M. le président. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, la Cour des comptes a choisi de consacrer son rapport public annuel 2025 aux politiques publiques destinées aux jeunes. Nous ne pouvons qu’approuver son paragraphe introductif : « Les politiques publiques en leur faveur ne sont pas seulement une réponse à des besoins immédiats. Elles constituent aussi un investissement stratégique pour bâtir une société plus équitable, résiliente et prospère. En accompagnant cette période charnière de la vie, ces politiques permettent à chaque jeune de réaliser son potentiel tout en renforçant la cohésion sociale et le progrès collectif. »

Monsieur le Premier président, le groupe RDPI vous remercie d’avoir choisi ce sujet. Dans un contexte mondial marqué par des transformations économiques et géopolitiques rapides ainsi que par des enjeux environnementaux croissants, il est essentiel de doter notre jeunesse des outils nécessaires pour relever ces défis.

L’État est le principal acteur dans ce domaine, auquel il consacre plus de 53 milliards d’euros, soit 12 % de son budget, via de nombreux programmes budgétaires, qui concernent presque tous les ministères.

D’autres acteurs interviennent également, comme les collectivités locales ou les organismes de sécurité sociale. Il en résulte une prolifération de dispositifs qui finit par rendre illisibles et complexes certaines de ces politiques, ce qui nuit à leur efficacité. Ainsi, de nombreux jeunes ne font pas appel aux programmes auxquels ils ont droit et ce sont malheureusement souvent ceux qui en ont le plus besoin.

En matière d’éducation, nous pourrions, au premier abord, nous féliciter du grand nombre de diplômés de l’enseignement supérieur : plus de la moitié de la génération sortie d’études en 2021, soit davantage que la moyenne européenne. Toutefois, cette situation cache d’importantes disparités régionales : les grandes métropoles font beaucoup mieux que les territoires ruraux ou ultramarins. Dans le même temps, nous sommes également au-dessus de la moyenne européenne pour le nombre de jeunes en difficulté ou à faible compétence.

Notre système éducatif reste très inégalitaire, avec des propositions d’orientation scolaire souvent influencées par le genre et l’origine sociale ou territoriale, ce qui laisse de côté une partie des jeunes, notamment dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

La transition vers la vie active peut également être difficile. Trop de jeunes peinent à s’insérer durablement sur le marché du travail et les freins à la mobilité accentuent ces difficultés. Pour autant, globalement, le chômage des jeunes connaît une baisse continue, ce qui traduit une réussite des politiques dans ce domaine. La généralisation de l’alternance est un progrès. Il nous faut toutefois, au regard de son coût, mieux la cibler et aller plus loin en multipliant les passerelles vers l’emploi durable et en adaptant nos dispositifs aux spécificités locales.

Justement, les outre-mer présentent nombre de ces spécificités et concentrent beaucoup des problèmes recensés.

Les jeunes ni en emploi, ni en étude, ni en formation y sont surreprésentés : 25 % de la jeunesse à La Réunion, jusqu’à 38 % en Guyane, contre 10 % au niveau national. Plus inquiétant, si nationalement ce taux baisse, il stagne depuis des années en outre-mer, et il augmente même en Guyane. Par ailleurs, l’illettrisme y est massif : de 30 % à 50 % des jeunes sont concernés, et la moitié d’une classe d’âge quitte le système scolaire sans diplôme autre que le brevet des collèges. Quel avenir pour des territoires où la jeunesse est si mal formée ?

Autre réalité spécifique aux outre-mer : beaucoup de jeunes quittent leur territoire d’origine pour se former, mais, faute de perspective professionnelle, c’est un départ sans retour. Ce mouvement dramatique pèse sur l’équilibre démographique, notamment aux Antilles, où la natalité ne compense pas cette perte. Il appauvrit globalement le territoire, avec une fuite des compétences souvent irréversible.

Je vous invite d’ailleurs, mes chers collègues, à prendre connaissance du rapport sur la jeunesse ultramarine de Rodolphe Alexandre, ancien président de la collectivité territoriale de Guyane, remis voilà tout juste un an à Marie Guévenoux, alors ministre déléguée chargée des outre-mer. Ses conclusions et recommandations sont proches de celles du rapport annuel de la Cour des comptes, notamment sur l’éparpillement et la superposition des aides et le non-recours.

