Travaux de la commission des finances



- Présidence de M. Alain Lambert, président.

Mission chargée de recueillir les éléments d'information sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et l'exécution des lois de finances - Audition de M. Nicolas Sarkozy

Dans le cadre de la mission chargée de recueillir les éléments d'information sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et l'exécution des lois de finances, pour laquelle le Sénat a conféré à la commission les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, la commission a procédé à l'audition deM. Nicolas Sarkozy.
Après avoir prêté serment, M. Nicolas Sarkozy s'est réjoui de l'initiative prise par le Sénat de doter sa commission des finances des prérogatives d'une commission d'enquête, tout en regrettant que cette procédure soit nécessaire pour obtenir toutes les informations dont le Parlement devrait normalement disposer. Il a ajouté qu'il donnerait des réponses écrites complémentaires après son audition.

M. Nicolas Sarkozy a fait part de son expérience de ministre du budget, de 1993 à 1995. Il a expliqué que lors de sa prise de fonctions, il s'était rendu compte de toute la technicité du ministère de l'économie et des finances. Choisir ses collaborateurs, gérer les urgences et définir la politique économique et financière de la France sont des exercices très difficiles pour un ministre non technicien, en charge d'un ministère comptant 200.000 agents.

Il a indiqué que dès son arrivée à la tête du ministère, il avait été averti que le déficit budgétaire serait le double de ce qui avait été prévu dans la loi de finances initiale pour 1993, soit 333 milliards de francs contre 170 milliards de francs. Cette situation était d'ailleurs confirmée par l'audit des finances publiques mené par le procureur général près la Cour des comptes, M. Jean Raynaud, qui chiffrait le déficit à un niveau un peu supérieur, soit 341 milliards de francs.

M. Nicolas Sarkozy a ainsi toujours pu observer la qualité de l'information transmise par l'administration du ministère du budget, les fonctionnaires s'étant révélés compétents, dévoués et honnêtes, mais plus enclins à alerter le ministre sur les " mauvaises nouvelles " que sur les bonnes. Tous les mois d'avril, en effet, le directeur du budget fait une note au ministre du budget qui recense toutes les incertitudes pesant sur l'évolution des finances publiques et tend à minimiser les bons résultats. Le ministre doit bien évidemment se forger sa propre conviction à partir de ces appréciations.

Il a déclaré que l'administration était dans son rôle en ne retenant que les éléments négatifs, mais qu'elle devait rester au service du politique, et qu'il appartenait au ministre de savoir la diriger. Il a expliqué que dans son cas personnel, la qualité du directeur de cabinet qu'il avait choisi et de tous les autres membres avait été décisive. Il a ajouté qu'il n'avait pas souhaité mettre en place un comité de direction, ni changer les directeurs de l'administration centrale du ministère du budget, mais développer des capacités d'arbitrage politique. Il a considéré que le métier d'un directeur consistait à gérer les services dont il a la charge, et à apporter une compétence technique, le cabinet du ministre devant se charger de traduire cette compétence technique afin de permettre au ministre d'arrêter des orientations politiques.

S'agissant de l'arbitrage des recettes fiscales, M. Nicolas Sarkozy a expliqué que de nombreux services du ministère étaient concernés, notamment le service de la législation fiscale, la direction générale des impôts et la direction générale de la comptabilité publique, chacun ayant ses propres estimations, et le ministre ayant la responsabilité de trancher entre celles-ci.

Il a rappelé qu'il avait décidé de publier chaque trimestre la situation de l'exécution du budget de l'Etat, avant que cette publication ne devienne mensuelle. Il a indiqué qu'il ne pensait pas que, s'agissant de l'exercice 1999, des excédents de recettes fiscales de plusieurs dizaines de milliards de francs aient pu ne pas être connus du ministre de l'économie et des finances, alors même que la commission des finances du Sénat avait pu les évaluer. Il a déclaré que la non-information du Parlement résultait bien d'une décision politique, car la liberté d'appréciation du politique à l'égard de l'administration est possible pour les dépenses comme pour les recettes, qui n'obéissent pas à une simple logique mathématique.

M. Nicolas Sarkozy a cité l'exemple d'une décision qu'il avait prise contre l'avis de son administration et qui était relative aux avantages fiscaux pour la création d'emplois familiaux, qui était jugée non conforme à la doctrine de l'administration fiscale. Il a ajouté que la décision de doubler le plafond de la réduction d'impôt pour les dons aux associations avait également été prise malgré les réticences de l'administration. En revanche, il a expliqué que celle-ci lui avait proposé à plusieurs reprises des augmentations d'impôts auxquelles il n'avait pas souscrit.

M. Nicolas Sarkozy a ensuite expliqué qu'il fallait changer profondément les méthodes de discussion et de vote du budget de l'Etat. Il a déclaré que le Parlement ne pouvait plus accepter d'être mobilisé pendant plus d'un tiers de son temps pour examiner seulement 5 % du budget de l'Etat, sans pouvoir remettre en cause le système fiscal, alors même que le consentement à l'impôt est, historiquement, l'essence même du pouvoir parlementaire. Il a rappelé que la commission des finances du Sénat avait pu éprouver à plusieurs reprises les limites du cadre juridique offert par l'ordonnance portant loi organique du 2 janvier 1959 pour la discussion et le vote des lois de finances. Il a ajouté qu'il était impossible au Parlement de proposer des économies budgétaires sur un budget de 1.500 milliards de francs, alors qu'il ne dispose que d'un tout petit nombre de fonctionnaires, contrairement aux 200.000 agents du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Nicolas Sarkozy a ensuite fait plusieurs propositions.

Tout d'abord, toute disposition fiscale devrait avoir une durée d'application limitée à cinq ans, et faire l'objet d'une évaluation. Il a regretté que le Parlement n'ait à débattre que des mesures fiscales nouvelles et doive considérer les anciennes mesures comme acquises.

Ensuite, le Parlement ne connaît pas le nombre d'emplois publics financés par l'Etat. Comme l'a révélé récemment la Cour des comptes, le nombre de vacataires est ainsi supérieur de 120.000 unités aux emplois budgétaires autorisés et 300.000 emplois sont indirectement financés par l'Etat dans les établissements publics. Il a proposé que le Parlement autorise le recrutement des agents publics en fonction des besoins des administrations et ne se prononce plus sur des pyramides d'emplois budgétaires.

Enfin, il a souhaité que l'on cesse de séparer le vote de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale, afin d'avoir une vision globale des prélèvements obligatoires. Il a rappelé que certains impôts votés en loi de finances étaient utilisés au financement de la sécurité sociale, et que l'ensemble des recettes et dépenses des administrations publiques était additionné par les services de la Commission européenne pour déterminer le niveau des déficits publics. Il a estimé nécessaire que le Parlement puisse être appelé à connaître des programmes budgétaires présentés à Bruxelles.

M. Nicolas Sarkozy a ensuite souligné la nécessité d'améliorer la présentation du budget de l'Etat.

Il a estimé indispensable que la logique actuelle d'encaissement et de décaissement en dépenses et recettes laisse la place à une vision plus patrimoniale des finances publiques, notamment en prévision des charges de retraites des fonctionnaires, ou pour les dépenses d'investissements publics, pour lesquelles aucun amortissement n'est prévu.

Il a appelé à une profonde rénovation de la discussion budgétaire, en proposant de réduire à quinze jours dans chaque assemblée le temps consacré à la discussion en séance publique et en le réservant à une discussion entre les parlementaires, le Premier ministre, les ministres des finances et du budget, sur les grands agrégats, en fonction des principaux arbitrages rendus. Les ministres dits " dépensiers " interviendraient devant les commissions compétentes pour présenter les politiques menées dans leur département ministériel.

Il a proposé, en remplacement de la discussion tardive de la loi de règlement, qu'une période de débats parlementaires d'une quinzaine de jours avant l'été soit réservée pour comparer les prévisions de la loi de finances initiale à l'exécution budgétaire, exercice au cours duquel les ministres dépensiers pourraient exposer les raisons des décalages entre prévision et exécution.

Enfin, il a déclaré qu'essayer de contrôler le budget de la Nation avec la faiblesse des moyens des commissions parlementaires ne pouvait être qu'une bataille perdue d'avance. Il a souligné que l'accroissement des contrôles parlementaires ne devait pas être perçu comme une confrontation entre l'exécutif et le législatif, mais comme un souci de transparence devant l'opinion publique.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a rappelé que les prérogatives de commission d'enquête avaient pour but de faire la clarté sur le fonctionnement interne du ministère de l'économie et des finances, puis sur la diffusion de l'information au Parlement. Il a posé quatre questions. Existe-t-il un débat et donc un arbitrage du ministre sur la définition des indicateurs macro-économiques sur lesquels est fondé le projet de loi de finances ? Comment se déroule l'arbitrage sur les recettes fiscales ? A partir de la note générale du directeur du budget au mois d'avril, comment s'enchaînent les décisions politiques ? S'agissant du financement de l'Etat et de son recours aux marchés financiers, quels arbitrages le ministre a-t-il à rendre ?

