REUNION DE LA DELEGATION DU MERCREDI 24 JANVIER 2001
Institutions communautaires
Rapport de M. Hubert Haenel sur le traité de Nice
Rapport de M. Hubert Haenel sur le traité de Nice
Résumé du rapport
Le traité de
Nice a pour objet de rendre les institutions européennes plus légitimes et
plus
efficaces dans la perspective de l'élargissement de l'Union, qui va passer
de quinze à
vingt-sept membres.
I. LA COMMISSION EUROPÉENNE
· Les règles de composition de la Commission sont réformées en
trois
étapes :
- jusqu'au 1er janvier 2005, les règles actuelles
continueront à
s'appliquer (les " grands " Etats membres
désignent deux
commissaires, les autres en désignent un seul) ;
- du 1er janvier 2005 jusqu'à la fin du processus
d'élargissement
en cours avec douze pays, il y aura un commissaire par Etat membre ;
- lorsque ce processus sera achevé, c'est-à-dire après l'adhésion du
27ème membre,
le Conseil décidera à l'unanimité de plafonner le nombre des membres de la
Commission
à un chiffre inférieur à 27. Les Etats membres auront par rotation le droit
de
désigner un commissaire sur une base strictement égalitaire.
· Le président de la Commission et le collège des commissaires
seront
désormais nommés à la majorité qualifiée par le Conseil.
· Le président de la Commission sera désormais doté de larges
pouvoirs.
Il répartira les responsabilités au sein de la Commission et pourra
remanier cette
répartition. Il aura un pouvoir hiérarchique sur les commissaires, et
pourra mettre fin
aux fonctions d'un des membres de la Commission, après autorisation du
collège statuant
à la majorité simple.
II. LE CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE
Le Traité de Nice modifie les conditions dans lesquelles le Conseil prend
ses décisions.
La pondération des votes est revue dans le sens d'un rééquilibrage.
Les
nouvelles règles, qui entreront en vigueur au 1er janvier
2005,
augmentent le nombre de voix des Etats les plus peuplés, tout en continuant
à accorder
aux Etats les moins peuplés un nombre de voix nettement supérieur à leur
poids
démographique (cf. tableau 1).
Les règles pour obtenir la majorité qualifiée sont modifiées. Le
pourcentage de
voix nécessaire pour obtenir la majorité qualifiée va légèrement augmenter,
passant
de 71,3 % à 73,9 % des voix. Une mesure ne pourra être adoptée
que si elle
est approuvée par une majorité des Etats membres. Enfin, une clause de
vérification
démographique est mise en place : si un Etat membre le demande, il
sera nécessaire
de s'assurer que la majorité qualifiée représente bien au moins 62 %
de la
population de l'Union.
Le vote à la majorité qualifiée s'appliquera à de nouvelles
matières. Au
total, vingt-huit articles des traités sont concernés. L'unanimité reste la
règle en
matière de fiscalité, de sécurité sociale et de culture.
III. LE PARLEMENT EUROPÉEN
La composition du Parlement européen est revue. Dans l'Union de
vingt-sept Etats, il
comptera 732 membres. Les Etats les plus peuplés auront un député
pour
800 000 habitants environ. La répartition des sièges continuera à
favoriser les
Etats les moins peuplés (cf. tableau 2).
Par ailleurs, les pouvoirs du Parlement sont sensiblement accrus.
D'une part, la
procédure de codécision (dans laquelle le Parlement européen a les
mêmes
pouvoirs que le Conseil) s'appliquera à presque toutes les nouvelles
matières où le
Conseil statuera à la majorité qualifiée. D'autre part, le Parlement
européen reçoit
le pouvoir de saisir la Cour de justice dans les mêmes
conditions qu'un
Etat membre.
IV. LA COUR DE JUSTICE
La juridiction communautaire est profondément réformée.
La Cour de justice restera formée d'un juge par Etat membre. Mais elle
comprendra
désormais plusieurs formations. Elle pourra siéger en chambres (composées
de 3 ou
5 juges), en grande chambre (composée de 11 juges) ou en
assemblée plénière.
Les compétences du Tribunal de première instance sont élargies,
notamment, à
certaines catégories de recours préjudiciels. En contrepartie, des chambres
juridictionnelles pourront lui être adjointes pour connaître en première
instance de
certaines catégories de recours. Les chambres juridictionnelles seront
créées par
décision du Conseil statuant à l'unanimité.
V. LES COOPÉRATIONS RENFORCÉES
Le mécanisme des coopérations renforcées, destiné à permettre à certains
Etats
membres d'avancer plus rapidement dans l'intégration européenne sur des
sujets précis,
a été entièrement revu dans le traité de Nice. Toutefois, comme auparavant,
une
coopération renforcée ne pourra être lancée qu'en dernier ressort, s'il est
avéré
qu'il n'existe pas d'autre solution.
Alors qu'une coopération renforcée devait jusqu'à présent concerner la
majorité des
Etats membres, désormais elle devra réunir au moins huit Etats
membres, quel
que soit le nombre d'Etats membres de l'Union.
Dans le pilier communautaire, les Etats membres perdent leur pouvoir
de veto au
déclenchement d'une coopération renforcée. En revanche, l'accord de la
Commission
européenne reste indispensable ; de plus, l'avis conforme du
Parlement
européen devient nécessaire si la coopération renforcée porte sur un
domaine couvert
par la procédure de codécision.
Les coopérations renforcées sont introduites dans le deuxième pilier
(politique
extérieure et de sécurité commune). Cependant, dans ce domaine, les Etats
membres
disposent d'un pouvoir de veto. Les coopérations renforcées ne pourront pas
s'appliquer
aux questions de défense.
C'est dans le troisième pilier (coopération en matière de justice et
d'affaires
intérieures) que la procédure est la plus souple : ni l'accord de la
Commission, ni
celui du Parlement européen ne sont requis, tandis que les Etats membres
perdent leur
pouvoir de veto.
VI. LES POINTS ANNEXES
Le traité sur l'Union européenne prend désormais en compte le risque de
violation
des droits fondamentaux par un Etat membre, et non plus seulement le
cas d'une
violation avérée. Un nouveau paragraphe est ajouté à l'article 7 du traité
pour
permettre de faire face à ce type de situation.
Le traité reconnaît par ailleurs le rôle d'Eurojust pour le
développement de la
coopération judiciaire.
Enfin, il est modifié pour tenir compte des développements de la
politique
européenne de sécurité et de défense (PESD).
VII. LA DÉCLARATION SUR L'AVENIR DE L'UNION
La déclaration sur l'avenir de l'Union qui clôt le traité retient
quatre thèmes
pour la prochaine conférence intergouvernementale, qui aura lieu en
2004 :
- la délimitation des compétences entre l'Union et les Etats membres
et le principe
de subsidiarité ;
- le statut de la Charte ;
- la simplification des traités ;
- le rôle des Parlements nationaux dans l'architecture européenne.
Pour lire le texte intégral du Traité de Nice
Compte
rendu sommaire du débat
consécutif à la présentation du rapport
M. Hubert Haenel :
Quel jugement
porter sur le nouveau texte ? Il ne revient pas à la délégation pour
l'Union
européenne de se prononcer, dans un sens ou dans un autre, sur le point de
savoir s'il
convient ou non de ratifier le traité de Nice ; ce sera, le moment
venu, la
responsabilité de la commission des Affaires étrangères. Ce qui est plutôt
notre
tâche, c'est d'apporter une information objective sur le contenu du traité
et, aussi,
des éléments d'appréciation.
Pour ouvrir le débat, je souhaiterais faire quelques observations.
Le traité de Nice est très critiqué. C'est un traité qui aborde des
questions
institutionnelles et qui, donc, met en jeu les conceptions que chacun a de
la construction
européenne. Or, le traité de Nice est un compromis : personne ne peut
y retrouver
" sa " conception de l'Europe. Donc personne n'est
satisfait. Beaucoup
de critiques soulignent que le traité ne va pas assez loin, qu'il aurait
fallu doter
l'Union d'une Constitution, revoir les institutions de fond en comble.
Mais ce n'était pas le mandat de la Conférence intergouvernementale (CIG).
Elle avait
une liste précise de questions à traiter ; elle a pu ajouter quelques
points
supplémentaires, mais il n'y aurait pas eu d'accord entre les Etats membres
si l'on avait
voulu changer complètement de mandat en cours de route. Les questions à
traiter étaient
difficiles, parce qu'elles concernaient, finalement, la place de chaque
pays au sein de
l'Union. Et il faut garder à l'esprit que le traité d'Amsterdam n'avait pu
leur apporter
de solution.
Les gouvernements avaient donc très peu de marge de manoeuvre. On peut
prendre le
problème par n'importe quel bout, on ne pouvait guère arriver à un résultat
final
très différent. On est arrivé, en réalité, à un point d'équilibre :
c'était
ce traité ou rien.
Or, un échec aurait été très grave. On a souligné qu'il aurait pu provoquer
une crise
de confiance dans l'euro. Surtout, il aurait provoqué à coup sûr une crise
sérieuse
entre les Etats membres, ainsi qu'avec les pays candidats, parce qu'un
échec aurait
bloqué le processus d'élargissement. Est-ce qu'après une crise de ce type,
le contexte
aurait été plus favorable à une réforme ambitieuse ? C'est possible,
mais on ne
peut jouer l'avenir de l'Europe sur un coup de dés.
J'ajouterai que tous les traités européens ont provoqué les mêmes
commentaires
sévères et désabusés. Le traité d'Amsterdam avait été accueilli par un
déluge de
critiques. Celui de Maastricht avait été vertement critiqué par le
Parlement européen
dans la résolution qu'il lui avait consacrée. Si l'on remonte jusqu'à
l'Acte unique,
qui a eu l'importance que l'on sait pour le développement de la
Communauté , on
voit que la plupart des jugements concluaient que sa portée était très
faible. Il faut
donc savoir prendre un peu de recul.
La question principale, maintenant, est de savoir si, après le traité de
Nice, les
institutions de l'Union sont plus légitimes et plus efficaces, et surtout
mieux à même
de faire face à l'élargissement.
Pour ce qui est de la Commission européenne, le traité de Nice est,
en réalité,
profondément réformateur. Certes, le plafonnement du nombre de commissaires
est fixé à
un horizon lointain et un peu théorique, mais au fond là n'est pas
l'essentiel. Bien des
gouvernements fonctionnent de manière efficace avec 30 ou 35 membres ;
l'important
est qu'il y ait un chef de gouvernement qui assure l'unité d'action de son
équipe. Or,
ce sera le cas de la Commission après Nice : son président aura les
moyens d'une
véritable autorité, puisqu'il répartira les responsabilités, pourra
demander sa
démission à un commissaire, et disposera d'un pouvoir hiérarchique. De
plus, le
président sera choisi à la majorité qualifiée : rien n'obligera
désormais les
chefs d'Etat ou de gouvernement à s'aligner sur le plus petit dénominateur
commun. Tout
cela constitue une évolution très profonde. Les chefs d'Etat et de
gouvernement ont
voulu rendre à la Commission sa place dans le triangle institutionnel.
Pour ce qui est du Conseil, les nouvelles règles améliorent sa
légitimité, mais
risquent de ne pas renforcer son efficacité. La nouvelle pondération des
voix est un
progrès, même s'il s'agit d'un progrès relativement modeste, dans le sens
d'une
meilleure représentativité. La clause de " vérification
démographique " va dans le même sens : sans réforme, on
aurait pu
prendre des décisions, dans l'Union élargie, avec une majorité de voix
représentant à
peine 50 % de la population. Désormais, on pourra exiger qu'une mesure
recueille
l'assentiment des représentants de 62 % de la population. C'est une
sécurité pour les
" grands " Etats, en premier lieu l'Allemagne, mais en
réalité pour
tous les Etats les plus peuplés. Les " petits " Etats
ont obtenu, en
contrepartie, une clause stipulant que toute décision devra être approuvée
par une
majorité d'Etats membres. Cela permettra, le cas échéant, à une coalition de
" petits " Etats représentant moins de 12 % de la
population de
bloquer une décision. L'hypothèse est bien entendu un peu extrême, mais
elle montre que
le système n'écrase pas, loin de là, les Etats les moins peuplés. Dans
l'ensemble, la
légitimité du Conseil sort plutôt renforcée du nouveau traité. Sa
représentativité
se trouve améliorée, sans que les " petits " Etats
puissent se juger
marginalisés.
En revanche, si l'on prend le critère de l'efficacité, le bilan est plus
incertain. La
procédure de décision sera plus lourde qu'auparavant. Les décisions du
Conseil devront
toujours respecter deux critères : majorité des Etats membres,
majorité qualifiée
en nombre de voix, auxquels pourra s'ajouter un troisième critère :
majorité
démographique de 62 %. De plus, la majorité qualifiée sera un peu plus
difficile à
obtenir puisqu'il faudra près de 74 % des voix pour l'atteindre, au lieu de
71 %
aujourd'hui. Par ailleurs, la procédure de codécision avec le Parlement
européen
s'appliquera à de nouveaux domaines, devenant pratiquement la procédure de
droit commun.
Tout laisse donc à penser que le processus de décision sera, dans
l'ensemble, plus lent
qu'aujourd'hui.
Certes, un autre élément va dans le sens d'un progrès, c'est l'augmentation
du nombre
des domaines où le Conseil statuera à la majorité qualifiée. L'avancée
n'est pas
aussi grande qu'on aurait pu l'espérer dans l'absolu, mais beaucoup de
progrès avaient
déjà été réalisés par les traités précédents, et l'on atteignait un
" noyau dur " de matières sensibles pour certains
Etats, y compris le
nôtre. Le gain n'est donc pas négligeable. Il faut ajouter que dans un
certain nombre de
cas, il sera possible de passer à la majorité qualifiée sans réviser le
traité. C'est
le cas, depuis le traité d'Amsterdam, de la plupart des dispositions
concernant la libre
circulation des personnes, les visas, l'asile et l'immigration. Le traité
de Nice a
d'ores et déjà décidé d'un passage à la majorité qualifiée pour bon nombre
de ces
dispositions, mais la possibilité subsistera pour les autres. De plus,
cette possibilité
est étendue à certains aspects de la politique sociale. Finalement, on peut
dire qu'il
n'y a qu'un progrès limité dans le sens de l'efficacité. Le Conseil
décidera plus
souvent à la majorité qualifiée, mais la procédure de décision sera plus
lourde.
Il est vrai que l'efficacité repose en grande partie sur un bon
équilibre des
institutions. Depuis quelques années, cet équilibre est en évolution.
Le rôle du
Conseil européen s'est beaucoup affirmé, de même que celui du Parlement
européen ; en revanche, le Conseil des ministres, et surtout la
Commission, se sont
retrouvés plus en retrait. Qu'en sera-t-il après Nice ?
Il est difficile de savoir si le Conseil européen, qui fonctionne
sur la base du
consensus, pourra pleinement jouer son rôle quand il comptera vingt-sept
membres. Le
Conseil européen est en effet une institution étrange. Puisque son
fonctionnement repose
sur le consensus, chaque Etat devrait y compter autant qu'un autre, quelle
que soit sa
taille ; mais, de fait, il n'en va pas ainsi et chaque Etat y pèse de
son véritable
poids sur la scène européenne et internationale. L'augmentation du nombre
des
participants troublera-t-elle ce subtil mécanisme ? Il n'y a pas de
raison
déterminante de le penser et l'on peut donc estimer que le Conseil européen
continuera
de jouer un rôle moteur au sein de l'Union.
Pour ce qui est de la Commission, les négociateurs du traité ont
voulu aller dans
le sens d'un rétablissement de son rôle. Mais la solution retenue - en
pratique, un
commissaire par Etat membre - n'est pas sans risque. Ne peut-on
craindre que chaque
Etat se sente en quelque sorte représenté par " son "
commissaire ? La Commission serait alors, dans le processus de
décision, le seul
lieu où les Etats seraient représentés de manière égalitaire, ce qui est
d'ordinaire,
dans un système fédéral, le rôle traditionnellement dévolu à la deuxième
Chambre,
et non pas à un organe exécutif.