Enfin, je dirai un mot sur les problématiques liées à la santé. Les problèmes d’addictions, de santé mentale, d’obésité et de précarité alimentaire, qui touchent une proportion inquiétante de jeunes, peuvent avoir des répercussions tout au long de leur vie. Une prise en charge précoce, avec des parcours de soins adaptés, est donc primordiale. Mais plus encore, nous devons avoir la volonté de mettre en place une politique de prévention ambitieuse.

C’est particulièrement frappant pour ce qui concerne les addictions. La consommation de drogues illicites et d’alcool est très élevée en France, au-dessus de la moyenne européenne. C’est un constat d’échec de notre politique. Le rapport évoque les pays du nord de l’Europe, comme le Danemark et l’Islande, qui ont montré qu’il était possible de faire baisser les consommations de manière importante par la prévention. Nous devons nous en inspirer et faire évoluer notre approche, aujourd’hui presque exclusivement répressive.

Notre incapacité à faire baisser la consommation de drogues a une incidence directe sur la réussite de nos politiques publiques. La criminalité liée aux trafics pour alimenter les consommateurs attire une frange de notre jeunesse, la détourne de l’éducation et la fait plonger dans la délinquance. Les territoires d’outre-mer qui se trouvent sur les nouvelles routes de ce trafic mondial paient déjà un lourd tribut.

Pour conclure, je remercie la Cour des comptes pour ce travail d’importance qui vient éclairer les failles de nos politiques à destination de la jeunesse. Des progrès restent à accomplir pour surmonter la persistance des inégalités et du déterminisme social. Il y a urgence si nous voulons atteindre les grands objectifs énoncés en introduction : préserver notre cohésion sociale et faire des jeunes d’aujourd’hui les acteurs des réussites de demain pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, la Cour des comptes consacre son rapport public annuel 2025 aux politiques publiques en faveur de la jeunesse. C’est un excellent choix, car le débat public se concentre trop souvent sur la question des retraites plutôt que sur celle de la réussite de notre jeunesse, qui incarne pourtant l’avenir de notre pays.

La période actuelle ayant des relents de guerre de plus en plus palpables, la paix est un horizon à reconquérir et l’hypothèse du retour de la conscription revient dans les débats. Dans ce contexte, il est réjouissant de constater que 50 % des jeunes de 18 à 30 ans seraient prêts à s’engager en cas de conflit – beaucoup plus qu’aux Pays-Bas ou en Allemagne – et que les candidats à la réserve citoyenne se bousculent.

Le rapport de la Cour dénombre 9 millions de jeunes âgés de 15 à 25 ans, soit 13,2 % de la population, et estime à 53,4 milliards d’euros le coût des politiques publiques en faveur de la jeunesse, soit 2 % du PIB.

Il ressort aussi de ce rapport que les situations sont très hétérogènes et les inégalités très fortes sur les plans économique, éducatif, territorial et social, selon que l’on est jeune rural, résident d’un quartier sensible ou métropolitain.

Comment ne pas s’inquiéter des 16 % de jeunes durablement éloignés de l’emploi et du taux de pauvreté de 10 % des 18-25 ans ? Les difficultés d’accès à l’enseignement supérieur, et même à l’apprentissage ou à l’alternance, sont aussi préoccupantes, qu’elles soient liées à l’absence de mobilité ou aux difficultés de logement.

Un chapitre du rapport traite de l’apprentissage de la citoyenneté. C’est pour moi le cœur du sujet. Ce n’est pas à 15 ou 18 ans que l’on apprend la République et le respect des règles du vivre ensemble. Tout se joue dès la prime enfance, dès l’école maternelle et primaire.

Une métaphore paysanne s’impose. Quand un vigneron met un tuteur à un pied de vigne, il faut le planter très tôt. Si l’on attend que le cep soit adulte, c’est trop tard. Il en va de même pour l’efficacité des politiques publiques pour la jeunesse.

L’école ne peut pas tout et, malgré ses efforts, son action ne porte que sur quatre jours par semaine et trente-six semaines par an.

Comment renouer avec les 10 % de jeunes exclus de l’emploi, avec ceux qui tombent dans la délinquance, la violence, ou avec ceux qui se sentent exclus des principes républicains de fraternité et d’égalité des droits ? De nombreux signaux d’alerte défraient l’actualité et nous interrogent.

Le service national universel (SNU) arrive beaucoup trop tardivement. Dans un rapport de 2024, vous aviez d’ailleurs porté, monsieur le Premier président, un regard sévère sur ce dispositif.