M. Nicolas Sarkozy a déclaré qu'il convenait de ne pas avoir une vision idéalisée de la procédure d'arbitrage rendue par le ministre. Des débats ont lieu entre les directions du ministère, qui amènent le cabinet du ministre à trancher entre les prévisions proposées. Mais, dans le même temps, une partie de l'information sur la situation macro-économique et financière de l'Etat est transmise directement au directeur-adjoint du cabinet du Premier ministre ou à son conseiller économique, et au cabinet du Président de la République. Des arbitrages sur les recettes sont rendus lors d'une réunion chez le Premier ministre, avant un débat avec les responsables de la majorité. Sur la base des estimations de recettes, les prévisions de dépenses sont établies, le ministre du budget se réservant une marge de manoeuvre avant le débat avec les ministres " dépensiers ". En effet, chaque année, des dépenses exceptionnelles viennent perturber l'exécution budgétaire, comme, par exemple, les dépenses entraînées par les interventions militaires ou les catastrophes naturelles.

M. Paul Loridant a déclaré qu'il comprenait que si le ministre avait toujours la possibilité de freiner des dépenses, l'évaluation des recettes était un exercice délicat. Il a toutefois souhaité avoir des explications sur la manière dont sont perçues les recettes qui ne viennent pas alimenter régulièrement le budget de l'Etat, comme les recettes de privatisations, et il a souhaité savoir si des mesures étaient prises pour accélérer ou freiner la perception de ces recettes exceptionnelles.

M. Bernard Angels a déclaré que l'exécution des budgets de 1994 et 1995 s'était traduite par une augmentation sensible des dépenses par rapport à la loi de finances initiale, que la dette publique s'était creusée, et que les recettes avaient été majorées artificiellement. Il a précisé qu'en 1994 des mesures relatives à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), au passage au droit commun fiscal de la Poste et de France Telecom et des recettes de privatisation avaient permis de boucler le budget de l'Etat. En 1995, il a rappelé que des recettes non fiscales avaient été intégrées dans le budget, soit 15 milliards de francs provenant de la Caisse des dépôts et consignations et 18,5 milliards de francs du Fonds de réserve et de garantie des caisses d'épargne (FRGCE).

M. Roland du Luart a déclaré que les parlementaires avaient le sentiment de ne pas disposer des informations nécessaires au vote du budget et regrettaient que des annulations de crédits interviennent souvent quelques semaines seulement après le vote des lois de finances. Il a souhaité savoir si le ministre disposait d'une information objective, et s'il était envisageable que le Parlement français se dote des moyens comparables à ceux dont dispose le Congrès américain. Il a évoqué la possibilité de recourir à des experts extérieurs.

M. Jean-Philippe Lachenaud a souhaité savoir si le ministre avait disposé d'études sur une réforme de notre système fiscal et de simulations sur les effets financiers, économiques et sociaux de certaines réformes fiscales ou économiques.

M. Joël Bourdin a regretté que le Parlement ne dispose pas d'éléments suffisants pour s'opposer aux évaluations des services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Il a évoqué la situation d'autres pays qui disposent d'agences indépendantes d'information et de prévisions macro-économiques, et il a souhaité savoir si ce modèle était transposable en France.

M. Alain Lambert, président, a souhaité savoir si une voie de réforme ne consistait pas à permettre au Parlement de statuer sur des masses budgétaires plus importantes que les chapitres actuellement visés, en laissant au pouvoir exécutif des marges de manoeuvre pour redéployer des crédits au sein des enveloppes fixées.

M. Nicolas Sarkozy s'est réjoui de constater que tous les intervenants souhaitaient une plus grande transparence dans la présentation des comptes de l'Etat et une réforme des finances publiques ; il a déclaré que ce besoin ne résultait pas seulement de l'opacité du ministère de l'économie et des finances, mais également du conservatisme français. Il a évoqué la difficulté de faire évoluer le budget de l'Etat, composé pour plus de 60 % de frais de fonctionnement et de charges de retraite. Il a expliqué que la discussion budgétaire était un exercice contraint, inadapté à la situation des finances publiques, et qu'il convenait plutôt d'avoir un débat public, fiscal et budgétaire qui pose les enjeux sans entrer dans tous les détails. Concernant la régulation budgétaire, il a indiqué qu'elle était pratiquée par les collectivités locales, et qu'elle était donc normale pour l'Etat. Il a ajouté que cette régulation était nécessaire, compte tenu des éléments d'incertitude pesant sur le budget de l'Etat : la charge de la dette fluctue avec les taux d'intérêt, et les recettes de certains impôts, comme l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, sont assez difficiles à prévoir.

En réponse à M. Bernard Angels, il a déclaré que le vote du Parlement et la validation de la loi de finances par le Conseil constitutionnel étaient suffisants pour apprécier la qualité des lois de finances, les commentaires a posteriori de la Cour des comptes ne pouvant être pris que comme des appréciations complémentaires. Il a indiqué que tous les ministres procédaient à des ajustements de manière à équilibrer le budget de l'Etat et il a reconnu qu'il avait eu recours à des recettes issues des privatisations pour financer des dépenses courantes. Cela lui est apparu justifié dans une période tout à fait exceptionnelle de croissance faible, même si la méthode n'était pas orthodoxe. Il a estimé qu'un certain pragmatisme en matière de gestion des finances publiques était indispensable.

En réponse à MM. Roland du Luart et Joël Bourdin, il a rappelé que le Parlement n'examinait réellement que 5 % des dépenses publiques, si bien qu'il ne fallait pas seulement modifier l'ordonnance du 2 janvier 1959, mais changer résolument le cadre d'examen du budget. L'idée de multiplier les organismes indépendants et techniques aurait toutefois pour conséquence de priver le Parlement d'un certain nombre de ses pouvoirs. Il conviendrait beaucoup mieux de renforcer les moyens propres du Parlement qui dispose d'une légitimité démocratique, plutôt que de recourir à des organismes dont les membres ne seraient pas élus.

Enfin, en réponse à M. Jean-Philippe Lachenaud, il a indiqué que toutes les simulations sur les réformes fiscales étaient disponibles, mais que leur conclusion était toujours la difficulté de les mettre en oeuvre, ce qui démontrait l'importance de la décision politique.

Audition de M. Alain Lamassoure

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Alain Lamassoure.

Après avoir prêté serment, M. Alain Lamassoure a rappelé qu'il avait travaillé douze ans à la Cour des comptes, qu'il avait occupé deux ans les fonctions de membre du cabinet du ministre de l'économie et des finances, puis celles de rapporteur général du budget du Parlement européen avant d'être, dix-huit mois durant, ministre du budget.

Il a précisé qu'il avait participé, en tant que ministre, à l'élaboration d'un seul budget, celui de l'année 1997. Il a relevé que peu de ministres du budget étaient restés en fonction suffisamment longtemps pour participer à l'ensemble de la " vie " d'un budget, depuis le stade de son élaboration jusqu'au vote de la loi de règlement.

M. Alain Lamassoure a tiré trois enseignements de son expérience de ministre. En premier lieu, il a fait état de la médiocrité des prévisions macro-économiques, en s'appuyant sur l'exemple des prévisions d'investissement pour l'année 1996 dont l'évolution avait été estimée à 5 % par la loi de finances pour 1996 et qui en réalité ont connu une évolution négative. Il a insisté sur la difficulté d'établir des prévisions pour l'année suivante lorsque les données définitives de l'année précédente ne sont pas encore connues, et a déploré que les modèles économétriques utilisés par l'administration ne soient pas adaptés aux évolutions de l'économie. A cet égard, il a relevé que ces modèles, qui raisonnent encore dans le cadre d'économies fermées, ne permettent pas de chiffrer les effets de richesse liés à l'évolution des marchés financiers ou immobiliers.

M. Alain Lamassoure a regretté l'absence d'analyse fine des conséquences de l'union économique et monétaire en Europe, et a constaté que les meilleurs spécialistes de cette question se trouvaient en Amérique du nord.

En deuxième lieu, M. Alain Lamassoure a évoqué les prévisions de recettes fiscales. Soulignant que la sensibilité des recettes à la conjoncture n'était pas une science exacte, il a indiqué que les prévisions de recettes donnaient lieu à des discussions très techniques entre les services et les directions, sous l'autorité du directeur de cabinet du ministre. Il a constaté que la réalité était parfois très éloignée des prévisions, à l'image des recettes de TVA de l'année 1995 qui, à législation constante, ont été inférieures de 40 milliards de francs aux prévisions de la loi de finances.

En troisième lieu, M. Alain Lamassoure a estimé que la maîtrise des dépenses était possible, même lorsque la conjoncture était décevante. Il a rappelé que la maîtrise des dépenses avait permis, en 1996, de tenir l'objectif de déficit, malgré un taux de croissance inférieur de moitié aux prévisions initiales et une moins-value de recettes de TVA de 22 milliards de francs. S'agissant de 1997, il a considéré que le rapport de MM. Bonnet et Nasse avait montré que les risques de dérapage budgétaire étaient limités car les gels de crédits auxquels avait procédé le gouvernement en début d'exercice avaient été bien calibrés.

