M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, sur l’article.
M. Alain Houpert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai entendu chacun s’exprimer. J’ai été séduit par le discours d’Olivier Paccaud, sénateur de l’Oise, département similaire au mien. La Côte-d’Or est en effet composée de 698 communes, dont 80 % ont moins de 500 habitants.
Selon mon collègue, bien légiférer, c’est rendre possible ce qui est souhaitable. La laïcité est souhaitable et nous la souhaitons tous. Est-elle pour autant possible partout ?
Si cette loi est adoptée, j’ai peur que l’on aboutisse avant les élections municipales de 2026 à un constat d’échec. Je me demande même si cette loi n’est pas un cheval de Troie, comme cela a été dit tout à l’heure, pour pousser au regroupement forcé de communes, à la suite de cet échec.
Mme Kristina Pluchet. Exactement !
M. Alain Houpert. À mon sens, la parité est souhaitable, mais ce n’est pas en la rendant obligatoire qu’elle deviendra possible. Avancer que cette disposition a été adoptée à l’Assemblée nationale n’est pas un argument. Les représentants des collectivités, c’est nous ! C’est nous qui sommes tous passés sous les fourches caudines des élections municipales, alors que, depuis quelques années, les députés sont en général issus de la société civile.
Pour toutes ces raisons, je voterai contre l’article 1er. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, sur l’article.
Mme Anne Chain-Larché. Ce n’est pas le premier texte de loi sur la diminution du nombre d’élus et le changement de mode de scrutin de nos petits villages. Je voudrais que le Sénat perde l’habitude de cultiver l’art de répondre à des questions qui ne lui sont pas posées. (Marques d’approbation et applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Aujourd’hui, les élus ne nous demandent absolument pas de prendre ce genre de mesures. Ils demandent simplement que l’exécutif national – disant cela, je m’adresse à vous, madame la ministre – cesse de les mépriser, de cultiver des normes, de leur imposer une administration extrêmement pesante. Au contraire, ils veulent des moyens et la fin des incivilités, voire des agressions dont ils sont victimes. En bref, ils ont besoin d’être soutenus.
À la veille des élections municipales, ils ont déjà réfléchi à leur liste. Croyons-nous ici, au Sénat, que personne n’a anticipé ce qui allait se passer dans un an ? Les listes sont déjà constituées. (M. le rapporteur s’étonne.)
Vous défendez l’idée d’un travail en équipe. Que croyez-vous qu’il se soit passé jusqu’à présent ? Dans les communes de moins de 1 000 habitants, on constitue des équipes et on fait en sorte qu’elles soient représentatives.
Bien entendu, nous défendons tous la parité, mais, ce que nous défendons surtout, c’est la représentativité dans notre territoire des différents hameaux, des différentes professions, des différentes sensibilités qui feront que l’acte démocratique sera au rendez-vous.
À mon sens, non seulement le Sénat perd son temps, mais il est de surcroît en train de perdre son âme. (Marques d’étonnement au banc des commissions.) Nous sommes les représentants des territoires, les représentants de ces petites collectivités. À force de réduire le nombre d’élus et le droit à l’initiative, nous finirons par réduire le nombre de communes, ce qui n’est pas ce que nous souhaitons ici. (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Guislain Cambier et Cédric Chevalier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, sur l’article.
Mme Sonia de La Provôté. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est important que toutes les communes de notre pays aient une représentation municipale bâtie sur un projet. Un projet, c’est avant tout ce vers quoi on tend quand on a la responsabilité d’une commune. Un projet commun promu par une équipe qui a été élue est un gage de transparence, une forme de loyauté vis-à-vis des électeurs qui ne connaîtront ni surprise ni imprévu. C’est une forme d’efficacité et une opportunité pour les communes de notre pays. On ne bâtit pas un mandat d’un trait de crayon sur du papier.
Que dire face à cette supposée difficulté à trouver des femmes ? C’était insurmontable pour les communes de plus de 1 000 habitants, alors que c’est tout à fait évident désormais ! Pourtant, que n’a-t-on entendu alors ? Il était impossible de créer des binômes pour les conseils départementaux, les femmes deviendraient les faire-valoir des hommes dans ces montages, etc. Finalement, on ne saurait plus aujourd’hui se priver des femmes dans les conseils départementaux, parce qu’elles ont amené un souffle nouveau et une nouvelle façon de fonctionner. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Départements de France.
J’ose le dire, ce texte apporte de la qualité démocratique. Oui, le Sénat est dans son rôle quand il examine ce texte issu de l’Assemblée nationale. D’ailleurs, cette proposition de loi ne sort pas de nulle part : une mission d’information a été conduite par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, et certains élus, notamment des élus de petites communes rurales, défendent ce projet.
Finalement, nous sommes parfaitement dans notre rôle et, en en discutant ici, nous faisons grandir la démocratie. (Applaudissements sur des travées du groupe UC, ainsi que sur les travées du groupe GEST. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Vial, sur l’article.
