise en charge de la douleur symbolise aussi la mort solitaire, anonyme et surmédicalisée dont a parlé le président About. Le mourant des siècles passés, entouré de ses proches, cède la place au défunt anonyme, abandonné dans l'indifférence de l'hôpital.
Un cadre législatif a été mis en place pour organiser la prise en charge médicale de la fin de vie. La loi du 22 avril 2005 est le fruit du consensus recueilli par la commission spéciale présidée par le socialiste Gaëtan Gorce et animée par M. Jean Leonetti. Le texte proposé organisait un équilibre subtil des droits et responsabilités auquel avaient adhéré sans réserve l'ensemble des familles politiques, puis les grands courants de pensée, les sociétés savantes et les médecins. Votre commission des affaires sociales et le Sénat avaient également considéré que le texte constituait la réponse la plus appropriée au problème de la fin de vie.
A écouter les intervenants qui ont pris part au débat ces dernières semaines, j'ai le sentiment que ce texte est malheureusement trop peu connu et sans doute insuffisamment appliqué. Quels en sont les grands principes ?
La loi consacre le principe déontologique du refus de « l'obstination déraisonnable » définie selon trois critères : l'inutilité des traitements, leur disproportion au regard du bénéfice pour le malade, une finalité exclusivement tournée vers le maintien artificiel de la vie. De ce principe découlent le droit pour la personne malade de refuser tout traitement et, lorsque la personne ne peut exprimer sa volonté, la possibilité d'une décision médicale de limitation ou d'arrêt des traitements. En outre, toute personne majeure peut donner des directives anticipées pour faire connaître ses intentions quant à sa fin de vie. L'équilibre du texte repose sur le développement parallèle des soins palliatifs.
La loi s'inscrit dans le cadre de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Elle comporte des dispositions spécifiques aux situations de fin de vie, mais également des dispositions applicables à toute situation de soins, y compris ceux de suppléance vitale. Lorsque le malade est conscient, et alors même qu'il n'est pas en fin de vie, son refus de tout traitement, à condition d'être réitéré et après consultation éventuelle d'un autre praticien, s'impose au médecin, même lorsqu'il y a un risque vital. En situation de fin de vie, le refus de traitement s'impose pleinement, sans consultation d'un autre médecin, ni délai de réflexion, ni procédure collégiale. Le médecin doit respecter la volonté du malade tout en l'informant des conséquences de son choix.
Cette loi prend donc position en faveur du « laisser mourir », mais refuse « l'aide active à mourir ». L'euthanasie, qu'elle soit « active » ou « passive », reste l'euthanasie ! Pour notre part, c'est un acte que nous refusons.
Le dispositif adopté en 2005 couvre l'ensemble des situations concernées par une décision de limitation ou d'arrêt de traitement. Elle réaffirme la priorité accordée à la lutte contre la douleur et consacre le principe dit du « double effet? » en autorisant le médecin à accéder à la demande du malade même au risque d'abréger sa vie.
Est-il nécessaire de légiférer de nouveau sur ce sujet ? La question s'est posée à la suite du combat face à la maladie et de la disparition de Chantal Sébire. Atteinte d'une tumeur évolutive, Chantal Sébire a supporté, avec infiniment de courage, cette maladie incurable qui lui a causé de terribles souffrances et l'a défigurée.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Justement, elle ne le supportait pas !
M. Gérard Dériot. - Elle a demandé l'euthanasie ; elle a donc sollicité de la Justice la possibilité d'exonérer de sa responsabilité pénale le médecin qui lui administrerait une substance létale. Cette possibilité n'est pas prévue par la loi Leonetti. Notons, cependant, que cette solution n'était pas la seule offerte à Chantal Sébire puisque, comme l'expliquait son avocat, elle refusait le coma artificiel et la mort qui peut s'ensuivre au bout de quelque temps.
La Loi Leonetti a reconnu, dans le code de la santé publique, les risques liés à l'administration des médicaments à double effet -apaiser la souffrance au risque d'abréger aussi la vie- ainsi que la nécessité d'en informer le patient, ce qui va bien au-delà de l'obligation de soins des professionnels de santé. Le droit actuel affirme que tout malade a le droit d'être accompagné lors de la fin de sa vie et aidé par des soins destinés à soulager sa douleur physique, apaiser ses souffrances morales et sauvegarder sa dignité. La loi précise que ces soins doivent être accessibles en institution médicale comme à domicile, et qu'ils ont aussi pour objectif de soutenir moralement l'entourage du malade. Il est donc malhonnête de prétendre que la Loi Leonetti n'aurait pas prévu la situation rencontrée par Chantal Sébire !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. - C'est vous qui êtes malhonnête !
M. Gérard Dériot. - Je ne dis pas que le texte constitue une solution parfaite ! Je demeure humble devant ces problématiques complexes, et je me garderai bien de tout prosélytisme. Mais ayons le courage de dire à nos concitoyens que notre société doit aborder ce débat de la fin de vie et des soins contre la souffrance en refusant les schémas simplistes du débat médiatique.
En la matière, les craintes les plus diverses entraînent des réactions paradoxales : la peur de souffrir, mais aussi celle de se voir voler sa mort par l'administration de sédatifs ; le refus de l'acharnement thérapeutique et l'inquiétude de se voir juger inéligible à certains traitements ; la terreur de sa propre déchéance, qu'elle corresponde à sa conception personnelle de la dignité ou à celle que l'on pense lire dans le regard de l'autre. Face à ces sentiments mêlés, chacun se forge une opinion qui varie selon qu'il s'agit d'une éventualité abstraite et à venir ou d'une réalité vécue et subie.
Certains, profitant du contexte dramatique de telle ou telle affaire, militent pour le droit à l'euthanasie. Mais le mot recouvre des réalités diverses : la mort donnée au malade incurable par compassion pour ses douleurs et l'impasse thérapeutique à laquelle il est confronté, sans d'ailleurs qu'il ait toujours donné son consentement à cette issue ; le suicide assisté de celui qui, sans que son pronostic vital soit engagé, souhaite se donner la mort, mais ne peut y procéder lui-même ; la non-intervention médicale dans l'intention de laisser faire la nature si le traitement est sans espoir de réelle guérison ou porteur de handicaps trop lourds ; enfin, l'interruption des soins et traitements lorsque la vie du malade n'est plus qu'artificiellement maintenue par des machines.
La loi actuelle permet, par une approche globale, d'appréhender de façon humaine et cohérente ces différentes hypothèses qui peuvent marquer la fin d'une vie, tout en respectant la vision morale et éthique profonde de notre société.
En 2005, le Parlement a pris le parti de ne pas modifier le code pénal et de confirmer l'interdiction de tuer, dont le respect constitue le fondement de notre société et qui demeure la règle absolue des trois grandes religions monothéistes. Avec beaucoup de mes collègues, je demeure personnellement très attaché à cet interdit, à cette limite, que je me refuse de voir franchie.
La médecine n'est pas là pour administrer des substances létales, et le pharmacien de profession que je suis ne souhaite pas que l'on confonde un jour les officines avec des armureries. Il n'est pas envisageable de demander aux médecins de trahir leur serment d'Hippocrate et d'imposer aux personnels médicaux de donner la mort.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. - C'est pourtant ce qu'ils font !
M. Gérard Dériot. - Cette limite rappelée, nous ne sommes pas hostiles à poursuivre ce débat, et surtout à conduire la nécessaire évaluation d'ensemble des moyens consacrés à la prise en charge des maladies chroniques, des pathologies lourdes et dégénératives, nécessitant la mise en oeuvre de suppléances vitales, et à l'accompagnement du grand âge et de la fin de vie.
