M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport, cher Laurent Lafon, monsieur le rapporteur, cher Pierre-Jean Verzelen, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui marque une nouvelle et importante étape pour la sauvegarde de notre patrimoine et la préservation de nos cadres de vie.
Pendant trop longtemps, la relation entre les architectes des Bâtiments de France et les acteurs locaux a souffert de trop d’incompréhensions. Les ABF ont fait l’objet de critiques, de reproches, parfois au détriment de l’efficacité qu’exigent nos politiques patrimoniales, auxquelles nous sommes tous très attachés.
Les ABF jouent un rôle fondamental. Ils ne sont pas seulement des techniciens ou des administrateurs, mais aussi les gardiens vigilants de notre patrimoine. Cet œil attentif qui est le leur permet d’éviter que la laideur ne dégrade notre environnement.
Ces 189 ABF, soutenus par les 741 agents des Udap, veillent sur un territoire qui couvre environ 8 % de notre pays et un tiers des logements.
Avec expertise et engagement, ils veillent à ce que chaque pierre, façade ou panorama nous rappelle ce que nous sommes et d’où nous venons. En effet, leur rôle consiste aussi à transmettre et à faire perdurer l’histoire de nos villes et de nos villages.
Partant de ces constats, la mission d’information intitulée « Architectes des Bâtiments de France, périmètre et compétences », menée sous la présidence de la sénatrice Monier, dont vous étiez déjà rapporteur, monsieur le sénateur Verzelen, a formulé vingt-quatre propositions. Elle a aussi constitué une occasion de dialoguer sur un sujet qui suscite des avis très tranchés.
La proposition de loi transpartisane que nous examinons a pour objet de concrétiser ce travail précieux. Son ambition est simple : renouveler le dialogue entre nos architectes des Bâtiments de France et les acteurs locaux.
L’article 1er vise ainsi à simplifier et à alléger les contraintes qui pèsent sur les porteurs de projet. Pour atteindre cet objectif, il est notamment proposé de généraliser les périmètres délimités des abords.
Les zones de protection automatique, dont le périmètre est fixé à 500 mètres autour de chaque monument historique, se révèlent en effet parfois inadaptées aux réalités locales. De plus, elles sont aussi synonymes de procédures longues, coûteuses et souvent infructueuses.
Généraliser le recours aux périmètres délimités des abords constitue une excellente solution, pour peu que leur mise en place soit facilitée.
À l’article 2, il est proposé d’assurer la transparence des décisions rendues par les ABF, en prévoyant leur publication systématique dans un registre national.
Depuis plusieurs années, nous sommes engagés dans un mouvement de transparence qui concerne tous les pans de l’action publique. Les décisions relatives à notre patrimoine sont des sources précieuses d’information et de prévisibilité pour tous les acteurs concernés.
Si je partage donc cet objectif d’amélioration de la transparence, la création d’un tel registre me paraît toutefois inutile. En effet, le droit à la communication des documents administratifs rend déjà possible la consultation de ces décisions dans les mairies, où le demandeur, conseillé, orienté et guidé devant ces documents, bénéficie en quelque sorte d’une explication de texte sur mesure.
En outre, la création de ce registre emporterait une charge financière et technique considérable. En effet, je le rappelle, chaque année, les ABF rendent quelque 530 000 avis et donnent quelque 200 000 conseils éclairés, notamment lors de rendez-vous en mairie ou à l’Udap.
Enfin, la publication d’un tel registre entraînerait la diffusion de certaines informations personnelles relatives aux projets de travaux, protégées par le droit applicable au traitement des données personnelles. Nous sommes tous élus locaux, et je peux vous le dire très directement : cela pourrait provoquer de la délation, voire des règlements de compte.
Dans le climat actuel, il faut en outre veiller à la protection des informations sensibles au regard de la sécurité, en tenant notamment compte des risques d’intrusion. Diffuser des informations sur des logements, c’est accroître le risque de cambriolage ou de braquage. Pour les entreprises, cela reviendrait à publier les plans de leurs locaux, et l’on peut comprendre que certaines ne tiennent pas à divulguer des secrets stratégiques.
