Cependant, il ne suffit pas de fixer des objectifs ambitieux. Encore faut-il se donner les moyens de les atteindre.

Dès mon arrivée au ministère, au mois de décembre dernier, j’ai eu plusieurs occasions de m’entretenir avec vous, avec les députés, avec les élus communaux, intercommunaux ou régionaux, mais également avec les acteurs de la vie économique et les représentants du monde agricole, sur les difficultés de déclinaison locale du ZAN, les incertitudes que cela suscite aujourd’hui encore, mais aussi – il est important de le dire – avec les nombreuses collectivités qui se sont d’ores et déjà engagées, parfois de manière ambitieuse, dans la mise en œuvre du ZAN.

Je le dis depuis le début, je considère qu’il faut repartir des territoires : il s’agit non pas d’imposer depuis Paris, mais bien de bâtir des solutions adaptées aux réalités, que vous connaissez tous, de chaque territoire.

La discussion s’engage donc autour de ce texte, dont l’objectif – vous l’avez rappelé à plusieurs reprises – est non pas de supprimer le ZAN, mais de construire ensemble une trajectoire pour honorer notre objectif de 2050. Le cap est fixé ; il n’a pas varié.

Les ajustements que vous suggérez ou que je proposerai permettront sans doute de mieux s’y préparer, mais nous devons veiller à ce que la trajectoire soit respectée, car elle est fondamentale, je le crois, pour l’avenir de notre pays. C’est un point sur lequel je reviendrai.

Sans faire de comparaison avec les autres États européens, je constate que nous consommons proportionnellement plus de terres agricoles qu’eux.

J’ai ainsi pu observer que le diagnostic et les enjeux de la sobriété foncière étaient globalement partagés par tous et que personne ne discutait sérieusement la nécessité de lutter contre l’artificialisation, surtout pas les élus locaux, qui la pratiquent depuis longtemps.

Je ne reviendrai donc pas devant vous sur l’impact de l’artificialisation des sols en matière agroécologique, la limitation du stockage de carbone, l’aggravation du risque d’inondations, le dérèglement du cycle de l’eau ou encore l’érosion de la biodiversité. Nous en constatons malheureusement les conséquences, toujours plus nombreuses et importantes, année après année.

Je soulignerai, en revanche, les conséquences de l’absence de sobriété foncière en matière économique. Vous le savez, l’étalement urbain pénalise nos centres-villes, accroît notre dépendance aux mobilités carbonées, éloigne nos concitoyens de l’accès aux services et aux équipements publics, et parfois même de l’emploi.

Aujourd’hui – je le redis devant le Sénat, parce que nous avons la volonté d’avancer ensemble –, les communes rurales, au sens de l’Insee, représentaient 65,5 % de la consommation d’espaces, entre 2014 et 2020, pour 21 % des nouveaux habitants et 29 % des nouveaux ménages. Le déséquilibre peut s’entendre au regard de la nécessité de pallier les difficultés réelles liées à l’isolement, mais nous ne pouvons nous satisfaire pleinement de ce constat.

Ce n’est pas à vous que je l’apprendrai : l’artificialisation mal maîtrisée contribue à la fragmentation des territoires et à l’éloignement de services essentiels, comme les écoles, les commerces ou les centres de santé. Elle creuse les écarts entre les territoires, laissant certaines zones rurales et urbaines enclavées ou délaissées.

Nous devons donc œuvrer contre l’éparpillement des activités et la désertification des cœurs de ville, en faveur de la cohésion et contre l’émiettement d’une part de notre tissu social et de l’attractivité économique des territoires.

Or, chaque année, 24 000 hectares d’espaces agricoles, naturels et forestiers sont consommés, en moyenne, en France. Cela correspond à un département de la petite couronne parisienne, à un quinzième du département du Vaucluse, à un vingt-quatrième du département du Nord, mais aussi, pour ceux qui s’intéressent au sport, à 1 430 terrains de football ! (Sourires.)