Victor Hugo invitait la République à favoriser chez les jeunes « un authentique savoir-être citoyen » et à recréer les conditions qui permettent d’élever « l’homme à la dignité de citoyen ».

Je propose d’innover en instaurant une nouvelle forme de tutorat pour tous les enfants dès l’âge de 3 ans, dès l’école maternelle. Reste à inventer la forme de ce dispositif qui devrait, selon moi, réunir l’école et la mairie, ces deux socles de notre République.

Cette mesure permettrait de renforcer l’adhésion précoce à la citoyenneté, de réduire les inégalités sociales, de prévenir l’échec scolaire et la petite délinquance, mais sans tomber dans une vision « bisounouresque ». Je tiens en effet à insister sur la responsabilité des parents – je serais favorable à ce que l’on impose un stage de parentalité en contrepartie du congé de naissance – et sur les nécessaires sanctions qui doivent accompagner tout manquement aux règles du vivre ensemble, sans attendre qu’il soit trop tard et qu’il faille envoyer des jeunes en prison. Ce vaste projet pourrait peut-être faire l’objet d’un prochain rapport annuel de la Cour des comptes consacré aux jeunes âgés de 3 à 15 ans…

En conclusion, je me réjouis que ce débat sans posture, sans dogmatisme, démontre une fois de plus la qualité du travail de notre assemblée. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir organisé ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Michel Canévet. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, le groupe Union Centriste remercie la Cour des comptes d’avoir réalisé ce travail consacré à la jeunesse, d’autant plus important que celle-ci a récemment connu des périodes difficiles.

La période de la pandémie de covid-19 a ainsi révélé différentes fractures au sein de la jeunesse. Il faut aussi mentionner les inquiétudes liées à la situation démographique préoccupante de notre pays – un phénomène qui s’observe également ailleurs –, avec des anciens de plus en plus nombreux et une natalité qui décroît.

Par ailleurs, les jeunes – et ils sont nombreux à nous écouter dans les tribunes du Sénat aujourd’hui – expriment de nombreuses inquiétudes quant à l’avenir.

Le président de la commission des finances rappelait voilà quelques instants que « la jeunesse n’est qu’un mot ». Les membres du groupe Union Centriste considèrent, pour leur part, que la jeunesse est surtout un état d’esprit, que nous partageons.

La Cour des comptes a formulé dans ce rapport six orientations, auxquelles nous souscrivons pour l’essentiel.

Il faut bien entendu accorder un soutien différencié aux jeunes les plus en difficulté.

Il est nécessaire de repenser les parcours de formation, qui ne donnent pas aujourd’hui entière satisfaction.

Comme l’ont rappelé plusieurs des orateurs qui m’ont précédé, il convient de mettre en place une stratégie de lutte contre les addictions.

Il faut rendre lisibles les différents dispositifs existants et les coordonner. La Cour rappelle que les actions à destination de la jeunesse représentent une dépense de 53 milliards d’euros, ce qui est tout à fait considérable. Cela représente, pour la part de l’État, 2 % de la richesse produite, comme l’a rappelé le rapporteur général de la commission des finances. Si l’on additionne l’ensemble des acteurs publics, 5 % de la richesse produite chaque année en France sont consacrés à notre jeunesse. Il est donc nécessaire de procéder, comme le fait régulièrement la Cour des comptes, à une évaluation de ces politiques publiques afin qu’elles soient les plus efficientes possible.

Afin que ces politiques soient aussi les plus cohérentes possible, une véritable stratégie nationale à destination des 9 millions de 15-25 ans est nécessaire.

Le rapport de la Cour aborde plusieurs aspects des actions menées en faveur des jeunes, et notamment la formation.

Nous devrons adapter les moyens consacrés à l’école, dans la mesure où le nombre de jeunes scolarisés diminue du fait de la baisse de la natalité, ce qui est d’ailleurs préoccupant pour l’avenir.

L’université est également en difficulté. Dans ces conditions, faut-il s’en tenir à la gratuité ? Les membres du groupe Union Centriste s’interrogent à cet égard, car il faut donner aux universités les moyens d’investir et de mener à bien des œuvres sociales visant à répondre aux besoins d’une majorité d’étudiants. Il convient aussi de trouver une solution à ce que l’on peut considérer comme un échec de l’université, à savoir le fait que, dans le premier cycle, un étudiant sur deux quitte son parcours de formation sans décrocher de diplôme.