Le comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement de fin de vie doit contribuer à l'évaluation des difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de la loi et de ses éventuelles limites.
Je ne méconnais pas l'insuffisance du développement des services de soins palliatifs, mais une part du produit des franchises médicales leur est réservée et nous serons attentifs à ce que ce soit le cas.
De plus, le 18 mars dernier, Jean Leonetti a été nommé parlementaire en mission par le Premier ministre afin d'évaluer la mise en oeuvre de la loi de 2005 et notre commission des affaires sociales va également former un groupe de travail, auquel j'aurai l'honneur de participer.
Je ne doute pas que cette première évaluation permettra d'améliorer encore la prise en charge des personnes en fin de vie ou en très grande souffrance.
Mais dès à présent il nous appartient de mieux faire connaître la loi, et surtout de la faire appliquer, de faire appliquer ce texte dont je maintiens qu'il est équilibré : il confirme l'interdit de tuer et replace le malade au centre du dispositif en affirmant son droit à maîtriser la fin de sa vie. En outre, il restitue au médecin la plénitude de sa responsabilité : faire le choix du traitement adapté ; informer le malade et son entourage sur les vrais risques de certains médicaments et les conséquences prévisibles de l'interruption des soins ; accompagner son patient jusqu'au bout de son chemin et prendre parfois lui-même, en toute transparence, l'initiative d'y mettre fin.
Cette loi a le mérite d'exister ; à nous d'en évaluer l'application. (Applaudissements à droite)
Mme Patricia Schillinger. - Je remercie Jean-Pierre Godefroy de nous donner l'occasion de débattre sur un sujet si important. Comme l'ont souligné mes collègues, nous avions déjà, lors de l'examen de la proposition de loi Leonetti, relevé ses insuffisances et ses faiblesses, et évoqué la nécessité d'aller plus loin que le seul « droit de laisser mourir » : le texte n'envisageait pas l'exception d'euthanasie telle que l'avait mentionnée le Comité consultatif national d'éthique. Le Gouvernement a voulu alors imposer un vote conforme en empêchant l'examen de tout amendement. Je suis heureuse qu'enfin, dans cet hémicycle, le débat sur un sujet d'une telle importance ait lieu.
La loi Leonetti ne répond pas à toutes les situations. Ce sujet revient en discussion, au cas par cas, à l'occasion de faits d'actualité. Bien que la loi de juin 1999 garantissant à tous l'accès aux soins palliatifs, la loi Kouchner de mars 2002 sur les droits des malades et la loi Leonetti aient constitué de réelles avancées, aucune réponse n'est proposée au malade qui souhaite interrompre ou refuser un traitement. Le médecin, en accord avec l'entourage, devrait pouvoir respecter le choix du patient, après l'avoir informé des conséquences et ce sans encourir de poursuites judiciaires.
Dans la loi actuelle, l'alimentation artificielle est considérée comme un traitement et non comme un soin, et le malade conscient est autorisé à refuser tout traitement. Cela suscite de nombreuses questions. Quelle est l'intention en cas d'arrêt ou de limitation du traitement ? S'agit-il de la fin de l'acharnement thérapeutique ou d'une intention d'euthanasie cachée ? Ce texte n'apporte pas de solutions pour les personnes souhaitant mourir sans interrompre l'alimentation artificielle, tels Vincent Humbert et Chantal Sébire, qui souhaitaient partir quand ils l'avaient décidé.
La loi Leonetti constitue davantage une avancée pour les médecins que pour les malades. Les premiers sont protégés dans leurs décisions collégiales de limitation ou d'arrêt de traitement. Ils doivent assurer la qualité de la fin de vie du mourant en dispensant des soins palliatifs, mais sans prendre en compte la demande d'aide à mourir. En cas de refus de traitement, le patient peut donc se laisser mourir de faim... Cela n'est pas tolérable ; la famille assistera à sa déchéance, dans l'incertitude du moment de la mort. La loi ne pourrait-elle pas autoriser les médecins à adapter la sédation du mourant afin de faciliter sa mort et lui éviter une agonie prolongée ?
Bien que proposée à la suite du cas de Vincent Humbert, la loi Leonetti ne répond pas à sa demande, ni à celle de Chantal Sébire, et n'empêche pas de poursuivre le Dr Chaussoy. Le texte interdit aux médecins de pratiquer une « aide active à mourir ». Pourtant, en phase terminale, si la douleur physique ou psychologique est insupportable, on peut ne plus vouloir vivre. Accompagner la mort dans la dignité est un acte d'amour, qu'il s'agisse de personnes âgées atteintes de maladies dégénératives ou de personnes jeunes, foudroyées par des affections incurables, ou de victimes d'accidents ayant généré des lésions irréversibles.
Quelle que soit la situation, le praticien doit aider son patient par une attitude responsable, dictée par sa conscience et son humanité. Aujourd'hui, en France, on pratique environ 1 800 euthanasies par an dans la clandestinité, de manière inégalitaire et anarchique. Pourquoi ne pas agir en toute transparence afin que le malade soit entouré par ses proches, avec une équipe médicale formée ? Une société ne doit pas vivre dans l'hypocrisie que produit un trop grand décalage entre les règles et la réalité. Selon un sondage TNS-Sofres, près de neuf Français sur dix souhaitent que les personnes atteintes de maladies incurables puissent demander l'euthanasie.
Dans une situation médicale grave et sans issue, il est important de prendre en compte la volonté du patient et de la famille. Lorsque l'individu est parvenu aux limites du supportable, la volonté de mourir l'emporte parfois sur l'intérêt de vie. Madame la ministre, mon expérience dans les hôpitaux m'a appris que, face à certaines détresses, quand tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, la demande de délivrance devient un droit et l'expression de notre dernière liberté. J'espère que le Gouvernement avancera dans ce sens. (Applaudissements à gauche)
M. Alain Milon. - La réflexion contemporaine revient fréquemment sur l'antagonisme entre le désir individuel de liberté, admis comme légitime, et les exigences de notre société, parfois jugées comme dépassées. Le débat incessant autour de l'accompagnement à la mort, ou droit des patients en fin de vie, évolue mais reste cependant souvent stérile, occultant les travaux et rapports d'une grande qualité qui l'ont accompagné.
La loi du 22 avril 2005 reconnaît aux malades le droit d'accéder aux soins palliatifs et, en même temps, de refuser un traitement, et le code de déontologie médicale impose au médecin de ne pas pratiquer d'obstination déraisonnable et de soulager les souffrances. Cette loi encore trop méconnue faisait suite à de nombreuses études. Il n'est donc plus question de polémiquer mais plutôt de sensibiliser le plus grand nombre à ces questions. Quelles que soient nos références philosophiques, religieuses ou politiques, la vie est un droit inaliénable et sacré, proclamé dans l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et principe fondateur de nos sociétés modernes.
A l'heure où l'apparence règne en maître, la mort et la fin de vie sont devenus des sujets tabous. On laisse encore bien souvent le malade, sa famille et le corps médical faire face seuls à des situations douloureuses. Pourquoi cet accompagnement pose-t-il encore tant de problèmes à nos consciences ? S'agit-il vraiment d'une question de conscience ? Ce malaise ne traduit-il pas davantage la crainte de la déchéance, la peur de mourir ? La liberté de disposer de son corps serait-elle réservée aux seuls bien-portants ? Enfin, comment assurer le respect du droit à l'intégrité physique sans entacher le droit à la vie ?