L’artificialisation, qui s’est accélérée au cours des cinquante dernières années, est complètement décorrélée de la progression démographique ; c’est d’ailleurs dommage.

Si nous sommes passés de 60 000 hectares artificialisés par an au cours de la décennie 1980-1990 à 30 000 hectares par an dans les années 2000, du fait des efforts réalisés en termes de sobriété foncière, cette consommation stagne aujourd’hui autour de 24 000 hectares par an, comme je viens de le rappeler. D’où la perspective d’aboutir à 12 500 hectares par an à mi-parcours, pour atteindre la marche zéro en 2050.

Ce mouvement d’artificialisation est plus important chez nous que chez nos voisins européens, rapporté à la population. En effet, les données de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) montrent que l’Espagne et le Royaume-Uni ont des niveaux d’artificialisation relativement bas sur les dernières décennies, autour de 3 000 hectares par an, tandis que l’Italie artificialise autour de 6 000 hectares par an. Quant à l’Allemagne, elle approchait déjà en 2020 l’objectif de 20 000 hectares par an que, en France, nous nous sommes fixé à mi-parcours ; nous en reparlerons.

Au moment où nous entamons ce débat, je veux aussi vous rappeler que plusieurs travaux relatifs aux outils et à la mise en œuvre du ZAN sont en cours : une mission d’information de l’Assemblée nationale, qui devrait rendre ses conclusions à la fin du mois, et une mission d’inspection sur la fiscalité du ZAN, que je lancerai prochainement avec mes collègues Éric Lombard et Agnès Pannier-Runacher.

Il me paraît judicieux de prévoir de s’appuyer sur ses conclusions pour enrichir votre proposition de loi lorsqu’elle sera examinée à l’Assemblée nationale, c’est-à-dire avant l’été, comme j’en ai pris l’engagement après que cela m’eut été demandé.

L’esprit de responsabilité et le souci de dialogue sont constants au Sénat, je le sais. Ce texte en porte la marque, et je tiens à remercier toutes celles et tous ceux qui ont participé à son élaboration. Il témoigne de la convergence d’une grande partie de nos objectifs. Reste à trouver le chemin pour les atteindre de manière souple et proportionnée sans en affaiblir ou en affadir l’ambition initiale ; cela n’a pas été fait jusqu’à présent.

Avant de revenir sur les cinq articles de ce texte, je souhaite insister sur trois objectifs, qui sont essentiels pour le Gouvernement et que, je crois, nous partageons tous : réaffirmer notre confiance dans les élus locaux et les remettre au cœur du dispositif – cela a été évoqué ; rappeler l’objectif zéro artificialisation nette en 2050 ; assouplir le dispositif lorsque c’est possible – vous savez que j’y suis favorable –, afin de mieux répondre aux besoins et aux réalités des territoires, comme pour l’industrie notamment.

Ces assouplissements ne devront néanmoins pas obérer la nécessité d’un point d’étape à mi-parcours, que je propose de décaler à 2034 – j’ai entendu que cette proposition pourrait être reprise –, car il me semble indispensable d’évaluer objectivement cette avancée, d’identifier les éventuels écarts et de permettre à ceux qui seraient en retard d’atteindre l’objectif en 2050.

Il s’agit non pas de pointer du doigt ou de mettre en jugement les collectivités qui n’arriveraient pas à tenir cet objectif, qui pourra d’ailleurs s’apprécier avec discernement, mais d’identifier les territoires confrontés à des difficultés, pour les aider à les surmonter.

Mme et MM. les rapporteurs ont déposé un amendement visant à proposer une autre solution de jalon, en 2034. Je tiens à saluer, sincèrement, cette initiative ; je ne doute pas que nous aurons de riches discussions sur le sujet.

Ainsi, certaines des dispositions de cette proposition de loi ont notre assentiment total. C’est le cas de la prise en compte des projets industriels. En effet, la réindustrialisation de notre pays, surtout en ce moment, est au cœur des stratégies locales de développement territorial.

L’industrie, qui est à l’origine de 4,5 % à 5 % de l’artificialisation des sols chaque année, ne constitue pas, en soi, un enjeu majeur dans l’économie du ZAN. En revanche, ce sujet cristallise de nombreux enjeux. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de faire évoluer le dispositif en préservant la logique de sobriété foncière.

C’est ainsi que je vous proposerai, en accord avec mon collègue Marc Ferracci, un dispositif dédié à ces implantations industrielles. Il s’agit de créer, pour une durée de cinq ans, une réserve nationale de 10 000 hectares destinée à répondre aux besoins identifiés dans le cadre de la réindustrialisation, en sus des Pene.

Ainsi, à compter de la date de promulgation de la présente loi, les projets industriels auront vocation à émarger prioritairement sur cette enveloppe, plutôt que sur l’enveloppe des Pene.

Cette réserve, dont la consommation foncière devrait être décomptée nationalement, et non dans la consommation des collectivités d’implantation, sera mutualisée entre les régions via leur schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet).

En outre, l’inscription des projets dans l’enveloppe nationale dédiée à l’industrie se fera selon une procédure simple et concomitante au dépôt des autorisations d’urbanisme. Nous voulons simplifier le plus possible : cette procédure, distincte de celle de l’inscription sur la liste des Pene, sera précisée par décret en Conseil d’État.

Enfin, pour garantir la transparence de l’action publique, la liste de ces projets sera rendue publique.

Par ailleurs, je partage la nécessité de revenir à une méthode de comptabilisation en espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) à l’issue du jalon intermédiaire, plutôt que d’en passer par une comptabilisation en artificialisation.

Cette évolution répond – je l’avais indiqué devant votre commission, madame la présidente Estrosi Sassone – à une préoccupation légitime des élus, qui avaient l’habitude de suivre leur consommation foncière en Enaf, mais elle conduit à renoncer à une appréciation plus fine des dynamiques d’occupation et d’usage des sols. Je n’ai pas déposé d’amendement, afin de permettre la discussion autour de vos propositions, mais je rejoins les rapporteurs sur ce point.

Je tiens par ailleurs à souligner que le retour à une comptabilisation en Enaf constitue déjà, en soi, un assouplissement important du ZAN, même s’il nous est difficile de le quantifier à ce stade.

Je prendrai un exemple, très concret, pour l’illustrer : si l’on construit une maison au sein d’un lotissement qui en compte déjà plusieurs, le retour à la comptabilisation en Enaf conduira à ce que cette nouvelle construction ne soit pas considérée comme de la consommation foncière supplémentaire, alors que, dans le schéma qui était prévu après 2031, ce nouveau bâtiment aurait été considéré comme de la consommation foncière.

Ainsi, pour faire la transition avec mon point suivant, ce retour aux Enaf permettra de ne plus comptabiliser les mobilisations de dents creuses en artificialisation et, ainsi, de favoriser des projets de densification heureuse, lesquels n’empêchent pas – j’ai pu le constater – la réélection des élus qui la pratiquent.

De même, je suis favorable à l’inscription dans la loi d’une forme de définition des zones périurbanisées, afin de traiter, notamment, des dents creuses. Pour ne pas rigidifier le dispositif et permettre une égalité de traitement sur l’ensemble du territoire, je propose de nous appuyer sur la notion de faisceau d’indices, issue de la jurisprudence. Cette différence de comptabilisation ne doit cependant pas altérer la définition de l’artificialisation ; j’y reviendrai.

J’entends également votre souhait de vous appuyer sur les conférences régionales de gouvernance, que vous avez lancées, pour replacer les élus locaux au cœur des stratégies territoriales d’atteinte du ZAN.

Il s’agit ici, sans renverser totalement la hiérarchie des normes introduite entre les Sraddet, les schémas de cohérence territoriale (Scot) et les plans locaux d’urbanisme intercommunal (PLUi), notamment pour sécuriser les collectivités qui ont d’ores et déjà engagé les travaux de révision de leurs documents d’urbanisme, lorsque ceux-ci n’ont pas encore été annulés par certains tribunaux administratifs – j’ai encore vu le cas récemment –, de permettre aux élus locaux de repenser le ZAN au regard des stratégies de développement portées à l’échelle des Scot, par exemple.

