II. OBSERVATIONS ET DÉCISION DE LA COMMISSION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE ANNEXE 36
Cet article vise à « décristalliser » l'ensemble des pensions de retraite servies aux personnes ayant la nationalité d'États anciennement sous souveraineté ou tutelle de la France, qui n'ont pas fait le choix de la nationalité française au moment de l'indépendance.
1.- Les prestations concernées par cet article
Ces dispositions visent quatre types de prestations : d'une part les prestations du feu constituées par la retraite du combattant et les pensions militaires d'invalidité, d'autre part les pensions civiles et militaires de retraite.
Les prestations du feu sont versées aux titulaires de la carte du combattant, en application du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre qui vise « le droit à réparation pour ceux qui ont combattu pour la France. » :
- la retraite du combattant est attribuée à ceux qui ont combattu dans l'armée française pour une durée d'au moins 90 jours. Elle correspond à 43 points d'indice pensions militaires d'invalidité (PMI) depuis le 1 er juillet 2010. La valeur du point d'indice PMI est de 13,72 euros depuis le 1 er juillet 2010.
- la pension militaire d'invalidité est réservée aux anciens combattants ou militaires souffrant d'infirmités causées pendant leur service. Son montant dépend de la valeur du point PMI, du taux d'invalidité et du grade du militaire.
Les prestations de retraite sont réservées aux fonctionnaires et militaires de carrière ayant servi plus de 15 ans la France
Selon la Cour des comptes, il semble, compte tenu de la date des indépendances, que la plupart des bénéficiaires d'une pension militaire de retraite cristallisée sont aussi bénéficiaires d'une retraite du combattant ou d'une pension militaire d'invalidité.
Le nombre de pensionnés civils est extrêmement réduit, de l'ordre de 22 ayants droits et 364 ayants causes, hors ouvriers et pensionnés à la Caisse nationale de retraite des administrateurs des collectivités territoriales (CNRACL). En revanche, les pensions de retraite militaires concernent 23 424 pensionnés ou ayants causes.
2.- Le dispositif actuel
Les pensions civiles et militaires de retraite versées aux nationaux des États anciennement sous souveraineté française sont régies par les lois de décristallisation votés au moment de l'indépendance et par les dispositions de l'article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002.
Les prestations du feu ont été décristallisées par l'article 100 de la loi de finances pour 2007 du 21 décembre 2006.
a) Les lois de cristallisation
Les personnes ayant la nationalité des États anciennement sous souveraineté ou tutelle de la France ont d'abord été soumises, en ce qui concerne leurs droits à pension (pension civile ou militaire de retraite, pension militaire d'invalidité, retraite du combattant...), aux textes suivants :
- l'article 170 de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959 qui cristallise les pensions des nationaux du Cambodge, du Laos t du Vietnam sur la base des tarifs en vigueur au 31 décembre 1956 ;
- l'article 71 de la loi de finances pour 1960 n° 59-1454 du 26 décembre 1959 qui cristallise les pensions des nationaux du Maroc et de la Tunisie notamment, à compter du 1 er janvier 1961 ;
- l'article 14 de la loi du 21 décembre 1979 qui étend avec rétroactivité au 1 er janvier 1975, l'effet des lois de finances pour 1960 aux nationaux du Sénégal, du Tchad, du Gabon et de la République centrafricaine notamment ;
- l'article 26 de la loi du 3 août 1981 portant loi de finances rectificative pour 1981 qui gèle le montant des pensions versées aux algériens à la date du 3 juillet 1962 ;
En application de ces textes, les prestations ne pouvaient plus être revalorisées à compter de la date à laquelle il en a été fait application aux pays concernés, et aucun droit nouveau ne pouvait être reconnu aux intéressés (principe de la « cristallisation »), puisque la valeur du point, le nombre de points d'indices et les règles juridiques applicables ont été figés à la date de l'indépendance.
b) Les évolutions
La cristallisation des valeurs du point et de l'indice ayant débouché sur des écarts importants par rapport aux valeurs françaises, une série de 48 décrets tarifaires dérogatoires ont été pris entre 1971 et 1994, jamais publiés au J.O., ont permis des revalorisations ponctuelles.
Le décret du 4 avril 1968 accordait aux étrangers vivant en France depuis le 1 er janvier 1963, le bénéfice des tarifs français, mais la revalorisation n'a pas eu lieu depuis 1994 et le décret est lui-même arrivé à expiration le 31 décembre 2000.
Le dispositif a été modifié à la suite de l'arrêt du Conseil d'État M. Diop du 30 novembre 2001, selon lequel : « la différence de situation existant entre d'anciens agents publics de la France, selon qu'ils ont la nationalité française ou sont ressortissants d'États devenus indépendants, ne justifie pas, eu égard à l'objet des pensions de retraite, une différence de traitement . ». En ce sens, les dispositions de cristallisation étaient déclarées incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.