Offrir des conditions optimales de soins pour, à défaut de guérir, adoucir la souffrance est l'un des nouveaux enjeux de la médecine. Il ne s'agit pas d'ôter la vie, mais de diminuer la durée d'un passage au terme inéluctable, d'adoucir la souffrance, de rendre la mort en un sens plus naturelle.
Médecins et soignants doivent rendre leur dignité aux malades en fin de vie, sans oublier qu'il s'agit exclusivement de laisser la mort venir naturellement. En effet, tuer est incompatible avec le devoir de ne pas nuire. De plus, associer la mort aux soins saperait la confiance des familles.
Lorsque nous avons discuté ici, en 2005, de la proposition de loi sur les droits des malades en fin de vie, il m'a semblé que nous devions être précis et modestes. Précis et modestes dans les mots, les réponses et les motivations, parce que l'évolution des pratiques médicales ne doit pas éroder les valeurs communes de notre société. D'une certaine façon, nous avons reconnu un contrat entre le patient et son médecin, où chacun est à égalité. En effet, si 80 % des Français en bonne santé souhaitent que leur médecin puisse les aider à mourir, seulement 1 % des patients en fin de vie demandent une mort assistée par les soignants. Ces chiffres montrent combien il faut être prudent pour traiter de ce délicat problème. Ne cédons jamais à l'émotion.
La loi votée il y a trois ans a constitué un progrès considérable pour ceux qui vivaient comme un calvaire l'état de nos moeurs et de notre législation. Renoncer à l'acharnement thérapeutique, éviter l'obstination déraisonnable, rompre l'isolement du malade, épargner le désarroi à la famille et prévenir la culpabilité de soignants : tels étaient les principaux enjeux d'un texte qui cherchait à apporter une solution éthique aux relations entre médecins et malades en fin de vie. Cette loi, qui reconnaît le droit du patient à refuser tout traitement, est centrée sur la proportionnalité des soins et la culture palliative. Elle ne prétend pas traiter tous les cas de figure, car ce qui paraît supportable à une personne peut ne pas l'être à une autre. Nul ne perçoit sa déchéance au travers du même prisme.
Acceptez notre condition de mortel tout en refusant la douleur rédemptrice : telle est la philosophie qui sous-tend ce texte équilibré qui confirme l'interdiction de tuer, mais replace le malade au centre du dispositif en affirmant son droit à maîtriser la fin de sa vie. La loi rend au médecin la plénitude de sa responsabilité : il choisit le traitement adapté, il informe le malade et son entourage sur les risques liés à certains médicaments et les conséquences de l'interruption des soins, il accompagne son patient sans prendre l'initiative de mettre fin à sa vie.
En contrepartie, le législateur reconnaît les soins palliatifs. Leur entrée dans les services hospitaliers est une révolution culturelle, qui traduit les limites de la médecine curative. En rappelant chacun à l'humilité, elle constitue déjà un grand progrès. Il est indispensable de confirmer l'importance des soins palliatifs par la participation à cette démarche de tous les services susceptibles d'accueillir des patients en fin de vie.
Nous pouvons donc nous féliciter de l'évolution de notre législation. Faut-il aller plus loin ? Le cas douloureux dont il a été question ces dernières semaines doit-il déboucher sur un droit à la mort ? Tout en respectant la dignité du patient, nous devons rechercher des solutions justes, raisonnables et humaines face à certaines situations exceptionnelles, tout en sachant que nous légiférons pour le cas général, pas pour un cas particulier.
Aujourd'hui, presque toutes les souffrances peuvent être soulagées, si bien que le mot « euthanasie » désigne en fait l'aide au suicide. Les personnes qui ne supportent plus de vivre et demandent le droit de mourir nous renvoient au regard que nous portons sur elles, et la solidarité avec les plus vulnérables impose d'explorer d'abord les réponses humaines et sociales qui confirment à ces personnes qu'elles ont leur place dans notre monde et que leur dignité n'est pas entamée.
La prudence vis-à-vis d'éventuelles dérives de la loi, la nécessaire protection des plus faibles et la mission des médecins plaident en faveur d'un refus du suicide assisté. Il y aura toujours des situations dramatiques et des exceptions, mais le droit à la mort reste contraire aux valeurs des médecins et des sources morales de notre démocratie. Quelles que soient les motivations de ceux qui souhaitent légaliser l'euthanasie, on ne peut assigner aux médecins ni au personnel soignant la tâche de tuer un patient. Le suicide est une liberté, non un droit. Il n'a pas vocation à le devenir.
Je ne suis pas certain qu'il soit opportun de relancer le débat sur un sujet aussi douloureux et aussi complexe, mais nous devons insister sur le refus de l'obstination déraisonnable et de l'euthanasie. Soyons créatifs pour trouver des solutions aux pires situations ! Redéfinissons l'acte d'accompagner et de laisser mourir un malade en fin de vie. Mais interrogeons-nous d'abord sur la mauvaise application de la loi du 22 avril 2005 ! Il est important de développer les soins palliatifs ; il est fondamental de former les professionnels de santé, les bénévoles et les publics à la loi actuelle, qui autorise à laisser mourir, mais surtout pas à tuer ! (Applaudissements à droite)
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - Très beau discours !
M. Roger Madec. - La fin de vie appelle des réflexions essentielles qui ne peuvent être traitées au détour d'une simple question d'actualité. Je remercie donc notre collègue M. Godefroy d'avoir pris l'initiative de cette question orale avec débat bienvenue.
Ce sujet difficile comporte des enjeux fondamentaux pour notre société. Quelles évolutions peut suivre une société aux racines judéo-chrétiennes qui a connu le siècle des Lumières et l'avènement des droits de l'homme ?
Les certitudes des uns et des autres sont également respectables. Nous avons tous une part de vécu et des expériences personnelles, mais notre rôle de législateurs n'en reste pas moins de faire des choix en conscience et en responsabilité.
Il y a trois ans, le 12 avril 2005, ce débat nous a été confisqué, le texte adopté par l'Assemblée nationale devenant intouchable, puisque prétendument parfait. Des situations dramatiques auraient pourtant été évitées si l'on avait laissé notre assemblée améliorer un texte dont les limites apparaissent déjà. Ne serait-ce qu'accepter l'évaluation de la loi aurait permis d'en suivre l'application et de la faire connaître. Le Gouvernement vient de prendre cette initiative, mais avoir confié cette tâche à l'auteur de la proposition de loi ne manque pas de surprendre.
Trois ans plus tard, l'opinion est à nouveau marquée par le drame médiatisé d'une femme, responsables et esprits partisans s'animent de part et d'autre, la justice et les pouvoirs publics sont interpellés. Nous constatons encore une fois notre impuissance face à la volonté ultime d'un être humain, notre silence face à un combat douloureux et l'attention accordée par la France entière à un geste commis dans la solitude. Cette femme est morte dans l'isolement et la clandestinité. Faute d'avoir été entendue, elle a été acculée à faire ce qu'elle ne voulait pas.
La loi Leonetti est parvenue à un certain consensus en faveur du « laisser mourir ». Elle peut apporter une solution aux malades en fin de vie, mais seulement une perspective de longue agonie pour qui n'est pas en phase terminale, comme nous l'avions dénoncé alors. C'est ce qui attendait Vincent Humbert et le jeune homme dont M. Dreyfus-Schmidt vient de parler. La mise en oeuvre de cette loi suscite de réelles difficultés. Elle est d'abord mal appliquée, par méconnaissance du droit et faute de formation à l'accompagnement et aux soins palliatifs ; enfin, elle est inadaptée à certaines situations.
