Table des matières
- Présidence de M. Patrice Gélard, vice-président.
Immigration - Maîtrise de l'immigration et séjour des étrangers en France - Projection du film « Histoires de vies brisées : les « double peine » de Lyon »
Après avoir assisté à la projection du film « Histoires de vies brisées : les « double peine » de Lyon », la commission a entendu M. Bertrand Tavernier, réalisateur du film, M. Bernard Bolze, coordinateur de la campagne contre la double peine, et M. Jean Costil, pasteur et membre de la CIMADE.
M. Patrice Gélard, vice-président, a souligné l'intérêt du film projeté, notamment pour la force des témoignages qui illustrent les drames personnels et familiaux que peut entraîner l'application actuelle de la législation sur la « double peine ». Il a rappelé que le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France, examiné prochainement à l'Assemblée nationale avant sa transmission au Sénat, proposait de la modifier. Il a souligné que la commission des Lois du Sénat avait souhaité commencer ses travaux sur ce projet de loi le plus tôt possible, afin de lui consacrer le large débat qu'il mérite.
M. Bertrand Tavernier a indiqué que ce film n'avait pas été prémédité. Il a précisé que, conçu initialement comme une chronique courte, ce film-reportage était né progressivement à mesure que les témoignages et événements s'accumulaient. Il a regretté que le film ait dû être entièrement autofinancé, aucune chaîne de télévision ne l'ayant acheté jusqu'à présent. Il a toutefois indiqué qu'il avait été projeté plus de trois cents fois en France dans des cinémas, à défaut d'une diffusion à la télévision.
Il a ensuite expliqué que le propos de son film n'était pas militant, mais s'efforçait de comprendre les raisons qui poussent des hommes et des femmes à entamer une grève de la faim pour se faire entendre. Il a fait remarquer que le thème de la « double peine » avait été peu abordé sous l'angle humain.
Il a par ailleurs indiqué que, depuis la fin du tournage du film en 2000, plusieurs des personnages du film avaient soit perdu leur emploi en raison de la précarité de leur statut juridique soit, au contraire, trouvé un travail stable à la suite de leur régularisation.
Enfin, il a expliqué qu'à la suite de la recommandation du film par M. Etienne Pinte, député, à M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, le ministre avait été sensibilisé à la question de la « double peine ».
M. Bernard Bolze a indiqué que la CIMADE de Lyon avait décidé il y a deux ans d'animer la campagne contre la double peine. Il a noté que cette campagne coïncidait avec la sortie du film de M. Bertrand Tavernier. Il a également constaté qu'à l'époque le secteur associatif lui-même était très mal informé sur la « double peine » et ses conséquences. Il a expliqué le long travail d'information entamé par la CIMADE afin de sensibiliser la population et les autorités de l'Etat à la situation particulière de certains étrangers dont les liens avec la France sont si étroits et constitutifs de leur identité que l'expulsion du territoire français s'assimile pour eux à un exil forcé.
Il a également fait remarquer qu'il était plus difficile de convaincre les responsables administratifs et judiciaires du bien-fondé de ce combat que le citoyen ordinaire.
Il a enfin salué l'orientation positive du projet de loi sur cette question en dépit de quelques incohérences et améliorations possibles.
M. Jean Costil a indiqué que le nombre d'étrangers touchés par la « double peine » n'avait cessé de croître dans les années 80 et 90, en dépit des textes législatifs supposés protecteurs. Il a souligné que la loi de 1981, animée par le principe selon lequel « les étrangers de France » avaient vocation à rester en France, avait été dévoyé en pratique. Il a remarqué que les circulaires du ministère de la justice avaient été appliquées de façons très différentes selon les juridictions.
Il a déclaré que le projet de loi était à cet égard beaucoup plus clair et posait des protections mieux définies vis-à-vis de la « double peine ». Saluant à son tour cette avancée et reconnaissant légitimes les exceptions prévues, notamment en matière de terrorisme, il a émis le souhait que certaines améliorations soient encore apportées au texte du projet.
M. Jean-Patrick Courtois a souhaité savoir si le projet de loi leur paraissait répondre aux injustices et aux difficultés mises en évidence par le film et s'il contenait, selon eux, d'éventuelles incohérences. Prenant l'exemple du proxénétisme, il s'est interrogé sur le maintien d'une « double peine » pour les délinquants récidivistes.
M. Bertrand Tavernier a indiqué que la récidive était déjà très fortement punie par la loi pénale française.
Après avoir rappelé que la protection dont bénéficiaient certains étrangers contre l'expulsion ou une peine d'interdiction du territoire français était liée aux liens étroits qu'ils avaient avec la France, M. Bernard Bolze a souligné que les proxénètes étrangers n'entraient que rarement dans cette catégorie et que cette protection devait être maintenue quelle que soit la nature du crime ou du délit. Il a ajouté que cette réforme n'empêcherait pas que des expulsions et interdictions du territoire français soient prononcées à l'encontre d'étrangers non protégés.
Il a indiqué qu'il appartiendrait aux parlementaires de fixer les catégories d'étrangers pouvant bénéficier de cette protection. Après avoir salué les améliorations du projet de loi, il a toutefois mis en évidence la difficulté pour nombre d'étrangers de remplir les conditions nécessaires, parmi lesquelles la durée de séjour régulier en France, précisant notamment que le temps passé en prison n'était pas pris en compte.