M. Cédric Vial. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à quel moment cela a-t-il dérapé ? Madame la ministre, vous savez que je vous apprécie particulièrement : lorsque vous étiez sénatrice et présidente de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, j’ai travaillé à vos côtés pour plus de simplification, puisque la simplification constitue le leitmotiv de cette délégation.
Pourtant, que ne fait-on pas ici ? À quel moment est-ce que cela a dérapé ? Si ce texte est adopté, nous aurons voté pour que, dans les communes, des listes incomplètes puissent être élues face à des listes complètes. Il n’y aura pas de second tour, comme c’était le cas auparavant, et le conseil municipal sera composé de moins d’élus que le nombre prévu pour une commune de cette taille, alors qu’il y avait plus de candidats. Pour autant, il sera déclaré complet. Comment peut-on en arriver là ?
Qui plus est, dans une commune de moins de 1 000 habitants, que se passera-t-il le jour où, par le jeu des démissions que l’on connaît tous dans les exécutifs locaux, ce conseil municipal incomplet aura perdu le tiers non pas du nombre des membres effectifs du conseil municipal, mais du nombre théorique d’élus qu’il aurait dû avoir ? Dans une commune de plus de 1 000 habitants, on organiserait des élections générales, comme c’est le cas pour toutes les élections au scrutin proportionnel, alors que, dans une commune de moins de 1 000 habitants, on organisera des élections complémentaires, qui devront se faire au scrutin proportionnel dans la limite de plus ou moins deux élus par rapport au nombre à pourvoir.
Madame la ministre, on marche sur la tête ! On est en train de créer des normes inintelligibles pour la plupart des élus et, plus encore, pour la plupart de nos concitoyens. Il faut réagir. On ne peut pas mettre en place un tel système. Je voulais appeler votre attention sur ce point. (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Mireille Jouve applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, sur l’article.
Mme Corinne Féret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne voudrais pas paraître irrespectueuse, mais je commencerai par rappeler une réalité : la société est constituée pour moitié de femmes. C’est un fait. Vous n’allez pas me dire le contraire ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. Ce n’est pas le sujet !
Mme Corinne Féret. Dans ces conditions, pourquoi y aurait-il des difficultés à avoir autant de femmes que d’hommes dans un conseil municipal ? Pourquoi y aurait-il plus de difficultés dans une commune de petite taille ou de très petite taille ? Pourquoi devons-nous encore, en 2025, entendre de tels arguments : « La parité, on est tous d’accord, mais, vous comprenez, pour les petites communes, ce n’est pas possible, on ne trouvera pas de femmes dans ces petites communes,… (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Caricature !
Mme Corinne Féret. … et on va compliquer la vie des élus en leur imposant de chercher des femmes pour constituer leur liste. »
Je vous rappelle que les femmes composent la moitié de notre société. Elles sont là !
Une de mes collègues a dit qu’il fallait faire confiance à la motivation. Je vous rassure, les femmes sont motivées ! Si vous leur laissez la place et leur proposez d’accéder à certaines responsabilités, notamment au sein des conseils municipaux, elles seront aussi motivées que les hommes ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny, sur l’article.
Mme Anne-Sophie Romagny. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, je refuse que l’on fasse le raccourci, dans cet hémicycle, consistant à dire que trouver des femmes serait un problème. Les femmes ne sont pas un problème. Ce qui pose difficulté, c’est la contrainte normative. Dans certaines communes de la Marne, la parité limite le nombre de femmes. C’est une réalité. En tout état de cause, le débat ne doit pas se limiter à la question des femmes.
En France, 73 % des communes comptent moins de 1 000 habitants, mais dans la Marne, cette proportion monte à 89 %. Un sondage révèle que 70 % des élus sont opposés à cette mesure. Dans une commune de 50 habitants, trouver sept candidats suppose de mobiliser 14 % de la population. Imposer en plus que la liste soit composée d’une répartition stricte d’hommes et de femmes – quatre hommes et trois femmes, ou l’inverse – revient à ajouter une contrainte supplémentaire. Pensez-vous sincèrement que la France ait besoin de nouvelles contraintes aujourd’hui, mes chers collègues ?
Je connais des communes de plus de 1 000 habitants qui ont dû se priver de candidates sous prétexte de la parité. Demain, il en ira de même dans les communes de moins de 1 000 habitants. Des maires me disent qu’ils auraient souhaité accueillir plus de femmes, mais qu’ils ne l’ont pas pu à cause des règles de parité. J’ai en tête une commune de la Marne dont le maire est une femme entourée d’adjointes et d’une majorité de femmes siégeant au conseil municipal. Nous allons interdire à cette élue de faire élire davantage de femmes ! Il ne faudrait pas que, sous prétexte de vouloir bien faire, nous fassions pire, mes chers collègues.