Les soins palliatifs doivent être développés et je déplore le fossé entre ce que préconise la loi et la réalité. On dit que 95 % des demandes d'euthanasie cesseraient lors du transfert en unité de soins palliatifs. Que fait-on face aux 5 % des patients qui maintiennent cette demande ? Est-il inacceptable de se demander s'il faut aller plus loin ? Peut-on répondre par l'affirmative ?
Il y a trois ans, le groupe socialiste avait choisi une voie médiane, la compassion et la sollicitude s'exprimant par la fin de la souffrance. En offrant à certains malades la possibilité de choisir cet accompagnement ultime, dans des conditions exceptionnelles, nous voulions, non dépénaliser l'euthanasie, mais inscrire dans le Code de la santé publique un cinquième cas exonérant les médecins de poursuites pénales.
Le médecin a pour mission de soigner pas de tuer, diront certains. Cela signifie-t-il que son rôle social doive s'arrêter là parce qu'il est impuissant à continuer de remplir sa mission ? Permettez-moi de vous lire ce témoignage de Chantal Chanel : « Il est anormal de laisser cours à tant de souffrance. On est allé au tribunal pour ce qu'on a fait mais on pourrait plutôt y aller parfois pour ce qu'on ne fait pas. Est-il normal de voir des médecins prescrire des antidépresseurs à quelques heures de la mort et d'autres débrancher tout et fermer la porte ? Au nom du non acharnement thérapeutique, on peut débrancher un respirateur, des sondes pour alimenter. Et le malade meurt d'étouffement, de faim, en toute légalité certes, mais dans quelles souffrances ? Nous, pour une dose de potassium, illégale mais sans souffrance, nous nous sommes retrouvés aux assises comme des criminels. C'est anormal. »
De toute évidence, le débat doit être rouvert, car il ne semble plus possible de se satisfaire du laisser mourir et d'accepter la clandestinité. On ne peut plus se réfugier derrière l'hypocrisie qui dit, à propos de Chantal Sébire, « si elle veut mourir, elle n'a qu'à se suicider ». Qu'il accepte le laisser mourir ou qu'il agisse seul et, s'il est dans l'incapacité de le faire lui-même, qu'un autre le fasse à sa place à ses risque et périls ! Est-ce l'unique alternative proposée par notre société à qui ose demander d'être délivré d'une vie devenue inhumaine ?
Selon un archevêque qui s'est exprimé largement il y a peu : « la société n'a pas vocation à organiser la mort, (...) ni celle du grand malade en phase terminale, ni celle de vieillards en fin de vie. » Est-ce à dire que la société qui organise le vivre ensemble autour de valeurs communes devrait abandonner l'Homme au « finir de sa destinée » ? Améliorer les conditions de cette fin quand elle survient, préparer au mieux cette issue inéluctable, n'est-ce pas aussi le devoir d'une société ? Je le crois. Le respect de la volonté d'une personne, cette dernière liberté, ce choix intime, ne doit plus être nié.
Il y a treize ans, j'ai accompagné pendant des mois la personne qui partageait ma vie, atteinte d'un mal incurable. Tous les jours, elle me demandait de mettre fin à sa souffrance. Je n'ai pas eu le courage de le faire et, depuis lors, je ne cesse de me reprocher cette lâcheté. (Applaudissements à gauche)
Mme Marie-Thérèse Hermange. - Nous partageons tous, sans aucun doute, des paradoxes et un champ d'axiomes.
Premier paradoxe : d'un côté, on mène une réflexion très poussée sur la dépendance et le cinquième risque, l'organisation du système d'assurance et de solvabilité jusqu'à la mort.
M. François Autain. - Cela n'a rien à voir !
Mme Marie-Thérèse Hermange. - De l'autre, nous sommes appelés à aller toujours plus loin pour instaurer une législation sur un droit à mourir.
Deuxième paradoxe : d'un côté, une réflexion sur le droit à la maternité, avec le groupe de travail sur la gestation pour autrui ; de l'autre, une réflexion sur le droit à la mort, l'un et l'autre ayant pour dénominateur commun l'évidence que la souffrance, considérée comme une indignité et une déchéance, doit être censurée, avec la tentation de revendiquer par un moyen ou par un autre le droit de la supprimer.
Nous partageons tous aussi, je pense, le champ d'axiomes suivant.
Oui, la phase ultime de la vie interpelle la responsabilité thérapeutique du médecin mais la fin de vie technicisée peut bouleverser le dialogue singulier entre celui-ci et son patient.
Oui, dire la vérité au malade en phase terminale exige du personnel soignant discernement et tact, et nécessite les traitements médicaux susceptibles d'alléger la souffrance par des soins palliatifs adéquats.
Oui, il existe un droit pour la personne d'être informée ; oui, cette vérité communiquée ne la ferme pas à l'espérance.
Oui, il existe une différence radicale entre donner la mort et accepter la mort.
Oui, nous acceptons que certains conçoivent la mort comme un voyage au pays de l'ombre tandis que d'autres disent avec Guitton que « la mort est un voyage que l'on va faire dans un pays merveilleux ».
Oui, chacun de nous est face à ses rationalités, marqué qu'il est par ses cicatrices, ses blessures, son environnement, son rapport ou non au mystère de la vie, tiraillé qu'il est entre l'envie de s'épanouir et celle de s'autodétruire. Oui, devant l'inconnu et le singulier, toutes les certitudes humaines chancellent.
Oui, la souffrance humaine inspire compassion et respect. Elle est enracinée dans l'humanité de l'homme et en son coeur apparaît la question du pourquoi.
Ces considérations, nous les partageons tous. C'est pourquoi la compassion suscitée par la douleur, la souffrance d'enfants handicapés, de personnes atteintes de maux incurables ont servi de socle à la loi de 2005. Voici, aujourd'hui, qu'à travers une souffrance singulière, montrée et médiatisée, la question du droit de mourir tout court, nommée « exception d'euthanasie », est ici en cause. Pouvons-nous inclure parmi les droits qu'un individu doit pouvoir revendiquer, le droit de mourir, droit qui impliquerait la production de normes imposant leurs règles indifférenciées et systématiques, au titre de bonnes solutions ?
Je reste dubitative sur l'opportunité d'exhumer la problématique de la fin de vie dans un tel contexte. Notre législation est mal connue et mal appliquée ; plus grave, nous sommes face à des milliers de personnes qui meurent chaque année dans la solitude et le sentiment d'être abandonnées à leur souffrance. Il n'est pas nécessaire d'ajouter du texte à un texte existant. Mais il importe de faire appliquer la loi Leonetti. D'abord, en la faisant connaître du grand public et plus encore des professionnels de santé, ensuite, en diffusant la culture de bonnes pratiques en fin de vie comme celle de l'accompagnement au sein des familles ; enfin, en dégageant les moyens qui avaient été annoncés lors du vote de la loi. Autant de raisons pour lesquelles je vous propose qu'autour de M. Leonetti, nous prenions un rendez-vous régulier sur l'application de la loi de 2005.