Je le dis de manière transparente : j’étais favorable à la fin de la prescriptibilité des Sraddet, mais je mesure toutes les difficultés qui en découleraient, notamment dans les régions où ce travail a été conduit.

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur. Elles sont au nombre de cinq !

M. François Rebsamen, ministre. C’est la raison pour laquelle nous devons discuter pour trouver une solution pertinente et préciser ces dispositions.

Je suis néanmoins attaché à ce que ces assouplissements n’aient pas un effet contre-productif, qui pourrait nous éloigner de l’objectif à horizon 2050.

Aussi, le compromis que je propose – décaler la période d’observation à 2034 – entraînera un assouplissement de la trajectoire d’environ 37 500 hectares, avec l’exemption des grands projets industriels, en faisant porter ces 10 000 hectares sur ce volume de 37 500 hectares.

En outre, je suis attaché à autoriser l’extension de la mutualisation de l’hectare octroyé par la garantie communale, soit à l’échelle des Scot, soit à l’échelle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), si nécessaire, afin de permettre aux élus locaux de gérer plus finement ces hectares et de bâtir des stratégies d’aménagement à des échelles plus larges, en fonction des besoins de leur territoire. (M. André Reichardt sexclame.)

Ces ajustements de bon sens, auxquels je suis certain que vous souscrivez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous semblent d’autant plus indispensables qu’ils préservent l’esprit du dispositif.

Le texte qui est soumis à votre examen comprend donc de nombreuses dispositions qui permettent d’assouplir le ZAN de manière progressive et qui facilitent sa nécessaire appropriation par les élus et les acteurs de l’aménagement. Cependant, certaines d’entre elles, tout comme les propositions qui vont nourrir le débat, présentent à mon sens un risque important de vider de leur substance les engagements auxquels nous sommes attachés.

Comme je vous l’ai dit précédemment, je ne suis pas favorable à la suppression de la définition des termes « artificialisation des sols » dans le code de l’urbanisme, dans la mesure où cette notion est également mobilisée dans d’autres dispositifs juridiques ; effectuer un tel changement serait donc très lourd.

De même, je ne suis pas favorable à la suppression du jalon intermédiaire 2021-2031 visant à maintenir une sorte d’évaluation de l’atteinte des objectifs et à ne pas réitérer les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU).

En outre, je propose de décaler ce jalon à la période 2024-2034, pour neutraliser la période 2021-2023, durant laquelle les collectivités ne pouvaient pas réellement maîtriser – cela semble aujourd’hui évident – leur consommation foncière. Je le redis, ma proposition permet de détendre l’objectif initial de 37 500 hectares, qui pourront donc être mobilisés par les collectivités pour des projets d’aménagement.

Je ne suis pas non plus favorable au décalage des échéances de révision des Sraddet et des documents d’urbanisme, et cela pour deux raisons principales : d’une part, ce serait source d’insécurité juridique pour de nombreuses collectivités qui ont déjà entrepris ces travaux ; d’autre part, ce report réduirait d’autant la période à disposition des collectivités pour atteindre l’objectif ZAN à 2050, ce qui les obligerait à prendre des décisions drastiques, alors qu’un travail progressif permet d’en lisser les effets dans le temps.

En effet, il est nécessaire que l’évolution des documents d’urbanisme ait lieu pendant la période d’observation, afin de donner aux collectivités les moyens d’ajuster leur stratégie et de mettre en œuvre les orientations inscrites dans leur document d’urbanisme pendant cette période.

