Travaux de la commission des affaires culturelles
Mardi 27 avril 2004
- Présidence de M. Jacques Valade, président puis de M. Pierre Laffitte, vice-président. -
Enseignement - Avenir de l'école - Audition de M. Claude Thélot, président de la Commission du débat sur l'avenir de l'école
La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Claude Thélot, président de la Commission du débat sur l'avenir de l'école.
A titre liminaire, M. Claude Thélot s'est félicité des relations existant entre le Sénat et la commission qu'il préside, puisque trois sénateurs de la commission des affaires culturelles en sont membres et que, par ailleurs, grâce au Président du Sénat, les auditions plénières de la commission ont lieu au Palais du Luxembourg et sont retransmises sur la chaîne Public-Sénat.
Il a rappelé, ensuite, le contexte général dans lequel s'inscrivaient les travaux de la commission, installée le 15 septembre 2003 afin de répondre à la volonté du Président de la République que la Nation toute entière, au-delà du cercle des experts, puisse s'exprimer sur son école. Il a indiqué que ces travaux avaient abouti, à l'issue d'une première phase de six mois, à la publication du « Miroir du débat », qui reflète ce que les Français disent de leur école, avant de préciser que la commission venait de s'engager dans une deuxième phase, consistant en l'élaboration d'un rapport présentant ses propositions, conseils, priorités et alternatives, orientés vers la définition de notre système éducatif à un horizon de quinze ans.
Il reviendra alors au Gouvernement de refonder la loi d'orientation de 1989, qui a structuré notre système éducatif actuel, en lui assignant des objectifs quantifiés (100 % d'une génération au niveau du CAP et 80 % au niveau du bac en 10 ans), ou encore en créant les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et le Conseil national des programmes (CNP). A ce titre, il s'est réjoui que l'annonce, par le Président de la République, de l'élaboration d'une nouvelle loi d'orientation sur l'école, ait été confirmée par le ministre chargé de l'éducation nationale, M. François Fillon, qui a déclaré, après son entrée en fonction, qu'un projet de loi sera préparé cet automne et déposé au Parlement en janvier 2005.
Quant à la mise en place d'un large débat, M. Claude Thélot a souligné qu'il ne s'agissait ni d'un exercice de démocratie directe, ni d'un pseudo référendum, mais d'un moyen pour les Français de s'exprimer, de façon à enrichir le processus législatif classique.
Il a précisé que les débats qui ont eu lieu du 15 septembre 2003 au 15 mars 2004 avaient emprunté cinq canaux, parmi lesquels l'organisation de 26.000 réunions publiques, dont les synthèses sont diffusées sur le site de la Commission, ou la mise en place d'un site Internet, espace public indépendant qui a reçu 500.000 visiteurs et 50.000 messages, alors qu'en Grande-Bretagne, un outil similaire, « The big conversation », n'a recueilli qu'une centaine de messages. En outre, il a indiqué que la Commission avait reçu plus d'un millier de lettres, ainsi que les contributions collectives d'environ 300 organisations ou associations. Enfin, il a fait remarquer qu'un cinquième canal, par la voie d'enquêtes et d'entretiens, avait permis de recueillir l'opinion des personnes à l'écart du débat, à savoir les jeunes, les familles populaires ou les chefs d'établissement, lesquels, en tant qu'organisateurs des réunions, n'ont pu s'y exprimer sur le fond.
Insistant sur la vocation du « Miroir du débat » à refléter les opinions diverses des Français et non à les synthétiser en les appauvrissant, M. Claude Thélot a indiqué qu'une des deux parties du rapport rassemblait des extraits des contributions des participants.
Toutefois, il a constaté que le débat n'avait pas démenti le caractère conservateur d'un tel exercice, en contribuant davantage à relever les insuffisances, notamment en moyens, du système éducatif actuel, plutôt qu'en s'inscrivant dans une vision prospective. Ainsi, il a regretté que des sujets tels que les conséquences de l'Europe sur notre système national ou la question de l'articulation entre la formation initiale et la formation tout au long de la vie, aient été peu abordés.
Ensuite, M. Claude Thélot a mis en exergue les quatre principales lignes de force ressortant du débat, la priorité étant que l'école conduise tous les élèves à la réussite, ce qui suppose un véritable changement de direction, dans la mesure où il ne s'agit plus de placer l'élève ou les savoirs au centre du système, mais de privilégier la maîtrise par l'élève des savoirs.