Ma seconde interrogation porte donc sur ce que pensent les professionnels et plus largement les personnes qui accompagnent des malades en fin de vie. Souhaitent-ils une évolution supplémentaire de la législation ? La réponse est non. La majorité des médecins et des soignants sont conscients des dérives possibles d'une loi qui ouvrirait la possibilité d'éliminer tous ceux qui dérangent. Comme l'écrit Marie de Hennezel, « cette tentation existe déjà chez nos voisins des Pays-Bas et de Belgique, puisqu'on y envisage déjà d'étendre l'euthanasie aux grands dépressifs et aux déments. Pourquoi serions-nous plus prémunis de ce risque que nos voisins ? »
La grande majorité des médecins et des soignants estiment qu'il est de leur devoir de protéger les plus vulnérables. Dans un plaidoyer signé en mars 2007 par 7 000 professionnels de la santé, sept sociétés savantes ont affirmé qu'elles étaient contre la légalisation du suicide assisté, qui modifierait radicalement nos repères sociétaux, et appelé à une large information et une pédagogie de la loi sur le droit des malades et la fin de vie. Plus récemment, ces mêmes sociétés savantes ont rappelé que « quels que soient les choix que notre société pourrait faire dans le futur, donner la mort ne relève pas de la compétence du médecin et nous n'assumerons pas ce rôle. (...) Le tragique, l'effroyable vécu par une personne ne peut pas nous faire admettre que la mort donnée, même si elle est souhaitée, soit la solution. Cela ne correspond ni à notre expérience quotidienne ni à ce que nous enseigne la pratique de la médecine ». Faisons-leur confiance sur ce point, ne légiférons pas contre eux.
Enfin, ne choisissons pas dans l'urgence médiatique...
M. François Autain. - C'est toujours dans l'urgence qu'on légifère !
Mme Marie-Thérèse Hermange. - ... des solutions dont nous savons qu'elles sont porteuses de dérives, et fausses car générales.
Nous ne pouvons légiférer sur la mort à la troisième personne, celle qui est le destin commun de tout ce qui vit et respire ; nous ne pouvons légiférer non plus sur la mort à la première personne, celle dont je ne peux parler puisque c'est ma mort. Nous sommes donc appelés à légiférer sur la mort à la deuxième personne, celle de l'autre. En d'autres termes, nous nous trouvons confrontés à prendre au sérieux la parole d'un « je » et à croire que son consentement suffit à légitimer toute sorte de conduite -mais son choix est parfois vécu dans la souffrance, en désaccord avec son moi. Autrement dit, nous sommes confrontés à notre propre impuissance, obligés de composer avec l'insupportable et l'inacceptable, comme si l'on se renvoyait la peur de la fin, la perte du sens et l'entrebâillement de l'espérance.
Comme le dit très bien Jankélévitch, l'homme est fait pour connaître l'entrouverture, car sa vie est toujours entrebâillée par l'espérance, ce qui fait qu'il n'est jamais nécessaire de mourir. C'est d'ailleurs cette espérance qui est refusée au condamné à mort, cela est contre nature, inhumain, c'est un temps monstrueux.
En légiférant, on demande à la loi, générale par définition, qu'un autre vienne fermer cette ouverture, claquer cet entrebâillement, cette capacité à dire « je veux vivre ». Plutôt que d'aider le malade à retrouver espoir, on cherche à prendre acte de cette désespérance et à la graver dans les textes. Ce n'est ni le rôle de la loi ni le devoir de notre assemblée. C'est à l'amour, à la famille qui permet de surmonter de telles épreuves, que nous devons redonner espoir. N'est-ce pas d'ailleurs l'esprit des politiques de prévention, de service de soins à domicile et de soutien aux aidants familiaux ?
La question n'est donc pas « comment puis-je mourir tout de suite ? » mais bien « Comment va-t-on m'accompagner jusqu'à ma mort » ?
Bien souvent, la demande de mort est un appel au secours, un besoin d'être accompagné et respecté, de ne pas être abandonné, de sortir de la solitude et du silence, de devenir sujet. Il ne s'agit pas d'y répondre nécessairement par un acte mais de l'entendre pour ce qu'elle signifie. Michel Serres, évoquant des temps et des lieux dont nous avons honte et où l'on n'hésitait pas à mettre à mort les porteurs de différences écrit que « la bête tue le différent alors que l'homme le tolère, le protège, le sauve et finit par cultiver sa différence ». Cela s'écrit peu dans les livres mais s'entend sur les lits d'hôpitaux, dans les salles d'accouchement. C'est en rompant avec la loi implacable de la sélection animale que l'homme s'est affirmé : « nais-tu faible, anormal, différent ? Voici qu'homme, tu viens de naître fils de l'homme ».
Il en va de la naissance comme de la mort, c'est une trouée à travers laquelle l'homme porte les yeux sur le fini et l'infini de sa vie. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Michel. - Après M. Godefroy et dans une certaine mesure M. About, après les témoignages de Mme Desmarescaux et de M. Madec, j'ai été tenté de ne pas prendre la parole et je m'en tiendrai à l'essentiel.
Si le groupe socialiste a voulu intervenir, c'est pour effacer la mémoire du débat de 2003, dont plusieurs de ceux qui ont pris la parole aujourd'hui étaient restés à l'écart et qui n'a pas fait honneur au ministre qui siégeait alors au banc du Gouvernement.
La loi Leonetti, faite pour les médecins, ne règle rien et la meilleure preuve en est qu'elle n'aurait pas permis de résoudre le cas de Vincent Humbert qui l'avait provoquée. Il nous a donc semblé utile de rendre sa place au Parlement, au Sénat, en permettant de revenir, de décider sereinement, à l'abri de l'actualité et des groupes de pression, même ou surtout s'ils s'expriment par la bouche de l'archevêque de Paris.
De quoi s'agit-il ? Il ne s'agit pas de compassion, mais d'un débat philosophique entre les conceptions que nous avons, les uns et les autres, complètement différentes, de la personne humaine, de l'autonomie de sa volonté, de son droit à décider seule des conditions de sa mort. Il ne s'agit pas non plus d'une exception d'euthanasie, comme dans la loi de 2003, mais d'aider une personne qui le demande à mourir dans la dignité, comme elle le souhaite : elle seule sera juge et non un médecin. Enfin, il ne s'agit pas, comme on l'a dit de manière imprudente, d'un droit à tuer, mais de reconnaître la volonté d'une personne humaine.
Vous avez souvent, madame la ministre, adopté des positions courageuses, hétérodoxes sur les questions de société. Nous attendons de vous que vous preniez en compte notre travail et que vous fassiez aboutir des propositions que réclament la majorité de nos concitoyens. (Applaudissements à gauche)
M. André Lardeux. - S'il y a un sujet difficile à appréhender, c'est bien celui de la fin de vie et de la souffrance physique et psychologique du mourant et de son entourage. C'est difficile dans notre société où 70 % des morts surviennent à l'hôpital, qui s'illusionne sur l'immortalité, et où l'émotion éclate quand on expose sans pudeur une situation dramatique sur la place publique. On redoute plus qu'on ne connaît, on craint plus qu'on ne sait et les interprétations fantaisistes vont bon train...
On doit compassion aux personnes concernées, mais nous devons prendre garde de ne réagir qu'à l'émotion ou de nous laisser emporter dans un maelstrom médiatique, surtout quand on ne donne la parole qu'aux militants les plus résolus de l'euthanasie -la dernière affaire en date est caricaturale à cet égard. Radios et télévisions, jouant de l'émotion de manière irresponsable, n'ont relayé que la parole des partisans du prétendu droit de mourir dans la dignité, sans respect pour l'honnêteté intellectuelle mais masquant la réalité derrière des euphémismes, comme si la dégradation du corps privait la personne de sa dignité humaine, comme s'il n'y avait pas de solution pour respecter autrement qu'en tuant. Cette volonté de manipuler l'opinion par le diktat de l'affectif empêche de réfléchir sereinement à tout ce qu'implique la fin de vie.
