Travaux de la commission des affaires culturelles
- Mardi 1er juin 2004
- Culture - Droit d'auteur et droits voisins - Audition de M. Julien Dourgnon, directeur-adjoint du département Développement des études de l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que choisir
- Culture - Droit d'auteur et droits voisins - Audition de M. Jérôme Roger, directeur général de l'Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI)
- Culture - Droit d'auteur et droits voisins - Audition de MM. Hervé Rony, directeur général du Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP), et Marc Guez, directeur général de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP)
- Culture - Droit d'auteur et droits voisins - Audition de M. Julien Dourgnon, directeur-adjoint du département Développement des études de l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que choisir
Mardi 1er juin 2004
- Présidence de M. Jacques Valade, président.
Culture - Droit d'auteur et droits voisins - Audition de M. Julien Dourgnon, directeur-adjoint du département Développement des études de l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que choisir
La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Julien Dourgnon, directeur-adjoint du département Développement des études de l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que choisir.
A titre liminaire, M. Julien Dourgnon a rapidement présenté l'association UFC-Que Choisir, première association de consommateurs en France, dont l'une des spécificités est d'être propriétaire d'un journal tiré à plus de 420.000 exemplaires, soit 3,2 millions de lecteurs mensuels, dont le succès repose en grande partie sur l'absence de publicité, le journal étant entièrement financé par les abonnements.
Il a indiqué que toutes les décisions de l'association, dont la mission consiste en la défense des intérêts des consommateurs, étaient issues de délibérations prises en conseil d'administration, et que les positions qu'il allait défendre reflèteraient son point de vue collégial.
Il a estimé que, paradoxalement, alors que les problèmes du droit d'auteur ne semblaient pas, à première vue, concerner le public, les intérêts des utilisateurs n'étaient actuellement pas moins menacés que ceux des industries culturelles. Il a indiqué qu'il n'y avait pas d'opposition entre les intérêts des artistes et ceux des consommateurs, mais que certaines divergences de vues s'étaient manifestées entre ces derniers et les industries de la culture. Pour autant, il ne fallait pas caricaturer leur position en leur attribuant une volonté de défendre une gratuité de l'accès à la musique, qui est étrangère à leurs vues.
Abordant, pour commencer, la problématique de l'accès aux oeuvres, dont il a souligné qu'elle n'était pas évoquée par le projet de loi, il a indiqué que son association souhaitait que soit mis fin au téléchargement gratuit des oeuvres, sans pour autant se prononcer sur les moyens d'y parvenir, le sujet ne lui paraissant pas parvenu à maturité. Il s'est cependant déclaré très réservé à l'égard de solutions qui aboutiraient à l'éradication des échanges « peer to peer », dont il a souligné qu'ils constituaient un outil irremplaçable de mise en commun des savoirs.
Il a estimé que la sauvegarde des industries de la musique et du cinéma passait par la mise en place d'un nouveau mode de rémunération des droits exclusifs qui ne soit plus fonction du nombre d'exemplaires vendus, compte tenu du fait que chacun d'eux pouvait faire l'objet de multiples copies.
M. Julien Dourgnon a ensuite abordé la seconde problématique, celle de la définition des usages autorisés d'une oeuvre licitement acquise, qui est précisément au coeur du dispositif du projet de loi. Après avoir insisté sur le rôle central des disques durs dans l'univers numérique, rôle que confirme notamment l'explosion des ventes de baladeurs numériques qui en sont équipés, il a regretté que le projet de loi n'opère pas de distinction entre deux pratiques : celle qui consiste en la duplication d'un disque sur un compact disc vierge et qui est une faculté offerte au consommateur ; et celle qui est nécessaire au transport d'une oeuvre sur le disque dur, condition indispensable de sa lecture sur un baladeur numérique ou sur tout équipement équipé d'un disque dur. Revendiquant le droit au libre transport sur disque dur des oeuvres licitement acquises, il a estimé que ce droit d'usage supposait un droit à l'interopérabilité. Il a relevé que, dans le contexte actuel de guerre des standards, il était impossible de télécharger sur un baladeur numérique (i-pod ou autre) de la musique en provenance d'un site légal payant. Il a donc souhaité que les mesures de protection -qui ne sont rien d'autre que des logiciels- ne viennent pas délibérément provoquer l'absence d'interopérabilité. Il a demandé que soient mis en place des garde-fous pour éviter que ces mesures techniques, dont le projet de loi et la directive assureront la protection, n'aillent pas au-delà des objectifs premiers qui leur sont assignés. Faute de quoi, un artiste enregistré sous un certain format ne pourrait être écouté que sur un certain type de matériel, ce qui serait contraire au principe d'accès universel à la culture, et s'assimilerait à de la « vente liée ».