M. Alain Lamassoure a alors évoqué plusieurs pistes d'amélioration. Il a tout d'abord jugé que la transmission aux Assemblées des éléments dont dispose le ministre des finances permettrait d'améliorer la transparence. Après avoir rappelé que la situation mensuelle des opérations du Trésor était rendue publique depuis décembre 1995, il a proposé de rendre publique la situation hebdomadaire des opérations du Trésor et a préconisé une diversification des sources en matière d'analyse de la conjoncture et de prévisions.

Il a ensuite suggéré un meilleur encadrement des pratiques budgétaires de fin de gestion, qui se caractérisent actuellement par des décisions qu'il a qualifiées d'arbitraires. A titre d'exemple, il a indiqué que, fin 1995, l'effet combiné du changement de gouvernement intervenu en novembre et des grèves de fin d'année avait provoqué une réduction sensible des dépenses de l'Etat, conduisant le gouvernement à choisir d'imputer sur 1995 des dépenses qui auraient pu relever de l'exercice 1996. Il a rappelé que la Cour des comptes avait été amenée à relever ce type de pratiques et il s'est déclaré en faveur de l'établissement d'un code de bonne conduite.

Enfin, M. Alain Lamassoure a souhaité que le budget corresponde mieux à la réalité, tant sur le plan financier, en y réintégrant certaines opérations du Trésor qui n'y figurent pas, qu'économique, en mettant en place la comptabilité patrimoniale souhaitée par M. Jean Arthuis. Il a jugé que la comptabilité de l'Etat était moins bonne que celle des entreprises ou des collectivités locales.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a indiqué que l'initiative de la commission des finances de demander les prérogatives des commissions d'enquête provenait du sentiment des commissaires de participer à un théâtre d'ombres lors de la discussion des lois de finances, et que l'objectif de cette enquête était de comprendre le fonctionnement du système d'information entre les administrations et leurs ministres, entre les ministres et le Premier ministre, puis entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

Le rapporteur général a souhaité savoir sur quels points le ministre était conduit à arbitrer entre des analyses et des informations divergentes. Il a ensuite demandé des précisions s'agissant du comité chargé d'arbitrer entre les différentes prévisions de recettes fiscales. Enfin, il a souhaité connaître l'appréciation de l'ancien ministre du budget sur le partage des compétences entre la direction du budget et la direction du Trésor, s'agissant de la politique de financement de l'Etat.

M. Alain Lamassoure a jugé que le calendrier et les processus interne et externe d'élaboration des projets de loi de finances étaient raisonnables et bien rodés. Il a estimé qu'il convenait de ne pas les modifier et a rappelé que la procédure comportait deux temps forts : au printemps, avec l'envoi des lettres de cadrage, et au mois de juillet, avec les lettres-plafond et la définition des prévisions de recettes et de dépenses. Il a estimé que ce calendrier était élaboré en fonction de la discussion parlementaire, qui débute au mois d'octobre.

S'agissant des arbitrages rendus par le ministre, il a considéré que deux d'entre eux devaient échapper au domaine de la politique, les prévisions macro-économiques et le montant des recettes fiscales. En revanche, il a jugé que la définition du montant du déficit budgétaire, donc du niveau de dépenses, relevait pleinement de la compétence du ministre du budget. A ce sujet, il a indiqué que deux domaines devaient particulièrement retenir l'attention de celui-ci, d'une part l'évolution des effectifs budgétaires et, d'autre part, les dépenses qu'il a qualifiées de " boule de neige ", telles que la charge de la dette, les aides à l'emploi et au logement.

M. Alain Lamassoure a indiqué que la détermination du niveau des recettes résultait d'un processus, mené sous l'autorité du directeur de cabinet du ministre, au cours duquel les services se réunissent en février et en juin ou juillet. Après avoir précisé qu'il existait des comptes rendus de ces réunions d'arbitrage, il a souligné que les services étaient particulièrement divisés sur ces évaluations. Il a ajouté que, pour 1997, le rapport de MM. Bonnet et Nasse avait rendu hommage à la qualité de ces travaux.

S'agissant du financement de l'Etat, il ajouté qu'il n'avait jamais eu à arbitrer à son niveau entre des positions divergentes de la direction du budget et de la direction du Trésor.

M. Jean-Philippe Lachenaud a rendu hommage aux documents présentés au Parlement par M. Alain Lamassoure lorsqu'il était ministre, et qui faisaient apparaître le déficit de fonctionnement de l'Etat. Il a souhaité savoir dans quelle mesure la politique budgétaire était autonome par rapport à la politique économique.

Il a constaté que M. Alain Lamassoure considérait la prévision de croissance pour l'année à venir comme une décision devant échapper au domaine de la politique, et que ce point de vue contrastait avec certains sentiments exprimés devant la commission, selon lesquels il était utile de surévaluer un taux de croissance de manière à renforcer la confiance des agents économiques.

S'agissant des recettes, M. Jean-Philippe Lachenaud a noté que les exécutifs locaux sous-estimaient généralement le montant des recettes fiscales lors de l'élaboration de leur budget, et s'est demandé si l'Etat avait la même habitude. Après avoir regretté que les documents fournis au Parlement ne comportent qu'une seule hypothèse de croissance pour l'année à venir, il a souhaité savoir si les services présentaient au ministre plusieurs scénarios possibles.

M. François Trucy a insisté sur l'importance de présenter aux parlementaires des documents clairs et lisibles. Il a estimé que les évolutions législatives récentes relatives au cumul des mandats et à la parité allaient provoquer un important renouvellement du personnel politique et que, par conséquent, l'effort de pédagogie était plus que jamais nécessaire.

M. André Vallet s'est interrogé sur la possibilité de mettre en place d'autres sources de prévision macro-économique pour compenser la médiocrité des données actuelles évoquée précédemment par M. Alain Lamassoure.

M. Denis Badré a considéré que la régulation budgétaire était mal ressentie par les parlementaires et les ministères " dépensiers ", qui étaient obligés d'anticiper sur les éventuels gels et annulations, en gonflant leurs besoins. Il a demandé comment le ministre du budget vivait ces procédures.

Evoquant le prélèvement sur recettes au profit du budget des communautés européennes, il a regretté que le Parlement ne contrôle pas les dépenses correspondant à cette minoration de recettes.

En réponse aux différents intervenants, M. Alain Lamassoure a apporté les éléments suivants :

- il a jugé que la politique budgétaire n'avait pas de réelle autonomie par rapport à la politique économique lorsqu'il était en fonctions, puisqu'elle était dictée par la nécessité de se qualifier pour la monnaie unique. Il a considéré comme un grand progrès le transfert de la conduite de la politique monétaire à une banque centrale indépendante. Soulignant que ce qui apparaissait normal pour les collectivités locales devait également l'être pour l'Etat, il a préconisé que le principe de l'équilibre budgétaire soit introduit dans la Constitution ;

- il a indiqué que, lorsque les prévisions élaborées par les services aboutissaient à une fourchette de taux de croissance pour l'année à venir, le Gouvernement pouvait en effet être tenté de choisir l'estimation optimiste, plus mobilisatrice pour les agents économiques, mais au risque de constater ensuite des moins-values fiscales. Il a considéré que la transmission aux parlementaires de plusieurs hypothèses de croissance pour l'année à venir serait de nature à enrichir les débats budgétaires ;

- il n'a pas observé que les services de Bercy sous-estiment délibérément les recettes fiscales lors de l'élaboration du budget ;

- il a considéré que l'entrée en vigueur de la monnaie unique levait le risque d'instabilité sur le marché des changes qu'aurait pu provoquer la divulgation d'informations sur la situation budgétaire de l'Etat et que, par conséquent, il n'existait plus d'obstacle à une transparence totale de l'exécution budgétaire. Il a précisé que la communication de la situation hebdomadaire des opérations du Trésor devrait s'accompagner de commentaires explicatifs en raison du caractère particulièrement hermétique de ce document. Il a estimé qu'il serait utile que les situations hebdomadaires d'une année puissent être comparées aux situations des semaines correspondantes de l'année précédente ;

- il a signalé que le bureau du budget de la Chambre des représentants aux Etats-Unis employait plusieurs centaines de fonctionnaires et que, en Allemagne, plusieurs instituts universitaires établissaient des prévisions macro-économiques ;

- il a souligné que les ministres du budget vivaient mal les opérations de régulation budgétaire, qui constituent une rupture des engagements pris à l'égard des ministres " dépensiers ". Il a rappelé qu'il existait dans les années 70 un " fonds d'action conjoncturelle ", abondé par les excédents éventuels de recettes fiscales. Il a jugé envisageable le rétablissement d'un tel fonds, dont l'utilisation des crédits pourrait être autorisée par le Parlement. Il a également signalé que le Parlement européen comportait une commission de contrôle du budget dont le rôle était d'autoriser les mouvements de transfert ou de report de crédits. Il a estimé que ce système, qui existe également à la Chambre des communes britannique, permettait au Parlement de contrôler l'exécution budgétaire mois après mois ;

- il a constaté que chaque Etat membre de l'Union européenne avait adopté une technique propre pour assurer sa contribution au budget communautaire. Soulignant que le Parlement autorisait le montant de la contribution au budget communautaire, mais pas les dépenses correspondantes, il a souhaité que le financement du budget communautaire ne figure plus dans le budget national.

