M. le président. Monsieur le Premier président, le Sénat vous remercie et vous donne acte du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Nous allons procéder au débat, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, comme chaque année, nous sommes réunis pour la remise du rapport public annuel de la Cour des comptes au Parlement.

Cet exercice, bien que traditionnel, ne résume en rien l’ensemble de nos relations avec cette institution. Ainsi, la commission des finances a auditionné, au début de ce mois, les magistrats financiers, auteurs de l’enquête très intéressante que nous leur avions demandée sur la gestion de l’eau potable et de l’assainissement en outre-mer.

Plus largement, les rapporteurs spéciaux de la commission suivent avec attention les travaux de la Cour des comptes, chacun dans leur domaine de compétences. Ils seront bien entendu très attentifs au contenu de cette édition du rapport public annuel.

Avant d’aborder son thème central – les politiques publiques en faveur de la jeunesse –, je note que ce rendez-vous annuel n’est plus l’occasion de vous entendre et d’échanger sur la situation des finances publiques. En effet, les développements y afférents, qui figuraient traditionnellement dans le rapport, ont disparu ou, plus exactement, ils ont fait l’objet d’une autre publication en février dernier.

Je suis toujours attentif à l’analyse de la Cour comme à celle du Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Aussi, je ne vous cache pas que je suis un peu déçu que nous n’abordions pas ce sujet ce matin, d’autant que la commission des finances partage avec vous beaucoup de constats, en particulier en ce qui concerne la dérive des comptes publics depuis 2023. Comme vous, nous considérons que 2025 constitue une année déterminante pour le redressement des finances publiques.

Je ne reviendrai pas sur les conclusions de notre mission d’information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, sauf peut-être pour rappeler que celles-ci ont été adoptées à l’unanimité, ce qui ne sera peut-être pas le cas sur tous les sujets…

M. Jean-François Husson. J’en ai bien l’impression !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Je me contenterai d’indiquer l’objectif du Gouvernement pour la préparation du budget pour 2026 : réduire le déficit public de 5,4 % à 4,6 % du PIB, tout en augmentant les dépenses d’investissement dans l’industrie de défense et en préservant notre modèle social.

Cette équation ferait sans doute peur à plus d’un mathématicien ; la porte-parole du Gouvernement a d’ailleurs elle-même parlé hier de « cauchemar » ! Difficile d’employer un terme plus fort…

Seul point positif dans ce tableau, les comptes nationaux des administrations publiques présentés ce matin par l’Insee font apparaître, pour 2024, un déficit inférieur à la prévision, de 5,8 % du PIB, ce qui signifie que, malgré une croissance probablement plus faible que ce qui était espéré pour 2025, la marche des 5,4 % de déficit reste atteignable.

J’en reviens au cœur de ce rapport public annuel. Il a été beaucoup question des politiques en faveur de la jeunesse à la suite de la pandémie de covid-19, mais le sujet a été quelque peu oublié depuis lors.

Pierre Bourdieu disait, dans une formule restée célèbre, que « la “jeunesse” n’est qu’un mot », pour souligner que, derrière l’apparente uniformité d’une génération, se cachent en réalité des situations radicalement différentes et, pour le dire sans détour, de profondes inégalités.

Dans son rapport, la Cour n’ignore pas cette difficulté et la prend au contraire à bras-le-corps, en montrant avec précision et clarté que tous les jeunes n’ont pas les mêmes chances selon le lieu où ils vivent, l’origine de leurs parents, leur genre ou encore les revenus de leur famille. Beaucoup de critères entrent en effet en compte.

Les politiques publiques en faveur de la jeunesse jouent donc un rôle majeur pour rééquilibrer les règles du jeu. Or il apparaît dans ce rapport que sur ce plan, le compte n’y est pas encore, même si des améliorations méritent d’être soulignées. Si les financements en faveur de la jeunesse ont souvent augmenté sur le temps long, il reste en particulier possible de mieux cibler les dispositifs sur les jeunes en ayant le plus besoin et sur certains enjeux majeurs, comme les transports ou l’accès au logement, lesquels sont insuffisamment pris en compte.

