L'intelligence artificielle et les professions du droit
Alors que les technologies d’intelligence artificielle dite « générative », à même de suppléer l’intelligence humaine dans la production d’analyses, de synthèses ou dans la génération de textes, arrivent à maturité, leur effet sur les métiers du droit, particulièrement exposés au phénomène, demeure mal connu.
La commission des lois a en conséquence souhaité évaluer cet impact et formuler des propositions visant à garantir l’appréhension éthique et déontologique de ces technologies, au service des justiciables.
Son rapport a été adopté le 18 décembre 2024.
Pourquoi ce contrôle ?
Comme l’a montré la très vive réaction de la profession d’avocat à la commercialisation de l’application « I.Avocat » en janvier 2024, le développement et l’utilisation de technologies d’intelligence artificielle dite « générative » sont parfois perçues comme une menace par certains représentants des métiers du droit. En d’autres occasions, ces technologies sont pourtant présentées comme porteuses d’opportunités et d’évolutions positives pour ces professions.
Fondée sur des textes ou des décisions juridictionnelles souvent publics – donc accessibles en source ouverte –, le droit se prête ainsi à son appréhension par l’intelligence artificielle, selon les points de vue, au service ou au détriment de l’ensemble de ses métiers (magistrats, greffiers, avocats, juristes d’entreprise, notaires, commissaires de justice).
Retenant une approche globale des technologies disponibles et des professionnels concernés, la mission d’information prêtera une attention particulière à trois enjeux communs à l’ensemble des métiers du droit :
- le risque que représente le recours à ces technologies pour l’emploi dans ces professions, voire pour la pérennité de certaines tâches ;
- les mutations des conditions d’exercice de ces professions ;
- les enjeux éthiques et déontologiques posés par la diffusion de ces technologies dans les métiers du droit.
Quels constats et recommandations ?
À l'issue de ses travaux, la mission constate que l'intelligence artificielle générative a rapidement trouvé une application dans le domaine du droit, comme en témoignent la richesse des offres proposées par les éditeurs juridiques et les entreprises de la legaltech et l'adoption prudente mais croissante de ces outils par les juristes d'entreprise et les professions réglementées du droit, en particulier les avocats. La magistrature et les agents des juridictions judiciaires et administratives accusent en revanche un retard préoccupant, qui confirme les difficultés observées depuis de nombreuses années en matière d'équipement informatique de la justice.
Les craintes sur l'emploi des professionnels du droit, qui ont pu être énoncées lors du lancement, en novembre 2022, des premiers outils d'intelligence artificielle générative, semblent pouvoir être nuancées : l'expertise et l'échange humains demeurent essentiels malgré les avancées permises par ces outils. Plus qu'une transformation de la structure des emplois, c'est ainsi une transformation de leur nature qui est à présager.
L'intelligence artificielle générative augure des opportunités en termes de gains de temps, de productivité, d'amélioration de l'accès au droit et de prévisibilité de la justice qui permettront ou contraindront les professionnels du droit à s'adapter, comme ils le font déjà à mesure des évolutions technologiques liées au développement numérique. Il convient de soutenir cette adaptation des métiers du droit en maintenant toutefois pour fondement principal le caractère humain de la décision de justice.
Le déploiement de l'intelligence artificielle générative ne sera en effet réussi que s'il est accompagné et s'inscrit dans une réflexion d'ensemble sur la justice de demain et la plus-value réelle des nouveaux outils qui sont proposés aux professionnels du droit.
Pour ce faire, la mission formule 20 propositions pour que l'intelligence artificielle générative participe de l'amélioration du service public de la justice et que son utilisation soit qualitative et systématiquement dans l'intérêt du justiciable, parmi lesquelles :
- l'inscription dans la loi d'une définition de la consultation juridique ;
- l'établissement de règles claires et transparentes d’usage de l’intelligence générative artificielle au sein de chaque profession ;
- la mise à niveau des juridictions judiciaires et administratives en matière d'équipement informatique, d'automatisation des tâches et d'outils internes de recherche jurisprudentielle ;
- l'anonymisation des magistrats et des greffiers dans les décisions de justice publiées en données ouvertes ;
- la poursuite et l'accélération de l'adaptation des formations en droit initiale et continue aux enjeux et à l'utilisation de l'intelligence artificielle générative.