M. Julien Dourgnon a ensuite regretté l'imprécision des dispositions législatives actuelles relatives à la copie privée, qui ne traitent ni la quantité, ni la qualité des copies licites. Il a relevé que, dans le contexte juridique global qui résulte notamment des traités de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), les juges étaient conduits à procéder à une interprétation extrêmement restrictive de la copie privée, estimant, par exemple, que la faculté laissée au consommateur de réaliser une copie analogique d'une oeuvre suffisait à exonérer le titulaire des droits de ses obligations en la matière.
Il a déploré l'insécurité dans laquelle se trouve actuellement le consommateur du fait des dispositifs anti-copie qui interdisent la lecture d'un compact disc sur ordinateur, passage cependant obligatoire pour le transfert sur un baladeur, sans même parler des dispositifs défectueux qui ont eu pour effet, sans doute involontaire, de rendre certains disques illisibles sur un autoradio.
Il a donc souhaité que le projet de loi définisse le périmètre raisonnable de la copie privée, plutôt que d'en laisser la responsabilité au collège des médiateurs institué à l'article 9 qui, pas plus que le juge, ne pourra sans doute s'éloigner d'une lecture restrictive du droit positif.
Rappelant que l'essentiel des ventes d'un disque s'opérait dans les trois premières semaines, il s'est demandé, compte tenu des délais nécessaires au collège des médiateurs pour rendre ses décisions, comment pourrait être organisée la réparation du préjudice causé par un logiciel de protection que celui-ci aurait sanctionné.
Aussi, et compte tenu du nombre limité de dispositifs de protection et de dispositifs de gestion des droits (Digital right management - DRM) présents sur le marché, il a jugé préférable l'institution d'une forme de contrôle préalable sur ces mesures, qui pourrait être confié à la commission dite de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle, plus explicitement désignée comme la commission de la « copie privée ».
Il a insisté sur l'importance des sommes collectées au titre de la copie privée, qui se sont élevées à 146 millions d'euros en 2003, et devraient atteindre entre 220 et 240 millions d'euros en 2004.
Il l'a attribuée à l'augmentation des ventes de CD vierges et au niveau des taux de rémunération fixés par la commission, qui, sur certains supports comme le CD, sont trois fois supérieurs à ceux pratiqués en Allemagne, où les usages sont cependant très voisins.
Estimant que les décisions prises par cette commission reflétaient le rapport des forces en présence, il a souhaité qu'à l'avenir une petite fraction de la rémunération pour copie privée soit consacrée au financement de cette commission, qui ne dispose actuellement pas d'un budget propre. De cette façon, celle-ci pourrait réaliser par elle-même les études et expertises qui sont actuellement financées par les sociétés civiles de gestion des droits. Il a annoncé que les associations de consommateurs pourraient être amenées à quitter cette commission si la neutralité de la commission n'était pas mieux assurée grâce à cette contribution.
Après avoir rappelé que les revenus tirés de la copie privée étaient devenus un élément structurel du financement des sociétés civiles de perception et de répartition des droits, il s'est alarmé du double jeu mené par ces sociétés qui poussent à la hausse cette rémunération, sans garantir un périmètre de copie privée pour les utilisateurs.
En conclusion, il a estimé que l'équilibre des droits nécessaires à une bonne entrée dans la société de l'information n'était pas suffisamment garanti par les dispositions actuelles du projet de loi.
Un débat a suivi l'exposé de M. Julien Dourgnon.
M. Jacques Valade, président, s'est demandé s'il ne conviendrait pas de transformer la commission de la copie privée en une autorité indépendante, réunissant les différentes parties prenantes.