Il a relevé, en second lieu, qu'une majorité de participants avait souhaité une redéfinition des « frontières » de l'école, dont la mission consiste à la fois à instruire et à éduquer « en second », c'est-à-dire sans se substituer aux parents, mais en complémentarité avec eux, en prenant appui sur une politique d'aide à la parentalité.
En outre, il a précisé que les débats avaient souligné la nécessité pour l'école de renforcer les partenariats, notamment avec les parents, mais aussi avec les médias, lesquels sont jugés de façon toujours négative, alors que le développement de médias éducatifs devrait constituer un enjeu pour participer à la formation de la jeunesse.
Enfin, M. Claude Thélot a mis en lumière un quatrième axe relatif à la perte de lisibilité de l'école et au manque de compréhension de ses exigences. Il a insisté sur la nécessité de rendre l'école plus légitime sur le plan politique, afin d'aboutir à une meilleure compréhension collective de ses règles et de ses finalités.
Tout en rappelant que la Commission avait engagé ses travaux dans un souci de transparence, il a indiqué que la publication du « Miroir du débat », qui sera diffusé le mois prochain sous la forme d'un livre de poche, visait à concrétiser cet objectif.
A la suite de l'intervention de M. Claude Thélot, un large débat s'est engagé.
Exprimant ses fortes attentes quant à la suite qui sera donnée aux travaux de la commission, à travers l'adoption d'une nouvelle loi qui préparera l'avenir, M. Pierre Martin a souligné l'importance de la notion de partenariat, regrettant qu'il soit difficile, à l'heure actuelle, de mobiliser les familles mais aussi les élus locaux, alors que leur rôle est essentiel à la réussite de l'école. Il s'est interrogé, en outre, sur les moyens d'améliorer la formation des enseignants, ainsi que sur l'accueil des jeunes enfants, la pré scolarisation ne constituant pas, selon lui, la solution la plus adaptée.
Insistant sur l'importance de l'aide à la parentalité, Mme Monique Papon a fait remarquer qu'il existait une très forte demande pour que s'instaure un véritable partenariat entre les enseignants et les familles. Faisant par ailleurs référence à un précédent rapport d'évaluation du système éducatif réalisé par M. Claude Thélot en 1994, elle lui a demandé s'il avait observé des évolutions notables depuis 10 ans.
M. André Vallet a souhaité obtenir des précisions sur le profil des participants, avant de s'interroger sur la place de la question des moyens dans les débats, ainsi que sur la prise de conscience, ou non, par les parents, des dysfonctionnements du processus d'orientation des élèves.
M. Michel Thiollière a demandé si les rencontres avaient révélé des inquiétudes ou, au contraire, des espoirs, chez la majorité des participants, avant de s'enquérir des critères de définition de la notion de réussite des élèves.
Abordant la question de la mixité, Mme Danièle Pourtaud a souhaité savoir si la problématique de l'égalité des chances entre les garçons et les filles dans le système éducatif avait été prise en compte dans les débats, notamment en vue d'inciter les jeunes filles à s'orienter vers les filières scientifiques.
M. Jacques Pelletier s'est inquiété, tout d'abord, de la persistance d'un échec scolaire massif et du nombre élevé de jeunes sortant du système éducatif sans diplôme, faisant remarquer que les enfants quittant l'école primaire sans maîtriser les fondamentaux ne parviennent pas à rattraper ce retard dans la suite de leur scolarité. Il s'est interrogé, en outre, sur les avantages éventuels du système de classe unique.
Sceptique quant à la participation réelle des milieux populaires au débat, M. René-Pierre Signé a souligné l'importance de la scolarisation précoce pour concrétiser le principe d'égalité des chances. Il a insisté, par ailleurs, sur la nécessité d'améliorer la formation des élèves au niveau de l'expression orale et de la maîtrise des langues étrangères et des technologies nouvelles.
Tout en se réjouissant de l'existence d'un tel débat, Mme Annie David, en qualité de membre de la commission, a tenu à exprimer, néanmoins, son scepticisme quant à ses modalités d'organisation, regrettant que les réunions qui ont eu lieu dans les établissements scolaires, concentrées sur une seule semaine dans chaque département, n'aient retenu que deux thèmes sur les 22 questions élaborées par la Commission, et ne soient pas parvenues à mobiliser les familles populaires.