Le défi est considérable. Un jeune sur dix vit sous le seuil de pauvreté, contre 7,7 % des 26-65 ans, et la santé mentale des jeunes s’est fortement dégradée au cours des dernières années. Nous avons tous une responsabilité à l’égard de la jeunesse de notre pays. Je me réjouis donc que la Cour des comptes ait décidé cette année de faire un bilan des politiques menées dans ce domaine.

L’accès aux moyens de transport collectif joue un rôle que l’on ne saurait minimiser, que ce soit dans la poursuite des études, pour les loisirs ou pour la recherche d’emploi, en particulier pour les jeunes qui vivent dans les territoires ruraux.

Or la Cour remarque que le principal frein à la mobilité des jeunes tient moins au tarif qu’à l’offre de transport disponible. Sur l’initiative de la commission des finances, l’une des principales recommandations de la mission d’information sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) a ainsi été adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2025 : 50 millions d’euros de recettes issues des quotas carbone ont ainsi été affectés par an aux AOM. Ce montant, il faut le dire, reste modeste, mais il s’ajoute à l’enveloppe existante et traduit une orientation qui doit être poursuivie.

Les inégalités sont également frappantes en matière de logement. La Cour indique que « les plus diplômés accèdent plus vite à l’autonomie, y compris grâce à un soutien financier familial, tandis que 48 % des jeunes en situation de non-emploi résident toujours chez leurs parents cinq ans après la fin de leurs études ». L’accès au logement des jeunes à la recherche de leur premier emploi demeure un angle mort des politiques publiques.

Ainsi, la Cour relève que les capacités des deux principaux réseaux de logement destinés aux jeunes actifs sont quatre fois inférieures à celle des résidences universitaires à vocation sociale, alors que les jeunes non-étudiants sont majoritaires au-delà de 21 ans. Il s’agit bien entendu non pas d’opposer les catégories entre elles, mais de faire en sorte que la politique du logement réponde plus efficacement aux besoins.

Bien entendu, l’atteinte de ces objectifs dépend elle-même du taux d’emploi des jeunes. À ce sujet, la Cour confirme la diminution du taux de chômage des 18-25 ans au cours des dernières années. La part de jeunes chômeurs est ainsi passée de 23,5 % en 2017 à 17,2 % aujourd’hui, même si ce taux reste deux fois supérieur à celui de la population générale.

L’effort financier de l’État en faveur de l’emploi des jeunes est indéniable : les dépenses publiques ciblées sont passées de 3,4 milliards d’euros en 2017 à 7,2 milliards d’euros en 2023, principalement sous l’effet de la montée en puissance des aides à l’apprentissage.

Toutefois, la Cour relève que le lien de causalité entre les deux phénomènes n’est pas entièrement établi et que le principal déterminant de l’accès des jeunes à l’emploi demeure la conjoncture économique. Les magistrats financiers préconisent donc une stratégie qui privilégie les politiques contracycliques et notent que le maintien de la dépense à un niveau très élevé depuis 2022 ne répond pas à cette logique.

Lors de l’élaboration de la loi de finances pour 2025, la commission des finances avait également plaidé pour un recentrage de ces aides sur les jeunes les plus éloignés de l’emploi.

Je centrerai à présent mon propos sur deux politiques plus sectorielles, mais qui ont une réelle importance : la prise en charge des jeunes majeurs issus de l’aide sociale à l’enfance et l’orientation des jeunes.

La loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet, a créé un droit opposable à l’accompagnement des jeunes majeurs issus de l’aide sociale à l’enfance. Ce sont désormais 31 900 jeunes majeurs qui sont pris en charge par les départements, alors qu’ils étaient seulement la moitié moins en 2010. La mise en œuvre de cette loi est toutefois encore très partielle et varie fortement d’un territoire à l’autre.

L’effort financier des départements, lui aussi, reste inégal. L’une des raisons qui l’expliquent est la faiblesse de la compensation financière allouée par l’État au regard du coût de la politique. Une enveloppe de seulement 50 millions d’euros par an y est consacrée, alors même que le montant des dépenses est estimé à 1,2 milliard d’euros !

L’orientation des jeunes constitue un autre point d’attention soulevée par la Cour, qui l’estime à la fois trop tardive et d’une qualité insuffisante : alors que 400 millions d’euros y sont consacrés, environ un quart des lycéens se disent insatisfaits des informations et des conseils qu’ils reçoivent dans leur établissement.