M. Jean Costil a rappelé que le projet de loi reposait sur le principe développé par M. Nicolas Sarkozy selon lequel « à même délit, même peine », dès lors que les étrangers avaient l'essentiel de leur vie en France. Il a ajouté que si des exceptions à cette protection contre l'expulsion et la peine d'interdiction du territoire français étaient prévues, elles se limitaient aux situations dans lesquelles les étrangers portaient atteinte à la France elle-même.
Regrettant que le projet de loi ne prévoie des dispositions que pour les étrangers en situation régulière, il s'est inquiété du sort des étrangers en situation irrégulière depuis de nombreuses années sur le territoire français.
Tout en approuvant le texte, M. Jean Costil a indiqué que certaines améliorations étaient encore sans doute possibles.
M. Bertrand Tavernier a souligné que la campagne contre la double peine n'était pas inspirée par une vision angélique de la société et que l'expulsion de certains délinquants étrangers dépourvus d'attaches familiales en France était normale. Il a ajouté que plusieurs parlementaires de droite, à l'exemple de Mme Christine Boutin et de M. Etienne Pinte, soutenaient ce mouvement au nom du respect de la vie privée et familiale. Il a déclaré que la récidive était déjà fortement sanctionnée par le droit pénal en vigueur, avant d'estimer que certaines filières criminelles nécessitaient d'être combattues à l'échelle de l'union européenne.
Ayant indiqué que le visionnage du film l'avait profondément bouleversée et qu'il avait conduit le groupe communiste républicain et citoyen à déposer une proposition de loi en février 2002, Mme Nicole Borvo a regretté que le Gouvernement de l'époque ne se soit pas intéressé à la question. Elle a précisé qu'elle soutenait la démarche de l'actuel Gouvernement concernant la réforme de la législation sur l'expulsion et l'interdiction du territoire français, tout en contestant sa politique menée en matière d'immigration. Elle a ajouté qu'elle serait favorable à une suppression totale de la peine complémentaire d'interdiction du territoire français, estimant que la mesure administrative d'expulsion était suffisante. Elle a fait valoir son attachement au principe selon lequel la sanction pénale devait être égale pour tous.
Après avoir affirmé que l'expulsion ou l'interdiction du territoire français envers un étranger ayant des liens étroits avec la France était une peine inacceptable, M. Pierre Fauchon a indiqué que l'exigence du mariage était une condition trop restrictive pour appréhender l'ensemble des situations existantes de vie commune et a invité les parlementaires à rechercher une disposition plus proche de l'évolution de la société.
Après avoir rejoint les propos de MM. Bertrand Tavernier et Bernard Bolze concernant la récidive, M. Pierre Fauchon a regretté qu'une peine d'interdiction du territoire français n'offre pas à ces étrangers la possibilité de réinsertion dont devrait bénéficier tout délinquant à sa sortie de prison.
Evoquant la possibilité de limiter l'emploi d'une mesure d'expulsion et d'une peine d'interdiction du territoire français aux seuls étrangers ayant commis les crimes ou délits les plus graves, M. Pierre Fauchon s'est interrogé sur la nécessité que les actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence en raison de l'origine ou de la religion des personnes, constituent une exception au principe de protection absolue dont bénéficient certains étrangers. Il a marqué son admiration pour le talent de M. Bertrand Tavernier, craignant toutefois que l'impact du film soit atténué par sa durée.
M. Jean-René Lecerf a constaté qu'un consensus en faveur de la réforme proposée semblait se dégager et a rejoint les propos des précédents orateurs sur la récidive. Tout en jugeant utile de fixer l'étendue de la protection prévue pour les étrangers ayant des liens étroits avec la France, il a craint qu'un dispositif législatif trop précis ne parvienne pas à couvrir toutes les situations particulières.
En réponse à M. Pierre Fauchon, M. Bertrand Tavernier a expliqué avoir fait le choix de conserver l'authenticité des témoignages en respectant les silences et hésitations des personnes filmées.
Après avoir indiqué ne pas prôner la suppression totale de la peine complémentaire d'interdiction du territoire français, il a regretté que certains députés ayant visionné le film aient pu assimiler la peine d'interdiction du territoire français avec toute autre forme de peine complémentaire.
M. Bertrand Tavernier a enfin souligné que certaines situations présentées dans son film mettaient en évidence le danger de l'adoption par le législateur d'expressions imprécises qui laisseraient au juge une trop grande marge d'interprétation.
M. Jean Costil a déploré l'application trop restrictive faite par les juges du dispositif de protection dont bénéficient déjà certains étrangers. Rejoignant les propos de MM. Bernard Bolze et Jean-René Lecerf au sujet de la fixation de l'étendue de la protection, il a rappelé qu'il soutenait la réforme de la législation relative à l'expulsion et à la peine d'interdiction du territoire français prévue dans le projet de loi. A ce titre, il a indiqué que les possibilités d'assignation à résidence des étrangers faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion et d'aménagement de peine lorsqu'une peine complémentaire d'interdiction du territoire français avait été prononcée en même temps qu'une peine d'emprisonnement constituaient des avancées notables.
Après avoir indiqué qu'il rejoignait l'opinion de M. Bertrand Tavernier opposé à la suppression totale de la peine d'interdiction du territoire français, M. Bernard Bolze a regretté que le dispositif transitoire prévu dans le projet de loi pour les étrangers ayant déjà fait l'objet de peines d'interdiction du territoire français ou de mesures d'expulsion et faisant la preuve de leurs attaches familiales ou sociales avec la France ne soit pas étendu aux étrangers qui, tout en répondant aux mêmes critères, ont déjà été expulsés dans leur pays d'origine et n'ont pas cherché à rentrer clandestinement.