L'article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002 et le décret du 3 novembre 2003, pris pour son application, prévoient donc que les pensions et retraites du combattant seront calculées, pour les personnes concernées, d'après un tarif tenant compte du pouvoir d'achat du pays de résidence du pensionné, la parité de pouvoir d'achat avec la France étant établie d'après les tableaux de la Banque mondiale. La possibilité de reconnaître des droits à réversion pour les veuves (sous réserve que le mariage soit antérieur à la date de cristallisation) et la recevabilité des demandes de révision de pension pour les invalides, en cas d'aggravation, est également prévue.
Toutefois, les revalorisations ponctuelles opérées par décrets tarifaires avaient souvent conduit à dépasser un tel seuil, c'est pourquoi, il était prévu que toutes les pensions seraient réévaluées au minimum de 20 %.
L'application de cette dernière mesure conduit à des aberrations au regard de la parité des pouvoirs d'achats : la valeur appliquée au point de pensions militaires d'invalidité est plus élevée, pour des raisons historiques de date de cristallisation, et ouvre donc droit à des pensions plus élevées, dans des pays où le niveau de vie est inférieur à d'autres.
Par ailleurs, le problème général d'équité n'a pas été résolu puisque le lieu de résidence pris en compte pour l'application du coefficient de parité de pouvoir d'achat est le lieu de résidence à la liquidation initiale au lieu d'être le lieu de résidence à la date du versement de la pension. Ce principe n'est pas applicable aux nationaux français, qui continuent à bénéficier des taux français, quelle qu'ait été leur lieu de résidence lors de la liquidation de leurs droits.
La réforme de 2002 n'a par ailleurs concerné que la valeur du point, mais l'indice lui-même n'a pas été décristallisé. Les bénéficiaires n'ont donc pas profité des refontes des grilles indiciaires intervenues depuis les textes cristallisation.
c) La réforme de 2007 : la décristallisation des prestations du feu
L'article 100 de la loi de finances pour 2007 prévoit la décristallisation complète des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et pensions d'ayants-cause, et des retraites du combattant, à compter du 1 er janvier 2007, sans effet rétroactif.
Les principales dispositions de cette décristallisation sont les suivantes :
- mise à parité du point de pension sur la base du point de droit commun, et évolution de ce point conformément aux dispositions de l'article L. 8 bis du code pensions militaires d'invalidité et invalides de guerre (PMIVG), pour l'ensemble des pensions et les retraites du combattant. Cette mesure a été mise en application directement par les trésoreries qui versent les pensions, sans intervention des pensionnés ;
- réouverture des droits nouveaux à pension d'invalidité : les postulants peuvent présenter des premières demandes de pension ou des demandes pour infirmité nouvelle sans relation avec les affections déjà pensionnées, dans les conditions de droit commun ;
- ouverture des droits à pension aux conjoints survivants mariés après les dates de cristallisation, dans les conditions de droit commun (les mariages antérieurs à ces dates ouvraient déjà droit à pension dans le régime législatif antérieur) ;
- mise à parité, sur demande des intéressés, des indices de pension (et non seulement de la valeur du point) sur la base des indices de droit commun, lorsqu'il existe un décalage avec celui-ci (exemple : un invalide français au taux de 10 % bénéficie, depuis 1988, de l'indice 48 tandis qu'un invalide ayant la nationalité des pays indépendants perçoit sa pension à l'indice 42, en vigueur à la date de cristallisation) ;
- attribution des prestations familiales et du supplément exceptionnel aux conjoints survivants, sous réserve de résider en France.
Toutefois, selon la Cour des comptes : « les effets de cette réforme ne sont pas à la hauteur des attentes suscitées, notamment en raison d'un défaut d'information, quant à la possibilité de demander une révision indiciaire des prestations concernées. ». En effet, l'alignement de la valeur du point d'indice sur le niveau français a été opéré de façon automatique ; mais la possibilité d'aligner le nombre de points d'indices se fait uniquement sur demande expresse des intéressés.
Cette dernière réforme a laissé subsister des inégalités en ce qui concerne d'une part l'attribution des majorations des pensions de réversion, soumise à condition de résidence stable et régulière en France, alors que les nationaux ne sont pas soumis à cette condition, d'autre part, les pensions dites « mixte » attribuées au titre des pensions militaires, alors qu'il s'agit en réalité de pensions d'invalidité, n'ont pas été décristallisées.
3.- Un critère de discrimination : la nationalité
La haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) a estimé à plusieurs reprises que le dispositif issu de la loi de finances rectificative de 2002 était contraire au principe de non-discrimination, puisqu'il n'appliquait pas le critère de résidence de manière équitable.
Durant la même période, des arrêts des tribunaux administratifs ont exigé la décristallisation intégrale des pensions des ressortissants maghrébins. Ainsi, le tribunal administratif de Bordeaux, dans un arrêt contentieux de série dit Zoubir en octobre 2008, a jugé qu'il y avait incompatibilité entre l'article 68 de la loi de finances rectificative et l'article 65 de l'accord euro-méditerranéen 1998. Par ailleurs, le tribunal administratif de Paris dans un arrêt de contentieux Maaskri et Veuve Touimi de décembre 2008 demande l'alignement intégral pour des pensionnés résidant en Algérie.