Pour ma part, je pense qu'il faut réfléchir longuement avant de toucher à la loi Leonetti, dont je crains qu'elle nous ait engagés dans un engrenage mortifère. Comment ne pas être inquiet quand on relit cette déclaration d'il y a une vingtaine d'années : « L'allongement de la durée de la vie n'est plus un objectif souhaité par la logique du Pouvoir. Dès que l'on dépasse 60-65 ans, l'homme vit plus longtemps qu'il ne produit et il coûte alors cher à la société. Il est bien préférable que la machine humaine s'arrête brutalement plutôt qu'elle se détériore progressivement. On pourrait accepter l'idée d'allongement de l'espérance de vie, à condition de rendre les vieux solvables et de créer ainsi un marché. Je suis pour ma part, en tant que socialiste, contre l'allongement de la vie. L'euthanasie sera un des instruments essentiels de nos sociétés futures ». J'espère que l'auteur de ces propos les désavouera...
Il faut dire non à l'euthanasie mais oui à une médecine à visage humain, comme à une société prenant pleinement en compte la dignité humaine. Je pense en effet avec Jean-François Mattei qu'on ne peut ni donner ni enlever la dignité, qu'on ne peut en disposer, décider qu'on en a plus ou moins, voire plus du tout. Non, la dignité ne s'éteint pas progressivement au fil de la vieillesse ou de la maladie, elle n'est pas biodégradable. La qualité d'humain ne se décrète pas ni n'est subjective ; s'engager dans cette voie créerait une humanité à géométrie variable, qui porterait atteinte à notre humanité intrinsèque.
L'homme peut revendiquer des libertés, mais pas celle de choisir son humanité. On naît humain et on vit humain. Si l'acharnement thérapeutique est déraisonnable, l'accompagnement des mourants, contrairement à l'euthanasie, obéit au principe d'humanité, au respect de la dignité de celui qui s'en va. Nier la dignité de l'homme souffrant est indigne de l'homme non souffrant. Opposer dignité et souffrance est indigne de l'homme et met en jeu l'avenir de l'humanité.
La fausse compassion nous expose à bien des dangers, dont le vote de textes qui ne répondent pas au problème posé -on l'a vu avec la légalisation de l'avortement : alors qu'on a voté la loi sur l'IVG pour éviter sa banalisation, il n'y a jamais eu autant d'avortements- j'ai du mal à penser que chaque année 220 000 femmes connaissent la détresse en raison d'une grossesse.
La question est celle de notre rapport à la vie dans une société qui répond souvent par la mort à ce qui n'entre pas dans sa norme, alors qu'elle est là pour nous protéger.
On ne doit pas tirer de conclusions générales d'un cas particulier. Faire croire que la seule solution pour respecter la volonté de quelqu'un est de lui donner la mort est une tromperie. Croire que la légalisation de l'euthanasie règlera la question est une illusion car l'exception d'euthanasie ne tient pas la route : ou l'euthanasie est légalisée ou elle ne l'est pas. Les risques de dérive sont considérables : la Belgique pratique deux à trois euthanasies par jour et le total ne cesse d'augmenter.
Franchir l'interdit « Tu ne tueras point » nous entraînera dans des impasses car médecins et soignants ne doivent pas nuire aux malades, ni provoquer leur mort. Pourquoi leur imposer une responsabilité impossible à supporter dans les situations où ils sont confrontés à la demande de mort ? Donner la mort à qui la lui demande ne dédouane pas l'auteur de l'acte de sa responsabilité.
Dans notre société, beaucoup de malades qui connaissent la honte pourraient demander la mort parce qu'ils se sentent inutiles, à la charge de la société.
Il ne peut être question de les sommer de quitter la vie, ce serait créer une nouvelle forme d'exclusion. Cela signerait la fin de la solidarité qui n'a déjà que trop régressé. Comment vivrons-nous dans une société du chacun pour soi où la solidarité et la compassion consisteront à donner la mort ? On ne peut livrer la fin de la vie à des spécialistes de l'extinction des feux, on n'ose imaginer un moderne comité des Trois Parques...
Pour aller vers l'euthanasie, on affirme que la loi Leonetti est peu ou mal appliquée. Mais pour en évaluer les éventuels bienfaits ou méfaits, il faut du recul. Et la réponse n'est pas de donner la mort.
Que demandent les malades ? Quatre choses : ne pas souffrir, ne pas subir un acharnement inutile, ne pas être exclus des décisions médicales les concernant et ne pas être abandonnés ni mourir seuls. C'est lorsque ces quatre demandes légitimes ne sont pas satisfaites qu'il y a désir d'euthanasie.
Alors que faire ? Agir sur les leviers de vie, donner le courage de vivre : cela ne passe pas par la loi. Il faut axer l'effort sur les soins palliatifs. La dépénalisation de l'euthanasie remettrait en cause les efforts de ceux qui oeuvrent dans cette voie. Il faut diffuser les bonnes pratiques, former les professionnels de santé, développer les soins palliatifs dans les établissements, dans l'hospitalisation à domicile -votre circulaire, madame la ministre, va heureusement dans ce sens. Il faut y sensibiliser tout le corps social pour éviter le plus possible les situations de blocage où l'on est tenté de supprimer la maladie en supprimant le malade. Soulager la douleur au risque de la mort ne relève pas de la même intention que l'euthanasie.
On pourra toujours mettre en exergue des cas difficiles : en réalité les gens souffrent surtout du regard que la société porte sur eux en leur donnant le sentiment qu'ils n'ont plus leur place en son sein. Notre devoir est de protéger les plus faibles, non de les éliminer. D'autant qu'on peut citer des cas tout à fait inverses où le désir de vivre est impressionnant : le cas de Jean-Dominique Bauby par exemple, l'auteur de Le Scaphandre et le papillon, ou le beau livre de Christiane Singer. Car si la souffrance n'a pas de sens, la manière dont nous la prenons en compte est, elle, porteuse de sens.
Essayons de construire un monde où l'on manifeste davantage de considération et d'amour envers ceux qui souffrent, un monde où le goût de la vie l'emporte sur le désir de mort. Car si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie. Cela peut nous éviter de tomber dans la désespérance. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative. - Je salue la très grande dignité de ce débat, profond, émouvant, baigné par tant de parcours individuels, par la souffrance et la mort de tant d'êtres aimés. Le témoignage douloureux de Mme Desmarescaux ou le remord de M. Madec nous obligent au sérieux, à cette gravité que Pascal opposait au faux-sérieux qui nous divertit et nous détourne de l'idée de la mort. La question posée par le sénateur Godefroy appelle donc une réponse responsable, une vraie réponse qui intègre, sans faux-semblants, la complexité de la question. Oui, monsieur Michel, oui, madame Hermange, le débat d'aujourd'hui est bien philosophique.
Dans ce débat, je suis animée par un souci éthique et ma morale est laïque et républicaine. Cette éthique nous enjoint d'être attentifs et sensibles à la souffrance de notre prochain, de lui porter secours, de répondre à sa détresse par des gestes de vie. Ces gestes de vie, ce sont les gestes que doivent prodiguer, auprès des malades, les personnels soignants. Cette éthique est celle qui nous commande de traiter avec dignité chaque être humain, de respecter, de comprendre l'irréductible singularité qui fait l'humanité de chacun. C'est cette éthique qui, depuis l'origine, irrigue la pratique médicale. Hippocrate, cité à propos par le sénateur Dériot, prétendait déjà « mettre davantage de médecine dans la philosophie et davantage de philosophie dans la médecine », nous invitant ainsi, par avance, à éviter les pièges de l'abstraction qui condamne à la spéculation vaine, à ne jamais oublier ni trahir la vocation du geste soignant. Cette vocation structure, en effet, la manière d'être de tous ceux qui se sont engagés à soigner leurs semblables, à soulager leur douleur, à sauver des vies. C'est sous le patronage d'Hippocrate que je voudrais répondre à la question posée.