Dans le domaine de l’orientation, la répartition des actions entre l’État et les régions n’est pas claire. Il serait bon de prévoir un chef de filat, afin de garantir une meilleure efficacité des dispositifs.

Le rapport n’aborde pas la question du collège. Les membres du groupe Union Centriste considèrent à cet égard qu’il faudrait recentrer les missions de ces établissements sur un certain nombre de matières fondamentales et de les impliquer davantage dans les domaines de l’action sportive et de la santé des jeunes.

Le sujet des décrocheurs constitue une véritable préoccupation. Même s’il a été identifié depuis très longtemps, force est de constater que 10 % des jeunes de cette classe d’âge sont en situation de décrochage. On ne saurait s’en satisfaire et l’accompagnement de ces jeunes par France Travail doit être plus soutenu, en lien avec les autorités académiques. Là aussi, les responsables doivent être précisément identifiés.

À défaut d’un tel accompagnement, ces jeunes risquent de se retrouver au chômage. Or, dans cette classe d’âge, le taux de chômage est, hélas ! particulièrement élevé, malgré les succès de l’alternance.

On compte en effet 1 million de jeunes en alternance, grâce à l’action résolue qui a pu être conduite en ce sens, mais il reste beaucoup à faire pour diminuer le niveau du chômage des jeunes.

La question du logement, également évoquée dans le rapport, ne concerne pas spécifiquement les jeunes. Soyons clairs, il s’agit d’un problème général dans notre pays. Pour autant, les propositions de logement destinées aux jeunes travailleurs ne sont pas suffisantes. Ainsi, peu de foyers de jeunes travailleurs ont été créés au cours des dernières années. La politique en ce domaine doit donc être repensée, même si le succès de la garantie Visale est à mettre au crédit de l’action gouvernementale.

Pour ce qui concerne les maisons des adolescents (MDA), à raison d’une seule de ces maisons par département, il n’est pas possible de répondre aux besoins. Il conviendrait donc de conférer davantage de moyens sociaux et médicaux aux établissements scolaires.

Le dernier point traité dans le rapport est la citoyenneté. Nous souscrivons à l’idée de repenser la Journée défense et citoyenneté, afin de tenir compte des ambitions que nous devons légitimement mettre en œuvre en la matière. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, la jeunesse est le miroir de notre société. Elle est plurielle, fragmentée, traversée de tensions et de luttes. Elle partage une même volonté : l’accès à l’éducation, à l’emploi, au logement, à l’autonomie.

Le rapport de la Cour des comptes nous rappelle la gravité de la situation de cette classe d’âge, notamment en termes de précarité et de souffrance psychologique. Qui peut ignorer ces files d’étudiants devant les Restos du Cœur ou l’augmentation inquiétante des troubles mentaux chez les 18-24 ans ? Le mal-être des jeunes est d’abord le produit d’un système politique qui, selon nous, a échoué.

Vous comprendrez que l’étendue de vos travaux, monsieur le Premier président, suscite de notre part une réflexion politique. Car ce mal-être est autant social que politique : il trouve sa source dans les échecs ou les renoncements des différentes majorités gouvernementales.

Le néolibéralisme a fait de la jeunesse le cheval de Troie de la flexisécurité, le laboratoire d’une société déshumanisée où les contrats précaires, les stages interminables et l’ubérisation du travail sont devenus, pour trop de jeunes, la norme. L’accès à un travail digne, stable et rémunéré semble de plus en plus inatteignable. Ce système, qui recourt au discours de l’« employabilité » pour justifier l’exploitation et la précarisation, n’a que trop duré.

On teste, on dérégule, on met en concurrence… Après Parcoursup, cette brutalité sociale se retrouve aussi sur le marché du travail : 42 % des jeunes ne décrochent qu’un CDD après leurs études et 38 % des non-diplômés sont encore au chômage trois ans plus tard. Quant aux inégalités de genre, elles perdurent : 20 % des jeunes femmes travaillent à temps partiel, contre 12 % des hommes. Dès le premier emploi, l’écart de salaire se creuse. Territorialement, la fracture s’aggrave : 14 % de chômage en plus pour les jeunes des quartiers populaires, 22 % pour les jeunes ruraux.

Aujourd’hui, un nombre croissant de jeunes s’engagent : non seulement dans les associations, mais aussi dans l’action publique et politique. En 2023, 44 % des jeunes s’étaient ainsi engagés dans une association. La progression est nette.