M. Michel Thiollière, rapporteur du projet de loi, a constaté que les consommateurs se retrouvaient dans une situation inconfortable, pris entre les incitations des fabricants de matériel et des fournisseurs d'accès à Internet d'une part, qui les poussent à développer leur activité de téléchargement, et de l'autre, les industries culturelles soucieuses de protéger leurs contenus. Il a estimé que la plupart des jeunes internautes n'ont pas le sentiment de se livrer à une activité illicite en téléchargeant des fichiers musicaux gratuits, relevant d'ailleurs qu'aucune mise en garde en ce sens ne leur est délivrée au moment de l'achat des matériels. Il a considéré que toute solution au problème de piratage devait permettre de préserver le droit d'auteur et les droits voisins, sans pour autant aller contre le développement des technologies. Après avoir rappelé le récent lancement aux Etats-Unis de « I-tunes music store », il a demandé à M. Julien Dourgnon s'il estimait que les producteurs de disques avaient fait, jusqu'à présent, ce qui était en leur pouvoir pour développer une offre suffisamment large et peu chère pour être attractive et concurrencer le téléchargement illégal.
Après avoir relevé que le droit français instituait un équilibre entre le droit des auteurs et des titulaires de droits voisins, d'une part, et l'exception pour copie privée au bénéfice du consommateur de l'autre, Mme Danièle Pourtaud a souligné que l'entrée dans l'univers numérique remettait en cause les conditions de cet équilibre.
Souhaitant que la réflexion en cours aboutisse à la mise en place d'un système durable, elle s'est interrogée sur les avantages et les inconvénients respectifs des systèmes de protection des droits exclusifs, de la licence légale qui pourrait s'assimiler à une forme d'abonnement, et du dispositif mis en place par la loi du 3 juillet 1985, dont elle a estimé qu'en première analyse, il constituerait sans doute la moins mauvaise des solutions, et que l'on pourrait envisager de le compléter, par exemple, par une taxe sur les fournisseurs d'accès à Internet, ou sur le trafic.
M. Ivan Renar a tenu à rappeler la spécificité de la consommation culturelle, et a demandé si les mesures envisagées risquaient de remettre en question le statut de l'oeuvre d'art.
M. Jack Ralite a affirmé que d'éventuels effets pervers de l'exception culturelle ne devaient pas conduire à en remettre en cause le principe ; il a constaté que les innovations technologiques forçaient le législateur à un effort d'imagination et a élevé une mise en garde contre les tentatives de considérer que l'utopie techniciste devait l'emporter sur l'utopie culturelle.
En réponse aux différents intervenants, M. Julien Dourgnon a apporté les précisions suivantes :
- les producteurs de disques français, qui ont accru leurs profits et réduit leurs catalogues dans les années 90, n'ont pas voulu voir arriver la « vague » du numérique, malgré les avertissements du Syndicat national de l'édition phonographique ; ils restent en effet attachés à un modèle de développement qui les conduit à chercher à contrôler à la fois l'édition et la distribution de leurs disques, plutôt qu'à échanger leurs catalogues ; cette volonté de garder le monopole de distribution est un frein à la création de disquaires en ligne ; l'échec d'une offre légale payante en ligne tient actuellement à quatre facteurs : la pauvreté du catalogue proposé, le recours aux procédures d'abonnement, inadaptées à l'achat de musique, l'absence d'interopérabilité qui ne permet pas de transférer sur un baladeur de la musique téléchargée et la limitation du nombre des transferts autorisés sur un titre (contrairement à « I-Tunes music store ») ;
- l'équilibre du droit d'auteur en France est plus menacé par l'évolution des rapports de force entre les éditeurs et les auteurs que par l'attitude des consommateurs ; dans le passé, la création de la licence légale et la rémunération pour copie privée ont permis de répondre respectivement à la situation née de la libéralisation de la bande FM et à l'arrivée de la cassette audio sur le marché ; l'avenir de la rémunération des auteurs et des titulaires de droits résidera sans doute dans la coexistence de ces différents modèles de diffusion, et notamment des droits exclusifs et de la licence légale.
Culture - Droit d'auteur et droits voisins - Audition de M. Jérôme Roger, directeur général de l'Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI)
La commission a ensuite entendu M. Jérôme Roger, directeur général de l'Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI).
Après avoir rappelé que l'UPFI regroupait quelque 700 producteurs indépendants, M. Jérôme Roger a estimé que les dispositions du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information allaient dans le bon sens.
Il a noté que les représentants des producteurs indépendants et ceux des grandes maisons de disques, dont les positions sont parfois différentes, se retrouvaient cependant pour affirmer la nécessité de défendre les droits exclusifs des auteurs et des titulaires de droits voisins sur leurs oeuvres, et par conséquent, de limiter les exceptions apportées à ces droits. Il s'est réjoui que le projet de loi n'envisage, à ce titre, d'ajouter aux exceptions déjà reconnues par le droit français qu'une exception relative à certains actes de reproduction provisoire, strictement délimités, ainsi qu'une exception destinée à faciliter l'accès des personnes handicapées aux oeuvres, dont les justifications sont évidentes. Il a, en revanche, vivement souhaité que la discussion du projet de loi devant le Parlement n'élargisse pas le champ des exceptions.
Abordant ensuite le problème de la lutte contre la contrefaçon, il a jugé essentielles les dispositions du projet de loi qui doivent assurer une protection aux mesures techniques, parfois abusivement appelées « mesures anti-copies », mises en place par les titulaires de droits voisins. Il a expliqué toutefois que l'objectif des producteurs de phonogrammes n'était pas de supprimer la « copie privée », mais de lutter contre les abus de la copie qui alimentent le phénomène de la piraterie, en revenant à l'esprit de la loi du 3 juillet 1985.
Rappelant que des études récentes avaient montré que 79 % des 230 millions de compacts disques vierges vendus servaient à copier de la musique, il a estimé que cette utilisation rendait nécessaire la mise en place de mesures de protection.
Il a jugé que le projet de loi respectait un juste équilibre en protégeant la mise en place de ces mesures, tout en préservant le droit de copie privée des consommateurs, et que l'institution d'un collège de médiateurs permettant de résoudre les difficultés de mise en oeuvre de la loi constituait une heureuse idée.
Relevant que la question n'était pas tranchée de savoir s'il convenait de n'autoriser que la copie analogique ou également la copie numérique, il a indiqué que l'UPFI était favorable à l'autorisation d'un nombre limité de copies numériques, compris entre un et trois.
M. Jérôme Roger a ensuite indiqué que les craintes nourries par l'UPFI ne portaient pas sur les dispositions actuelles du projet de loi, mais sur les modifications que certains groupes d'intérêt pourraient être tentés de lui apporter.
Il a d'abord élevé une mise en garde contre la tentation d'élargir, par amendement, notamment en matière éducative, la liste des exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins, au détriment de l'exploitation normale des oeuvres et des phonogrammes. Il a indiqué que, pour prévenir ces tentatives, des procédures de négociation avec le ministère de l'éducation nationale avaient été engagées dans le cadre du Comité de liaison des industries culturelles (CLIC) en vue de la signature d'un accord conventionnel, qui stipulerait les conditions dans lesquelles les établissements d'enseignement pourraient disposer de phonogrammes à des fins éducatives.
Il s'est également déclaré défavorable aux propositions formulées par certains artistes et relayées par leurs sociétés de gestion collective, tendant à élargir aux échanges sur Internet le régime juridique de la licence légale actuellement appliqué à la radiodiffusion. Il a estimé que cette extension serait contraire aux dispositions du traité de 1996 de l'OMPI qui n'en constitue pas moins, quoique non encore ratifié par la France, une référence, et que, s'analysant en une expropriation d'un droit de propriété comme l'est le droit d'auteur, elle pourrait être considérée comme une atteinte à un droit constitutionnellement protégé.
Il a jugé en outre qu'une telle extension du régime de licence légale serait de nature à contrarier la mise en place d'une offre payante et sécurisée de musique en ligne, et qu'elle aboutirait en pratique, à légitimer la piraterie par Internet, et à menacer l'industrie du disque et l'ensemble de la filière musicale.
Un débat a suivi cet exposé.
M. Michel Thiollière, rapporteur du projet de loi, a souhaité des précisions sur les mesures techniques de protection efficaces susceptibles de bénéficier des dispositions du projet de loi et sur les problèmes posés par leur application aux supports musicaux. Il s'est demandé si ces mesures n'étaient pas contradictoires avec la liberté donnée à nos concitoyens à travers l'utilisation d'internet. Constatant que le téléchargement de musique en ligne était en rapide et constant développement, il a demandé les raisons pour lesquelles les offres légales payantes restaient très en deçà de l'offre gratuite et illégale.
Mme Danièle Pourtaud a souhaité des précisions chiffrées sur la crise de l'industrie du disque, sur ses conséquences pour la carrière des artistes, ainsi que sur la répartition des produits de la redevance pour copie privée.