L’orientation demeure en outre genrée et inégalitaire : les filles ne représentent que 13,7 % des effectifs de terminale professionnelle avec des spécialités de production. Seuls 62,1 % des élèves des zones rurales éloignées choisissent une seconde générale et technologique, contre 76,4 % des élèves des zones urbaines denses.

Depuis 2018, la charge de l’orientation revient normalement aux professeurs principaux et non aux psychologues. Or les enseignants sont peu formés à l’orientation.

En conclusion, monsieur le Premier président, je remercie la Cour pour ce tour d’horizon très complet et pour les recommandations assorties. Il nous sera précieux pour nos analyses, notamment lors de la préparation des prochains textes financiers, afin de définir la meilleure allocation possible des moyens aux objectifs attribués à nos politiques publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, comme chaque année, nous avons pris connaissance du rapport annuel de la Cour des comptes avec grand intérêt. Cette année, vous avez décidé de vous focaliser sur les politiques publiques en faveur des jeunes.

Je me félicite de ce choix, tant les enjeux relatifs à la jeunesse, porteuse d’avenir, sont essentiels à nos yeux. Or les politiques dans ce domaine sont rarement évaluées.

Quatre chapitres concernent très directement la commission des affaires sociales.

Tout d’abord, dans ce rapport sont abordés l’emploi des jeunes et les difficultés spécifiques que ceux-ci rencontrent en matière d’insertion professionnelle.

Les moyens mis en œuvre en faveur de cette population ont été doublés depuis 2017, pour atteindre 7,3 milliards d’euros en 2023. Pour autant, les statistiques de l’accès à l’emploi sont connues et, en dépit de réelles améliorations depuis 2018, le taux de chômage chez les jeunes demeure de 17,2 % en 2023, soit un niveau 2,4 fois plus élevé que celui de l’ensemble des actifs.

L’enquête menée par la Cour permet d’objectiver un constat : augmenter la dépense publique n’est pas un gage de meilleurs résultats. Plus précisément, rien ne semble assurer que l’amélioration relative de l’emploi des jeunes soit la conséquence de l’effort financier consenti par les pouvoirs publics. La conjoncture économique reste le premier déterminant de l’accès des jeunes à l’emploi.

Aussi paraît-il urgent de revoir la stratégie en faveur de l’emploi des jeunes. À cet égard, le dispositif « 1 jeune, 1 solution », pertinent pour répondre à la crise sanitaire, ne peut être indéfiniment prolongé. À cet égard, l’exemple de l’apprentissage est éclairant. Durant l’examen des textes budgétaires, le Sénat a engagé ce mouvement de normalisation en cherchant à recentrer l’aide unique à l’embauche de l’apprenti sur les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME) et sur les jeunes les moins qualifiés, afin de limiter les effets d’aubaine. Vos recommandations rejoignent les nôtres sur ce point.

Enfin, vous vous intéressez aux évolutions du contrat d’engagement jeune (CEJ) résultant de la loi pour le plein emploi du 18 décembre 2023. Le rapprochement des missions locales et de France Travail a abouti à un équilibre fragile, entre complémentarité et concurrence dans l’accompagnement des jeunes. Plus généralement, la piste évoquée d’une réduction du nombre de contrats pour les recentrer sur les jeunes les plus éloignés de l’emploi nous semble prometteuse et propre à concilier efficacité de la dépense publique et accompagnement renforcé des publics les plus en difficulté.

L’enquête de la Cour traite également d’un autre sujet de grande importance : l’aide sociale à l’enfance et, plus précisément, la prise en charge des jeunes majeurs qui en sont issus.

La loi du 7 février 2022 a renforcé les missions du département en matière d’accompagnement des jeunes majeurs pour mettre fin aux situations de sortie sèche du système de protection de l’enfance, encore trop fréquentes. Elle rend obligatoire de proposer une solution aux jeunes sortant de l’ASE jusqu’à leurs 21 ans lorsqu’ils ne bénéficient pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants.