Cette proposition de loi est aussi motivée par la volonté d’améliorer le règlement des dossiers litigieux. Le texte prévoit ainsi de créer une nouvelle commission départementale dédiée à l’examen de ces derniers, qui pourrait se réunir à la simple demande du maire.
Si l’objectif est louable, un tel dispositif paraît contradictoire avec l’ambition affichée de simplifier les procédures, ainsi que nos concitoyens le veulent et l’attendent, tout autant qu’avec la volonté de réduire le nombre d’instances administratives. Il faudrait en effet créer cent commissions nouvelles, ce qui impliquerait de mobiliser et de défrayer plus de 2 000 personnes, sans que l’efficacité de telles réunions soit garantie…
Je le rappelle, les commissions régionales du patrimoine et de l’architecture peuvent être saisies à tout moment de ces sujets, et non uniquement en cas de contentieux. Elles peuvent être jointes par visioconférence, ce qui répond à la problématique de l’éloignement, pour statuer sur des recours, mais aussi faire œuvre de conciliation.
Enfin, la proposition de loi entend faire de la réhabilitation une priorité partagée. La destruction est en effet trop souvent préférée à la réhabilitation. Il convient de remédier à cet état de fait.
Je me réjouis donc que la réhabilitation des constructions existantes soit incluse dans le champ de l’intérêt public associé à l’architecture. Ainsi, la rénovation respectueuse du bâti ancien, qui fait l’âme de nos communes, sera désormais un objectif partagé par tous les professionnels de l’architecture.
Moins de contraintes, un meilleur dialogue et une ambition commune pour la réhabilitation : voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, le sens de cette proposition de loi.
La ministre de la culture que je suis ne peut que se satisfaire de constater que la sauvegarde de notre patrimoine fait l’objet d’un consensus qui nous rassemble au-delà des clivages.
Au fond, telle est bien la vocation du patrimoine : nous rassembler autour de lieux communs et œuvrer ensemble à la transmission et à la sauvegarde de nos cadres de vie. Les ABF y contribuent au quotidien. Avec cette proposition de loi, ils savent désormais qu’ils ne sont pas seuls. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mmes Marie-Pierre Monier et Sabine Drexler applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi relative à l’exercice des missions des architectes des Bâtiments de France de notre collègue Pierre-Jean Verzelen.
Avant toute chose, je tiens à saluer l’important travail mené par celui-ci sur ce texte, mais aussi en amont, dans le cadre de la mission d’information relative au périmètre d’intervention et aux compétences des architectes des Bâtiments de France, présidée par Marie-Pierre Monier.
Cette mission d’information avait formulé vingt-quatre recommandations, dont certaines sont reprises dans la présente proposition de loi. Elle avait en particulier établi qu’une meilleure articulation des fonctions des ABF et de celles des élus locaux était nécessaire.
Au cours des dernières années, le travail quotidien des ABF a en effet connu d’importantes évolutions. Le rapport de Pierre-Jean Verzelen souligne que le nombre d’avis rendus a augmenté de 63 % entre 2013 et 2023, alors que le nombre d’ABF déployés dans nos départements n’a pas augmenté.
Créé il y a près de quatre-vingts ans, en 1946, le corps des ABF compte aujourd’hui 189 membres, aux côtés desquels œuvrent plus de 750 agents.
Chaque année, près de 500 000 dossiers d’autorisations de travaux sont soumis à leur expertise. Contrairement aux idées reçues, seulement 7 % de ces dossiers font l’objet d’un avis défavorable.
Toutefois, en raison de l’augmentation du nombre de demandes, les ABF ne disposent pas du temps nécessaire pour justifier leurs décisions en détail, ce qui peut susciter l’incompréhension des élus des communes dans lesquelles un projet est refusé.