M. Jérôme Roger a apporté les précisions suivantes :
- contrairement au DVD qui a fait l'objet, dès l'origine, de mesures techniques de protections bien acceptées du public, le CD n'a pas été configuré initialement pour être protégé ; cette protection était techniquement possible, mais la firme Philips n'a pas souhaité la mettre en oeuvre au moment où, en 1982, le format CD a été breveté ; ce n'est que par la suite, lorsque se sont répandus sur le marché des copieurs et graveurs de salon, ainsi que les CD vierges, que les producteurs de disques ont souhaité installer ces dispositifs sur leurs produits ; les problèmes d'incompatibilité avec certains lecteurs ne sont que des « péchés de jeunesse » et il devrait être possible d'y remédier, mais il n'en demeure pas moins que plus un système de protection est efficace, plus il risque de provoquer des problèmes de lecture ; il reviendra donc aux grandes entreprises du disque de définir un dispositif ménageant un équilibre entre protection et lisibilité, et garantissant au consommateur la possibilité de faire une à trois copies ;
- l'offre légale payante permet actuellement de télécharger 300.000 titres, soit l'équivalent de 30.000 compacts disques, ce qui n'est pas négligeable ; l'année 2004 devrait d'ailleurs permettre un décollage significatif de cette offre légale, grâce aux efforts réalisés par Virgin et grâce à l'introduction en Europe, dans le courant du mois de juin, de « I-tunes » ; l'offre pourrait ainsi porter en fin d'année sur 800.000, voire 1 million de titres. Il conviendra de proposer une offre consistante à des prix raisonnables garantissant une marge suffisante pour permettre aux producteurs de continuer à investir dans les carrières de jeunes artistes ; la mise en place des procédures de paiement des DRM (digital rights management) pourrait être l'occasion d'abus de position dominante, si les industries du logiciel tentaient d'imposer leurs propres standards ;
- la crise qui frappe le disque revêt des proportions alarmantes : en France, les ventes ont reculé de 15 % en valeur en 2003, et de 21 % sur les quatre premiers mois de 2004 ; le retournement du marché a débuté en janvier 2003, et la tendance semble s'amplifier ; l'exemple du marché allemand qui s'est effondré sur trois ans, avec un recul de plus de 50 %, n'est pas rassurant ; les grandes compagnies de disque en attribuent l'entière responsabilité au piratage, mais les producteurs indépendants pensent que la crise a également des raisons plus profondes, qui tiennent à la surexploitation du catalogue et aux limites d'une politique de rentabilité à court terme privilégiant le « tout marketing » ; dans ce contexte, le téléchargement gratuit de musique en ligne a entraîné des ravages ; il convient cependant de ne pas fausser le débat et de ne pas assimiler la gratuité avec l'accès du plus grand nombre à la culture ; les propositions formulées par certains artistes en faveur d'une extension du régime de licence légale risquent d'ailleurs d'accréditer cette confusion ; il est nécessaire que les grandes compagnies de disques revoient leur mode de fonctionnement et travaillent davantage sur le long terme ;
- le produit de la redevance pour copie privée s'élève à 143 millions d'euros, dont 73 millions sont perçus par la société pour la rémunération de la copie privée sonore (SORECOP) et le solde par « copie France » ; les clefs de répartition entre les différents ayants droit sont fixées par l'article L. 311-7 du code de la propriété intellectuelle : pour les phonogrammes, la moitié aux auteurs, un quart aux artistes interprètes, et un quart aux producteurs ; pour les vidéogrammes, un tiers pour chacune des catégories d'ayants droit.
Culture - Droit d'auteur et droits voisins - Audition de MM. Hervé Rony, directeur général du Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP), et Marc Guez, directeur général de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP)
La commission a ensuite entendu MM. Hervé Rony, directeur général du Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP), et Marc Guez, directeur général de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP).
M. Hervé Rony a indiqué en introduction que la préparation du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information s'inscrivait dans le contexte d'une crise de grande ampleur qui frappait actuellement l'industrie du disque, crise qui trouvait son origine, pour l'essentiel, dans le développement des échanges gratuits et illégaux de fichiers musicaux sur Internet. Il a jugé que cette crise était générale, qu'elle se vérifiait au niveau européen, mais qu'une légère reprise se devinait actuellement aux Etats-Unis, sous l'effet conjugué des premières poursuites judiciaires engagées par les maisons de disques et du lancement de « I-tunes music store », qui représente une offre légale payante importante.