Monsieur Godefroy, vous avez évoqué les récentes évolutions du droit qui ont permis, dans notre pays, de rappeler précisément les principes régissant le soin, au stade terminal ou avancé d'une affection grave et incurable. Le droit des malades à voir respectée la liberté de leurs choix et reconnue la souveraineté de leurs décisions, est un droit fondamental de la personne humaine. Ainsi, l'entrée dans une phase avancée d'une maladie incurable oblige médecins et soignants à entendre et à respecter la volonté des patients. C'est en ce sens que la loi Leonetti proscrit, dans son article premier, l'acharnement thérapeutique, l'obstination déraisonnable. C'est en ce sens qu'elle donne droit aux malades qui le souhaitent de recevoir les traitements palliatifs visant à leur épargner des souffrances. Si les médecins ont le devoir de prodiguer de tels soins si on le leur demande, les malades conservent le droit de les refuser. Cependant, l'intervention du médecin ne saurait en aucun cas avoir pour but de mettre fin à la vie du patient. Il s'agit là d'un des principes irréfragables régissant l'éthique médicale. La mort peut être une conséquence mais ne peut en aucun cas procéder d'un projet auquel le corps médical serait associé. La loi Léonetti incorpore ces valeurs fondamentales dans sa rédaction. Son article 2 précise que le médecin est tenu de soulager les souffrances extrêmes, y compris par l'utilisation de médications très puissantes, tout en informant les malades des conséquences éventuelles de leur choix, à savoir la mort. Lorsque le traitement appliqué pour soulager la douleur contribue à abréger la vie d'un malade dont l'état de santé est particulièrement dégradé, alors la mort n'est qu'un effet indirect possible. Ce qu'il est convenu d'appeler le double effet est une réponse légitime et recevable au regard des exigences spécifiques du soin. Monsieur Autain, je ne crois pas qu'il soit hypocrite de vouloir le bien -premier effet- sans vouloir le mal -second effet. Cela reviendrait à postuler que notre vraie conscience d'un bien cache un mal. Pourquoi notre conscience serait-elle nécessairement trompeuse ? La différence, dans la conscience réelle, entre le bien d'une intention et le mal d'une conséquence non voulue permet de distinguer nettement ce qui relève de l'euthanasie et ce qui relève des justes moyens de lutte contre la douleur. Même si ceux-ci entraînent la mort, ils sont plus respectueux des personnes.
La loi de 2005 est récente, c'est une loi des hommes, inscrite dans l'histoire, ce qui en fait la grandeur et la faiblesse tout à la fois. Je crois, en ce sens, qu'il faut en saluer l'esprit, même si elle n'est pas la panacée. Cette loi, dont vous avez reconnu qu'elle organisait un équilibre subtil des droits et responsabilités de chacun, incorpore l'idée selon laquelle, en médecine, le véritable respect ne peut être abstrait. Il n'est de véritable respect qu'au plus près d'une personne concrète. Le bien et la liberté d'une personne sont ici consubstantiellement liés. Cette liberté est même le bien le plus précieux qui fonde notre dignité, cette dignité si souvent invoquée et trop souvent trahie dans ses principes. Faciliter l'accès au suicide, prétendument aidé, reviendrait à réduire une personne à un être enfermé dans la douleur. La première des urgences consiste, au contraire, à tout faire pour qu'une personne soit libérée du tourment physique. Une démarche palliative bien menée supprime la demande d'euthanasie. Le respect des personnes suppose de ne pas séparer abstraitement leur dignité, leur liberté, leur singularité et leur socialité concrètes. La capacité de se mettre à la place d'autrui, impliquée par l'éthique du soin, au fondement même de toute morale, évite d'avoir faussement à choisir entre la liberté et le bien. Le vrai bien d'une personne n'est pas dissociable de sa liberté concrète. C'est en ce sens que lutter pour la vie et combattre pour la liberté constituent un seul et même défi. Ce défi, bien entendu, est concrètement toujours difficile à relever.
Je dois ici rendre l'hommage qu'ils méritent aux personnels soignants qui, dans des situations dramatiques se trouvent parfois placés devant des cas de conscience. Nos établissement de santé, et notamment les centres de soins palliatifs, ne sont pas ces lieux déshumanisés, soumis à l'empire de la technique, que d'aucuns décrivent. Pour m'y être régulièrement rendue, j'ai pu, à chaque fois, constater, qu'un hôpital, avant d'être un lieu investi par des équipements, est d'abord un lieu habité par des équipes, remarquablement formées, d'un dévouement exemplaire. Le respect du malade, de son intimité, de sa pudeur, n'y sont pas une pure clause de style. Il s'exprime, s'incarne dans des attitudes dont l'invisibilité, parfois, rend difficile l'évaluation. Je tiens à saluer la qualité de ce travail discret, assuré par le personnel infirmier, les aides soignantes, les médecins, les psychologues, tous ceux qui se tiennent auprès des malades et de leurs proches en ces moments difficiles. Le travail admirable des bénévoles qui se rendent au chevet des malades ne peut, non plus, être ignoré.
L'arrêt des traitements ne saurait être confondu avec la suspension des soins. A cet égard, l'expression consacrée de « laisser mourir » n'est pas sans équivoque. En l'opposant à l' « aide active à mourir », on laisse trop souvent entendre, très malencontreusement, qu'à l'action s'oppose le délaissement. C'est ignorer la réalité de la pratique. C'est méconnaître l'esprit des soins palliatifs, tout entier soutenus par une philosophie de l'effort et du dévouement.
La conception de la sédation présentée par M. Godefroy comme un simple anéantissement, me semble ainsi beaucoup trop restrictive. Les soins palliatifs impliquent au contraire une action exemplaire, une présence exigeante, qui s'incarne dans le geste du soignant, admirable entrelacs d'humanité et de compétence.
La loi, trois ans après sa promulgation, reste cependant insuffisamment connue et appliquée. M. Leonetti lui-même a regretté que Chantal Sébire n'ait pas demandé à ce qu'elle s'applique. Aussi me parait-il indispensable de procéder à une évaluation sereine, pour mettre en évidence les éventuelles difficultés de son application à la lumière de tels drames humains. J'attends avec beaucoup d'intérêt les conclusions de la mission confiée par le Premier ministre à M. Leonetti, qui a su mener avec une grande délicatesse le précédent débat. Vous avez souhaité, monsieur le sénateur, une mission d'information sur la fin de vie ; la proposition du président About de créer un groupe de travail au sein de la commission des affaires sociales me semble faire l'objet d'un large consensus. Elle permettra à tous ceux d'entre vous qui le souhaitent d'engager une réflexion qui viendra nourrir, y compris par des auditions, la mission confiée à M. Leonetti.
Comment répondre, sans jamais renoncer aux principes du soin, aux situations les plus douloureuses ? C'est cette question difficile que la pratique des soins palliatifs veut résoudre. Dans son rapport de grande qualité, jamais Mme de Hennezel n'a émis l'idée que l'euthanasie puisse être une solution. Mieux, elle la réfute. La culture palliative dont je voudrais avec elle favoriser la diffusion dans notre pays, et qui inspire désormais un certain nombre de nos voisins, mérite d'être mieux connue et reconnue. Pourquoi chercher ailleurs, dans des pays qui souvent, cherchent désormais à s'inspirer davantage de notre démarche, raisonnée, équilibrée, exigeante, des réponses aux questions que nous nous posons ? Je ne vois rien, dans le fonctionnement des sociétés belge et néerlandaise, qui puisse répondre à notre démarche laïque et républicaine. Pas plus que je ne crois, monsieur Dreyfus-Schmidt, à l'appel à une opinion chahutée par des images insoutenables, sur une question qu'aucun de nous n'aborde sans être travaillé par un doute légitime. Il nous revient plutôt de poursuivre la perspective tracée, et d'agir conformément aux priorités clairement fixées par le Président de la République, dont je rappelle qu'il est entré dans le monde de la santé par la porte palliative, en accordant, symboliquement, sa toute première visite, Mme Demarescaux qui l'accompagnait s'en souvient, à une unité de soins palliatifs.