Mercredi 26 avril 2000

- Présidence de M. Alain Lambert, président.

Mission chargée de recueillir les éléments d'information sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et l'exécution des lois de finances - Auditions de M. Christian Sautter et de M. Dominique Strauss-Kahn - Audition de M. Jean Arthuis

La commission, dotée des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, dans le cadre de sa mission chargée de recueillir les éléments d'information sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et l'exécution des lois de finances, a procédé à l'audition de M. Christian Sautter, puis à l'audition de M. Dominique Strauss-Kahn. Ces deux auditions n'étant pas ouvertes, elles ne font pas l'objet d'un compte rendu au Bulletin des commissions.

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Jean Arthuis.

Après que M. Jean Arthuis eut prêté serment, M. Philippe Marini, rapporteur général, a rappelé que l'ancien ministre, au regard de son expérience professionnelle et gouvernementale, était particulièrement bien placé pour informer la commission sur l'existence de notes ou de comptes rendus de réunions internes au ministère relatifs au processus d'élaboration du projet de loi de finances, notamment en ce qui concerne sa partie " recettes ". Il a voulu savoir comment fonctionnait concrètement le comité d'arbitrage des recettes qui se réunit en février et en juillet. Il a également souhaité connaître le contenu des notes de cadrage adressées par la direction du budget au ministre et à son cabinet. Il s'est ensuite interrogé sur le mode de comptabilisation de l'ensemble des charges financières de l'Etat. Il s'est également enquis d'éventuels arbitrages entre les directions du ministère elles-mêmes, puis avec le cabinet, au sujet du refinancement de la dette, de l'appel aux marchés financiers ou de modifications affectant la dette en cours de gestion. Puis il a voulu savoir comment étaient prises les décisions d'imputation de dépenses et de recettes au cours de la période de fin d'exécution, et si elles donnaient lieu à l'établissement de notes ou de procès-verbaux. Enfin, il s'est interrogé sur la façon dont l'Etat pouvait avoir une connaissance précise de la conjoncture économique, tant au niveau national qu'international, et sur l'importance conférée à ce que l'on appelle le " consensus des économistes " et aux prévisions de certains services de l'Etat.

M. Jean Arthuis a indiqué qu'en prenant ses fonctions au ministère de l'économie et des finances, il avait été très étonné de ce que la sphère publique ne se soit pas dotée d'instruments pertinents d'information économique, l'information financière et budgétaire reposant sur un système d'encaissements et de décaissements et sur un contrôle des dépenses a priori, et non sur l'analyse de l'efficience de la dépense publique. Il a estimé qu'un tel système d'information était archaïque et provoquait une opacité certaine. Il a en revanche considéré que le calendrier budgétaire était rigoureux et fondé sur des procédures satisfaisantes. Il a rappelé que le premier cadrage macro-économique prenait en considération les études de l'Institut national des statistiques et des études économiques (INSEE) et les projections de la direction de la prévision, ces analyses étant élaborées à la suite des contacts multiples des services avec leurs homologues de l'Union européenne. Aux mois de janvier ou février, un premier budget économique est élaboré, puis un second au printemps. Ces documents servent de base à la réunion de la commission des comptes économiques de la nation, au cours de laquelle se dégage le " consensus des experts ", dont le ministre s'écarte rarement, même si cela peut se produire, l'ancien ministre ayant indiqué qu'au mois d'août 1995, il avait préféré retenir un taux de croissance prévisionnel inférieur à celui recommandé par les experts, qu'il trouvait trop optimiste.

S'agissant de l'estimation des recettes, il a confirmé qu'une première réunion d'arbitrage avait lieu au mois de février, et une seconde au mois de juillet. En début d'année, l'ensemble des services chargés du recouvrement, qu'il s'agisse de la direction générale des impôts, de la direction générale de la comptabilité publique ou de la direction générale des douanes et droits indirects menait une réflexion prospective, de manière à évaluer l'assiette des différents impôts, ces évaluations étant ensuite validées en juin ou juillet à la suite d'un ensemble d'opérations de nature technique. Dans le même temps, en relation avec les services de recouvrement, le service de la législation fiscale étudie la question du rendement d'éventuelles mesures nouvelles. Toutefois, ce rendement peut être perturbé par des aléas économiques, et par la façon dont les mécanismes de remboursements et dégrèvements sont mis en oeuvre. Il a cependant estimé que les estimations de recettes étaient globalement fiables.

M. Jean Arthuis a noté que des progrès considérables avaient été accomplis en matière d'émission des bons du Trésor et de constatation de la charge d'intérêts.

Plus globalement, il a rappelé qu'il avait engagé une réflexion approfondie tendant à améliorer la transparence et la sincérité du budget. Une étude a d'abord été confiée à M. André Giraud, ancien ministre, puis une mission consacrée à la gestion patrimoniale de l'Etat a été mise en place et confiée à M. Jean-Jacques François, agent comptable central du Trésor. Cette réflexion vise à mieux connaître la réalité du bilan de l'Etat. Il a ajouté que certaines opérations budgétaires pouvaient ne jamais apparaître dans les comptes de l'Etat, et a cité la décision prise en 1993 par le gouvernement de M. Pierre Bérégovoy consistant à restituer aux entreprises une fraction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à récupérer, ce qui se traduisait mécaniquement par une baisse des recettes d'environ 20 milliards de francs, le montant de ce remboursement n'étant toutefois jamais apparu au solde budgétaire.

Il a indiqué que la direction générale de la comptabilité publique établissait la situation hebdomadaire du budget de l'Etat et de sa trésorerie, qui est communiquée au ministre, au Premier ministre et à la Présidence de la République. Il a précisé avoir par ailleurs rendu publique et institutionnalisé la situation mensuelle, désormais publiée dans son intégralité et assortie d'un commentaire indispensable à sa compréhension. Il a ajouté que le directeur du budget établissait à la fin de l'hiver, au printemps, puis au début du mois d'octobre, une note relative au respect des prévisions. Celle de l'automne est particulièrement importante, car elle constitue la base de la préparation du collectif de fin d'année, et permet de connaître très précisément la situation budgétaire. Il a estimé, à cet égard, que l'existence de la " cagnotte ", désignation impropre, devait très probablement être mentionnée dans la note d'octobre 1999. Il a indiqué que ces documents étaient transmis au ministre et à son cabinet, qu'elles étaient annotées et qu'elles servaient de base à de nombreuses réunions, tant avec le cabinet qu'avec les directeurs concernés du ministère.

M. Paul Loridant, évoquant son expérience parlementaire, a estimé qu'il existait un climat de suspicion des fonctionnaires de Bercy à l'égard des élus, l'information leur étant communiquée avec une extrême parcimonie. Il a souhaité avoir l'opinion de l'ancien ministre sur ce point.

M. Bernard Angels s'est interrogé sur les raisons qui ont poussé l'ancien ministre, alors qu'il était aux affaires, à ne pas réintégrer dans le budget de l'Etat des dotations extra-budgétaires dont il était pourtant informé, tant par les commissions des finances du Parlement que par la Cour des comptes. Par ailleurs, il a voulu savoir pourquoi l'établissement d'une projection des finances publiques à moyen terme a été interrompu alors qu'il était ministre.

M. Maurice Blin a souligné la grande qualité de la présentation du budget en 1996, de grands efforts de transparence et de pédagogie, tels que la distinction entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement, ayant été accomplis. Il s'est interrogé sur la crédibilité qui peut être accordée aux notes des services du ministère, et a évoqué une note du printemps 1997 qui aurait été à l'origine d'une décision ayant eu d'importantes conséquences politiques, mais dont les conclusions ne se sont finalement pas réalisées. Enfin, il a souhaité obtenir l'avis de l'ancien ministre sur la manière d'améliorer la discussion budgétaire, les pouvoirs et les moyens du Parlement pouvant être renforcés de manière à influer sur l'élaboration du projet de loi de finances et à mieux contrôler son exécution, ou bien la procédure budgétaire pouvant être simplifiée afin de la rendre plus attrayante.

M. François Trucy a souhaité connaître les améliorations qui, selon l'ancien ministre, pourraient être apportées au fonctionnement des services de Bercy, et plus généralement, à l'élaboration et à l'exécution de la loi de finances.

M. Jacques Pelletier s'est interrogé sur les modalités de la discussion budgétaire entre le ministère de l'économie et des finances et les ministères " dépensiers ", estimant que la direction du budget voulait gérer le budget de chaque ministère jusque dans les moindres détails.

M. Denis Badré a rappelé que les nombreuses conférences budgétaires auxquelles il lui avait été donné de participer, se déroulaient de manière globalement satisfaisante, mais que les procédures de régulation budgétaire, et, en particulier les annulations et les gels de crédits, étaient très mal supportées par les ministères dépensiers. Il a souhaité savoir comment l'ancien ministre avait, de son côté, vécu ce phénomène.

