En 1814, l’Empire s’effondre sous les coups de boutoir des armées alliées. Au mois de mars, malgré la série de victoires de NAPOLÉON durant la campagne de France, les coalisés atteignent les portes de Paris tandis que l’Empereur, à l’extérieur avec son armée, refuse de négocier. Au terme d’un coup d’État mené tambour battant dont le Sénat est le protagoniste et TALLEYRAND l’instigateur, la déchéance de NAPOLÉON est prononcée. Quelques précisions conviennent d’être apportées sur la chute de celui-là même que le Sénat avait proclamé Empereur des Français.

La chute

Le 31 mars 1814, l’Empereur ayant ordonné à la Cour et aux grands dignitaires d’évacuer la capitale, une délégation parisienne apporte au tsar ALEXANDRE Ier la capitulation de la ville. Le lendemain à midi, les alliés conduits par le tsar – CASTLEREAGH et METTERNICH étant bloqués à Dijon118  – entrent dans Paris par la porte de Pantin, au milieu d’une foule nombreuse et curieuse. Les coalisés exigent d’entrer en rapport avec une autre que celle de NAPOLÉON pour négocier, le départ de l’impératrice, de CAMBACÉRÈS, archichancelier d’Empire, et de Joseph BONAPARTE. La voie est ouverte pour un coup d’État dont le prince de Bénévent est l’organisateur 119 .

Le 1er avril, TALLEYRAND convoque le Sénat, illégalement car il n’en est pas le président. Soixante-quatre sénateurs sur quatre-vingt-dix présents à Paris gagnent néanmoins le palais du Luxembourg120 . Tous n’ont d’ailleurs pas attendu la convocation pour conspirer. Une vingtaine d’entre eux, majoritairement d’anciens révolutionnaires comme LANJUINAIS et GRÉGOIRE, se réunissaient depuis quelques jours en secret chez leur collègue LAMBRECHTS 121 .
Le 1er avril à trois heures et demie de l’après-midi, le palais du Luxembourg est de nouveau, comme en 1804, le théâtre d’un changement de régime. Cette fois, TALLEYRAND a remplacé CAMBACÉRÈS à la manœuvre. Présidant la séance en lieu et place de François BARTHÉLÉMY qui lui laisse la place, il prend la parole :

Sénateurs,
La lettre que j’ai eu l’honneur d’adresser à chacun d’entre vous, pour les prévenir de cette convocation, leur en fait connaître l’objet. Il s’agit de vous transmettre des propositions. Ce seul mot suffit pour indiquer la liberté que chacun de vous apporte dans cette assemblée. Elle vous donne les moyens de laisser prendre un généreux essor aux sentiments dont l’âme de chacun de vous est remplie, la volonté de sauver votre pays, et la résolution d’accourir au secours d’un peuple délaissé.
    Sénateurs, les circonstances, quelques graves qu’elles soient, ne peuvent être au-dessus du patriotisme ferme et éclairé de tous les membres de cette assemblée, et vous avez sûrement senti tous également la nécessité d’une délibération qui ferme la porte à tout retard, et qui ne laisse pas écouler la journée sans rétablir l’action de l’administration, le premier de tous les besoins, pour la formation d’un gouvernement dont l’autorité formée pour le besoin du moment, ne peut qu’être rassurante. 122

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (Talleyrand)

En quelques heures de délibérations durant lesquelles l’ancien ministre des Relations extérieures mobilise toute sa force de persuasion, les sénateurs se prononcent pour former un nouvel exécutif. Afin d’éviter toute opposition, l’ancien évêque d’Autun a habilement accepté que le Sénat et le Corps législatif soient conservés dans la prochaine Constitution123 . À l’issue de la séance, en début de soirée, un gouvernement provisoire est formé. Constitué de cinq membres, TALLEYRAND, qui le préside, y place ses partisans : les sénateurs Pierre de BEURNONVILLE et François de JAUCOURT, le conseiller d’État Joseph de DALBERG124  et, pour ménager les royalistes, l’abbé et député François-Xavier de MONTESQUIOU125 .