La présente proposition de loi vise donc à fluidifier les relations entre les ABF et les élus locaux, dans une logique de progrès et d’efficacité.
Les élus locaux se voient ainsi accorder davantage de souplesse, sans pour autant revenir sur les principales prérogatives des ABF, dont l’avis conforme est en particulier maintenu, ce dont je me réjouis.
Les ABF sont sans aucun doute des acteurs clés tant pour ce qui concerne la préservation des sites protégés, l’aménagement du territoire, la valorisation de l’architecture et du patrimoine de nos territoires que pour la restauration des monuments historiques.
Il en est toutefois de même de nos élus locaux, qui gèrent quotidiennement et directement les attentes des habitants et de l’ensemble des parties prenantes à l’aménagement du territoire dont ils ont la charge.
La proposition de loi comporte quatre articles dont les objectifs sont les suivants : encourager la généralisation des périmètres délimités des abords ; assurer la publicité des décisions rendues par les ABF ; renforcer le dialogue entre les élus, les porteurs de projet et les ABF ; et enfin, ériger la réhabilitation du bâti ancien en priorité partagée par tous les acteurs concernés.
Le recours aux périmètres délimités des abords permettra notamment aux élus locaux d’adapter les limites des zones de protection des monuments historiques aux réalités locales.
Le droit actuel prévoit des restrictions des opérations d’urbanisme pour les projets inclus dans les zones de protection des monuments historiques. Par défaut, ces zones sont délimitées dans un rayon de 500 mètres autour du monument. Or ce zonage ne correspond pas toujours aux besoins effectifs, ainsi que de nombreux élus le constatent sur le terrain.
L’article 1er du présent texte vise à remédier à cette situation, en favorisant la généralisation des PDA.
L’article 2 rend obligatoire la publicité des avis rendus par les ABF et prévoit la publication systématique de leurs décisions dans un registre national accessible en ligne pour le public.
Nous saluons cette mesure qui contribue à renforcer l’acceptabilité des décisions prises par les ABF et à faciliter leur compréhension. La commission a en effet adopté un amendement visant à accompagner cette publication d’éléments précisant le contexte dans lequel la décision a été prise.
Afin de favoriser le dialogue, l’article 3 crée des commissions départementales de conciliation. Il s’agit d’une mesure clé pour fluidifier les échanges lorsqu’une demande d’autorisation recueille un avis défavorable de l’ABF.
Chargées de faciliter l’examen des dossiers litigieux en amont des procédures de recours, ces commissions seront composées de membres de droit comprenant, outre le préfet, le pétitionnaire, le maire concerné, l’ABF et les représentants des élus locaux. Le conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) ou les associations patrimoniales pourront également y être associés.
Enfin, l’article 4 modifie la loi du 3 janvier 1977 en ajoutant la réhabilitation des constructions existantes au champ de l’intérêt public associé à l’architecture.
L’enjeu est simple : inscrire dans le droit le fait que la réhabilitation relève d’un objectif partagé par tous les professionnels de l’architecture, afin d’éviter les pratiques délétères pour le bâti ancien.
Je me réjouis que le groupe Les Indépendants ait pris l’initiative d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de notre assemblée, et je salue l’équilibre que cette proposition de loi tend à mettre en place. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI. – Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.)
Mme Sabine Drexler. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si la protection du patrimoine semble de prime abord un sujet fédérateur, lorsqu’il s’agit de parler de ses gardiens, les architectes des Bâtiments de France, quotidiennement chargés de sa protection, cette belle unité disparaît.
Nous le savons, les ABF doivent faire face à un certain nombre de détracteurs. Particuliers et élus, y compris au Sénat, perçoivent diversement le sens de leurs missions, notamment lorsque leurs expériences les conduisent à identifier les ABF à de potentiels obstacles au développement et à la modernisation de leur commune.
Il est vrai qu’avec les moyens humains dont disposent aujourd’hui les Udap, les décisions des ABF ne peuvent qu’être mal comprises et susciter incompréhensions ou frustrations.
Dans le monde entier, la France est reconnue pour la richesse et l’exceptionnelle qualité de son patrimoine bâti, fruit d’un équilibre qu’il faut maintenir entre l’héritage du passé, les évolutions du présent et les perspectives du futur.
La proposition de loi de notre collègue Pierre-Jean Verzelen a précisément pour objet de préserver cet équilibre.
Je tiens à saluer ce travail, nourri des propositions issues de la mission d’information relative au périmètre d’intervention et aux compétences des architectes des Bâtiments de France, à laquelle j’ai eu la chance de participer.
Cette mission d’information est partie du constat d’une forme d’incompréhension entre les ABF et certains élus locaux ou porteurs de projets.
La variabilité et le manque de prévisibilité des avis, les coûts quelquefois importants liés aux prescriptions des ABF, et parfois, le manque de pédagogie à l’égard des porteurs de projets et le défaut d’accompagnement de ces derniers, peuvent en effet donner lieu à de fortes frictions. Le manque d’accompagnement est évidemment lié à l’augmentation de la charge de travail, notamment administrative, des architectes, alors que dans le contexte récent, les difficultés liées aux enjeux de la transition énergétique s’accumulent.
Cette mission d’information a réuni des sénateurs issus de différentes commissions et de différentes obédiences politiques, aux points de vue très éloignés les uns des autres. Certains espéraient même pouvoir, grâce à cette mission, remettre en question les principes fondamentaux de la protection patrimoniale.
Je tiens à saluer la qualité de ce travail transpartisan, qui concourra sans nul doute à faire changer le regard sur les missions des ABF.
La présente proposition de loi encourage la généralisation des périmètres délimités des abords en simplifiant leur procédure d’adoption et en donnant aux élus la possibilité de les assortir d’un règlement.
Il est également proposé de publier les avis rendus par les ABF et de créer une commission départementale de dialogue, laquelle se réunira périodiquement pour examiner les dossiers ayant reçu un avis défavorable ou un avis favorable assorti de trop lourdes prescriptions.
La proposition de loi ajoute enfin la réhabilitation des constructions au champ de l’intérêt public associé à l’architecture.
Il sera certainement utile de débattre ultérieurement de la nécessité d’associer les architectes plus en amont des projets de réhabilitation, afin de lutter contre les interventions inadaptées sur le bâti patrimonial non protégé. Celles-ci sont en effet actuellement soumises non pas à un permis de construire, mais à des déclarations préalables, certains de ces travaux pouvant toutefois se révéler catastrophiques pour la préservation des constructions concernées.
Je défendrai un amendement d’appel sur ce sujet, afin de sensibiliser le Sénat et le Gouvernement à la nécessité de prendre des mesures radicales pour mettre fin au saccage patrimonial de notre pays, qui a cours depuis l’adoption de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et Résilience. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Marie-Pierre Monier et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, garants de l’équilibre entre développement urbain et respect de notre héritage culturel, les architectes des Bâtiments de France jouent un rôle fondamental dans la protection de nos sites patrimoniaux.
Leurs missions, bien que primordiales, suscitent parfois des interrogations relatives à leur cadre d’intervention, à l’articulation de celui-ci avec les collectivités locales et à la nécessité d’assurer la rigueur et l’efficacité de leurs décisions.
La proposition de loi que nous examinons s’inscrit dans cette perspective. Elle fait l’objet d’un large consensus, ce qui lui vaut d’être inscrite dans un espace transpartisan.
Ce texte constitue la traduction législative des recommandations formulées dans le rapport de la mission d’information relative au périmètre d’intervention et aux compétences des architectes des Bâtiments de France, qui s’est également intéressée aux politiques publiques du patrimoine.
Je salue, à cette occasion, l’excellent travail de notre collègue Pierre-Jean Verzelen, rapporteur de cette mission d’information, ainsi que les sénateurs qui y ont participé, dont mon collègue Jean-Baptiste Lemoyne.
Sur ces travées, nombre d’entre nous ont été associés aux travaux des ABF et des élus dans nos départements respectifs. Nous avons ainsi été les témoins des incompréhensions mutuelles et des frustrations que les avis rendus peuvent parfois susciter.
Il importe donc que la Haute Assemblée se saisisse une nouvelle fois de la question. Les vingt-quatre recommandations du rapport de la mission d’information adopté à l’unanimité en septembre dernier sont autant de pistes dont le Gouvernement, les parlementaires et les élus doivent désormais se saisir.
Un déplacement à l’étranger, dans un pays moins pourvu en la matière ou moins sensible à ces enjeux, suffit à mesurer la richesse historique de notre pays et à prendre conscience de notre conception du patrimoine, lesquelles tiennent grandement aux travaux des ABF.
L’ambition de la proposition de loi est ainsi de « renouveler les conditions du dialogue entre les ABF, les élus locaux et l’ensemble de nos concitoyens ».
Le texte prévoit en premier lieu de simplifier le recours aux périmètres délimités des abords des monuments historiques, afin de favoriser leur généralisation.
L’adoption de ces périmètres, créés par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, permet de modifier le contour de la zone de protection automatique des 500 mètres afin d’adapter au mieux la servitude aux réalités locales et à l’intensité patrimoniale.
Alors que les PDA sont pertinents sur le papier et qu’ils sont sollicités tant par les élus que par les ABF, leur création se heurte à des lourdeurs administratives souvent décourageantes. Seuls quelques milliers d’entre eux ont vu le jour depuis leur création, alors que l’on compte près de 45 000 monuments historiques dans notre pays.
Pour faciliter le travail des communes, notamment des plus petites, il est proposé à l’article 1er qu’en cas de réduction du périmètre automatique de 500 mètres, l’enquête publique et la consultation des propriétaires de monuments historiques ne soient plus obligatoires.
Nous partageons l’objectif de permettre aux conseils municipaux de se saisir davantage des politiques de conservation du patrimoine, avec l’aval des ABF.
En revanche, notre groupe nourrit quelques réserves sur les articles 2 et 3 de la proposition de loi.
Afin de mieux faire comprendre les décisions des ABF, et d’inciter ces derniers à harmoniser davantage leurs conclusions, il est proposé de rendre leurs avis publics. Si nous souscrivons aux conclusions du rapporteur sur un certain nombre de points, il nous semble que cette solution pourrait emporter de nombreux contentieux et poser des difficultés relatives à la protection des données.
Nous craignons par ailleurs que la création d’une nouvelle commission de conciliation départementale ne se heurte aux mêmes difficultés de fonctionnement que les commissions déjà existantes, lesquelles peinent souvent à atteindre le quorum.
Enfin, alors que les besoins de rénovation énergétique des bâtiments se font plus intenses et que l’on peine à adapter les prescriptions au bâti ancien, il est proposé de modifier la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture et d’ajouter les opérations de réhabilitation au champ d’intérêt public de la profession.
L’examen en commission de l’article 4 a fait l’objet d’un réel débat, tant il peut sembler dangereux de modifier l’équilibre existant. La rédaction de la commission nous paraît toutefois juste et proportionnée.
Le groupe RDPI votera donc cette proposition de loi qui s’inscrit dans une démarche constructive et pragmatique, au service d’un patrimoine vivant et d’une action publique modernisée. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – Mme Sonia de La Provôté et M. Pierre-Antoine Levi applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Conte Jaubert. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
Mme Mireille Conte Jaubert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons est le résultat des travaux de la mission d’information relative au périmètre d’intervention et aux compétences des architectes des Bâtiments de France. Son objectif est clair : apaiser les tensions entre la préservation du patrimoine et les besoins des territoires.
