M. Albéric de MONTGOLFIER, rapporteur spécial

II. LE PROGRAMME 165 : « CONSEIL D'ÉTAT ET AUTRES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES »

- Les crédits du programme progressent de 2,6 % par rapport à 2016 pour s'établir à 397 millions d'euros en CP. Il convient de noter que les dépenses, hors titre 2, sont également en hausse de 1,4 %.

- Le programme bénéficiera, en 2017, comme en 2016, de créations de postes : 60 emplois , affectés principalement aux tribunaux administratifs et à la Cour nationale du droit d'asile , qui connaissent les besoins les plus importants.

- Les délais de jugement sont maîtrisés , comme la qualité des décisions, dans un contexte de progression continue du contentieux , qui devrait perdurer avec la mise en oeuvre de nouvelles réformes , dont l'impact budgétaire est néanmoins difficile à évaluer à ce stade.

- En 2017, plus qu'en 2016, la CNDA fera face à un double défi : un déstockage important des dossiers en instance à l'OFPRA attendu dès fin 2016 et la poursuite de la mise en oeuvre de la réforme de l'asile. Le renforcement de ses effectifs et la poursuite de la modernisation de son organisation devraient lui permettre, sinon d'atteindre, du moins de se rapprocher des délais fixés par la réforme du droit d'asile.

Le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » a pour objet le respect du droit par les administrations , au travers d' activités contentieuses, de conseil ou d'expertise . Il inclut, outre le Conseil d'État, 8 cours administratives d'appel (CAA) et 42 tribunaux administratifs (TA), dont 11 dans les collectivités d'outre-mer. Il comprend également, depuis le 1 er janvier 2009, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), notamment compétente pour statuer sur les recours formés contre les décisions de l'Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), accordant ou refusant le droit d'asile, retirant ou mettant fin au bénéfice de ce droit.

A. UNE HAUSSE DES CRÉDITS DUE PRINCIPALEMENT À L'AUGMENTATION DES DÉPENSES DE PERSONNEL

Les crédits demandés pour 2017, sont en hausse de 2,6 % par rapport à 2016 pour s'établir à 397 millions d'euros en CP. Cette augmentation est principalement liée à la hausse de dépenses de personnels de 2,8 % par rapport à 2016. Par ailleurs, les dépenses hors titre 2 augmentent également.

L'évolution des crédits de titre 2 - qui s'élèvent à 332 millions d'euros pour 2017 - s'explique notamment par la prise en compte de l'évolution de la valeur du point d'indice de la fonction publique, les créations de 60 emplois autorisés en 2017 et l'extension en année pleine du coût des emplois crées l'année précédente.

La politique de création d'emplois se poursuit donc, avec une augmentation du plafond d'emplois à 3 899 ETPT .

Créations d'emplois dans les juridictions administratives

(2012-2017)

2012

2013

2014

2015

2016

PLF 2017

Magistrats

5

17

14

14

29

7

Fonctionnaires

35

23

21

21

6

53

Total

40

40

35

35

35

60

Source : Conseil d'État

Hors titre 2, les dépenses de fonctionnement et d'investissement (81,8 millions d'euros en AE, et 65 millions d'euros en CP) augmentent également de 7,6 % pour les AE et de 1,4 % pour les CP par rapport à 2016. L'évolution des AE s'explique essentiellement par la prise à bail des nouveaux locaux de la CNDA et le lancement de l'opération de relogement du tribunal administratif de Marseille en 2017. Quant à la hausse des CP, elle est principalement due au projet de relogement du tribunal administratif de Nice et à l'extension des locaux de la CNDA.

Néanmoins, il convient de noter que les juridictions administratives mettent en oeuvre, depuis plusieurs années, des mesures de maîtrise des dépenses de fonctionnement , telles que la dématérialisation des procédures avec l'application Télérecours dont l'utilisation est rendue obligatoire, à compter du 1 er janvier 2017, aux avocats et administrations de l'État et de ses établissements publics. Le recours aux téléprocédures participe à la maîtrise des frais de justice dont on observe une baisse de 11,4 % dans le projet de loi de finances pour 2017.

B. UNE MAÎTRISE DES DÉLAIS DE JUGEMENT DANS UN CONTEXTE DE PROGRESSION CONTINUE DU CONTENTIEUX

1. Des délais de jugement maîtrisés, la qualité des décisions rendues maintenue

L'objectif principal du programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives » en matière de performance est la réduction des délais de jugement .

En effet, si l'exigence conventionnelle de « délai raisonnable de jugement », fixée par la Cour européenne des droits de l'homme a inspiré la jurisprudence du Conseil d'État 5 ( * ) , le législateur a imposé l'objectif de ramener le délai de jugement à un an 6 ( * ) .

