Habituellement empreints d'une certaine sérénité, les débats devant la Haute Assemblée deviennent tumultueux lorsque le Sénat, constitué en cour de justice, est amené à connaître de crimes et délits « politiques ». A cet égard, les 46 audiences du procès Déroulède, qui s'est déroulé du 9 novembre 1899 au 4 janvier 1900, sont particulièrement représentatives.
Accusés de complot contre l'Etat, Paul Déroulède, fondateur de la Ligue des patriotes, André Buffet, connu pour ses opinions royalistes, et Jules Guérin, président de la Ligue antisémite, comparaissent devant les sénateurs-juges à la fin de l'année 1899, entourés de 14 autres accusés.
Les cinq premières audiences sont consacrées aux interrogatoires d'identité et à la lecture de l'acte d'accusation ; elles sont entrecoupées d'incidents divers. Invité à décliner sa profession, Déroulède répond : « défenseur des droits du peuple », déclenchant les rires étouffés des sénateurs à qui il rétorque imperturbable : « Ce n'est pas une profession lucrative comme la vôtre ! ».
L'appel nominal des témoins donne lieu à une cohue indescriptible. Quatre cents personnes s'écrasent aux portes, celles qui sont appelées ne peuvent entrer dans la salle, celles qui sont entrées ne peuvent sortir. Sous prétexte que l'acte d'accusation a été lu en dehors de la présence des témoins, un de ceux-ci en réclame une nouvelle lecture.
Un témoin s'écrie « Vive Déroulède ! ». Il est vivement empoigné et conduit au pied de la tribune pour être jugé. Plusieurs voix s'élèvent et demandent à être condamnées en même temps que lui. Quelques sénateurs ayant manifesté de l'ironie, un avocat déclare : « Les injures sont parties du côté des juges ». Des suspensions d'audience interviennent régulièrement ; la franc-maçonnerie est évoquée pour récuser l'impartialité de certains magistrats.