Depuis plusieurs années, la part des jeunes majeurs parmi les bénéficiaires d’un accueil de l’ASE ne cesse de croître : ils étaient 18,9 % en 2021 contre 11,7 % en 2017. La faible diminution enregistrée en 2023 s’explique avant tout par la hausse du nombre de mineurs accueillis cette année-là. Malgré cette légère baisse, le coût, comme vous l’indiquez, a augmenté pour s’établir à 1,2 milliard d’euros en raison d’une hausse des mesures d’accueil, plus coûteuses.

Pourtant, la prise en charge des jeunes majeurs à leur sortie de l’ASE reste le parent pauvre des politiques de protection de l’enfance. Ainsi, l’État a débloqué en 2022 une enveloppe de seulement 50 millions d’euros à ce titre, répartie simplement au prorata des jeunes pris en charge et sans condition de respect de certaines exigences par les départements. Voyez donc le delta qui sépare l’engagement de l’État et les obligations des départements…

Par ailleurs, comme vous le relevez, malgré quelques améliorations, les dispositifs prévus par la loi de 2022 sont encore loin d’être pleinement appliqués : les commissions départementales d’accès à l’autonomie des jeunes majeurs sont absentes de nombreux départements et l’entretien bilan six mois après la fin du contrat jeune majeur n’est que trop rarement réalisé, faute, je le répète, de moyens d’accompagnement des départements.

Je relève tout particulièrement votre inquiétude, déjà identifiée par notre commission, concernant les disparités territoriales dans la prise en charge par l’ASE. Ainsi, la Cour relève que le taux de prise en charge des jeunes majeurs varie de 38 % seulement en Seine-et-Marne à 83 % en Gironde ! Nous ne pouvons que regretter l’absence de pilotage de l’ensemble de la dépense.

Je note enfin une faiblesse majeure dans le dispositif de suivi des jeunes majeurs en situation de handicap. Alors que 15 % à 30 % des enfants pris en charge par l’ASE sont en situation de handicap, aucune disposition législative ni aucun programme national n’est spécifiquement prévu pour l’accompagnement à l’autonomie de ces jeunes majeurs à leur sortie du dispositif. Pourtant, le besoin est évident.

La Cour des comptes, par ailleurs, a consacré un chapitre aux addictions des jeunes aux drogues illicites et à l’alcool, addictions dont les conséquences sanitaires, sociales et économiques sont lourdes.

La situation est préoccupante à plus d’un titre. Malgré une baisse sensible des niveaux de consommation d’alcool et de drogues illicites chez les mineurs, les données restent élevées chez les jeunes majeurs. Vous le montrez bien : au sein de l’Union européenne, la France se démarque, aujourd’hui encore, par des indicateurs très défavorables, qu’il s’agisse de la fréquence de la consommation quotidienne d’alcool ou des niveaux d’usage de drogues illicites, notamment de cannabis et de cocaïne.

Face à cette situation, qui reflète notamment un déficit de prévention auprès des jeunes, la réponse sanitaire et médico-sociale actuelle est à la fois insuffisante et inadaptée.

En matière de dépistage, d’abord, des carences majeures sont à déplorer en raison d’un déficit de formation des médecins généralistes. En ville, deux tiers d’entre eux déclarent ne pas connaître les démarches de repérage précoce.

Ensuite, pour la prise en charge, les jeunes se tournent peu vers les centres d’accompagnement, alors que ces structures spécialisées devraient constituer un relais de la prévention et de l’accompagnement.

Quant à l’offre hospitalière, elle est à la fois très en deçà des besoins et peu ciblée sur les adolescents et les jeunes adultes. Les consultations jeunes consommateurs représentent aujourd’hui l’unique dispositif spécifiquement consacré à l’accueil des jeunes. Au nombre de 260, ces structures souffrent néanmoins d’un sous-dimensionnement notoire.

La commission des affaires sociales souscrit à la recommandation de bâtir une politique de prévention plus ambitieuse et souligne la nécessité de la prolonger par un système de prise en charge mieux coordonné. En matière de lutte contre la consommation de drogues, la prévention joue un rôle essentiel. Nous devons notamment nous inspirer des initiatives prises par nos voisins, comme le Danemark et l’Islande. Pour agir au plus près des jeunes, une implication forte des institutions scolaires est également requise.

Je veux enfin aborder la journée défense et citoyenneté, qui a succédé à la journée d’appel de préparation à la défense (JAPD), instaurée en 1997. La Cour des comptes pointe un modèle actuel « à bout de souffle ».