M. Jean Arthuis a estimé que les fonctionnaires du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie faisaient souvent preuve d'un " excès de pudeur ", mais que l'information financière était peu lisible et que leur intérêt était centré sur la régularité de l'engagement des dépenses. Il a ajouté que beaucoup de fonctionnaires souhaitaient protéger le ministre des finances de pressions multiples visant à dépenser davantage : la direction du budget, étant pourtant dans son rôle, est ainsi amenée à ne dévoiler au ministre lui-même qu'une partie de la réalité. Il a par ailleurs considéré que la loi de finances était un texte largement virtuel, le meilleur exemple concernant sans doute les effectifs de la fonction publique qui n'ont qu'une valeur indicative. Il a estimé que le texte le plus important était, au regard de la réalité budgétaire, la loi de finances rectificative alors qu'elle était discutée beaucoup trop rapidement au Parlement. Enfin, il a jugé que le contrôle parlementaire était indispensable à la bonne exécution de la loi de finances. Pour être efficace, il implique de rendre plus lisibles et plus accessibles les systèmes d'information du ministère.

Il a expliqué que certains dysfonctionnements, qui avaient pu se produire dans le passé, s'ils étaient condamnables en eux-mêmes, avaient été parfois rendus indispensables par la nécessité de poursuivre le processus de convergence économique devant aboutir à la création de la monnaie unique européenne. Dès lors, toute information pouvait avoir des conséquences très graves sur le marché des changes, de telle sorte que l'information devait rester succincte et ne pas prêter à une interprétation erronée. Il a toutefois rappelé que cette époque était aujourd'hui révolue. Cette situation se retrouvait aussi au niveau des gouvernements de l'Union européenne, l'ancien ministre ayant dû convaincre son collègue allemand que la France, résolue à adopter le plus rapidement possible la monnaie unique européenne, se donnait pour ambition de ramener son déficit budgétaire à un taux inférieur à 3 % du produit intérieur brut. Il a indiqué que la transcription des fonds de concours a toujours été complexe, et rappelé qu'il avait dû constater une moins-value inexpliquée sur les fonds collectés par la Poste mis à la disposition du Trésor.

M. Jean Arthuis a indiqué que les notes régulièrement adressées par les services au ministre et à son cabinet étaient traditionnellement alarmistes. Il a néanmoins observé qu'il n'avait visé aucune note officielle particulière au printemps 1997. Rappelant que les systèmes d'information de Bercy étaient peu formalisés, les rumeurs et la désinformation pouvaient avoir plus d'impact que la réalité. Cette situation s'est reproduite à propos de la réforme avortée de l'administration fiscale. Il a considéré que la procédure de discussion budgétaire était en réalité très confortable pour le gouvernement. Il a ajouté que, selon lui, les ministres devraient obtenir un pouvoir de délégation pour gérer leurs propres crédits. Il a en effet observé que, faute pour les ministères de gérer leurs propres budgets tout en rendant régulièrement des comptes, la direction du budget se substituait à eux.

Convenant de l'obsolescence de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, il a toutefois estimé que sa réforme ne pouvait s'engager qu'après un accord sur le nouveau cadre comptable à adopter, qui doit être compréhensible non seulement par les parlementaires, mais également par l'ensemble des citoyens. Il importe de présenter, outre les opérations courantes, le patrimoine de l'Etat. Dans cet esprit, s'agissant des participations que détient l'Etat dans des entreprises, des comptes consolidés devraient être établis et annexés à la situation patrimoniale. A cet égard, il avait fait élaborer le compte consolidé des entreprises publiques pour l'exercice 1995, ce document existant depuis lors mais n'ayant pas été publié. S'agissant de la régulation budgétaire, il a considéré qu'elle n'était pas choquante en soi, et qu'il appartenait au ministre de l'économie et des finances de donner des instructions aux contrôleurs financiers placés auprès des différents départements ministériels. Il a toutefois jugé indispensable de se départir d'un mode de pensée consistant à croire qu'un bon ministre est un ministre qui dépense beaucoup ou, en tout cas, plus que ses collègues.

Selon lui, ce qui prime, c'est la réforme du système d'information financière publique. Sans elle, les réformes structurelles risquent d'échouer. Pour conclure, M. Jean Arthuis a souligné à nouveau l'importance qu'il attache au contrôle parlementaire, en exprimant sa conviction que le Parlement devra se doter de moyens appropriés.

Projet de loi de finances rectificative pour 2000 - Audition de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie

Au cours d'une séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition deM. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2000.

M. Laurent Fabius
a exprimé le souhait que l'examen du projet de loi de finances rectificative soit l'occasion d'apporter des améliorations à la loi de finances pour 2000, permettant notamment de progresser dans la maîtrise, l'évaluation et le contrôle des finances publiques, tout en développant la notion d'efficacité de service fourni au citoyen.

Abordant la situation macro-économique du pays, qu'il a jugée bonne, il a précisé que les prévisions ne devraient pas être modifiées, la croissance devant s'établir à 3,6 % en 2000. Évoquant les tensions inflationnistes subies par certains pays voisins, il a estimé qu'en dépit de quelques goulets d'étranglement observables dans les secteurs du bâtiment et de l'informatique, notre économie échapperait aux pressions inflationnistes, notamment grâce à la baisse du taux normal de la TVA. Enfin, il a annoncé que la situation de l'emploi devait continuer à s'améliorer.

M. Laurent Fabius a exprimé sa préoccupation à l'égard d'un phénomène qu'il a attribué au contexte économique particulier des années quatre-vingt-dix, lorsque la croissance était faible. A cette époque, a-t-il déclaré, l'Etat est devenu une sorte d'assureur en dernier ressort pour certains grands fonds. Or, les mécanismes alors mis en place n'ont pas été modifiés, la croissance revenue. Ceci a entraîné des excédents d'un côté, et un déficit budgétaire de l'autre.

Évoquant le collectif budgétaire, qu'il a estimé caractérisé par un excédent de recettes, il a déploré qu'ait circulé dans l'opinion publique le terme de " cagnotte ", qu'il a estimé malvenu au regard du déficit de l'année considérée, et source de malentendus pour nos concitoyens.

Il a annoncé que le surplus de recettes escompté en 2000 serait consacré d'une part, à une baisse des impôts, et, d'autre part, à quelques dépenses, peu nombreuses.

Il s'est félicité de l'ampleur de la baisse des impôts pour 2000, établie à 80 milliards de francs, ajoutant qu'une telle baisse ne s'était pas produite depuis longtemps. L'essentiel, a-t-il indiqué, résulte de la baisse du taux normal de la TVA de 20,6 % à 19,6 %, mesure qui coûtera 30 milliards en année pleine. Il a rappelé que la hausse du taux de la TVA votée sous le Gouvernement de M. Juppé avait prélevé 57 milliards de francs sur l'économie. Évoquant les baisses ciblées de TVA, il a insisté sur celle relative aux travaux dans les logements, considérée comme la plus significative. Il a indiqué que le montant total de ces baisses ciblées s'élevait à 30 milliards de francs. Ainsi, les mesures de baisse de la TVA prises dans leur ensemble s'élèvent-elles à 60 milliards de francs, effaçant la hausse de deux points intervenue en 1995.

M. Laurent Fabius a exprimé son souhait de la répercussion, sur les prix, de la baisse d'un point du taux de la TVA, et en particulier sur ceux de l'essence, le prix du super devant diminuer de 6 centimes par litre, celui du gazole de 4 centimes.

Évoquant la réduction de l'impôt sur le revenu, il a précisé que la baisse des taux des premières tranches d'imposition bénéficierait en réalité à l'ensemble de nos concitoyens. Il a jugé satisfaisant son montant, soit 11 milliards de francs.

Concernant la taxe d'habitation, il a indiqué que la part régionale serait supprimée et que les mécanismes de dégrèvements actuels seraient modifiés, ce qui correspond à une baisse de 11 milliards du montant total de la taxe d'habitation.

Au total, les baisses d'impôts s'élèveront donc à 80 milliards de francs, a-t-il indiqué.

Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a ensuite abordé le sujet des dépenses nouvelles, associées au collectif.

Il a précisé que celles-ci étaient limitées, une partie se justifiant par l'ampleur des catastrophes ayant récemment touché notre pays, l'autre partie étant destinée à faire face aux besoins dans les hôpitaux, pour un montant de 2,1 milliards de francs, à ceux de l'éducation nationale, pour un montant de 1 milliard de francs, à la politique de la ville (450 millions de francs), au dépistage de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), tandis que 160 millions de francs seront attribués à la culture, à l'économie sociale, à la sécurité (gendarmerie).

Divers mouvements de réallocation de moyens permettent par ailleurs d'abonder le budget de la défense à hauteur de 2,4 milliards de francs, a-t-il annoncé.

Puis il a indiqué que l'accélération des remboursements de TVA pour les travaux réalisés par les collectivités locales à la suite des intempéries de 1999 serait prise en compte à hauteur de 500 millions de francs dans le collectif budgétaire. Enfin, il a annoncé que 250 millions de francs abonderaient la dotation globale de fonctionnement dans le cadre de la loi sur l'intercommunalité, dont il s'est félicité du succès.