En renforçant le dialogue pour concilier les enjeux patrimoniaux et environnementaux, ce texte vise à rendre l’action des ABF plus lisible et à mieux l’adapter aux réalités locales.
La mission d’information, à laquelle notre collègue Guylène Pantel a participé, a mis en évidence plusieurs points de friction qu’il nous appartient aujourd’hui de corriger.
D’abord, les avis rendus manquent de prévisibilité et varient d’un département à l’autre en raison de l’appréciation subjective des critères esthétiques.
Ensuite, les exigences formulées sur le choix des matériaux ou des techniques employées emportent des coûts parfois excessifs. S’ajoute à ces griefs un manque d’explication des décisions et d’accompagnement des élus locaux et des porteurs de projets, qui peuvent se trouver confrontés à des refus qu’ils ne comprennent pas.
Enfin, concilier protection du patrimoine et rénovation énergétique du bâti reste un défi majeur, surtout pour l’isolation des bâtiments anciens et l’installation de panneaux photovoltaïques.
Ces divers blocages appellent des réponses concrètes pour garantir la compréhension des décisions et leur meilleure adaptation aux réalités locales.
Il ne s’agit ni de déposséder les architectes des Bâtiments de France de leur rôle ni de sacrifier notre patrimoine sur l’autel de la modernité.
Il s’agit d’introduire davantage de souplesse et de concertation, afin d’adapter le cadre réglementaire aux besoins concrets des territoires.
En Gironde, par exemple, de nombreux projets de rénovation et de réhabilitation se heurtent à des refus ou à des demandes de modifications dont la motivation manque parfois de clarté.
J’en veux pour preuve l’exemple d’un projet de rénovation d’un séchoir à tabac, dont l’architecte des Bâtiments de France a demandé la modification. Bien que le département de la Gironde jouxte celui de la Dordogne, historiquement territoire de culture du tabac, il demeure un territoire viticole. Ce genre de bâtisse ne faisant donc absolument pas partie du patrimoine, pourquoi demander de modifier un tel projet, au prix de surcoûts importants ? Certaines exigences des ABF se révèlent quelques fois pour le moins surprenantes.
La présente proposition de loi, fruit d’un travail transpartisan dont le Sénat a le secret, apporte plusieurs avancées consensuelles.
Elle simplifie la procédure de création des périmètres délimités autour des monuments historiques et permet aux élus d’instaurer un règlement encadrant l’architecture et l’esthétique des constructions dans ces zones sensibles.
Ce texte prévoit par ailleurs la publication systématique des avis des ABF sur une plateforme en ligne. Aujourd’hui, ces décisions restent trop peu accessibles, ce qui alimente un sentiment d’opacité.
La création d’une commission de conciliation constitue une autre avancée significative. Trop souvent, les projets se heurtent à des refus mal compris, entraînant des recours longs et coûteux. Cette instance offrira un cadre de dialogue adapté pour aboutir à des solutions partagées.
Nous considérons néanmoins que les élus locaux doivent être pleinement associés à ces échanges. Tel est le sens de l’amendement n° 1 rectifié bis, que notre collègue Guylène Pantel défendra à l’article 3.
Mes chers collègues, l’examen de cette proposition de loi nous rappelle que la protection du patrimoine et l’innovation sont les deux faces d’une même pièce.
Ce texte modernise un cadre parfois trop rigide, tout en garantissant la transmission des trésors architecturaux qui font la richesse de nos territoires, sans remettre en cause l’avis conforme, acquis inestimable de notre droit, auquel l’ensemble de la commission de la culture est attaché.
L’histoire et l’avenir doivent coexister en bonne intelligence, grâce à une approche fondée sur le dialogue et l’adaptation, qui concilie performance énergétique et respect des identités locales.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Mireille Conte Jaubert. C’est pourquoi notre groupe apportera son soutien à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sonia de La Provôté. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte est le fruit d’un travail consensuel du Sénat. Il reprend les recommandations de la mission d’information relative au périmètre d’intervention et aux compétences des ABF, dont le rapport a été adopté à l’unanimité en septembre dernier.