Enfin, dans sa décision n° 2010-1 QPJ du 28 mai 2010, le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, a jugé inconstitutionnelle l'ensemble des dispositions législatives conduisant à la cristallisation des pensions (article 26 de la loi de finances rectificative pour 1981, article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002 et article 100 de la loi de finances pour 2007), avec effet au 1 er janvier 2011.
Bien que non concerné directement par le litige à l'origine de la QPC, l'article 100 de la loi de finances pour 2007 prévoyant la décristallisation des pensions militaires d'invalidité et de la retraite du combattant a également été abrogé par la même décision du Conseil constitutionnel avec effet du 1 er janvier 2011, dans la mesure où son maintien aurait créé une situation d'inégalité de traitement entre les ressortissants de l'ensemble des pays devenus indépendants et les nationaux algériens qui, du fait de l'abrogation de l'article 26 de la loi de finances rectificative pour 1981 applicable de façon générale aux droits à pension des nationaux algériens, n'étaient plus compris dans le champ d'application de l'article 100.
Le Conseil constitutionnel a toutefois admis dans sa décision que le législateur fonde une différence de traitement sur le lieu de résidence en tenant compte des pouvoirs d'achat.
Après cette décision deux options apparaissaient envisageables :
- modifier l'article 68 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2002 pour éliminer la différence de traitement fondée sur la nationalité entre pensionnés français et étrangers résidant dans le même pays ;
- aligner automatiquement la valeur du point de base sur le niveau français et aligner le nombre de point d'indices servant au calcul des pensions sur demande.
La première solution conduisait à diminuer les pensions des ressortissants français résidant dans les pays concernés, en les alignant sur celles des ressortissants étrangers. La deuxième option élimine l'inégalité de traitement fondée sur la nationalité et permet d'aligner le niveau des pensions des ressortissants étrangers, quel que soit leur lieu de résidence, sur celui des ressortissants français résidant en France ou à l'étranger.
4.- Le nouveau dispositif
a) Une décristallisation complète
L'ensemble des dispositions législatives portant cristallisation sont abrogées.
Le projet d'article présenté ci-dessus reprend l'économie du dispositif de l'article 100 de la loi du 21 décembre 2006 qui a fait par le passé la preuve de son efficacité.
Ce nouveau dispositif entrera en vigueur le 1 er janvier 2011. Il prévoit le rétablissement pour les pensions militaires d'invalidité et la retraite du combattant, de dispositions analogues à celles figurant à l'article 100, de façon à ce qu'il n'y ait aucune rupture de continuité dans les règles applicables à ces ressortissants par rapport au dispositif antérieur (cf supra ).
S'agissant des pensions de retraite civiles et militaires, le dispositif prévoit :
- l'alignement automatiquement de la valeur du point de base sur la valeur du point applicable en France ;
- l'alignement des indices qui servent au calcul des prestations à la demande des intéressés. Cet alignement ne peut se faire automatiquement en raison de la nécessité de vérifier la réalité des informations fournies quant à la carrière et à la situation de famille de l'intéressé.
Un décret viendra préciser les mesures d'information des bénéficiaires et les modalités de présentation et d'instruction des demandes des intéressés.
b) Son coût
En raison de la dépense supplémentaire qu'il induit en matière de pensions, cet article figure au nombre des dispositions affectant directement les dépenses budgétaires de l'année, qui se rattachent au domaine de la loi de finances aux termes de l'article 34 (II 7° b)) de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).
La mesure de décristallisation proposée engendre une augmentation des dépenses de pensions prises en charge par l'État, retracées sur le compte d'affectation spéciale Pensions .
L'effet de la décristallisation du point aura un effet immédiat, en raison de son caractère automatique, pour un coût de 64 millions d'euros par an.
L'effet de la décristallisation de l'indice sera progressif, à mesure des demandes des personnes intéressées et de la validation définitive des dossiers, comme l'ont montré les décristallisations précédentes. Il est difficile d'estimer précisément le rythme de ces demandes. Les hypothèses retenues pour le budget triennal sont les suivantes : compte tenu des délais inhérents aux démarches administratives, 20 % des dossiers seraient définitivement validés et payés en 2011, 40 % le seraient en 2012 et 70 % en 2013.
Au total, la somme de ces deux effets aboutit à une dépense supplémentaire de 82 millions d'euros en 2011, 100 millions d'euros en 2012 et 125 millions d'euros en 2013 ; cette somme s'élèvera à 150 millions d'euros par an pour les années suivantes.
INCIDENCE BUDGÉTAIRE OU FINANCIÈRE DE LA DISPOSITION PRÉVUE
(Coûts nets ou économies nettes (-) exprimés en millions d'euros)
2011 |
2012 |
2013 |
Coût pérenne ou
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État |
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Dépenses de personnel |
82 |
100 |
125 |
150 |
Dépenses hors personne |
0 |
0 |
0 |
0 |
Dépenses hors personnel |
0 |
0 |
0 |
0 |
Total |
82 |
100 |
125 |
150 |
Source : annexe au projet de loi de finances pour 2011 - Évaluations préalables des articles du projet de loi.
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La Commission adopte l'article 100 sans modification.