    La première étape du plan de TALLEYRAND s’achève. Il occupe le pouvoir. Reste à proclamer la déchéance de l’Empereur et à rappeler les Bourbons. Dans cette seconde manche, le prince de Bénévent dispose, en la personne du tsar, d’un appui de poids. Aussi, le soir même, quelques sénateurs vont dîner en compagnie du tsar qui loge à l’hôtel de TALLEYRAND, rue Saint-Florentin126 . À la fin du repas, ALEXANDRE Ier, que le prince de Bénévent a acquis à l’idée d’une restauration de l’ancienne dynastie, porte un toast à la santé de LOUIS XVIII.


    Le 2 avril à midi, les sénateurs se réunissent de nouveau dans l’hémicycle de CHALGRIN, sous la présidence du comte BARTHÉLÉMY. Charles LAMBRECHTS, ancien ministre de la Justice du Directoire, évoque ouvertement la déchéance de NAPOLÉON. Les sénateurs acquiesçant mais n’étant pas d’accord sur la formulation à employer, une commission spéciale, formée de LAMBRECHTS, BARBÉ-MARBOIS, FONTANES, GARAT et LANJUINAIS examine et reformule le projet de déclaration127 . À quatre heures, les commissaires étant de retour dans l’hémicycle, les sénateurs passent au vote. Quelques-uns quittent la  salle en signe de protestation, mais la majorité vote la motion.
L’article 1 dispose que « Napoléon Bonaparte est déchu du trône, et le droit d'hérédité établi dans sa famille, est aboli. » Un long réquisitoire publié dans le Moniteur du lendemain l’accuse pêle-mêle d’avoir « déchiré le pacte qui l’unissait au peuple français », « inconstitutionnellement rendu plusieurs décrets portant peine de mort », « anéanti la responsabilité des ministres, confondu tous les pouvoirs et détruit l’indépendance des corps judiciaires »128 .

 Figure 34 : Le texte original, raturé et modifié, de la déchéance de Napoléon, votée quasi à l'unanimité par les membres du Sénat conservateur le 2 avril 1814. Fonds de la Bibliothèque du Sénat, RFP0836.A. (JPG - 136 Ko)Le lendemain, on expose les motifs de la déclaration qui, entre temps, a été adoptée à son tour par le Corps législatif. Enfin, le 6 avril, une nouvelle constitution rédigée en quatre jours dispose en son article 2 que « le peuple français appelle librement au trône de France Louis-Stanislas-Xavier de France, frère du dernier roi, et après lui les autres membres de la maison de Bourbon, dans l'ordre ancien. »
Les sénateurs n’ont pas omis de se mettre en sécurité. L’article 6 de la Constitution, entièrement dédié à la nouvelle organisation de la Chambre Haute, prévoit que « les sénateurs actuels, à l'exception de ceux qui renonceraient à la qualité de citoyen français, sont maintenus et font partie de ce nombre. La dotation actuelle du Sénat et des sénatoreries leur appartient. »


Le procès-verbal de la déchéance de NAPOLÉON, sur lequel on voit les différents ajouts et réécritures effectués au cours des délibérations.

Damnatio memoriae

L’entrée des Alliés dans Paris et la restauration de la monarchie commandent de dissimuler, dans le palais du Luxembourg, les signes les plus évidents du régime impérial. Dans les années qui suivent la Restauration, chiffres impériaux, Aigles, « N » sont supprimés ou remplacés par la fleur de lys ou le chiffre de LOUIS XVIII.
Mais à l’époque de l’entrée des armées alliées dans Paris, le Sénat, instance qui fut jusqu’au vote de la déchéance, fidèle à l’Empereur, figure comme cible de choix pour les contre-révolutionnaires. De fait, le palais du Luxembourg est truffé de marques impériales. Il abrite des signes éminents et précieux de son allégeance à NAPOLÉON dont, en premier lieu, les drapeaux ennemis et les fresques à l’effigie de l’Empereur. Le comte Charles-Louis de SÉMONVILLE (1759-1839), sénateur et président de la commission administrative, prend en main l’urgente question et se dévoue pour dissimuler la cinquantaine de drapeaux pris à Elchingen et Austerlitz, jusqu’alors disposés en trophées dans l’hémicycle. Avec la complicité de l’architecte BARAGUEY, il fait enlever deux des marches qui, dans l’hémicycle, mènent au dais impérial et glisser dans l’espace sous le petit-hémicycle, les drapeaux ennemis. Ceux-ci échappent ainsi aux Alliés et reprennent leur place au grand jour en 1830129 .