Surpris par l'absence paradoxale de l'Europe dans les débats, M. Jacques Valade, président, a souhaité savoir si certains participants avaient esquissé une approche comparative avec les autres systèmes éducatifs européens.
En réponse à ces intervenants, M. Claude Thélot a apporté les précisions suivantes :
- environ un million de personnes ont participé aux débats, ce qui est à la fois peu et beaucoup, 15.000 internautes, en particulier des personnes très qualifiées et très militantes, ont déposé 50.000 messages sur le site Internet, 300 contributions collectives ont émané des organisations de jeunesse et des conseils économiques et sociaux régionaux notamment, et la Commission a procédé à environ 100 auditions, dont celles des organisations syndicales, lesquelles se sont déclarées favorables au débat ; parmi les participants, la moitié sont des enseignants, un tiers des parents d'élèves, les jeunes ou les élus et chefs d'entreprise en représentant chacun le dixième ;
- l'image globalement négative des médias est due non à leur utilisation éducative mais à la trop faible part de programmes éducatifs à la télévision ;
- la question des moyens a souvent été évoquée dans les débats, notamment pour qu'ils soient à la hauteur des ambitions de l'école ;
- dans la mesure où notre système éducatif connaît un état de stagnation depuis 10 ans, les principales défaillances relevées lors de l'évaluation réalisée en 1994 ne se sont pas résorbées depuis ;
- si la création des IUFM a permis d'améliorer la formation des enseignants du premier degré, leur structure apparaît moins adaptée pour les professeurs du second degré, même si la réforme, certes souhaitable, de la formation des enseignants n'est pas un élément suffisant pour répondre aux difficultés de notre école ;
- si l'impact de l'Europe sur l'organisation de notre système éducatif national a été très peu pris en compte, la dimension comparative avec les systèmes de nos partenaires européens a été totalement absente des débats, de même que l'impact, pourtant fondamental sur la voie professionnelle, de la mobilité des travailleurs dans l'espace européen ;
- quant à l'enseignement des langues vivantes à l'école primaire, cette question a été dominée par la priorité donnée à la maîtrise de la langue française, ainsi que par le débat sur la place de l'anglais ;
- alors que l'article 3 de la loi d'orientation de 1989 définit la réussite des élèves en termes de niveau atteint ou de diplôme obtenu, ce qui n'est ni un critère lisible ni un critère pertinent, il serait préférable d'aborder la notion de la réussite des élèves à partir de leur progression dans la maîtrise d'un certain nombre de connaissances, de compétences et de règles de comportement, définies comme le socle commun de tout citoyen du XXIe siècle ;
- le débat sur l'avenir de l'école constituant la première expérience du genre en France et à l'étranger, il est indéniable que certains éléments de méthode sont perfectibles ;
- dans la mesure où il était exclu que les 22 sujets proposés par la Commission soient abordés au cours d'un même débat, il était légitime que le conseil d'administration de chaque établissement public local d'enseignement soit habilité à déterminer, au préalable, et de façon autonome, les deux thèmes retenus pour chaque réunion ;
- les débats ont fait apparaître l'expression d'une très forte attente que l'école réussisse. Si, de prime abord, un conflit frontal opposait souvent les parents et les enseignants, peu habitués à débattre ensemble de l'école, cela aboutissait finalement à des discussions jugées fécondes, permettant de dégager des compromis ;
- si le principe de la classe unique peut correspondre à la volonté de favoriser les classes hétérogènes, il ressort néanmoins des débats que l'hétérogénéité des classes ne doit pas être excessive, notamment au collège, afin de pouvoir traiter de façon individualisée les cas de grand échec scolaire ;
- il existe dans notre pays une divergence, difficile à gérer au plan politique, sur la notion d'égalité, tantôt perçue comme le traitement égal de tous, notamment la répartition égale des moyens entre les communes, et tantôt perçue, au contraire, comme la diversité des traitements afin d'aboutir à une égalité de résultats plus grande ;
- si le principe de mixité n'a pas été remis en question dans les débats, les inégalités entre les garçons et les filles en matière d'orientation sont plus le fait des familles, puis des employeurs, que de l'école.
Nomination d'un rapporteur
Au cours de la même réunion, la commission a désigné M. Michel Thiollière, rapporteur du projet de loi n° 1206 (AN) relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission.