M. Antoine Lefèvre, rapporteur pour avis de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, prenant le relais de mon collègue rapporteur de la commission des affaires économiques, Olivier Rietmann, je commencerai par saluer l’examen de ce texte dans l’hémicycle aujourd’hui. Dans un contexte de hausse de la fraude, en particulier aux aides à la rénovation énergétique, il était nécessaire d’agir.
Le texte que nous examinons aujourd’hui constitue l’aboutissement de travaux menés par notre collègue député Thomas Cazenave lorsqu’il était ministre des comptes publics. Je suis bien conscient que ce texte ne constitue pas le Grand Soir de la lutte contre la fraude aux aides publiques.
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Antoine Lefèvre, rapporteur pour avis. Cependant, il contient plusieurs mesures intéressantes à cet égard, qui permettront – je l’espère – de faciliter le travail des services enquêteurs et d’enrayer les comportements frauduleux.
Les articles délégués au fond à la commission des finances sont les articles 2 à 2 quater, 3 bis C, 3 ter et 3 quater. Je présenterai par conséquent la position de la commission sur ces mesures.
D’abord, plusieurs dispositions assez consensuelles visent à faciliter l’échange d’informations entre acteurs de la lutte contre la fraude.
Il en va ainsi de l’article 2, qui prévoit notamment une clause générale permettant à l’ensemble des administrations d’échanger librement des informations en cas de suspicion de fraude, et plus spécifiquement aux agents préfectoraux de recevoir des informations des organismes de protection sociale.
De même, l’article 2 ter vise à faciliter l’accès des agents de l’Agence de services et de paiement (ASP) au fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba).
Les articles 2 bis et 2 quater visent, enfin, à renforcer les moyens d’enquête de Tracfin et de l’inspection générale des finances, grâce à l’extension de leur droit de communication.
Je suis favorable à l’adoption de ces articles, qui ont connu, pour certains, des améliorations légistiques et de fond lors de l’examen du texte en commission.
J’en viens maintenant aux articles 3 ter et 3 quater, qui prévoient des mesures d’encadrement de la sous-traitance sur le marché des travaux de rénovation. Ces articles ont suscité beaucoup de débats lors de leur examen par la commission des finances.
L’article 3 ter limite à deux rangs le nombre de sous-traitants pour la réalisation de travaux ouvrant droit à certaines aides à la rénovation énergétique telles que MaPrimeRénov’. L’article 3 quater, vise, quant à lui, à étendre cette limitation aux travaux ouvrant droit à MaPrimeAdapt’.
La commission s’est montrée favorable à cette mesure, qui apporte une réponse aux risques de fraudes qu’implique la sous-traitance en cascade.
L’article 3 ter prévoit également une obligation pour l’entreprise qui facture des travaux de rénovation énergétique de disposer du label Reconnu garant de l’environnement pour qu’un projet soit éligible aux aides publiques. Je précise que cette qualification, qui permet de garantir la qualité et la durabilité des travaux de rénovation, n’est aujourd’hui obligatoire que pour les entreprises qui réalisent effectivement ces travaux.
Il faut bien le reconnaître, cette disposition concerne davantage la structuration du marché de la rénovation énergétique que la lutte contre la fraude. Toutefois, la commission des finances s’est positionnée en faveur de cette mesure.
L’obligation de qualification RGE pour l’entreprise donneuse d’ordre présente en effet un certain intérêt puisqu’elle permet de limiter l’émergence sur le marché de la rénovation énergétique de sociétés opportunistes, qui sous-traitent des marchés à des entreprises RGE tout en ne disposant elles-mêmes d’aucune qualification.
J’avais toutefois alerté la commission des finances sur les risques qu’impliquerait l’introduction immédiate de cette disposition dans notre droit. Je souhaite réitérer cette mise en garde devant notre assemblée.
Une adoption précipitée de cette disposition aurait un effet néfaste sur l’offre de travaux de rénovation puisqu’elle conduirait à exclure du marché un certain nombre d’acteurs dont le modèle ne permet pas de disposer du label RGE. Je pense, notamment, aux grandes enseignes de bricolage. Il ressort de mes auditions qu’elles ne présentent pas de risque particulier de fraude. Or elles proposent des parcours de travaux dont la qualité semble reconnue par les consommateurs.
Il ne me semble pas opportun d’utiliser le prétexte de la lutte contre la fraude pour évincer ces acteurs du marché alors que, dans le même temps, les pouvoirs publics encouragent une politique ambitieuse d’incitation de nos concitoyens à rénover leurs logements.
Dans un esprit de compromis, la commission des finances a donc proposé de décaler la date d’entrée en vigueur de cette disposition au 1er janvier 2027 afin de laisser au Gouvernement le temps de définir des critères de qualification ad hoc pour ces entreprises par voie réglementaire.
Sans anticiper les débats que nous aurons tout à l’heure dans l’hémicycle, je relève que le Gouvernement propose de repousser l’entrée en vigueur de l’ensemble des dispositions des articles 3 ter et 3 quater au 1er janvier 2028.
Madame la ministre, comme je viens de le démontrer, je partage votre préoccupation sur l’importance de ne pas précipiter l’application de ces mesures afin d’éviter de déstabiliser le marché de la rénovation. Toutefois, la date d’entrée en vigueur que vous proposez me semble excessivement prudente…
Les sous-amendements que je présenterai à notre assemblée visent à préserver l’ambition initiale des articles 3 ter et 3 quater. Nous aurons l’occasion d’en débattre dans quelques instants. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
Demande de réserve
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. En application de l’article 44, alinéa 6, du règlement, je demande, au nom de la commission des affaires économiques, que l’examen de l’article 3 et des amendements portant articles additionnels après l’article 3 soit réservé après l’examen de l’article 3 quater, afin de permettre à Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire d’être présente pour l’examen de ces dispositions.
En effet, celles-ci reprennent pour l’essentiel, comme l’a dit le rapporteur Olivier Rietmann, la proposition de loi pour un démarchage téléphonique consenti et une protection renforcée des consommateurs contre les abus, qui avait été déposée par notre collègue Pierre-Jean Verzelen et votée ici au Sénat.
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’une demande de la commission tendant à réserver l’examen de l’article 3 et des amendements portant articles additionnels après l’article 3 jusqu’après l’article 3 quater de la proposition de loi.
Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la réserve est de droit, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve formulée par la commission ?
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a dit le rapporteur pour avis de la commission des finances, ce texte n’est pas le Grand Soir de la lutte contre la fraude aux aides publiques. On pourrait presque parler d’un texte Canada Dry. (Sourires.)
Il s’agit d’un texte d’opportunité, qui aborde deux sujets – le démarchage téléphonique et la rénovation énergétique – et comprend quelques autres dispositions. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement visant à revoir l’intitulé quelque peu ambitieux de la proposition de loi.
Madame la ministre, notre situation budgétaire, vous le savez bien, est absolument intenable. Plutôt que de prendre l’argent dans la poche des contribuables, prenez-le donc dans la poche des voleurs !
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. Pour cela, il faudrait un texte plus ambitieux de lutte contre toutes les fraudes, notamment les fraudes aux aides publiques. À cet égard, j’attends avec une certaine gourmandise le rapport de la commission d’enquête, créée sur l’initiative de nos collègues du groupe CRCE-K, sur ce sujet.
Madame la ministre, il faut écouter le Sénat et les parlementaires. Il est nécessaire de changer de logiciel : arrêtons d’ouvrir les robinets et de contrôler après. On a atteint des sommets avec les quotas carbone et les aides au chômage partiel.
Votre collègue Mme Pannier-Runacher avait refusé un certain nombre de nos amendements visant à exercer un contrôle, en particulier sur les déclarations sociales nominatives. Comme en témoigne le compte rendu intégral de nos débats du 19 juillet 2020 publié au Journal officiel, j’avais évoqué en présentant l’excellent amendement n° 535 rectifié le risque élevé de fraudes. Mme Pannier-Runacher m’avait répondu que ce ne serait pas le cas. Résultat : 89 000 contrôles, plusieurs centaines de millions d’euros de fraudes, et un peu d’argent récupéré. Je le redis : il faut arrêter de financer d’abord et de contrôler après.
Nous devons également cesser le déclaratif et exiger des sociétés candidates qu’elles respectent leurs obligations fiscales et sociales avant de toucher des aides d’État – c’est vraiment le minimum !
La proposition de loi ne traite pas un certain nombre de problèmes de fond, que la présidente Vermeillet et moi-même avions évoqués avec Thomas Cazenave lors de notre audition. Il faut notamment intervenir plus en amont.
À ce sujet, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce avait fait, dans un livre blanc, des propositions extrêmement intéressantes, qu’il aurait fallu reprendre : il faudrait donner plus de pouvoir aux greffiers pour contrôler certaines pièces, car c’est au moment de l’enregistrement des entreprises que débute le circuit frauduleux.
Les amendements reprenant ces propositions ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution. Ils avaient failli être votés dans le cadre de l’examen de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Cette fois-ci, je n’ai pas eu autant de chance, mais ce n’est pas grave et je ne vous en veux pas, monsieur le rapporteur !
M. Olivier Rietmann, rapporteur. Il faudra recommencer !
Mme Nathalie Goulet. La route est longue et, après dix-huit ans de mandat, j’ai l’habitude qu’un certain nombre de mes amendements soient retoqués… Cela ne m’empêche pas de continuer à les présenter.
M. Olivier Rietmann, rapporteur. C’est tout à votre honneur !
Mme Nathalie Goulet. D’ailleurs, tout ne va pas si mal puisque l’excellent rapporteur pour avis de la commission des finances est favorable à un amendement que j’ai déposé avec mon collègue Raphaël Daubet, au nom de la commission d’enquête aux fins d’évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée, commission dont le rapport sera, je le pense, extrêmement intéressant.
Madame la ministre, nous avons assez peu d’occasions de débattre des questions de fraude. J’attends un texte plus ambitieux et plus important. Je vous rappelle que les trois malheureuses dispositions que nous avons votées contre la fraude et l’évasion fiscales dans le projet de loi de finances ont été rabotées dans des conditions détestables, lors d’une deuxième délibération, un dimanche après-midi…
Mme Nathalie Goulet. Je le sais bien, mais moi j’étais là !
De mon point de vue, ce texte est une occasion manquée. Mais, je le redis, les occasions de parler de fraude sont trop rares. Nos travées sont d’ailleurs clairsemées, ce qui est dommage. Chaque occasion de parler de la fraude doit être saisie. Nous voterons donc ce texte, sur lequel j’ai déposé un certain nombre d’amendements que nous évoquerons plus tard. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Madame la ministre, je vous avoue que je ne comprends absolument pas votre intervention ! Vous venez de nous faire une grande déclaration sur « toutes les fraudes » aux aides publiques, sur l’évasion fiscale, en mélangeant tout.
Alors je sais que le temps est au goubli-boulga : plus personne ne travaille les sujets et on n’y comprend plus rien. Aussi, je suis désolé de vous le dire, mais une aide publique n’est pas une prestation sociale. Une prestation sociale, c’est un droit ouvert par des cotisations sociales. Une aide publique, c’est un dispositif fiscal que nous adoptons ici chaque année dans cet hémicycle. D’ailleurs, nous devrions nous demander à chaque fois s’il est nécessaire de renouveler ces aides, juger de leur efficacité et mettre fin à quelques-unes d’entre elles.
J’insiste sur ce point, un dispositif voté par le Parlement n’a rien à voir avec une prestation sociale ouverte par des cotisations ! Pour autant, il faut lutter contre toutes les fraudes. Mais si on se concentre sur les fraudes aux aides publiques, il ne faut pas mélanger les choses et parler de prestations sociales.
Nous avons, nous dit-on, une grande ambition. Là encore, pardon de vous le dire, mais alors qu’il existe 2 200 dispositifs, l’administration n’arrive même pas à fournir à la commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, dont je suis le rapporteur et Olivier Rietmann le président, un tableau général des aides accordées, entreprise par entreprise.
Une fois que nous aurons adopté cette proposition de loi, il faudra donner aux administrations centrales les moyens nécessaires pour réaliser a minima les contrôles. Vous faites partie d’un gouvernement qui, de budget en budget, depuis huit ans, a raboté les effectifs de la DGFiP (direction générale des finances publiques), …
Mme Nathalie Goulet. Oui !
M. Fabien Gay. … de la DGCCRF, etc. Je le redis, vous pouvez avoir une grande ambition, mais il faudra à un moment donné y mettre les moyens.
Si l’on veut une grande loi, il faut d’abord tout jauger, et commencer par les plus grosses fraudes : la première est l’évasion fiscale, qui représente, selon les estimations, 80 milliards à 100 milliards d’euros chaque année !
M. Daniel Fargeot. C’est plus !
M. Fabien Gay. La fraude aux cotisations sociales, c’est 5 milliards à 7 milliards d’euros.
M. Daniel Fargeot. C’est plus !
M. Fabien Gay. La fraude aux prestations sociales – elle existe –, c’est 3 milliards d’euros. Voilà la réalité ! Après s’être attaqué à la plus grosse fraude, il faudra s’en prendre à toutes les autres. Car, je le répète, aucune fraude, évidemment, n’est tolérable.
Cela dit, et après avoir entendu votre grand discours, venons-en aux faits, qui sont bien différents. En effet, la montagne a accouché d’une souris : nous allons parler de deux dispositifs – deux seulement ! –, et non pas de tous les sujets que vous avez évoqués.
Je salue le travail de notre rapporteur, Olivier Rietmann. Je suis absolument d’accord avec lui sur le démarchage téléphonique, qui est insupportable pour toutes les familles de France. Ce démarchage agressif, notamment en matière énergétique – le domaine que je connais le mieux –, qui continue malgré les lois votées, doit cesser. Il faut être intransigeant sur cette question.
Ensuite, il y a la fraude aux aides à la rénovation, qui touche beaucoup de gens : je pense notamment aux familles populaires, qui se retrouvent désemparées face aux travaux réalisés par des entreprises créées en un clic. Tracfin a estimé cette fraude à 400 millions d’euros : il faut absolument s’y attaquer, notamment au travers du dispositif MaPrimeRénov’ – 20 000 plaintes ont été déposées en 2023.
Enfin, il y a la fraude aux C2E, qui est évaluée à 480 millions d’euros.
Madame la ministre, les deux dispositifs mis en place par ce texte sont nécessaires : nous le voterons donc, évidemment. Mais ne nous vendez pas l’Himalaya de la lutte contre les fraudes pour finir avec la plaine du Pô ! (Sourires.)
Vous avez fait de grandes déclarations sur la lutte contre toutes les fraudes : or la décision du Gouvernement d’effacer l’amende fiscale du groupe Vivendi de 320 millions d’euros (Mme Nathalie Goulet opine.), malgré des erreurs délibérées dans les comptes, envoie un message délétère et renforce l’impunité des délinquants en col blanc.
Alors qu’il fait des déclarations extrêmement dures contre les fraudeurs sociaux – et, je le redis, il faut être intraitable contre toutes les fraudes – et les familles précaires, le Gouvernement ne peut pas effacer une ardoise de 320 millions d’euros du groupe Bolloré. C’est absolument insupportable !
J’ai dit ce que nous avions à dire. Nous irons au bout de ce texte, nous l’adopterons, mais il faudra inévitablement renforcer les moyens consacrés à la lutte contre les fraudes aux aides publiques dans les prochains budgets. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST, RDSE et UC. – M. Laurent Somon applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Grégory Blanc.
M. Grégory Blanc. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes nombreux, je le crois, à éprouver des sentiments mitigés sur ce texte.
Madame la ministre, j’ai eu l’impression tout à l’heure en vous écoutant parler de « la lutte contre toutes les fraudes aux aides publiques » que nous nous trouvions devant la vitrine alléchante d’un magasin, puis que nous découvrions en y entrant qu’il était quasiment vide. On n’y trouvait que les fraudes à la transition énergétique – les seules à être ciblées –, au fond à droite sur une petite étagère. (Mme Raymonde Poncet Monge s’amuse.)
Il est pour le moins iconoclaste de vouloir lutter contre toutes les fraudes pour ne finalement s’en prendre qu’aux fraudes relatives à la transition écologique, a fortiori au moment où le Gouvernement baisse de manière draconienne les aides en la matière…
Il faut tout de même le dire, le moteur du changement pour la transition écologique, c’est l’accompagnement des acteurs. Or, je le rappelle, la loi de finances pour 2025 prévoit une diminution de 20 % du budget de MaPrimeRénov’, qui est passé de 2,5 milliards d’euros à 2 milliards d’euros. Sans un soutien renforcé, les objectifs de la stratégie nationale bas carbone et du plan national d’adaptation au changement climatique ne pourront pas être atteints.
Lundi dernier encore, la ministre de la transition écologique annonçait pourtant vouloir conjuguer écologie et amélioration du quotidien des Français, en prônant une écologie « populaire ». Elle a insisté sur la nécessité de renforcer notre souveraineté, de soutenir l’industrie française et de rendre la transition énergétique accessible à tous. Nous partageons cet objectif.
Mais alors comment justifier la baisse des crédits octroyés à la rénovation énergétique ? Comment expliquer que, dans le même temps, le budget de MaPrimeRénov’ soit amputé de 500 millions d’euros ? Si nous voulons réellement aider les ménages à rénover leurs logements, réduire notre dépendance énergétique et soutenir le secteur de la construction locale, alors il faut des moyens concrets, et pas seulement des déclarations d’intention.
Je le rappelle, le secteur du bâtiment représente environ 45 % de la consommation d’énergie et près de 25 % des émissions de gaz à effet de serre. Plus de 5 millions de logements sont encore considérés comme des passoires thermiques.
Pourquoi dis-je tout cela ? Parce que nous devons correctement hiérarchiser les problèmes. La transition écologique est prioritaire et la lutte légitime et nécessaire contre la fraude ne doit pas devenir un paravent.
Cela a été dit, ce texte comporte plusieurs petites mesures utiles. Pour autant, nous déciderons de notre vote à l’issue de trois débats.
Le premier porte sur l’article 2. Il est inacceptable que, sous couvert de lutter contre les fraudes, on donne la possibilité aux préfectures de ne pas régulariser la situation d’étrangers sur le fondement d’une simple suspicion.
D’une part, comment peut-on condamner quelqu’un en se fondant uniquement sur une suspicion et non sur une fraude constatée ? C’est inconstitutionnel, et vous le savez.
D’autre part, si l’on veut lutter contre la fraude sociale, il faut encourager la déclaration plutôt que le travail clandestin. Ainsi, sur les 1,6 milliard d’euros de fraudes aux Urssaf détectés, seulement 128 millions d’euros sont récupérés. Si vous souhaitez vraiment agir, il faut améliorer le ciblage, mieux travailler sur l’immatriculation des entreprises étrangères, avancer sur leur adressage, sécuriser les obligations des plateformes numériques de déclarer et de prélever les cotisations des micro-entrepreneurs.
Bref, il faut un texte solide sur ce sujet et ne pas fragiliser par des cavaliers législatifs la faible ambition de cette proposition de loi de lutter contre la fraude aux aides énergétiques.
Le deuxième débat concerne le niveau de sous-traitance autorisé. Il faut raccourcir les circuits et mieux contrôler les responsabilités. Oui, autoriser deux rangs de sous-traitance est progrès ; passer à trois serait un recul.
Enfin, le dernier débat porte sur l’évaluation de l’efficience des travaux, et donc des aides. Pour nous, c’est simple : celui qui facture doit être celui qui fait le devis. Si n’importe quelle entreprise commerciale – on a parlé de magasins physiques, mais il peut aussi s’agir de plateformes numériques – peut réaliser des devis sans connaître les caractéristiques du bâtiment, alors la porte est ouverte à toutes les arnaques, sauf à contrôler la réception des travaux en faisant réaliser un diagnostic de performance énergétique (DPE) ou une évaluation de type Consuel pour l’électricité. Tel sera l’objet de nos amendements.
Je le dis clairement : si vous portez de deux à trois le nombre de rangs de sous-traitants, si vous conservez la possibilité de réaliser un devis à distance et si, en plus, vous reportez à 2028 l’entrée en vigueur des dispositions, alors il n’y aura plus de proposition de loi, car vous aurez altéré ce qui a permis le vote du texte à l’unanimité à l’Assemblée nationale.
En conclusion, nous voulons à la fois la transition écologique et la lutte contre la fraude. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Michau. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Jacques Michau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi contre les fraudes aux aides publiques, adoptée à l’Assemblée nationale en janvier dernier.
En introduction, je souhaite mettre l’accent sur un phénomène qui se développe, à savoir le recours aux propositions de loi alors que les textes émanent visiblement de l’exécutif. Rappelons que le premier signataire de ce texte est Thomas Cazenave, qui l’a déposé à l’Assemblée nationale quelques jours après la fin de ses fonctions ministérielles.
Les propositions de loi ne comportent malheureusement pas d’étude d’impact des dispositifs qu’ils comportent, ce qui est dommageable au regard de l’importance de ces textes. Aucun avis du Conseil d’État n’est prévu non plus.
Alors qu’elle comprenait initialement quatre articles, la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise en comporte quatre après lecture à l’Assemblée nationale ! En outre, le Gouvernement a déposé une douzaine d’amendements, dont plusieurs portant articles additionnels. Là encore, faute d’étude d’impact, d’avis du Conseil d’État et de temps, nos moyens de les expertiser sont limités.
En outre, et nous le regrettons, ce texte met en lumière le fait que le Gouvernement ne s’attaque pas véritablement à la fraude fiscale.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a toujours été favorable à la protection du consommateur et à la lutte contre la fraude aux aides publiques : c’est un impératif pour renforcer le consentement à l’impôt de nos concitoyens.
Dans le temps qui m’est imparti, j’aborderai certaines dispositions parmi les plus notables de cette proposition de loi figurant dans les articles examinés au fond par la commission des affaires économiques. J’évoquerai aussi quelques-uns des amendements de notre groupe. Je laisserai ma collègue Isabelle Briquet aborder les articles examinés pour avis par la commission des finances.
Ce texte permet ainsi de suspendre temporairement l’octroi ou le versement d’une aide publique en cas d’indices de manœuvres frauduleuses ou de manquement délibéré. Il prévoit également de rejeter expressément l’octroi ou le versement d’une aide lorsque la fraude est avérée. Je salue l’apport des députés socialistes sur ces points, qui ont sécurisé le dispositif juridique en précisant que les indices doivent être « sérieux », notion déjà consacrée par la jurisprudence.
Madame la ministre, il faudra cependant lever toutes les ambiguïtés sur le champ de la proposition de loi. Malgré les débats à l’Assemblée nationale, nous souhaitons être assurés que l’article 1er ne concerne que les fraudes aux aides publiques dans le secteur de la rénovation énergétique et les fraudes aux certificats d’économies d’énergie.
Nous sommes également favorables à l’augmentation du taux de pénalité appliqué à la somme à rembourser lorsque le bénéficiaire de l’aide l’a obtenue en fournissant des informations inexactes ou incomplètes.
Des dispositions de cette proposition de loi visent à lutter contre la fraude aux travaux de rénovation énergétique et d’adaptation à la perte d’autonomie avec des dispositions interdisant le démarchage, des obligations d’information relatives à la sous-traitance et à la détention du label RGE. Je défendrai des amendements tendant à interdire le démarchage à domicile dans le domaine de la rénovation énergétique, afin de mieux protéger les consommateurs concernés, souvent âgés.
Le renforcement de la lutte contre la fraude aux certificats d’économies d’énergie est un axe fort de cette proposition de loi. Le texte sécurise l’action du Pôle national des certificats d’économies d’énergie lors de ses contrôles, facilite la détection de fraudes lors de l’instruction des demandes de C2E et renforce la sanction que le Pôle peut prononcer.
Nous sommes favorables au renforcement du partage d’informations entre la DGCCRF et la Commission de régulation de l’énergie afin de mieux lutter contre la recrudescence de la fraude fiscale dans le secteur de l’énergie.
De même, nous approuvons les mesures qui renforcent les échanges de données entre la DGCCRF, l’Ademe, l’Anah, les organismes de qualification et le ministère de la justice. Je salue la volonté de conforter les missions de la DGCCRF, mais il faut renforcer ses moyens humains, en particulier pour lutter contre la fraude à MaPrimeRénov’ : tel est l’objet d’un de nos amendements.
J’approuve également le renforcement de la constatation des fraudes commises sur les compteurs communicants, renforcement très attendu par Enedis, GrDF, la CRE et le médiateur national de l’énergie. Nous proposerons un amendement visant à renforcer juridiquement le dispositif.
Notre groupe votera cette proposition de loi, sous réserve qu’elle ne soit pas dénaturée en séance ; la lutte contre la fraude aux aides publiques est en effet un impératif pour consolider notre État de droit. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)