La contrepartie - et elle est importante - réside dans le pouvoir
hiérarchique
conféré au président de la Commission, le traité précisant nettement que
" les
membres de la Commission exercent les fonctions qui leur sont dévolues par
le président
sous l'autorité de celui-ci ", et le président ayant au
surplus la
possibilité de remanier la distribution des responsabilités au sein de la
Commission en
cours de mandat. Mais une des caractéristiques souvent soulignées de la
Commission tient
à son caractère collégial. Cette collégialité sera-t-elle compatible avec
un tel
renforcement des pouvoirs du président sur les membres de la
Commission ? La seule
mention, dans le traité, que le Président de la Commission
" décide de son
organisation interne afin d'assurer la cohérence, l'efficacité et la
collégialité de
son action " ne donne-t-elle pas à penser que cette
collégialité sera
désormais plutôt entendue dans le sens d'une solidarité de la Commission
vis-à-vis des
autres institutions ? N'y a-t-il pas là l'ébauche d'un changement
profond ?
Le Conseil risque, quant à lui, d'être affaibli par l'alourdissement
du processus
de décision. Il lui sera difficile d'entretenir un dialogue équilibré avec
le Parlement
européen, qui, pour sa part, ne subira pas de nouvelles contraintes.
Finalement, les nouvelles règles devraient permettre au Parlement
européen de
poursuivre sa montée en puissance. C'est pourquoi il me paraît regrettable
que le
traité de Nice ne contienne aucune disposition pour mieux encadrer les
travaux du
Parlement européen, je pense aux pouvoirs financiers et à une meilleure
distinction
entre la législation européenne proprement dite et les textes de caractère
technique.
Au total, on peut estimer que, après le traité de Nice, le processus de
décision
gagnera en légitimité, mais ne sera sans doute guère plus efficace
qu'aujourd'hui, et
que l'équilibre entre les institutions restera très fragile.
Ce résultat était relativement prévisible, et c'est pourquoi certains
avaient beaucoup
insisté sur les coopérations renforcées pour que les Etats les plus
allants
puissent constituer une sorte d'avant-garde. Le nouveau régime des
coopérations
renforcées est certes plus souple qu'auparavant, surtout pour le troisième
pilier. Mais
il reste tout de même très contraignant. Même avec les yeux de la foi, il
est difficile
d'y voir une véritable alternative aux lourdeurs de l'Union. C'est
seulement dans les
domaines de la justice et des affaires intérieures et dans certains
domaines de la PESC
que les coopérations renforcées seront véritablement en mesure de jouer
sans rencontrer
des rigidités très fortes.
Si je voulais risquer une appréciation d'ensemble, je serais tenté de dire
que le
traité de Nice contient des progrès réels, mais limités par rapport au
véritable
défi que constitue l'élargissement.
Je crois donc que la première conséquence que nous devons tirer du traité
de Nice,
c'est la nécessité de faire preuve de beaucoup de vigilance dans la
négociation de
l'élargissement. L'adhésion doit se faire sur la base de règles précises et
raisonnables, car, une fois l'élargissement réalisé, il sera difficile
d'effectuer des
ajustements.
La deuxième conséquence, c'est que l'Europe aura plus que jamais besoin
d'un couple
franco-allemand qui fonctionne, et qu'une relance dans cette direction
serait certainement
bienvenue.
M. Aymeri de Montesquiou :
L'ambition
assignée à la Conférence gouvernementale était d'abord d'améliorer
l'efficacité des
institutions. Or, la capacité de décision sera sans doute plutôt affaiblie.
Il y a là,
me semble-t-il, un échec.
Je m'interroge sur l'équilibre qui prévaudra dans la grande Europe. Les
pays du Nord de
l'Europe ont beaucoup poussé à l'élargissement et nous avons nous-mêmes été
sensibles à l'argument que, laissés en lisière de l'Union, les pays
d'Europe centrale
et orientale auraient risqué de passer sous la domination économique et
politique de
puissances extérieures à l'Europe. Mais, compte tenu de l'influence
allemande en Europe
centrale, la position de l'Allemagne dans l'Europe élargie sera très forte.
De plus, le renforcement des compétences du Parlement européen va
s'accompagner d'une
nouvelle répartition des sièges donnant un très grand poids à l'Allemagne.