Il a indiqué que, face à la situation critique à laquelle ils sont confrontés, les industriels du disque représentés au sein de l'UPFI avaient engagé une importante campagne d'information, qui sera complétée par le dépôt de plaintes devant les tribunaux.
Cette campagne, dont l'objet est de créer un espace favorable au développement d'une offre légale payante, en responsabilisant chacun des acteurs de ce dossier, et notamment les internautes eux-mêmes, ne constitue cependant qu'un des deux volets d'une politique globale qui passe également par la conduite active de pourparlers avec les fournisseurs d'accès à Internet (FAI), en vue d'une collaboration volontaire tendant à protéger les contenus culturels sans contrarier le développement du haut débit en France.
Il a indiqué que l'année 2004 devrait constituer un tournant important en matière d'offre légale payante, grâce au développement des sites de la FNAC et de Virgin Megastore, et grâce au lancement de « I-tunes music store ». Toutefois, et sans contester que le développement d'une offre légale constituait à terme la solution la plus appropriée, il a estimé que celle-ci aurait besoin de temps pour s'imposer, compte tenu des habitudes de gratuité qu'a véhiculées Internet.
Il a considéré que les dispositions du Titre Ier du projet de loi, qui ont pour objet de transposer, en droit français, les dispositions de la directive du 22 mai 2001, allaient dans le bon sens, dans la mesure où elles reflétaient fidèlement, comme le souhaitait l'UPFI, le texte européen.
Il a estimé que les dispositions du projet de loi, et en particulier celles qui sont relatives aux mesures techniques de protection et d'information, reflétaient un compromis qui avait donné satisfaction à la quasi-totalité des parties intéressées, en reconnaissant, d'une part, aux ayants droit la possibilité de prendre des mesures de protection, et en instaurant, de l'autre, un collège de médiateurs chargé du règlement des litiges.
Il s'est en revanche inquiété des dispositions qui pourraient, le cas échéant, venir se greffer sur le projet de loi à l'occasion de sa discussion devant le Parlement, et en particulier de l'ajout d'une nouvelle exception éducative.
M. Marc Guez a estimé à son tour que les dispositions du Titre Ier du projet de loi constituaient, dans l'ensemble, une transposition fidèle de la directive du 22 mai 2001, reflétant un bon équilibre entre la protection des contenus et la défense des consommateurs. Rappelant que le texte européen résultait de longs débats conduits devant le Parlement européen, il a souhaité que la discussion devant le Parlement national ne remette pas en question des équilibres qui ont été souvent difficiles à obtenir.
Evoquant ensuite le dispositif de l'article 7, relatif à l'interopérabilité des mesures de protection, il a indiqué que, s'il en partageait pleinement l'objectif, qui est de rendre les disques protégés lisibles sur le plus grand nombre possible d'appareils, il craignait que la rédaction retenue, qui fait obligation aux concepteurs de ces technologies de les révéler à leurs concurrents ou à des tiers, risquait en pratique de soulever de grandes difficultés et de se heurter à la réticence de ces derniers. Jugeant préférables les échanges de technologies entre concepteurs, débouchant sur des « licences croisées », il a estimé que ces dernières n'avaient de chances d'aboutir qu'à deux conditions : être réalisées au plan mondial (et non au seul échelon français) et concerner les deux principales firmes qui sont impliquées à la fois dans la conception de dispositifs de protection et dans la construction des appareils de lecture : Apple (qui vend des i-pod dotés d'un format de protection propriétaire) et Sony (qui vend des baladeurs intégrant son système de protection propriétaire « Magic-gate »).
Il en a conclu que cette rédaction devrait être revue et a proposé de la rattacher au dispositif de l'article L. 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle, qui autorise la « décompilation » d'un logiciel dans la mesure où celle-ci est indispensable pour obtenir des informations nécessaires à l'interopérabilité d'un logiciel créé de façon indépendante avec d'autres logiciels.
En réponse à M. Jacques Valade, président, qui l'interrogeait sur la résistance des dispositifs de cryptage, M. Marc Guez a répondu que ces systèmes de protection reposaient sur des clés de cryptage renouvelables, qui permettaient de reconstituer très rapidement le système en cas de contournement.