De fait, la JDC se trouve prise en étau entre la réduction des moyens humains, notamment parmi les militaires encadrants, et l’enrichissement progressif de ses missions par le législateur. La mise sous tension des effectifs et des moyens a même conduit à mettre en place, depuis l’an dernier, une JDC « adaptée », d’une durée de deux heures et quarante-cinq minutes. Elle s’écarte complètement de la lettre de la loi…

Nous partageons les préoccupations de la Cour des comptes et sa recommandation de clarifier les missions qui demeureront affectées à cette journée. Nous avons d’ailleurs soutenu cette logique lors de l’examen du projet de loi de finances.

Comme la Cour le souligne, il conviendra d’aller au bout de cette démarche et de déterminer ce que nous souhaitons faire de cette journée. Quelques heures ne peuvent suffire à insuffler l’esprit de défense, à dispenser un enseignement civique, à détecter l’illettrisme et à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes… Si ce débat était mené à terme, il faudrait en tirer les conséquences dans un texte encadrant la JDC.

Le rapport confirme, par ailleurs, que la mise en place du service national universel (SNU) a perturbé l’organisation de cette journée. Non seulement le SNU requiert de plus en plus de moyens matériels et d’animateurs militaires, mais il bouscule en outre l’organisation mise en place par la direction du service national et de la jeunesse.

Là encore, nous pensons qu’il faut engager une réflexion globale sur les dispositifs en faveur de la jeunesse qui promeuvent le lien entre l’armée et la Nation ou qui prodiguent des enseignements à la citoyenneté. L’enjeu est d’utiliser au mieux les deniers publics tout en évitant les dispositifs redondants et peu adaptés. La question du rapprochement entre le SNU et la JDC se posera donc nécessairement. Et nous devrons trancher.

Pour conclure, je remercie la Cour pour la qualité de ses travaux et pour ses éclairages. La commission des affaires sociales apprécie tout particulièrement sa coopération avec votre institution, monsieur le Premier président, qui ne se limite évidemment pas à nos échanges sur le rapport public annuel. Je pense par exemple à l’enquête que vous nous avez récemment remise sur la réforme de l’accès aux études de santé. Nous avons d’ailleurs auditionné le ministre chargé de la santé et le ministre chargé de l’enseignement supérieur sur ce sujet, à la suite de cette enquête. Vos travaux nous ont permis d’interpeller l’ensemble des acteurs afin de proposer des évolutions.

Mentionnons également votre rapport sur l’encadrement des téléconsultations, qui nous sera présenté le 8 avril prochain. Nous attendons beaucoup de votre avis sur cet enjeu fondamental en matière de santé publique.

Enfin, vos éclairages sur le système de retraites donneront lieu à une audition conjointe avec la commission des finances, au début du mois de mai. Ces travaux, qui ont alimenté nombre de débats, sont pour nous essentiels. La qualité de votre analyse et la justesse de vos chiffres nous aideront à bâtir des propositions d’évolution.

Vos travaux nous apportent toujours des éléments utiles, propres à alimenter notre action. Ils nous permettent de mesurer l’efficacité d’un grand nombre de politiques publiques et surtout d’élaborer des propositions législatives afin d’y apporter des corrections.

Les constats émis en toute neutralité par la Cour nous invitent à apporter une réponse active. Ils nous poussent ainsi à prendre nos responsabilités et à présenter des propositions directes pour engager les évolutions attendues. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)

M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, l’an dernier, la Cour des comptes s’était attachée à analyser dans son rapport annuel l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique. Vous aviez ainsi étudié l’un des sujets qui, selon les sondages d’opinion, inquiètent le plus notre jeunesse.

Cette année, monsieur le Premier président, vous avez sondé directement les politiques publiques en faveur des jeunes. Vous avez analysé de nombreux dispositifs destinés à la jeunesse pour étudier leur efficacité, dans les domaines de l’éducation, de la formation, lors de l’entrée dans la vie active, en matière d’autonomie, de prévention ou encore d’apprentissage de la citoyenneté.

Il me semble que ce rapport, au champ particulièrement large, était nécessaire et il se révélera, à l’avenir, très utile au législateur.

Nous ne pourrons pas débattre aujourd’hui de l’intégralité de ce rapport, tant les données qu’il contient sont nombreuses et les sujets abordés différents les uns des autres. J’ai donc décidé, au nom du groupe Les Indépendants – République et Territoires, de vous parler d’un sujet en particulier, qui me tient à cœur : l’accès des jeunes des territoires ruraux à l’enseignement supérieur.

En tant que sénateur des Ardennes depuis 2007, je sais malheureusement à quel point la poursuite des études représente une marche plus difficile à franchir pour les jeunes ruraux que pour ceux qui vivent dans les métropoles.

Je vous remercie, monsieur le Premier président, d’avoir pris ma région, le Grand Est, pour exemple dans votre étude, dont les résultats ne m’étonnent pas…

La France pourrait s’enorgueillir de son très bon score national. En effet, le taux de diplômés de l’enseignement supérieur chez les jeunes âgés de 25 ans à 34 ans en France est supérieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE. Pour autant, lorsqu’on étudie le détail de ce résultat et la répartition des diplômés sur le territoire, les chiffres sont beaucoup moins bons.

Près d’un tiers de la population française – 32 % – est diplômée de l’enseignement supérieur, quand ce taux s’établit à seulement 27 % parmi les habitants de la région Grand Est. La part tombe même à 20 % dans la Meuse et à 18,6 % en Haute-Marne. J’ignore à combien elle s’élève dans les Ardennes, mais elle est probablement du même ordre.

Les causes sont nombreuses et connues de tous.

Vous avez évoqué, monsieur le Premier président, la JDC. La Cour des comptes avait réalisé un rapport sur ce sujet pour la commission des finances du Sénat en 2016.

Les formations post-bac présentes dans les territoires ruraux sont essentiellement organisées dans des lycées qui préparent des BTS ou dans des centres de formation d’apprentis gérés par les chambres consulaires. Par ailleurs, le développement de l’offre d’enseignement supérieur dans ces territoires est rendu difficile par le déclin démographique qui y a cours.

Comme pour beaucoup d’autres politiques publiques, la solution doit venir d’une redynamisation des territoires ruraux, qui ont longtemps été abandonnés par l’État. Il faut redonner à nos jeunes les mêmes espoirs et les mêmes perspectives que ceux dont jouissent leurs camarades des grandes villes.

Les solutions sont nombreuses : réindustrialiser pour créer des emplois durables, construire des logements adaptés aux besoins de la population, développer une véritable offre de transport en commun permettant d’aller étudier et travailler, et garantir à chacun un accès égal aux services publics et à la santé.

Beaucoup de ces politiques publiques sont étudiées dans votre rapport et font chacune l’objet d’un chapitre et de propositions pour améliorer l’accompagnement de nos jeunes.

J’en retiens trois, qui me paraissent devoir être mises en œuvre rapidement. Tout d’abord, vous préconisez d’adapter l’emploi du temps des professeurs principaux pour leur permettre d’assurer leur mission d’orientation des jeunes. Ensuite, vous appelez à rendre plus accessibles et lisibles les dispositifs d’accompagnement sur Parcoursup. Enfin, vous recommandez de renforcer l’offre de transport collectif pour les jeunes dans les zones périurbaines et rurales plutôt que les avantages tarifaires.

Ces recommandations me semblent aller dans le bon sens. Elles ont, de plus, l’avantage de ne pas nécessiter le recours à une augmentation permanente de nos dépenses publiques. C’est l’un des fils conducteurs de ce rapport, et je tiens à le saluer.

Nos politiques publiques en faveur des jeunes comportent encore trop de lacunes. Nous devons donc y remédier, sans dégrader davantage nos finances publiques ni faire peser sur nos enfants, c’est-à-dire les jeunes d’aujourd’hui, le fardeau de l’impossible remboursement. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – M. Georges Patient applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, tout d’abord, je remercie M. le Premier président de la Cour des comptes de nous donner l’occasion de débattre ce matin du thème de la jeunesse, au moment où des groupes de jeunes venus de toute la France se succèdent depuis le début de la séance dans nos tribunes. Ce débat les concerne finalement plus encore que nous, même si nous avons des responsabilités à leur égard.

Pour commencer, permettez-moi de citer quelques chiffres de votre rapport. Aujourd’hui, en France, 9 millions de jeunes âgés de 15 à 25 ans bénéficient de politiques publiques, pour un montant de 53 milliards d’euros, soit 12 % du budget de l’État et 2 % du PIB de notre pays.

Nous pourrions penser que tous les voyants sont au vert, mais vous soulignez dans votre rapport combien la réalité est différente. Ainsi, 17 % des 15-24 ans sont au chômage. C’est 2,5 fois plus que pour l’ensemble des actifs et 3 points de plus que la moyenne européenne.

Pour ce qui concerne la formation, en 2023, près de 60 % des 16-18 ans, soit quelque 100 000 jeunes, sont sortis du système scolaire, ne respectant pas l’obligation de formation et se trouvant donc sans aucune solution. Cela a été rappelé, 10 % des jeunes sortent du système scolaire sans formation et sans qualification.

Dans un autre registre, on pourrait penser que les jeux Olympiques ont libéré la pratique sportive. Pourtant, vous constatez, monsieur le Premier président, que l’offre d’infrastructures sportives en ville est saturée et que celle du milieu rural est peu accessible, ce qui, dans les deux cas, limite la pratique sportive des jeunes et, au-delà, celle de l’ensemble de la population.

Pour ce qui concerne l’accès à la culture, si l’éducation artistique et culturelle a été érigée comme une priorité gouvernementale et concentre à elle seule 3,5 milliards d’euros en 2023, force est de constater que le déploiement est hétérogène sur notre territoire, où 40 % des écoles se trouvent à plus de quinze kilomètres du premier théâtre et un tiers d’entre elles du premier musée.

Bien évidemment, je tiens à vous remercier, monsieur le Premier président, pour votre travail de recensement et de consolidation des dépenses auprès des ministères. Je ferai néanmoins plusieurs observations, de manière fragmentaire, sur divers sujets.

Assurément, un nouveau choc de simplification nous permettrait d’y voir plus clair et faciliterait la vie des millions de jeunes bénéficiaires de ces politiques. Chacun y va de son grain de sel, chaque ministère propose son dispositif pour les jeunes, puis chaque niveau de collectivité ajoute à son tour le sien – je pense notamment au pass Culture.

Pourtant, le rapport annuel que nous examinons aujourd’hui souligne, paradoxalement, le non-recours de trop nombreux jeunes à leurs droits, par méconnaissance, à cause d’une complexité excessive ou du fait de l’éloignement des centres de décision. Quoi qu’il en soit, on constate qu’il existe un maquis d’aides et de dispositifs. Ce phénomène, encore amplifié dans les territoires ruraux, est regrettable.

Un point de ce rapport attire particulièrement mon attention : il est évident que les jeunes ruraux – et, plus généralement, les jeunes éloignés des centres-villes – subissent une double peine : d’une part, ils sont éloignés des pôles universitaires et d’enseignement supérieur, ce qui freine l’accès à cette offre de formation ; de l’autre, leur niveau de revenus est inférieur au niveau national, ce qui est un handicap supplémentaire en termes de mobilité. Nous devons veiller à éviter cette forme d’assignation à résidence portant préjudice à ces jeunes, qui ont le droit, comme les autres, d’accéder au parcours qu’autorise la méritocratie républicaine.

Pourtant, la ruralité est une chance et ce rapport le démontre. L’exemple est éloquent : en 2022, l’université de Lorraine a enregistré des taux de réussite supérieurs à la moyenne nationale pour les étudiants ayant obtenu leur baccalauréat en Haute-Marne et dans la Meuse. Cela prouve qu’il convient de concentrer les dispositifs, de les rendre lisibles et accessibles. Telle est la condition pour que le mérite, qui se paie certes plus cher au départ, bénéficie d’abord à cette jeunesse et à ces territoires, et pour que ces jeunes aient une image positive de leur parcours.

J’ajoute qu’il est indispensable de recentrer les dispositifs, comme nous nous étions attachés à le faire lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, en ciblant nos priorités, qu’il s’agisse de l’aide à l’apprentissage ou du pass Culture. Il faut une dépense publique efficace, qui donne à notre jeunesse confiance en l’avenir ; nous le lui devons.

Je nous invite à poursuivre cet effort, car le chemin est encore escarpé ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe INDEP.)