Les recettes étant réévaluées de 51,4 milliards de francs, le solde budgétaire est inchangé par rapport à la loi de finances initiale pour 2000, soit 215,3 milliards de francs, a-t-il annoncé.

Le solde budgétaire de 1999 s'étant établi à 206 milliards de francs, il a justifié cet écart par l'impossibilité de connaître encore précisément le montant des recettes, dont il a indiqué espérer un surplus en fin d'année 2000, qui serait alors entièrement affecté à la baisse du déficit.

Au total, le déficit des administrations publiques s'établit à 1,2 % du Produit intérieur brut (PIB), a indiqué M. Laurent Fabius. Il a précisé que ce chiffre était le résultat de deux évolutions de sens contraire, le déficit de l'Etat s'établissant à 2,2, % du PIB alors que les régimes sociaux, les collectivités territoriales et les autres administrations publiques connaissent des excédents s'élevant respectivement à 0,5 %, 0,25 % et 0,25 % du PIB.

Enfin, il s'est fait l'avocat d'une plus grande transparence dans la gestion des finances de l'Etat, annonçant un élargissement du périmètre des opérations faisant l'objet d'une publication notamment, par une annexe au bilan de l'Etat concernant des sujets comme les retraites des fonctionnaires (le hors-bilan), ainsi que par une annexe au projet de loi de finances qui détaillera la méthode d'évaluation des recettes, celle-ci étant susceptible de varier d'une loi de finances à l'autre. Il a annoncé que des indicateurs permettant d'évaluer la qualité du service public, son efficience, et de préciser l'information comptable et financière seraient mis au point.

Un large débat a suivi cet exposé.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a constaté que les crédits contenus dans le collectif étaient affectés, pour 10 milliards de francs, à des dépenses publiques nouvelles, et pour 40 à la baisse des impôts existants. Or, une évaluation rétrospective permet d'estimer qu'il aurait fallu dégager, non 40, mais 80 milliards de francs de baisses d'impôts pour que la situation française sur ce point soit équivalente à celle de l'Allemagne. Il a rappelé que, de surcroît, le déficit du budget de l'Etat pour l'année 2000 serait de 215 milliards de francs, supérieur de 10 milliards de francs à celui constaté à la fin de 1999.

Par ailleurs, le récent rapport préliminaire de la Cour des comptes sur l'exécution 1999 a évalué la croissance des dépenses de l'Etat à 2,3 % en volume, montant plus élevé que prévu . En outre, ce rapport constate que l'exécution du budget de l'Etat pour 1999 aurait pu se solder par un moindre déficit. M. Philippe Marini, rapporteur général, a souhaité recueillir le sentiment de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur ces éléments qu'il avait lui-même évoqués lorsqu'il était Président de l'Assemblée nationale.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a également estimé que les hypothèses de croissance sur lesquelles était fondée la loi de finances initiale pour 2000 situées dans une fourchette allant de 2,6 à 3 %, se révélaient aujourd'hui moins probables. Il a conclu en interrogeant le ministre sur les motifs qui avaient conduit à reporter 15 milliards de recettes non fiscales de l'exercice 1999 sur celui de 2000, et sur l'état des délocalisations fiscales.

En réponse, M. Laurent Fabius a précisé que, même si les bases n'étaient pas les mêmes, le taux des prélèvements obligatoires français était plus élevé que celui prévalant en Allemagne. Cette situation est le résultat d'un accroissement quasi-continu enregistré depuis de nombreuses années, et il semble donc peu réaliste d'en prévoir une baisse très rapide, à moins de consentir à des sacrifices considérables dans le fonctionnement des services publics.

Il a ajouté que le Premier ministre avait, néanmoins, retenu comme objectif une réduction progressive de ces prélèvements pour les ramener, d'ici la fin de la présente législature, au niveau qui prévalait avant les dernières élections présidentielles de mai 1995.

S'agissant des prévisions en matière de déficit, le ministre a rappelé que la croissance s'était révélée plus rapide que prévu à la fin de 1999, ce qui explique les excédents alors constatés. C'est la prudence sur la poursuite de cette croissance qui a conduit le Gouvernement à reporter sur l'année 2000 la perception de certaines recettes non fiscales.

M. Laurent Fabius a ensuite révélé qu'un rapport venait d'être rédigé par la direction générale des impôts sur les délocalisations fiscales, qui serait rapidement transmis au Sénat. Ce document révèle que de tels phénomènes existent mais qu'ils sont moins dus à l'impôt sur le revenu qu'à l'impôt de solidarité sur la fortune, ou à leur addition. Seule une meilleure harmonisation fiscale au sein de l'Union européenne dont certains membres aujourd'hui comme l'Irlande, la Belgique ou le Luxembourg, pratiquent des impôts à taux nul, permettra de résoudre durablement ce problème, par une maîtrise et une limitation générale des impôts.

Puis les membres de la commission ont, à leur tour, interrogé le ministre.

M. François Trucy a rappelé la récente suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, qui doit être intégralement compensée par l'Etat, et s'est déclaré réservé sur ce mode d'allégement de cette taxe. Il a souhaité recueillir l'avis du ministre sur la pérennité de cette suppression. Il a également souhaité connaître son appréciation sur l'évolution probable de l'euro.

M. Yann Gaillard s'est inquiété de l'état de l'administration des finances après l'abandon de la fusion envisagée entre la direction générale des impôts et celle de la comptabilité publique. Il a regretté que cette souhaitable simplification de la carte fiscale n'ait pu être mise en oeuvre, et a souhaité connaître les intentions du ministre sur ce point.

M. Jean-Philippe Lachenaud s'est interrogé sur l'opportunité de la jonction annoncée du débat d'orientation budgétaire pour 2001 d'une part, et sur le collectif, d'autre part. Il a notamment craint que cela n'obscurcisse les perspectives retenues pour les évolutions fiscales. Il a souhaité connaître l'avis du ministre sur les incidences prévisibles de la faiblesse de l'euro, et celles de la probable croissance des taux d'intérêt qu'elle pourrait entraîner. Il a enfin évoqué sa crainte que la récente amélioration des comptes publics ne conduise à un retour au laxisme budgétaire.

M. Roland du Luart a rappelé que M. Laurent Fabius s'était récemment prononcé en faveur d'une baisse des impôts, et notamment de la taxe d'habitation, lorsqu'il était Président de l'Assemblée nationale. Il a regretté le choix de baisser cette taxe, alors qu'elle constitue, par excellence, un " impôt citoyen ".

Il a également souhaité connaître la date à partir de laquelle le taux de la TVA portant sur les travaux forestiers consécutifs aux récentes tempêtes serait réduit à 5,5 %.

M. Maurice Blin a reconnu que le choix prioritaire de baisser les impôts grâce aux surplus financiers abusivement dénommés " cagnotte " répondait à l'attente de la majorité des Français, mais il s'est inquiété que cela ne conduise à intensifier la consommation intérieure, qui est forte. Il a déploré, en revanche, qu'aucune mesure n'ait été décidée en faveur des investissements publics, alors qu'ils enregistraient un retard sur leur évolution souhaitable, notamment dans le domaine militaire, comme dans celui des infrastructures routières. Enfin, M. Maurice Blin a regretté qu'un effort plus significatif ne soit pas consacré à la résorption des déficits publics.

M. Jean-Pierre Demerliat a rappelé qu'il était l'élu d'un département, la Haute-Vienne, qui avait été durement affecté par la tempête de décembre 1999, et a souligné la nécessité d'aider les petites communes à effectuer les travaux qui en découlaient. Il s'est félicité que les aides cumulables à leur profit puissent être rapidement portées, par décret, de 80 % à 100 % du montant de ces travaux.

M. Michel Charasse a souligné la persistance des pertes enregistrées en matière de perception de TVA intra-communautaire, et a demandé qu'une évaluation en soit effectuée, ainsi que de la répercussion concrète des baisses de TVA intervenues d'abord dans le bâtiment, de 20,6 % à 5,5 %, puis du taux normal, de 20,6 % à 19,6 %. Il a également souhaité que soit effectuée une estimation de l'impact économique des baisses successives du déficit enregistré en 1999 et prévue pour 2000.

Évoquant les impôts locaux, il s'est inquiété du sort réservé à la révision des bases cadastrales, effectuée au début des années 90 sans avoir reçu depuis d'application.

M. Michel Charasse a enfin estimé que le collectif était largement fondé sur la nécessité de financer les travaux consécutifs aux tempêtes, et a interrogé le ministre sur le sort qui serait réservé par les comptables publics aux travaux entrepris par les communes dans l'urgence et qui n'ont pu, de ce fait, respecter les règles des marchés publics.

Concluant cette série de questions, le président Alain Lambert a souhaité connaître le sentiment du ministre sur une baisse des impôts dans une situation de déficit budgétaire élevé, rappelant que, dans le cas présent, ces réductions ne pourraient être financées que par emprunt.

En réponse aux différents intervenants, M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a apporté les précisions suivantes :

- le déficit public s'analyse comme des impôts payables dans le futur, et doit être impérativement réduit ;

- la taxe d'habitation ne sera plus modifiée sous l'actuel Gouvernement, et sa juste et entière compensation sera calculée à partir de l'évolution de la dotation globale de fonctionnement ;

- le Fonds monétaire international (FMI) a estimé, lors de sa récente réunion de printemps, que l'euro était sous-évalué d'environ 30 %. Cette faiblesse de l'euro est consécutive à la forte appréciation du dollar, ainsi qu'à sa relative nouveauté, dans une zone qui n'a pas totalement achevé son unité économique et politique. Sa création a été, néanmoins, une décision majeure, et cette devise se renforcera avec la cohésion croissante de l'Union européenne. La situation économique de l'Union serait notablement améliorée par une appréciation de l'euro, car sa faiblesse persistante risque de conduire la Banque centrale européenne à relever ses taux d'intérêt, ce qui entraverait la reprise économique de l'Europe, dont les éléments fondamentaux sont positifs ;

- l'administration des finances est d'une compétence incontestée, mais elle souhaite qu'un projet d'ensemble soit défini sur son avenir. S'il est regrettable que la réforme récemment envisagée n'ait pu être appliquée, cela ne signifie pas que le statu quo prévale ; d'ailleurs, le récent comité technique paritaire réuni à Bercy a permis aux différents syndicats d'exprimer leur souhait d'une telle évolution. Celle-ci est, en toute hypothèse, rendue inéluctable par la perspective de départ à la retraite, dans les 10 ans, de 40 %, des 200.000 agents des finances. Avant la fin de la semaine en cours, une " réforme-modernisation " sera proposée par le gouvernement ;

- l'effort de rationalisation des futurs débats parlementaires portera sur la liaison entre le projet de loi de règlement du budget de 1998 et le débat d'orientation budgétaire ;

- la crainte d'une moindre rigueur budgétaire est infondée, car tant l'existence d'un déficit marqué que celle des contraintes européennes l'excluent ;

- la baisse de la taxe d'habitation ne peut être assimilée mécaniquement à un recul de l'autonomie des collectivités territoriales. Il est, en toute hypothèse, exclu que d'autres modifications soient apportées à cette taxe d'ici à la fin de la présente législature ;

- la révision des bases cadastrales n'a pu être traduite dans les faits, car elle risquerait de pénaliser injustement une population modeste résidant en zone pavillonnaire au profit d'une population, également modeste, résidant dans le parc social public ;

- la baisse du taux de TVA sur les travaux forestiers s'appliquera, rétroactivement, à compter du 1er janvier 2000 ;

- la répercussion de l'ensemble des baisses de TVA est évaluée, par l'INSEE, à une diminution annuelle des prix de 0,3 % ;

- une baisse du déficit budgétaire d'environ 60 milliards de francs pourrait entraîner une réduction d'environ 3,5 milliards de francs de la charge de la dette ;

- les maires ayant dû recourir à des travaux d'urgence en raison des intempéries ne seront pas pénalisés, et leurs difficultés éventuelles, traitées au cas par cas ;

- plus largement, la réglementation en matière de marchés publics fera l'objet d'une prochaine réforme par voie réglementaire, qui portera notamment sur les problèmes spécifiques rencontrés par les petites et moyennes entreprises, et par les élus locaux.

Jeudi 27 avril 2000

- Présidence de M. Alain Lambert, président, puis de M. François Trucy, secrétaire.

Ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances - Audition de M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes

La commission a procédé à l'audition de M. Pierre Joxe, Premier président de laCour des comptes, sur l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.

M. Pierre Joxe a estimé que, depuis longtemps déjà, on avait pris conscience de la nécessité d'une réforme de l'ordonnance portant loi organique de 1959 et s'est ainsi félicité de ce que les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat réfléchissent sur ce sujet. Il a rappelé que la loi organique sur les lois de finances a été prise par ordonnance, dans le cadre des mesures transitoires prévues par la Constitution de 1958, et a été préparée par des hommes marqués par le contexte de la IVe République, comme la pratique des douzièmes provisoires. Il a constaté que ce texte n'avait pourtant presque pas été modifié depuis quarante ans. Il a voulu souligner qu'il n'appartenait pas à la Cour des comptes de proposer des aménagements à l'ordonnance organique : si une conception extensive de son rôle peut autoriser la Cour à répondre à des questions du Parlement sur ce sujet, ces réponses ne peuvent en aucun cas revêtir le caractère de position officielle de la Cour. Il s'agit d'une participation intellectuelle à un débat dont les termes ne sont pas encore bien fixés.

M. Pierre Joxe a présenté la réforme de l'ordonnance organique autour de trois observations : la péremption du texte, le besoin de précision et celui de comparaison. Il a ainsi fait observer que l'ordonnance organique est périmée pour des raisons de fond : en quarante ans, la France a considérablement changé ; l'Etat se retrouve soumis à des contraintes que l'on ne pouvait imaginer en 1959 ; la loi de financement de la sécurité sociale a bouleversé le champ des finances publiques. Il a souligné la nécessité d'une comptabilité publique modernisée dans le sens d'une plus grande précision, le périmètre des comptes ayant lui aussi considérablement évolué depuis 1959. Il a notamment regretté l'absence d'image consolidée des engagements de l'Etat, du fait de l'absence de comptabilité patrimoniale ou de pluriannualité, et de la multiplication des démembrements budgétaires. Enfin, il a recommandé de s'inspirer, pour l'évolution de notre droit financier et budgétaire, de comparaisons internationales. Il a donné l'exemple du Royaume-Uni et de l'Allemagne, où le problème de la comptabilité patrimoniale est aussi à l'ordre du jour, ou bien de la Suède, où un programme triennal de finances publiques a force de loi.

Il a conclu sur la nécessité d'améliorer la transparence des finances publiques et de faire progresser la sincérité des comptes.

M. Alain Lambert, président, a indiqué que l'intention de la commission des finances du Sénat est de respecter les dispositions constitutionnelles et, dans l'esprit de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, de permettre aux citoyens, par leurs représentants, de constater la nécessité des contributions publiques, de redonner son sens au consentement de l'impôt, à l'autorisation budgétaire et à son respect, bref, de donner à tous une vision complète des finances publiques et, ainsi, de revenir à la source de la légitimité parlementaire.

M. Alain Lambert, président, a rappelé que l'article 47 de la Constitution confiait à la Cour des comptes une mission d'assistance du Gouvernement comme du Parlement. Il a souhaité savoir comment l'on pouvait envisager d'enrichir cette assistance sans provoquer de déséquilibres institutionnels. Il a également voulu obtenir des précisions sur les procédures et les prérogatives dont dispose la Cour des comptes pour se faire communiquer les documents comptables internes des différents ministères. Le président a rappelé que les documents budgétaires ne permettaient pas de connaître le nombre d'emplois publics effectifs, ce qui constitue une lacune essentielle pour l'exercice du contrôle par le Parlement. Il a souhaité connaître les principales conclusions du comité central d'enquête sur le coût et le rendement des services publics. Il a insisté sur l'importance des débudgétisations et a souhaité connaître les propositions de la Cour des comptes pour définir un périmètre constant des finances de l'Etat. Enfin, il a souligné la nécessité de disposer d'une consolidation des dépenses des administrations publiques et des organismes de sécurité sociale.

En réponse au président, M. Pierre Joxe a rappelé que la Cour des comptes disposait de toutes les prérogatives nécessaires afin d'obtenir communication des différents documents budgétaires internes aux ministères. Il a suggéré que la Cour des comptes pourrait être invitée à donner un avis technique sur le projet de loi de finances, tout en soulignant qu'il ne s'agissait pas d'une demande de la Cour. Il a également souligné que la comptabilité patrimoniale de l'Etat, préconisée de longue date par la commission des finances du Sénat, commençait progressivement à être mise en oeuvre, notamment suite au rapport de M. Jean-Jacques François. Concernant le comité central d'enquête sur le coût et le rendement des services publics, il a considéré que ses missions pourraient être exercées directement par la Cour des comptes. Il a indiqué que la circulaire du Premier ministre demandant la réalisation de rapports d'activité dans chaque ministère était inspirée directement des travaux du comité. Il a rappelé que l'évaluation constituait une des faiblesses majeures du système français, cette question soulevant cependant le problème de la distinction entre la critique politique de l'action gouvernementale et l'efficacité de sa mise en oeuvre. Il a souligné les vertus du système américain, où l'auditeur général mène des investigations poussées, qui suscitent des débats importants sur la mise en oeuvre des politiques publiques.

M. François Logerot, président de la première chambre de la Cour des comptes, a rappelé que le contrôle de la Cour sur l'exécution du budget de l'Etat était fortement contraint par le respect des impératifs calendaires. Il a constaté que la déclaration générale de conformité rendue par la Cour des comptes se limitait à une vérification formelle de la conformité des comptabilités des comptables supérieurs du Trésor au compte général de l'administration des finances, et ne constitue donc aucunement une certification des comptes de l'Etat. Il a souligné que les progrès en la matière étaient subordonnés à une amélioration de la présentation comptable de l'Etat. Il a indiqué que la comptabilité de l'Etat ne permettait pas de déterminer exactement l'affectation des dépenses et recettes effectuées en fin d'exercice, ce qui nécessitait un contrôle approfondi de la Cour des comptes sur les opérations en fin de gestion.