Il y aura
là un levier d'influence d'une grande portée. J'ai été député au Parlement
européen, et j'ai constaté que, dans cette assemblée, les députés
allemands, comme
les britanniques et les espagnols, parvenaient à travailler efficacement et
à dépasser
leurs clivages, ce qui n'était pas le cas des français.
Déjà peu influents, les députés français vont être maintenant moins
nombreux, ce qui
va réduire encore leur influence. Il est vrai que la population de
l'Allemagne justifie
une plus forte représentation, mais elle paraît appelée à diminuer d'ici
dix ou vingt
ans. Le traité prévoit-il un correctif pour le cas où cette hypothèse se
réaliserait ?
M. Xavier de Villepin :
J'ai été
étonné par la sévérité de la presse allemande vis-à-vis de ce traité, alors
que
l'on estime généralement que l'Allemagne est au contraire fort bien servie.
D'une
manière générale, la réaction allemande m'intrigue. A la demande de
l'Allemagne,
l'acte final de la Conférence prévoit de traiter en priorité, dans les
prochaines
années, le problème de la répartition des compétences, apparemment pour
protéger
celles des Etats et des régions, et, quelques semaines plus tard, le
chancelier allemand
réclame une Constitution pour l'Europe, cela de plus à un moment où les
perspectives
d'échéances électorales en France ne prêtent guère à un tel débat. Je
discerne mal
le but poursuivi.
J'ai aussi certains regrets en considérant le résultat de la CIG. L'écart
entre
l'Allemagne et la France au Parlement européen me paraît un problème.
L'impossibilité
de lancer des coopérations renforcées en matière de défense me paraît
dommageable. Je
me demande encore pourquoi, dans la négociation, nous avons été si opposés
au système
de la double majorité car nous aurions sans doute pu ainsi éviter ce
considérable
accroissement relatif des députés européens allemands.
Enfin, je souhaiterais avoir des précisions sur les termes exacts du
compromis qui a
été entériné à Nice sur la fiscalité de l'épargne. S'il se confirme que son
application est subordonnée à un accord avec la Suisse, je crains que nous
soyons encore
loin du but.
M. Robert Del Picchia :
La Suisse reste
toujours aussi réticente ! Et l'approbation d'un accord de ce type par
la Suisse
supposerait de franchir un véritable parcours d'obstacles
institutionnel !
Sur le traité, je regrette que les dispositions concernant Eurojust soient
si peu
ambitieuses. Par ailleurs, j'ai noté que la nouvelle pondération des votes
n'entrerait
en vigueur qu'au 1er janvier 2005. Cela ne signifie-t-il
pas qu'il n'y
aura pas d'adhésion avant cette date ? Enfin, quel est le calendrier
prévu pour la
ratification ?
M. Xavier de Villepin :
Je rappelle que si un seul parlement national refuse de ratifier le traité, il ne pourra entrer en vigueur.
M. Hubert Haenel :
Il est vrai que
le poids de l'Allemagne dans l'Europe élargie est un problème. Mais ne
devions-nous pas
accepter de reconnaître ce poids accru pour que le couple franco-allemand
puisse être
relancé ?
Pour ce qui est du nombre des députés européens, il n'existe, dans le
traité, aucun
mécanisme correctif en cas de baisse de la population d'un pays ; cela
signifie
qu'il faudrait une nouvelle négociation et un nouveau traité pour procéder
à un
réajustement. Mais il faut noter que la diminution du nombre des députés
européens
français n'interviendra pas dès le prochain renouvellement du Parlement
européen, mais
qu'elle sera progressive, en fonction des nouvelles adhésions.
Pourquoi la France s'est-elle opposée au système de la double
majorité ? Parce que
ce système cumulait pour nous les inconvénients. Dans ce système, il faut
une majorité
d'Etats et une majorité de la population. Le critère de la majorité d'Etats
est très
favorable aux " petits " Etats : il permet à une
coalition
regroupant moins de 12 % de la population de l'Union de bloquer la
décision. Le
critère de la majorité de la population donne un poids plus grand à
l'Allemagne qu'à
la France, sans contrepartie. Au contraire, en mettant l'accent sur la
pondération des
votes, nous avons pu conserver sur ce point l'égalité avec l'Allemagne.