Cette dynamique ne se résume pas à une simple réaction face à la précarité. Elle incarne une véritable volonté de changer la société. En témoigne le rejet croissant du système capitaliste, responsable de la crise climatique et des inégalités croissantes. Selon l’Institut français d’opinion publique (Ifop), en 2023, 60 % des jeunes considéraient que le capitalisme était le principal responsable de cette crise et 64 % d’entre eux aspiraient à un monde plus solidaire et équitable.

Cette aspiration ne se limite pas à un rejet du système en place. Il s’agit aussi de proposer une alternative : une éducation réellement démocratique, non soumise aux impératifs du marché.

Le néolibéralisme a transformé l’éducation en une simple préparation à l’intégration dans le marché du travail, mais il nous revient de repenser l’éducation comme un outil d’émancipation. Ayons l’ambition de transformer l’école en une « institution du commun », contrôlée démocratiquement par les usagers, les professionnels et la population.

Nous devons abolir la concurrence entre établissements, éradiquer la ségrégation ethnique et sociale, repenser l’inclusion. Il s’agit non pas seulement de défendre une école d’État face à une école de marché, mais de repenser cette école afin qu’elle soit véritablement un vecteur d’égalité, de justice sociale et de solidarité.

Repenser l’école, c’est aussi interroger la jeunesse sur son rapport au travail. Quel monde du travail préparons-nous ? Produire quoi ? Pour qui ? Dans quelles conditions ? Il est temps d’affirmer une autre vision, celle d’un travail libéré du chantage à l’emploi, reconnu pour sa valeur sociale et non pour sa rentabilité immédiate.

Grâce à vos travaux, monsieur le Premier président, mais aussi par conviction, les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen Écologiste – Kanaky considèrent qu’il faut changer de cap et offrir aux jeunes les moyens de construire leur avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, cette année, le rapport annuel de la Cour des comptes nous pose, au travers de ses plus de 600 pages, une question simple : chaque jeune Français, quels que soient son lieu de naissance, son genre ou son origine sociale, a-t-il les mêmes opportunités qu’un autre pour construire son avenir ?

On parle de 2 % du PIB et de 12 % du budget de l’État dédiés à la jeunesse en 2023. Certains y voient une dépense, nous y voyons un investissement pour notre avenir.

Concernant l’accès à l’éducation et à la formation, puisqu’il s’agit en volume du plus gros poste de dépenses, des inégalités profondes persistent, qui sont liées à des déterminismes sociaux, de genre et territoriaux. Ces déterminismes sont parfois cumulatifs. Pourtant, avec un taux de diplômés de l’enseignement supérieur de 49,4 %, la France se situe au-dessus de la moyenne de l’OCDE.

Le bilan est sévère. Oui, l’orientation continue d’être perçue comme une voie par défaut et reste influencée par les stéréotypes socio-économiques et géographiques, avec pour conséquence de limiter les ambitions des jeunes.

Plus grave, et ce point doit interpeller la chambre des territoires, les inégalités territoriales demeurent très importantes dans l’accès à une solution de formation, malgré la loi de 2018. Il existe une véritable rupture d’égalité pour la jeunesse des territoires ruraux. Le taux de diplômés de l’enseignement supérieur varie selon les régions et diminue à mesure que l’on s’éloigne des grandes métropoles.

Les chiffres sont édifiants : il y avait 20 % de diplômés de l’enseignement supérieur dans les territoires ruraux en 2020, contre près de 32 % en France métropolitaine. Nous ne pouvons tolérer cette ségrégation territoriale qui mine notre pacte républicain.

Cette inégalité territoriale frappe aussi la jeunesse rurale en matière d’accès à la mobilité. La Cour le rappelle, la première contrainte à la mobilité est non pas le prix, mais le manque d’offres de transport, notamment dans les zones périurbaines et rurales. Je citerai un exemple simple, mais parlant : 38 % des jeunes ruraux de 15 à 29 ans ont renoncé à un entretien d’embauche en raison de difficultés de déplacement.

Construire une offre de déplacement pour la jeunesse dans les territoires moins denses exige une meilleure coordination entre les autorités organisatrices de la mobilité, mais aussi des investissements. Les contraintes financières accrues pesant sur le budget des transports publics risquent de perpétuer les inégalités territoriales. Nos débats budgétaires sur le financement des mobilités seront donc cruciaux si nous voulons les résorber.

Le chapitre du rapport dédié à l’aide sociale à l’enfance est édifiant. En 2022, près de 397 000 mineurs et jeunes majeurs faisaient l’objet d’une mesure de protection dans le cadre de l’ASE en France : 221 000 d’entre eux étaient accueillis et hébergés, dont plus de 31 900 jeunes majeurs.

Là encore, les disparités sont frappantes. Certains départements mobilisent quatre fois plus de moyens que d’autres et le taux de prise en charge des jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance varie de 38 % à 83 % selon les départements. Ces derniers ont sans doute une certaine latitude pour exercer leurs compétences, mais l’ampleur de cet écart doit nous interroger. À juste titre, le rapport de la Cour pose la question de l’égalité du service public rendu aux usagers en la matière.

En raison du temps limité qui m’est imparti, je ne pourrai évoquer de façon exhaustive l’éventail très large des politiques de jeunesse abordées dans le rapport. Je consacrerai tout de même la fin de mon intervention au chapitre qui concerne les addictions des jeunes et nos politiques de réduction des risques.

Alors que la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic est en cours d’examen, il est intéressant de nous pencher sur le volet sanitaire et la prévention en matière d’addiction, car ces phénomènes sont liés.

Les chiffres sont encore une fois éloquents : en 2023, 46,3 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans disaient avoir consommé au moins une fois dans leur vie du cannabis ; 3,5 % affirment en faire un usage quotidien ; 230 000 jeunes seraient concernés par les addictions au cannabis.

Si nous ne prenons pas conscience de ces ordres de grandeur, nous ne serons jamais à la hauteur de l’enjeu, même en adoptant une approche répressive pour lutter contre les trafics. Oui, les pratiques récréatives à risque sont particulièrement répandues dans la jeunesse française.

La Cour le rappelle : le repérage, l’accompagnement et la prise en charge des jeunes souffrant d’addictions font déjà intervenir la médecine de ville, l’hôpital et le secteur médico-social, tandis que l’école devrait davantage être impliquée. Toutefois, nos politiques de soin et de réduction des risques sont – je vous laisse choisir – peu financées, mal coordonnées ou inadaptées.

L’approche ultra-répressive que la France a choisie depuis les années 1970 pour lutter contre les comportements addictifs est une impasse. Seule une stratégie sanitaire et éducative, particulièrement développée en direction des jeunes consommateurs, permettra de lutter contre les addictions. Le rapport de la Cour des comptes doit nous inviter à renverser notre perspective en la matière. Il y va de l’avenir de notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Christian Bilhac et Marc Laménie applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Thierry Cozic. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, la figure de proue des publications de la Cour des comptes consacre cette année 612 pages au thème « Les politiques publiques en faveur des jeunes ».

Monsieur le Premier président, vous avez déclaré que « la jeunesse représente les forces vives sur lesquelles repose notre avenir [et qu’] à ce titre elle est au cœur des préoccupations de nos concitoyens, ou du moins elle devrait l’être ».

Tout est dans ces derniers mots : « ou du moins elle devrait l’être ». Ce rapport pose une question finalement simple : comment la France prend-elle soin de sa jeunesse ?

Le rapport chiffre à 53,4 milliards d’euros les dépenses de l’État en faveur des 15-25 ans. Ce budget, bien qu’il ne soit pas jugé excessif par la Cour, semble être mal ciblé et mal coordonné.

Bourdieu disait que la jeunesse n’est qu’un mot. En effet, la jeunesse est une construction sociale, dans des univers sociaux qui n’ont parfois rien à voir.

En ce sens, le rapport rappelle que les « jeunes » sont loin d’être une catégorie homogène. Il est salutaire que la Cour alerte sur leur exposition particulière aux inégalités de tous ordres – économique, géographique ou social. En effet, la jeunesse française expérimente peut-être plus que d’autres que l’égalité des droits n’est pas celle des chances.

À y regarder de plus près, on constate que plus d’un jeune de 15 à 25 ans sur dix est en situation de pauvreté, soit bien davantage que les 26-65 ans ou que les seniors. Le phénomène s’aggrave d’ailleurs depuis la fin des années 1960.

Le rapport relève que les jeunes ont été « plus durement touchés que les autres catégories de la population par la crise économique provoquée par la pandémie » de covid-19.

L’insertion d’une majorité de jeunes dans le marché du travail ne doit pas non plus masquer que 16 % d’entre eux sont durablement éloignés de la formation et de l’emploi, ce chiffre recouvrant d’importantes inégalités.

Dans les quartiers prioritaires, 27 % des jeunes sont ainsi sans diplôme, davantage susceptibles de connaître le chômage, contre 11 % dans le reste du territoire. De nombreuses inégalités géographiques portent également préjudice aux jeunes ruraux : 20 % d’entre eux accèdent à l’enseignement supérieur, contre 32 % des jeunes urbains, alors même que leurs résultats sont meilleurs. Pointer ces inégalités est aussi un apport salutaire de ce rapport.

La question de l’éducation y fait l’objet de nombreux développements. De la maternelle à l’université, en passant par l’apprentissage, elle est primordiale. Néanmoins, je souhaite revenir sur certains points importants, en particulier sur l’état de nos universités françaises.

Autrefois au cœur de la production du savoir et de l’enseignement supérieur, l’université publique française s’épuise désormais sous l’effet des injonctions contradictoires de la massification et de l’excellence.

Les déterminismes y structurent encore trop souvent les parcours des étudiants et tant les grandes écoles que l’enseignement privé lui font concurrence.

Pourtant, maintenir un haut niveau d’éducation grâce à une scolarité réussie et à une formation adaptée tout au long de la vie est un principe cardinal pour préserver les capacités d’innovation de l’économie française. Celles-ci doivent à la fois permettre notre réindustrialisation et favoriser la transition environnementale, en nous positionnant autant que possible en pays leader, où des solutions sont inventées, plutôt qu’en suiveur.

Cette exigence est d’autant plus importante au regard de l’ampleur de la fuite des cerveaux outre-Atlantique. Depuis la prise de fonction de l’administration Trump, les attaques se multiplient à l’encontre de la communauté scientifique.

Samedi dernier, nous apprenions ainsi qu’un scientifique du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) s’était vu refuser l’entrée aux États-Unis. Mentionnons également le gel des recrutements des universités, qui anticipent de nouvelles coupes budgétaires, ou encore le limogeage de Katherine Calvin, la scientifique en chef de la Nasa.

De nombreux scientifiques et étudiants doivent donc quitter le pays, parce qu’ils ont perdu leur emploi ou la source de financement de leurs travaux. En outre, les contractuels bénéficiant de contrats courts, thésards, postdoctorants, savent que leur avenir ne s’écrit pas outre-Atlantique.

Face à cette situation, la France doit pouvoir accueillir tous ces jeunes étudiants habitués à des conditions de recherche de haut niveau, qui contribueront au maintien de l’innovation française, dans un secteur très compétitif.

Si nous ne devons pas négliger les étudiants, nous ne devons pas non plus négliger le fait que tous les jeunes ne sont pas étudiants.

En matière de politique publique du logement, les étudiants sont plus avantagés que les jeunes actifs. En réalité, la politique d’accès au logement des 18-30 ans n’est pas pensée comme un tout cohérent.

De fait, les étudiants bénéficient prioritairement des dispositifs déployés. Selon le sondage mené par la Cour auprès d’un peu plus de 1 000 jeunes de 15 à 25 ans, 60 % des jeunes déclarent rencontrer des difficultés pour trouver un logement. Pour 68 % d’entre eux, le niveau des loyers est responsable de ces difficultés.

Les disparités de traitement sont peu compréhensibles. Il n’est pas équitable que le soutien public à l’accès au logement des jeunes non-étudiants, majoritaires dans leur classe d’âge à compter de 21 ans, soit moindre. Les efforts menés par les pouvoirs publics depuis une dizaine d’années en faveur du logement jeune ont des effets limités.

Enfin, je souhaite aborder un sujet important et fondamental : la santé mentale des jeunes s’impose comme un enjeu de santé publique alarmant.

Le constat d’une dégradation de la santé mentale des jeunes est apparu sur les radars du débat public pendant la pandémie. Depuis, rapports et missions d’experts convergent vers un diagnostic alarmant. Selon un baromètre publié en février dernier par Santé publique France, un jeune sur cinq présente des troubles dépressifs.

S’y ajoute la hausse vertigineuse du nombre de passages aux urgences pour tentative de suicide, scarification ou empoisonnement volontaire, notamment chez les jeunes filles.

Si nous ne prévoyons pas des moyens substantiels dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), nous ne pourrons pas prendre les mesures nécessaires contre un phénomène qui oblitère l’avenir de notre nation. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Christian Bilhac et Marc Laménie applaudissent également.)