En conclusion, je crois que l’enjeu est ici de mieux faire comprendre le ZAN – son ambition, sa philosophie, ses objectifs –, pour une mise en œuvre progressive, souple et acceptée par l’ensemble des acteurs du territoire, et d’apporter les derniers ajustements nécessaires à son appropriation par les élus et les acteurs de l’aménagement, qui sont encore nombreux à se montrer dubitatifs quant à ses effets.

Cette proposition de loi ne doit donc pas venir interrompre la dynamique de sobriété foncière, laquelle est bien enclenchée – contrairement à ce que j’ai entendu dire – par les acteurs et les élus locaux. Cette dynamique est la seule qui permettra de réduire efficacement une consommation foncière susceptible, à terme, de mettre en péril notre agriculture et notre environnement, mais aussi d’accroître notre vulnérabilité aux risques climatiques.

Je suis convaincu que, grâce aux travaux du Parlement, ce texte sera un levier efficace pour la réussite de notre ambition collective de réduction concertée et acceptée de l’artificialisation des sols. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis. (M. François Patriat applaudit.)

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ZAN, ces trois lettres que nous avons tous identifiées continuent de susciter tantôt des critiques, tantôt des inquiétudes, parmi les élus locaux de France.

Si nous pouvons avoir le sentiment que ce concept existe depuis de nombreuses années, il fut un temps, pas si lointain, où nous parlions du sujet de l’artificialisation sans faire référence au ZAN. En réalité, mes chers collègues, la notion est apparue en 2018, à l’occasion du plan biodiversité lancé par le ministre Nicolas Hulot.

La notion fut ensuite reprise par la Convention citoyenne sur le climat, avant d’être inscrite dans la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et Résilience, qui fixa l’objectif zéro artificialisation nette pour 2025.

Sur le papier, l’intention était louable, mais force est de constater que sa mise en place a été chaotique pour les élus.

Entre le manque de concertation avec les principaux acteurs concernés et des méthodes de comptabilisation plus que complexes, le ZAN s’est heurté à la réalité de nos territoires. Sans oublier la publication de décrets qui ne correspondaient pas à la lettre de la loi Climat et Résilience, ce qui n’a pas manqué de mettre le feu aux poudres…

À tel point que le Parlement, sur l’initiative du Sénat, adopta le 20 juillet 2023 une loi ZAN 2 – la loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux –, dont l’objectif était de renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols et de répondre aux difficultés de mise en œuvre du ZAN sur le terrain.

Cette loi a certes apporté des assouplissements, mais sans lever pour autant tous les blocages. C’est la raison pour laquelle le Sénat a décidé de lancer un groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l’artificialisation des sols.

Ce groupe de suivi, dont j’ai été membre, avait lancé en 2024 une concertation en ligne à destination des élus locaux.

Les résultats, publiés en juin 2024, sont sans appel : 75 % des répondants estiment que les critères de territorialisation des enveloppes d’artificialisation ne sont pas correctement pris en compte ; 77 % des répondants bénéficiaires de la garantie de développement communal ont l’intention de l’utiliser ; plus des deux tiers des répondants ont du mal à déterminer ce qui est classé comme consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers ; enfin, 81 % des répondants considèrent le changement de mode de comptabilisation de l’artificialisation en 2031 comme problématique… Autant de raisons qui justifient, mes chers collègues, de réajuster le ZAN.

Tel est le sens de cette proposition de loi : repenser le ZAN pour en faire un outil intelligent et adapté aux réalités locales.

Plutôt que d’avoir une logique verticale et descendante, je crois qu’il serait bénéfique pour tout le monde d’inverser la logique de territorialisation, en partant des besoins et des projets des collectivités territoriales.

Je trouve donc utile de pérenniser, au sein de l’article 1er, la mesure de l’artificialisation par le décompte de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers, les Enaf, comme c’est actuellement le cas jusqu’en 2031.

Ce mode de comptabilisation, connu et compris des élus locaux, permet aux collectivités de mieux piloter leur artificialisation au travers de leurs documents d’urbanisme et d’assurer un suivi en temps quasiment réel des consommations foncières.