Trois grandes orientations méritent d'être poursuivies : poursuivre le développement de l'offre de soins palliatifs à l'hôpital et en ville ; élaborer une politique de formation et de recherche ambitieuse, au service des soins palliatifs ; travailler, enfin, à l'amélioration de l'accompagnement offert aux proches. Des progrès considérables ont déjà été accomplis dans les unités de soins palliatifs, les réseaux de soins palliatifs ainsi qu'au sein des équipes mobiles. (M. Autain en doute) L'engagement du Président de la République de doubler le nombre de place d'ici à la fin de son mandat sera tenu. L'excellent rapport de M. Aubry nous rappelle que la démarche doit être pluridisciplinaire et plurifactuelle.
Ce débat interpelle l'ensemble de la société. MM. About et Milon ont repris à leur compte le questionnement de M. Ariès sur les rapports que notre société entretient avec la mort ; 80 % des malades meurent aujourd'hui à l'hôpital, dont les trois quart sans être entourés de leur famille. Nous n'acceptons plus l'idée de la mort. Les familles ne veulent plus même accueillir la dépouille mortelle de leurs proches dans leur propre maison. On n'accepte plus que les enfants et les jeunes assistent aux obsèques. Ceci explique pour une bonne part les difficultés qu'éprouvent, au début de leurs études, les étudiants en médecine, soumis au choc de la rencontre avec la mort, qui sera leur compagne de route.
Les événements tragiques récents, fortement médiatisés, qui ont suscité une émotion partagée, ont ouvert un débat portant sur l'exception d'euthanasie, concept au reste contesté par M. Lardeux.
Ne confondons pas débat sur la mort et débat sur la souffrance. Les soignants ont tous rencontré un jour des douleurs insoutenables et entendu des malades réclamer la mort. Il est des douleurs insupportables. Nul ne le nie. Nul ne peut y être insensible. Une évolution de la loi permettrait-elle de mieux gérer ces cas exceptionnels ? A question difficile, réponse complexe. La difficulté réside ici dans la définition même des exceptions, la loi ne pouvant, par destination, définir que des principes. Mme Schillinger nous a parlé de malades conscients, M. Autain a au contraire évoqué le cas d'Hervé P., tandis que M. Godefroy rappelait l'absolue nécessité d'obtenir un consentement éclairé, répété et clairement obtenu. Mais le consentement est impossible au malade inconscient. Même problème pour la directive anticipée. Mais est-il une commune mesure, M. Dériot l'a rappelé, entre un consentement abstrait obtenu à un moment de l'existence et l'instant de vérité où la mort vient prendre le pauvre bûcheron ?
Une loi qui fixerait par avance l'exception manquerait ainsi son but. L'idée même semble incompatible avec le concept de loi. Comment la loi pourrait-elle, en effet, définir dans leur singularité radicale, irréductible à toute anticipation abstraite, les cas exceptionnels ? A supposer qu'on soit capable de rédiger un tel texte, les médecins auront toujours à trancher dans chaque cas singulier. (M. Autain le confirme) Là résident la noblesse et les servitudes propres au difficile exercice de la médecine, qui est toujours l'épreuve d'un cas de conscience, dans des situations exceptionnelles où l'humanité doit prévaloir. Vous arguez, madame Schillinger, de l'euthanasie clandestine, mais l'argument est éminemment réversible. Oui, le propre de l'exercice de la médecine est de soulever des cas de conscience. Quelle sorte d'autorité pourrait se substituer au médecin, chargé en conscience de décider ? Comment une commission pourrait-elle délivrer, dans des cas exceptionnels, des autorisations non prévues par la loi ? Qui pourrait légitimement y siéger ? Quelle autorité pourrait se substituer au médecin ? Permettez-moi, enfin, de rappeler cette évidence : il faut laisser au droit, récemment établi, le temps d'irriguer la pratique. Imaginons qu'une telle commission ait opposé un refus à Chantal Sébire, au motif que son consentement était impossible du fait du refus de la démarche sédative ?
Un médecin ne doit jamais craindre ni de faire cesser une thérapie déraisonnable, ni de trancher en conscience quand tous les moyens ont été épuisés pour contenir la douleur. Mais tout doit être fait pour soigner mais aussi apaiser la souffrance. J'estime, au contraire de M. Michel, que le médecin n'est pas le simple exécutant de la démarche solitaire du malade. C'est une question existentielle, ontologique, qui l'interpelle de façon insoutenable ; il est en droit de refuser d'exécuter un geste qui relève de sa stricte liberté. Pourquoi, sinon, le médecin est-il convoqué à cette aide ?
Tel est le but consubstantiellement attaché à l'éthique médicale, la finalité qui détermine les progrès de la recherche. Cet espoir de progrès nourrit les chercheurs eux-mêmes, qui partagent avec les personnels soignants une même éthique.
La question dont nous débattons ne souffre pas de réponses simples, sauf à dénier au réel sa consistance spécifique, sauf à ignorer les contradictions qui l'animent. Répondre aux interrogations ici formulées, c'est d'abord poser un problème, celui qui se pose à chaque conscience libre.
J'ai voulu dans ma réponse introduire un peu du scrupule inhérent à l'action morale. Nous sommes venus ici avec nos pauvres certitudes, nos souvenirs d'amour et de chagrin, notre peur de la souffrance et de la mort. Et si finalement, nous ne demandions trop à la loi en exigeant d'elle une réponse que nous ne pouvons trouver qu'en nous-mêmes, au terme ultime de notre passion ? (Applaudissements sur les bancs UMP)
Prochaine séance, mercredi 9 avril 2008 à 15 heures.
La séance est levée à 19 heures.
Le Directeur du service du compte rendu analytique :
René-André Fabre
ORDRE DU JOUR
du mercredi 9 avril 2008
Séance publique
À 15 HEURES ET LE SOIR
1. Discussion de la proposition de loi (n° 245, 2007-2008), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la journée de solidarité.
Rapport (n° 259, 2007-2008) de M. André Lardeux, fait au nom de la commission des affaires sociales.
2. Discussion du projet de loi (n° 241, 2007-2008), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.
Rapport (n° 253, 2007-2008) de Mme Muguette Dini, fait au nom de la commission des affaires sociales.
Rapport (n° 252, 2007-2008) de Mme Christiane Hummel, fait au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
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DÉPÔT
La Présidence a reçu de :
- Mme Monique Cerisier-ben Guiga, M. Richard Yung, Mme Jacqueline Alquier, MM. Bertrand Auban, Robert Badinter, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Yannick Bodin, Pierre-Yves Collombat, Roland Courteau, Yves Dauge, Mmes Christiane Demontès, Josette Durrieu, MM. Claude Haut, Roger Madec, François Marc, Louis Mermaz, Bernard Piras, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Mme Catherine Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, une proposition de loi tendant à rétablir les droits des Français établis hors de France pour l'élection des représentants français au Parlement européen.
- M. le Président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, complétant l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
- M. Philippe Dallier un rapport d'information fait au nom de l'Observatoire de la décentralisation sur les perspectives d'évolution institutionnelle du Grand Paris.