Mais la France a
dû accepter, dans le traité de Nice, que la repondération des votes se
combine avec les
critères de la double majorité : il faudra aussi une majorité des
Etats membres,
et, si un gouvernement le demande, une majorité démographique de 62 %.
C'est
pourquoi le nouveau système de décision est si compliqué.
Enfin, c'est la Grande-Bretagne qui a refusé que des coopérations
renforcées puissent
être mises en oeuvre en matière de défense. Je précise toutefois que des
coopérations
renforcées resteront toujours possibles dans ce domaine, dès lors qu'elles
s'effectueront en dehors des traités. C'est ce que nous avions appelé les
" coopérations parallèles " lors de nos travaux, en
1999, sur la
réforme des institutions de l'Union européenne.
M. Xavier de Villepin :
On a beaucoup dit que la Grande-Bretagne se montrait désormais très " allante " en matière de défense européenne. Mais cette disposition semble s'affaiblir avec le temps, comme le montre le choix d'une alliance avec les Etats-Unis pour les chasseurs de nouvelle génération.
M. Maurice Blin :
La
Grande-Bretagne n'a jamais vraiment accepté l'EADS (European Aeronautic
Defence and Space
Company) (1(*)). A-t-elle d'ailleurs jamais
abandonné sa
traditionnelle politique du balancier ? Pour préserver les intérêts
britanniques,
n'a-t-elle pas tendance à jouer tantôt l'Europe contre les Etats-Unis,
tantôt le
contraire ? Je crois que le Royaume-Uni n'aurait pu accepter les
coopérations
renforcées en matière de défense que si elle avait eu l'assurance d'être
chef de file.
Mais que la Grande-Bretagne participe aux côtés des Etats-Unis aux études
sur le
JSF 1 (Joint Strike Fighter one) (2(*))
n'est pas
encore décisif. La question principale est de savoir si elle construira cet
avion avec
les Etats-Unis. Ce serait grave, car, pour la nouvelle génération de
chasseurs, il est
nécessaire que l'Europe surmonte la division née de la concurrence entre le
Rafale et
l'Eurofighter. Il est vrai que, pour l'ATF, le Royaume-Uni est parvenu à
conserver un
pied dedans, et un pied dehors... Sa position est très forte, car dans le
domaine de la
défense, on ne peut se passer de lui.
M. Robert Del Picchia :
La Grande-Bretagne est le seul pays européen à augmenter son budget de défense.
M. Maurice Blin :
Je crois que nous sommes en train de commettre une grave erreur politique en diminuant notre propre budget de défense.
M. Hubert Haenel :
Je m'associe à
ce jugement.
Pour ce qui est d'Eurojust, le traité officialise son existence, mais
n'apporte aucune
précision supplémentaire. Des orientations claires font toujours défaut et
la mise en
place effective se fait attendre. Par rapport aux attentes des citoyens,
les progrès sont
dérisoires.
Le traité de Nice définit la pondération des voix au Conseil, à compter du
1er
janvier 2005, pour les quinze Etats membres actuels et pour les nouveaux
Etats membres. Si
certains candidats adhéraient à l'Union avant cette date, il reviendrait
aux traités
d'adhésion de prévoir des dispositions transitoires pour la pondération de
leurs voix
au Conseil jusqu'au 1er janvier 2005.
Enfin, en ce qui concerne le calendrier de ratification, nous savons
seulement que la
signature du traité est prévue pour le 26 février. Le traité
pourra-t-il être
ratifié en France avant l'été ? C'est possible puisqu'il ne semble pas
y avoir de
difficulté constitutionnelle. Mais la question est entre les mains du
Gouvernement.
*
A l'issue du débat, la délégation a approuvé le rapport (n° 202, 2000-2001).