L’Avènement de Napoléon, de Jean-Baptiste REGNAULT, situé dans la salle de Réunion, fait également les frais du changement de régime. De dimensions trop vastes pour être enlevée, la toile doit pourtant être protégée. La commission administrative décide donc de substituer le visage de LOUIS XVIII à celui de NAPOLÉON assis dans son char. Un peintre, appelé en toute hâte, effectue tant bien que mal la modification, la tête de LOUIS XVIII étant bien plus large que celle de NAPOLÉON. Quelques mois plus tard, l’Empereur revenant d’exil, l’on se trouve forcé de rétablir la figure originelle. La modification est faite en sacrifiant la netteté de cette  partie, pourtant centrale, de la composition. Mais l’abdication définitive du vaincu de Waterloo, rebat une fois de plus les cartes et le problème se pose dans les même termes qu’un an auparavant. Le visage successivement repeint ne peut supporter un barbouillage supplémentaire. On se contente donc de peindre les traits, nécessairement vagues, d’une jeune fille figurant la France130 .

Le procès et l’exécution du maréchal NEY


Le palais du Luxembourg, peu après la seconde abdication, est le théâtre tragique d’un épisode de l’épopée napoléonienne. C’est en son sein qu’est condamné puis exécuté le plus fidèle compagnon de NAPOLÉON, Michel NEY, duc d’Elchingen, prince de la Moskova, maréchal d’Empire.

Durant les Cents-jours, le maréchal NEY se rallie à NAPOLÉON. Retrouvé, après la seconde Restauration, dans sa retraite du château de Bessonies, il est mis aux arrêts et conduit à Paris, d’abord incarcéré dans la Conciergerie puis, en décembre 1815, au palais du Luxembourg, sa prison et son tribunal. La chambre des Pairs, après un jugement et une délibération de quinze heures, vote la mort du maréchal par 159 voix contre 1 (le duc de BROGLIE) et une abstention (LANJUINAIS). Parmi les votants, nombre d’anciens compagnons du maréchal : MARMONT, VICTOR, KELLERMANN, SÉRURIER, LA TOUR-MAUBOURG, LAURISTON, etc.


Le maréchal est gardé dans une petite pièce commune « contiguë à la galerie des Archives située au second étage du palais131  » dont une plaque conserve aujourd’hui le souvenir. Le 7 décembre au matin, il descend l’escalier du pavillon de l’est au milieu d’une double haie de soldats et monte dans un fiacre qui l’attend. Celui-ci s’arrête à la grille de l’avenue de l’Observatoire où les autorités, craignant un mouvement populaire, ont décidé d’exécuter le condamné. Refusant d’avoir les yeux bandés, le brave des braves met sa main au cœur et dit calmement au peloton d’exécution : « Soldats, droit au cœur ! ». Il tombe, frappé par six balles. En 1853, une statue du maréchal signée François RUDE est disposée à l’endroit de l’exécution, au carrefour de l’Observatoire, entre les boulevards Saint-Michel, de Port-Royal et du Montparnasse, et commémore l’évènement.

Figure 35 : Évolution du costume des membres de la Chambre Haute entre 1795 et 1870. De gauche à droite, Directoire (Conseil des Anciens), Empire (Sénat conservateur), Restauration et Monarchie de Juillet (Chambre des Pairs) et Second Empire (Sénat impérial) ; Fonds iconographique de la Bibliothèque et des Archives du Sénat. (JPG - 110 Ko)Figure 35 : Évolution du costume des membres de la Chambre Haute entre 1795 et 1870.
De gauche à droite, Directoire (Conseil des Anciens), Empire (Sénat conservateur),
 Restauration et Monarchie de Juillet (Chambre des Pairs) et Second Empire (Sénat impérial) ;
Fonds iconographique de la Bibliothèque et des Archives du Sénat.

Chalgrin, restaurer et adapter

Gisors, moderniser et agrandir