M. François Logerot a noté qu'en matière d'emplois publics, une grande divergence existait entre l'autorisation budgétaire accordée par le Parlement et la réalité, ainsi que l'a révélé le rapport récent de la Cour des comptes sur la fonction publique rendu public en janvier. Il a observé que la détermination des emplois effectivement occupés résultait souvent d'un arrangement entre les contrôleurs financiers et les directeurs du personnel des ministères, la compensation budgétaire étant permise par des lignes d'ajustement, dont le contenu et l'utilisation sont difficiles à déceler. Il a ensuite présenté les pistes de réflexion de la Cour des comptes afin de garantir un meilleur respect de l'autorisation budgétaire donnée par le Parlement. Concernant les dépenses de personnel, il a suggéré que l'autorisation porte sur des dotations plus globalisées, et que les procédures de transformation d'emplois soient assouplies afin de permettre des ajustements en cours d'année. Il a rappelé que la Cour des comptes décrit depuis plusieurs années les débudgétisations dans ses rapports annuels, dont les structures de défaisance constituent l'un des exemples les plus flagrants. Il a estimé qu'une présentation consolidée des comptes de l'Etat permettrait d'amoindrir les effets de ces débudgétisations.

M. François Logerot a considéré que la notion de charges permanentes de l'Etat ne devait pas être abandonnée, mais formulée différemment au vu de la configuration actuelle du budget de l'Etat. Par exemple, de nombreux fonds de concours, dont l'incidence financière n'apparaît qu'en exécution, devraient en effet être réintégrés dans le périmètre des charges permanentes. S'agissant de la distinction entre investissement et fonctionnement, il a estimé qu'elle permettrait une présentation plus lisible des opérations budgétaires, en faisant apparaître l'intégralité des ressources permettant d'atteindre l'équilibre. En effet, l'autorisation générale d'emprunt accordée par le Parlement ne permet pas à celui-ci de connaître avec précision les ressources prévisionnelles d'emprunt de l'Etat, comme cela peut être le cas pour les collectivités locales.

M. Bernard Cieutat, conseiller-maître, a considéré que la modernisation de la comptabilité publique constituait un enjeu central, les comptes de l'Etat dérogeant à l'excès aux règles comptables de droit commun. Il a estimé que, de ce fait, les processus d'évaluation de l'efficacité de l'Etat se trouvaient sérieusement entravés. Il a préconisé un rapprochement des règles de la comptabilité publique avec celles de la comptabilité générale en insistant sur la nécessité, d'une part, d'instaurer une comptabilité en droits constatés et, d'autre part, d'établir une annexe à la loi de finances contenant des informations sur le " hors-bilan " de l'Etat et sur les modifications de méthode comptables éventuellement appliquées. Il a enfin observé que le Gouvernement avait pris quelques engagements en ce sens et que la Cour des comptes serait appelée à examiner les conditions de leur mise en oeuvre dans le compte général de l'administration des finances pour 1999 qui vient d'être établi.

M. Jacques Oudin a d'abord rappelé qu'une pratique intéressante de rationalisation des choix budgétaires s'était autrefois instaurée au cours de plusieurs exercices successifs, qui avait eu pour heureux effet de déboucher sur la confection de budgets de programmes par ministère. Il s'est interrogé sur les raisons pour lesquelles cette saine méthode avait, depuis, cessé.

Ayant illustré les effets néfastes des défauts d'évaluation des politiques publiques par l'exemple de la sécurité maritime, il a déploré l'absence de toute culture d'évaluation dans la sphère publique. Il a alors observé que la multiplication des mises à dispositions de fonctionnaires vidait de son sens l'autorisation parlementaire donnée en matière d'emplois publics et a suggéré de mieux encadrer ces pratiques dans la loi organique. Ayant jugé qu'une présentation du budget de l'Etat à l'équilibre accroîtrait sa transparence il a souhaité en ce sens que soient mieux prises en compte les finances des démembrements de l'Etat, ainsi que les exigences d'une comptabilisation sincère des opérations.

M. François Trucy, après avoir dénoncé l'opacité des documents budgétaires et les lacunes de la procédure d'examen des lois de finances au Parlement, s'est demandé comment y remédier.

M. Pierre Joxe, Premier président, a indiqué qu'une discussion parlementaire axée sur les politiques publiques serait de nature à renouveler l'intérêt de l'examen du budget par le Parlement. Il a ajouté que, plutôt que d'interdire les mises à disposition de fonctionnaires il convenait de les encadrer et d'en faire rendre compte.

M. Maurice Blin a abondé dans le sens des propos tenus sur l'opacité budgétaire de l'Etat. Il a suggéré que les réformes éventuellement apportées à l'ordonnance puissent s'appuyer sur les modèles étrangers, insistant pour que soit recherchée une conciliation entre les droits du Parlement et la souplesse nécessaire à tout gouvernement.

M. Michel Charasse ayant rappelé que la réforme de l'ordonnance était en chantier depuis sa naissance sans avoir jamais abouti, s'est inquiété de la faisabilité d'un tel projet. Il a estimé qu'il ne devait pas s'agir de mettre en cause les dispositions constitutionnelles et en particulier celles conférant au Gouvernement l'initiative en matière de lois de finances, ou encadrant l'initiative parlementaire en matière de dépenses. Il a alors considéré qu'en revanche il convenait de se pencher sur plusieurs dispositifs. Il a d'abord dénoncé les pouvoirs excessifs donnés au Gouvernement par l'article 4 de l'ordonnance en matière de taxes parafiscales. Il a ensuite évoqué la présentation de la loi de finances, la répartition des crédits, l'information donnée en matière d'emplois publics, certaines affectations comptables, le formalisme des règles aisément contournées tels la spécialisation et le caractère limitatif des crédits ou la règle du service fait comme autant d'aspects à examiner soigneusement. Il a alors suggéré de s'interroger sur les causes des nombreuses infractions à l'ordonnance portant loi organique, afin d'en déterminer les raisons profondes et d'identifier les règles qu'elle comporte susceptibles de nuire à l'efficacité de l'Etat.

Il a indiqué que plusieurs des dispositions du règlement relatif à la comptabilité publique pourraient utilement figurer dans l'ordonnance portant loi organique. Il a enfin insisté sur la relativité de la portée des textes juridiques, dès lors qu'un contrôle " a posteriori " rigoureux n'était pas effectué par les parlementaires. Evoquant son action de rapporteur spécial en la matière, il a estimé qu'elle pourrait être démultipliée si davantage de moyens lui étaient accordés. Il a alors préconisé que la mission d'assistance du Parlement par la Cour des comptes puisse être plus effective, estimant que la création, au sein de la Cour, d'une chambre dédiée à l'assistance au Parlement pourrait constituer un progrès en ce sens.

M. Jacques-Richard Delong s'est demandé si l'instauration d'un avis de la Cour des comptes sur le projet de loi de finances ne pourrait pas constituer une contrainte supplémentaire pour le Parlement.

M. François Logerot a répondu aux différents orateurs. S'agissant des rôles respectifs de l'exécutif et du législatif en matière de discussion des lois de finances, il a estimé que la Cour n'avait pas à prendre position sur ce qui relève de l'équilibre institutionnel de la Ve République. Il a considéré qu'il fallait en réalité ne revoir dans l'ordonnance portant loi organique que ce qui n'est plus adapté, et n'y rajouter que ce qui y manque : par exemple, tirer les conséquences de la création de la notion de prélèvement sur recettes. Il a estimé que certaines dispositions de l'ordonnance auraient peut-être été censurées par le Conseil constitutionnel s'il avait eu à en connaître. A propos des budgets de programme, il a fait remarquer que si cette expérience n'a pas eu de suite durable, elle n'a pas non plus empêché le Gouvernement de faire des efforts de présentation budgétaire, notamment par le biais des agrégats, même si ceux-ci recouvrent plus des structures que des politiques. Il a indiqué à M. Michel Charasse qu'il transmettrait à M. Pierre Joxe l'idée de créer une chambre spécialisée de la Cour pour répondre aux demandes d'enquêtes des parlementaires. Enfin, sur l'avis technique rendu par la Cour des comptes sur les projets de loi de finances, il a estimé que cette proposition, qui constituerait une nouveauté considérable dont on ne mesure pas encore bien les conséquences, ne pourrait se faire convenablement qu'en permettant à la Cour d'accéder aux dossiers préparatoires d'élaboration des lois de finances.

M. Bernard Cieutat est revenu sur la question de la distinction entre une section de fonctionnement et une section d'investissement, pour se déclarer favorable à cette évolution, tout en restant réservé sur des règles d'équilibre séparées et contraignantes qui relèvent de choix politiques. Enfin, il a estimé nécessaire de consolider davantage les comptes entre l'Etat et ses démembrements que constituent bon nombre d'établissements publics à ressources affectées.