La discussion du mode de calcul est justement l’occasion de réfléchir à la nature même des projets inclus dans la comptabilisation, laquelle fait régulièrement l’objet d’interpellations de la part de nos maires.

À ce propos, je salue l’adoption d’un sous-amendement que j’ai défendu en commission et dont le but est d’exempter du décompte de la consommation d’Enaf les énergies renouvelables jusqu’en 2036. En effet, la décarbonation du mix énergétique et la sobriété foncière ont les mêmes objectifs : lutter contre le dérèglement climatique et renforcer notre souveraineté énergétique. La mesure a été adoptée en commission – tant mieux !

Nos débats en commission ont également démontré la nécessité de revenir sur les dates butoirs s’agissant des documents d’urbanisme. En ce sens, le décalage de ces dates me semble bienvenu. Concrètement, il s’agit de repousser les dates butoirs de 2027 et 2028 avant lesquelles doit intervenir la modification des documents d’urbanisme, à 2031 pour les Scot et à 2036 pour les PLUi et les cartes communales.

J’ajoute que les régions pourront, en toute souplesse, décider ou non de modifier leur Sraddet, afin d’adopter un objectif régional de trajectoire foncière jusqu’au 22 août 2026.

Mes chers collègues, en conclusion, je crois que le Sénat peut, une fois encore, être la vigie attentive et soucieuse du quotidien des élus locaux. Il s’agit non pas de remettre en cause l’idée même du ZAN, mais simplement d’en faire un outil plus affûté, plus utile et plus adapté aux réalités locales.

C’est une nouvelle occasion de prouver le sérieux de notre assemblée et, ainsi, de démontrer que la démocratie représentative est bel et bien utile dans notre pays. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Philippe Grosvalet. Monsieur le Président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cinquante années ont suffi pour artificialiser davantage de terres qu’en cinq siècles. Ainsi, en Loire-Atlantique, on a consommé autant de terres en un siècle et demi que depuis les origines de l’humanité !

Pour enrayer cette fulgurante accélération, la loi Climat et Résilience de 2021 a introduit l’objectif zéro artificialisation nette à horizon 2050.

J’avais moi-même lancé cette nécessaire ambition dès 2017 dans mon département, en délivrant toutefois ce message aux maires : « N’attendez pas qu’une loi vienne vous dicter ce que vous devez faire. » J’étais, hélas ! visionnaire, tant cette loi a suscité rejet et défiance de la part de nos élus locaux.

La complexité du dispositif, la parole peu ou pas écoutée des acteurs de terrain et les inégales interprétations des services décentralisés de l’État ont transformé un impératif de sobriété foncière en une entrave supplémentaire dans la gestion et le développement de nos territoires.

Dès 2023, le législateur, ayant conscience de ces difficultés, y avait apporté des modifications via la loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux, notamment autour des projets d’envergure nationale ou européenne, les Pene, par l’instauration de la garantie rurale et l’installation des conférences régionales.

Néanmoins, cette initiative parlementaire bienvenue ainsi que les changements réglementaires qui ont suivi n’ont pas suffi à corriger tous les défauts d’un objectif initial mal conçu. Comment, dès lors, concilier sobriété foncière et développement du territoire, ces objectifs aujourd’hui compris et intégrés par nos communes ?

Il s’agit de trouver un point d’équilibre entre l’impératif moral de maintenir l’objectif ZAN pour garantir une terre vivable pour nos petits-enfants, l’absolue nécessité d’assurer un logement pour tous et de garantir les conditions de notre souveraineté industrielle, si cruciale actuellement, et la prise en compte des diversités et des différents besoins de nos territoires.

Dans ce contexte, le groupe RDSE aborde plutôt favorablement la discussion des articles 1er, 3, 4, 5 et 6, qui redonnent de la capacité aux élus locaux en assouplissant la définition de l’artificialisation, en les libérant des fortes contraintes calendaires autour des documents d’urbanisme, ou encore en renforçant le rôle de la conférence régionale de gouvernance de la sobriété foncière.

En revanche, nous estimons que l’article 2, qui vise à supprimer l’objectif intermédiaire, aujourd’hui fixé à 2031, n’est en aucune façon une mesure de souplesse, mais constitue au contraire une perte de repères.

Le marin que je suis sait combien les balises sont indispensables pour atteindre le port sans encombre quand la mer est mauvaise… Sans balise intermédiaire, sans point d’étape, nous plongeons nos collectivités dans le brouillard et nous prenons le risque d’une aggravation des disparités territoriales.

De plus, en proposant un point unique à 2050, cette disposition fausse en partie l’ambition du texte, qui parle, je le rappelle, de trajectoire… La trace n’est que le sillage que nous laissons derrière nous ; elle ne définit pas le chemin qui reste à parcourir !

Sans aucun point d’étape d’ici à 2050, comment ne pas craindre que certaines collectivités soient tentées de se mettre à la cape ? Quel héritage allons-nous léguer aux maires qui seront élus en 2044 ? D’autant que – nous le savons, car le ministre l’a dit – les dernières marches pour atteindre l’objectif ZAN seront les plus difficiles à gravir. Comment nous jugeront-ils alors ?

Par conséquent, le Sénat doit assumer pleinement son rôle de chambre des collectivités et répondre aux attentes de nos élus : maintenir un objectif très ambitieux, pour laisser une terre désirable aux générations à venir sans pour autant imposer des contraintes obérant leur pouvoir d’agir ; rendre l’objectif ZAN soutenable sans le vider de sa substance ou, comme je l’ai répété tout au long de nos débats, ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain ; fixer le cap, tracer la route, pour que chaque commune de France puisse dessiner sa trace et l’inscrire dans son livre de bord.

Voilà, mes chers collègues, ce à quoi je nous invite. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Guislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc d’avoir déposé cette proposition de loi très attendue par nos élus, qui apporte des correctifs aux conditions d’application du ZAN dans nos territoires.

L’application uniforme de ce dispositif issu de la loi Climat et Résilience s’est avérée profondément inadaptée aux réalités et aux besoins de ces derniers.

Dans le département de la Meuse, comme ailleurs, les élus nous font part chaque semaine de leurs vives inquiétudes dans la mise en place du ZAN. Notre département, intégralement classé en zone France Ruralités Revitalisation (FRR) et qui n’a consommé que peu de foncier, serait condamné à l’immobilisme dans la version initiale du zéro artificialisation nette : c’est inacceptable.

Nos élus se retrouvent trop souvent contraints, voire bloqués dans le développement de leur offre de logements ou d’accueil d’entreprises, alors même que nous prônons la réindustrialisation de notre pays : autant d’injonctions contradictoires dont nos politiques publiques regorgent.

Je salue l’action de Valérie Létard, qui avait déjà, voilà quelques années, pointé les défaillances du dispositif. Elle s’était efforcée, au Sénat, d’assouplir le ZAN en apportant des correctifs à la loi. Mais il reste du chemin à faire.

Je salue le travail de nos deux collègues auteurs de la proposition de loi et des trois rapporteurs, qui dressent le même constat.

Soyons clairs, nous sommes tous conscients de l’importance de la sobriété foncière, qui est une nécessité, mais nous devons adopter une approche différenciée selon les territoires.

Il faut savoir faire preuve de souplesse et sortir du carcan dans lequel nous sommes pris. Chères Amel Gacquerre et Dominique Estrosi Sassone, alors que nous avons un sérieux problème de logement dans notre pays, nous limitons les nouvelles constructions.

Nous devons renforcer les moyens d’action pour accéder à la sobriété foncière et amoindrir une coercition contre-productive. Il faut octroyer davantage de libertés aux élus, seuls à même de connaître les enjeux et les besoins en termes d’aménagement de leurs territoires. La différenciation territoriale sera un gage d’acceptabilité et d’adhésion.

Les mesures de simplification et de réalisme présentées dans ce texte constituent de réelles avancées.