Tableau 1 - Pondération des votes au Conseil
Etat |
Population |
Part de la population dans l'Union élargie |
Nombre actuel de voix |
Coefficient multiplicateur |
Nombre de voix |
Allemagne |
82,04 |
17,05 % |
10 |
2,9 |
29 |
Royaume-Uni |
59,25 |
12,31 % |
10 |
2,9 |
29 |
France |
58,97 |
12,25 % |
10 |
2,9 |
29 |
Italie |
57,61 |
11,97 % |
10 |
2,9 |
29 |
Espagne |
39,39 |
8,19 % |
8 |
3,375 |
27 |
Pologne |
38,67 |
8,04 % |
- |
- |
27 |
Roumanie |
22,49 |
4,67 % |
- |
- |
14 |
Pays-Bas |
15,76 |
3,28 % |
5 |
2,6 |
13 |
Grèce |
10,53 |
2,19 % |
5 |
2,4 |
12 |
République tchèque |
10,29 |
2,14 % |
- |
- |
12 |
Belgique |
10,21 |
2,12 % |
5 |
2,4 |
12 |
Hongrie |
10,09 |
2,10 % |
- |
- |
12 |
Portugal |
9,98 |
2,07 % |
5 |
2,4 |
12 |
Suède |
8,85 |
1,84 % |
4 |
2,5 |
10 |
Bulgarie |
8,23 |
1,71 % |
- |
- |
10 |
Autriche |
8,08 |
1,68 % |
4 |
2,5 |
10 |
Slovaquie |
5,39 |
1,12 % |
- |
- |
7 |
Danemark |
5,31 |
1,10 % |
3 |
2,33 |
7 |
Finlande |
5,16 |
1,07 % |
3 |
2,33 |
7 |
Irlande |
3,74 |
0,78 % |
3 |
2,33 |
7 |
Lituanie |
3,70 |
0,77 % |
- |
- |
7 |
Lettonie |
2,44 |
0,51 % |
- |
- |
4 |
Slovénie |
1,98 |
0,41 % |
- |
- |
4 |
Estonie |
1,45 |
0,30 % |
- |
- |
4 |
Chypre |
0,75 |
0,16 % |
- |
- |
4 |
Luxembourg |
0,43 |
0,09 % |
2 |
2 |
4 |
Malte |
0,38 |
0,08 % |
- |
- |
3 |
TOTAL |
481,18 |
100 % |
87 |
345 |
Tableau 2 - Composition du Parlement européen
Etats membres |
Population |
Nombre actuel de sièges |
Nombre de sièges dans l'Union à 27 |
Population |
Allemagne |
82,04 |
99 |
99 |
828.686 |
Royaume-Uni |
59,25 |
87 |
72 |
822.916 |
France |
58,97 |
87 |
72 |
819.027 |
Italie |
57,61 |
87 |
72 |
800.138 |
Espagne |
39,39 |
64 |
50 |
787.800 |
Pologne |
38,67 |
- |
50 |
773.400 |
Roumanie |
22,49 |
- |
33 |
681.515 |
Pays-Bas |
15,76 |
31 |
25 |
630.400 |
Grèce |
10,53 |
25 |
22 |
478.636 |
République tchèque |
10,29 |
- |
20 |
514.500 |
Belgique |
10,21 |
25 |
22 |
464.090 |
Hongrie |
10,09 |
- |
20 |
504.500 |
Portugal |
9,98 |
25 |
22 |
453.636 |
Suède |
8,85 |
22 |
18 |
491.666 |
Bulgarie |
8,23 |
- |
17 |
484.117 |
Autriche |
8,08 |
21 |
17 |
475.294 |
Slovaquie |
5,39 |
- |
13 |
414.615 |
Danemark |
5,31 |
16 |
13 |
408.461 |
Finlande |
5,16 |
16 |
13 |
396.923 |
Irlande |
3,74 |
15 |
12 |
311.666 |
Lituanie |
3,70 |
- |
12 |
308.333 |
Lettonie |
2,44 |
- |
8 |
305.000 |
Slovénie |
1,98 |
- |
7 |
282.857 |
Estonie |
1,45 |
- |
6 |
241.666 |
Chypre |
0,75 |
- |
6 |
125.000 |
Luxembourg |
0,43 |
6 |
6 |
71.666 |
Malte |
0,38 |
- |
5 |
76.000 |
TOTAL |
481,18 |
626 |
732 |
657.349 |
(1) La
société EADS est issue de la fusion entre Aerospatiale-Matra (France),
Construcciones
Aeronautic (Espagne) et Daimler-Chrysler-Dasa (Allemagne).
(2) Le JSF 1 est un projet anglo-américain d'avion polyvalent.