Comme notre rapporteur, dont je salue le sens de l’équilibre et de l’écoute, je me réjouis de l’inscription de cette proposition de loi dans une niche transpartisane. C’est bien le signe que ce texte vise à concilier le rôle des ABF avec les demandes de souplesse et de dialogue, récurrentes dans tous nos départements.
En effet, en tant qu’élus locaux ou anciens élus locaux, nous savons que même si la relation avec les ABF n’est pas toujours un long fleuve tranquille, ceux-ci demeurent les gardiens indispensables de la qualité urbaine et paysagère de nos territoires.
Au cours de ses auditions, la mission d’information a notamment dressé ce constat alarmant : les élus locaux et les administrés ne comprennent pas le rôle des ABF. Disons-le d’emblée, les ABF doivent certainement progresser pour mieux expliquer leurs missions, accompagner et conseiller leurs interlocuteurs, bref, faire mieux sans empêcher.
Soyons-en convaincus, il faut défendre nos ABF. Parfois, leurs avis aident même les élus locaux à demander la modification de projets réglementairement inattaquables, mais esthétiquement très contestables. S’abriter derrière leur avis négatif est alors bien utile.
Mes chers collègues, soyons honnêtes. Les ABF, c’est un peu comme l’Europe : quand quelque chose ne va pas, c’est souvent de leur faute ! Il faut donc, de part et d’autre, sortir des dogmes et des postures pour que la coopération et la confiance s’installent.
Ceci étant dit, on ne peut pas nier que les avis des ABF donnent lieu à de trop fortes tensions dont les causes sont récurrentes.
D’abord, les avis rendus manquent de prévisibilité et sont susceptibles de varier d’un ABF ou d’un département à l’autre.
Ensuite, le coût des travaux associés aux prescriptions des ABF est souvent plus élevé que celui des travaux initialement envisagés.
Il faut enfin mentionner le manque de pédagogie et de dialogue lors du rendu des avis, ainsi que la difficile prise en compte des enjeux liés à la rénovation énergétique du bâti ancien, qui place souvent les propriétaires face à des injonctions contradictoires.
Les auteurs de la présente proposition de loi souhaitent apporter des solutions, au moins partielles, à ces difficultés.
L’article 1er a pour objet de simplifier et de rendre plus souple le processus d’adoption d’un PDA pour les élus. Il vise ainsi à rendre possible l’inscription du règlement du PDA non pas dans un nouveau document, mais dans le plan local d’urbanisme (PLU) ou le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi).
Le but est de favoriser la rédaction d’un seul outil réglementaire dans lequel tout peut être inscrit, des couleurs aux matériaux, en passant par les choix opérés pour l’isolation des bâtiments.
Cela garantit la constance et la cohérence des avis dans le temps, évitant ainsi le procès trop récurrent en arbitraire. Le PDA permet d’organiser la discussion une bonne fois pour toutes, sans devoir revenir à de multiples reprises sur le sujet.
En commission, nous avons également adopté un amendement visant à assouplir le recours systématique à l’enquête publique, en supprimant celle-ci lorsque le périmètre de protection automatique est réduit.
L’article 2, quant à lui, a pour objet d’améliorer la transparence des avis rendus par des ABF, en prévoyant leur publication systématique dans un registre national numérique mis à disposition du public.
L’article 3 instaure une commission départementale chargée de l’examen collégial des dossiers litigieux et de ceux qui pourraient le devenir.
Dans sa recommandation n° 1, la mission d’information préconisait de créer une commission départementale pour favoriser la conciliation le plus en amont possible, apaiser les tensions et éviter les procédures de recours.
L’échelon départemental étant celui de la proximité et de la connaissance fine des communes, il est en mesure d’assurer la nécessaire harmonisation des décisions d’un point à l’autre du territoire.