Ce délai est mesuré par l'indicateur le plus représentatif du programme , qui, depuis le projet annuel de performances pour 2017, correspond au délai moyen constaté de jugement des affaires . Ce délai, qui représente le délai moyen de traitement des affaires de l'enregistrement à la notification, remplace effectivement le délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock (nombre d'affaires en stock divisé par la capacité de jugement de chaque niveau de juridiction), afin de permettre le suivi des délais de jugement instaurés par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 portant réforme du droit d'asile , qui fixe à cinq semaines les délais de jugement pour la procédure à juge unique (procédure accélérée) et cinq mois pour les décisions rendues par les formations collégiales (procédure normale).

L'objectif du délai de jugement à un an est désormais atteint depuis plusieurs années, mais la maîtrise des délais demeure un enjeu majeur pour la juridiction administrative. Pour 2017, le délai moyen constaté de jugement des affaires est, en effet, de :

- 9 mois devant le Conseil d'État (délai identique en prévision actualisée pour 2016) ;

- 10 mois et 20 jours devant les CAA (contre 11 mois en prévision actualisée pour 2016) ;

- 10 mois et 15 jours devant les TA , (contre 10 mois et 20 jours en prévision actualisée pour 2016) ;

- 6 mois devant la CNDA s'agissant de la procédure ordinaire (contre 7 mois et 10 jours en prévision actualisée pour 2016 ), et 6 semaines pour la procédure accélérée (contre 2 mois et 15 jours en prévision actualisée 2016) ; ces délais prévisibles ne respectent pas les délais de 5 mois et 5 semaines fixés par le législateur , dans le cadre de la réforme du droit de l'asile.

S'agissant des indicateurs d'activité, on remarque, à nouveau, l'absence d'indicateur sur les délais des affaires « ordinaires », supprimé depuis le projet annuel de performances pour 2015 . Cet indicateur permettait, en effet, de mettre en évidence les délais liés aux contentieux intéressant les citoyens et pouvant être très longs comme en matière d'urbanisme ou de contentieux fiscal. Cette suppression est d'autant plus regrettable que la multiplication des délais contraints a une incidence négative sur le délai moyen pour les affaires « ordinaires ».

Par ailleurs, la maîtrise des délais de jugement ne devrait pas altérer la qualité des décisions rendues . Ainsi, les taux d'annulation des décisions juridictionnelles prévues pour 2017 restent relativement stables, voire diminuent :

- par les CAA des jugements rendus par les TA (15 % prévu en 2017 contre 16 % en prévision actualisée pour 2016) ;

- par le Conseil d'État des décisions de la CNDA (3 % prévu en 2016, pourcentage identique à la prévision actualisée pour 2016).

Cette maîtrise des délais et de la qualité des décisions rendues est d'autant plus notable qu'elle se fait dans un contexte de hausse continue des entrées.

2. Une hausse continue des affaires enregistrées qui devrait perdurer sous l'effet de la mise en oeuvre de plusieurs réformes affectant l'activité de la justice administrative

Depuis près de quarante ans , le contentieux a augmenté de 6 %, en moyenne annuelle, toutes juridictions confondues . Cette augmentation est liée notamment à la montée en charge du contentieux de masse (droit au logement opposable, revenu de solidarité active, réforme du contentieux de l'éloignement des étrangers, réforme de la procédure applicable aux contentieux sociaux, contentieux électoraux avec la publication des décrets relatifs au découpage cantonal) et d'autres paramètres (suppression de la contribution à l'aide juridique, questions prioritaires de constitutionnalité).

En effet, entre 2010 et 2015, le nombre d'affaires enregistrées a augmenté de 11,5 % dans les tribunaux administratifs et de 9,8 % dans les cours administratives d'appel . S'agissant du Conseil d'État, l'augmentation des entrées est de 21,6 % entre 2010 et 2014 , avec une légère diminution en 2015. Néanmoins, les huit premiers mois de l'année 2016 se caractérisent par une augmentation sensible (près de 10 %) des recours devant le Conseil d'État, par rapport à 2015.

Par ailleurs, un certain nombre de nouvelles réformes a ou aura un impact sur cette montée en charge du contentieux, sans qu'il soit évident d'en évaluer l'impact budgétaire précis à ce stade :

- la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles qui prévoit la dépénalisation du stationnement payant à compter du 1 er octobre 2016, et dont les recours en cassation se feront devant le Conseil d'État. Il est difficile a priori de quantifier l'impact de cette réforme. Néanmoins, on connaît le nombre de contestations enregistrées devant les officiers du ministère public (559 654 en 2013) ;

- la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 portant réforme du droit d'asile : selon les estimations fournies par le Conseil d'État, les tribunaux administratifs seront susceptibles d'être saisis de près de 4 200 dossiers, soit 2,2 % des affaires enregistrées devant eux ;

- la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement , qui rend compétent le Conseil d'État pour connaître en premier et dernier ressort des requêtes concernant la mise en oeuvre, d'une part des techniques de renseignement et d'autre part de l'article 41 de la loi de 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés pour des traitements ou parties de traitements intéressant la sûreté intérieure. Au 13 juillet 2016, 98 dossiers étaient en cours. En rythme de croisière, le nombre estimé est de 40 dossiers par an.

- la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, qui prévoit notamment l'instauration d'une nouvelle procédure de juge unique. Ses dispositions entreront en vigueur au plus tard le 1 er novembre 2016 ;

- le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXI e siècle (en lecture définitive à l'Assemblée nationale) qui prévoit la création d'actions de groupe devant le juge administratif et étend la possibilité de recours à la médiation administrative à tous les litiges relevant de la compétence du juge administratif.

Cette maîtrise des délais dans un contexte continue de progression des entrées s'explique ainsi par la politique de création d'emploi des juridictions administratives, mais également par la mise en place d' évolutions procédurales et le renforcement de la productivité des personnels. C'est le cas également pour la CNDA.

3. La CNDA : une amélioration continue de ses délais de jugement qui devraient tendre vers les délais imposés par la réforme du droit d'asile

Entre 2009, date à laquelle le Conseil d'État a pris en charge la gestion de la CNDA, et 2016, le délai prévisible de jugement a été divisé par deux, et le délai moyen constaté, nouvel indicateur à prendre en compte, a été réduit de 45 % .

Cette réduction significative des délais de jugement résulte de l'importante réorganisation interne conduite depuis 2009 (modalités de rejet par ordonnance de certains recours, règles de présentation des recours, rationalisation de l'organisation du greffe, dématérialisation des procédures création de 3 sections et 11 chambres etc. ), mais aussi et surtout de l'augmentation des effectifs réalisée depuis 2009 .

Évolution des effectifs de la CNDA depuis 2009

(en ETPT)

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

PLF 2017

223

243

294

318

341

349

358

367

410

Source : Conseil d'État

La question de la réduction des délais est effectivement un enjeu budgétaire majeur : ainsi la Cour des comptes, dans son référé de juillet 2015 relatif à l'accueil et l'hébergement des demandeurs d'asile, précisait que - selon le ministère de l'intérieur - une réduction d'un mois des délais de jugement, devant l'OFPRA et la CNDA, permettait une baisse de 10 à 15 millions d'euros . En effet, la mission menée par l'inspection générale des finances, l'inspection générale de l'administration et l'inspection générale des affaires sociales sur les dispositifs de prise en charge des demandeurs d'asile 7 ( * ) , concluait, pour la CNDA, à une économie mensuelle de 15,1 millions d'euros, en termes d'allocation temporaire d'attente (ATA) 8 ( * ) (6,8 millions d'euros) et d'hébergement au titre de l'asile (8,3 millions d'euros), hors coûts indirects liés à la couverture maladie universelle ou l'aide médicale d'État.

Toutefois, la Cour devra faire face en 2017 encore plus qu'en 2016, à un double défi : d'une part une accélération prévisible du nombre de recours fin 2016 avec le déstockage des affaires à l'OFPRA - qui a obtenu une augmentation sensible de ses effectifs en 2016 - le taux de recours étant de 90 % courant 2016, et d'autre part la poursuite de la mise en oeuvre de la réforme de l'asile.

Les délais imposés par ladite réforme ne seront a priori pas respectés en 2017. Néanmoins, la poursuite de la rationalisation de l'organisation de la Cour ainsi que le renforcement important de ses moyens (23 postes en 2015, 24 en 2016, 40 en 2017) permettront, sinon d'atteindre ces délais du moins de s'en rapprocher. Les délais prévisibles pour fin 2017, de 6 mois pour la procédure normale et 6 semaines pour la procédure accélérée, peuvent néanmoins être considérés comme raisonnables au vu du contexte difficile dans laquelle se trouve la CNDA.


* 5 Arrêt « Magiera » du 28 juin 2002, qui reconnaît la responsabilité pour faute simple de l'État du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice administrative.

* 6 Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ).

* 7 « L'hébergement et la prise en charge financière des demandeurs d'asile ». IGF, IGAS, IGA, p. 17.

* 8 Devenue « nouvelle allocation pour les demandeurs d'asile » avec la réforme du droit d'asile.