M. Marc Guez a ensuite estimé que les dispositifs de protection destinés à limiter les possibilités de copie, de façon à les maintenir dans le cadre de la copie privée, étaient d'ailleurs la condition du maintien de la copie privée : faute de celles-ci en effet, la copie privée constituerait un tel préjudice, pour l'utilisation normale des oeuvres, qu'elle entrerait en contradiction avec les conditions posées par les traités internationaux.
Il a jugé très positive la création d'une instance de médiation, celle-ci lui paraissant la mieux à même de rapprocher les points de vue en présence et de rechercher des solutions équilibrées pour n'autoriser une copie illimitée que dans l'univers privé des copistes.
Un débat a suivi ces exposés.
M. Michel Thiollière, rapporteur pour avis, a estimé que si les internautes avaient le sentiment de pouvoir accéder à une offre universelle de musique et de cinéma, ils n'avaient pas, pour autant, le sentiment de sa gratuité, dans la mesure où ils devaient payer à la fois cet accès et le matériel informatique ; il a ajouté que même si la campagne d'information actuelle commençait à changer un peu les choses, ils n'avaient souvent pas le sentiment de se livrer plus à une activité illégale, en téléchargeant de la musique sur Internet, qu'en l'écoutant à la radio.
Il s'est demandé dans quelle mesure l'industrie musicale avait anticipé la crise profonde qui la frappe actuellement, et pourquoi elle n'avait pas cherché à mettre en place plus précocement, en liaison avec les fournisseurs d'accès, l'offre légale payante de musique en ligne, qui constitue le second volet de sa stratégie. Il a demandé si cette nouvelle stratégie ne risquait pas de se traduire, à l'avenir, par une certaine forme de rationnement de l'offre.
Mme Danièle Pourtaud a souhaité savoir si la mise en place de dispositifs de protection limitant la copie d'un objet protégé contribuerait à l'échange gratuit de fichiers illégaux sur Internet ; elle a demandé des précisions sur les outils permettant, en matière de DRM (« Digital right management »), de réguler et de contrôler les remontées de recettes en direction des titulaires des droits ; elle a demandé comment pouvait être assurée l'interopérabilité.
En réponse à ces questions, MM. Hervé Rony et Marc Guez ont apporté les précisions suivantes :
- les producteurs de disques ont été certes « dépassés » par les évolutions technologiques, car ils sont, par nature, des auxiliaires de la création artistique, et non des techniciens, et qu'ils ne sont pas à l'origine des technologies qu'ils utilisent (comme le CD, qui leur était livré non protégé) ou qu'ils subissent, comme le format MP3 qui n'était pas conçu à l'origine en 1992 pour télécharger des fichiers musicaux en ligne, mais en fonction de la télévision numérique et des supports vidéo ; pour autant, ils ont commencé à se préoccuper de piratage à l'ère numérique dès les années 1990, et les traités de l'OMPI ont été signés en 1996 ; des retards ont également été à déplorer dans la transposition des directives européennes dans la loi française ; enfin, les producteurs ont tardé à proposer une offre légale payante en ligne, car ils craignaient, en l'absence de sécurisation suffisante, de contribuer eux-mêmes au développement de la piraterie ; toutefois, les garanties qu'apporte la loi pour la confiance dans l'économie numérique, et l'arrivée, en Europe, en 2004, de « I-tunes » vont changer le paysage ;
- un rationnement de l'offre n'est pas à craindre, car les grandes maisons de disques se sont engagées à mettre à la disposition du public l'ensemble du catalogue qu'elles ont enregistré, soit 20 à 30 millions de titres ;
- la mise en place d'un système de licence légale entraînerait l'échec de toute tentative de lancement d'une offre payante légale ; en outre, les revenus qu'elle procurerait ne seraient pas suffisants pour valoriser convenablement les industries de contenu ; le parallèle avec la radio n'est pas pertinent : celle-ci assure la promotion de la production discographique, dont elle n'est qu'une exploitation annexe ; en revanche, la mise en ligne constitue un substitut à la production et à la distribution traditionnelles ;
- les fournisseurs d'accès à internet n'étaient jusqu'à présent pas disposés à collaborer avec les producteurs de disques pour lutter contre le piratage, car leur stratégie consistait à tenter d'augmenter le plus possible le nombre de leurs abonnés, plutôt qu'à maximiser le revenu que peut procurer chaque abonnement, grâce à l'offre de services sécurisés ;
- l'interopérabilité des mesures techniques de protection ne pourra être assurée que par un système de licences croisées.