Enfin, concernant le « tir aux pigeons », rien n’a jamais empêché une équipe de présenter un projet, de mener campagne ensemble et de présenter des candidatures uninominales. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, RDSE et Les Républicains, ainsi que sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, sur l’article.
M. Bernard Fialaire. Je ne crois pas que le Sénat perde son âme en abordant un sujet à la demande de l’Association des maires ruraux de France et de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. Le président de l’AMRF !
M. Bernard Fialaire. Je connais ces deux associations. Certains préfèrent le sport individuel aux sports collectifs. Pour ma part, ayant pratiqué un sport d’équipe, je considère que c’est une expérience pédagogique qui oblige à composer avec une équipe comportant des profils différents et complémentaires.
Je ne suis pas partisan de la mode actuelle de la démocratie directe. Je crois fermement aux vertus de la démocratie représentative, qui repose notamment sur la constitution d’équipes partageant un projet et assumant leurs responsabilités devant les citoyens.
Je ne suis par ailleurs pas favorable à l’incomplétude des listes. Je pense qu’il faut aller au terme du processus.
On me dit que les très petites communes pourraient rencontrer des difficultés pour compléter leur équipe. À cela, je réponds que je suis favorable aux communes déléguées au sein des communes nouvelles, avec un véritable statut pour ces communes déléguées. Cela fonctionne très bien.
Mais au-delà du statut de commune déléguée, j’estime que si une commune n’est pas en mesure de réunir le nombre nécessaire de personnes pour constituer un conseil municipal, ce sont la conscience de ce qu’implique une collectivité locale et l’engagement qu’elle suppose qui sont en jeu. (Marques d’impatience sur des travées du groupe Les Républicains, l’orateur ayant dépassé son temps de parole.)
Enfin, comme l’indiquait mon collègue Bilhac, dans toutes nos communes, les femmes sont plus nombreuses au sein des associations, notamment de parents d’élèves. Je ne vois donc pas pourquoi il serait impossible d’atteindre la parité dans les conseils municipaux. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, sur l’article.
Mme Ghislaine Senée. On parle beaucoup des difficultés que les maires rencontrent aujourd’hui pour constituer des listes. Il est vrai que c’est difficile. Certains y voient une crise des vocations, mais je crois qu’il s’agit avant tout d’une crise politique. Et en écoutant nos débats, on comprend pourquoi, mes chers collègues. Consciemment ou inconsciemment, nous sommes en train d’expliquer que l’engagement étant exigeant, il est difficile de trouver des volontaires. Or notre devoir, ici même, au Sénat, est justement de montrer à quel point le mandat d’élu municipal et le mandat de maire sont des mandats extraordinaires.
Tous ceux qui ont siégé dans cet hémicycle et qui ont été maires savent qu’entre le mandat de sénateur et le mandat de maire, c’est le second qu’ils ont préféré. Notre rôle est de le dire et de le faire savoir : c’est un mandat exceptionnel.
Nous devons lutter contre cette crise politique. À mon sens, elle n’est pas une crise des vocations. Si l’on parle de crise des vocations, c’est parce qu’on ne cesse de répéter à quel point cet engagement est difficile. En réalité, de nombreuses citoyennes qui n’en ont pas forcément l’idée ou qui ne se sentent pas légitimes pour le faire seraient heureuses de s’investir.
Je suis convaincue que si nous faisons l’effort d’aller chercher ces femmes, nous les trouverons. Nous sommes nombreuses ici à en être la preuve, mes chères collègues. Moi-même, on est venu me chercher. Jamais je n’aurais imaginé que j’étais capable de faire de la politique. On est venu me solliciter parce qu’il fallait des femmes sur une liste électorale. Et c’est précisément cela qui est important.
Oui, il y a un cap à franchir, oui, le calendrier n’est pas simple, mais ce n’est pas une contrainte supplémentaire, ce n’est pas une obligation de plus. C’est au contraire une opportunité, une réponse à cette crise que l’on qualifie de crise des vocations, mais qui est avant tout une crise politique. Il s’agit de redonner de la vitalité à notre démocratie locale. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Corinne Féret applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Somon, sur l’article.
M. Laurent Somon. Je ne reviendrai pas sur tous les arguments qui ont été avancés, car ils ont leur valeur, que l’on soit pour ou contre cette mesure.
Je rejoins Cécile Cukierman lorsqu’elle dit que l’enjeu n’est pas d’être pour ou contre la parité. Tout le monde reconnaît l’importance de la parité, dès lors qu’elle peut être appliquée de manière réaliste. Il n’y a par ailleurs pas de difficulté à trouver des femmes pour constituer des conseils municipaux. La motivation et la compétence sont les véritables moteurs.
Comme Mme Senée, que je rejoins sur ce point, je m’inquiète davantage du risque d’attrition démocratique que des difficultés à constituer des listes ou à respecter la parité. La délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation s’est efforcée de comprendre pourquoi l’abstention ne cessait de progresser. Or les élections municipales sont celles qui mobilisent le plus d’électeurs. Avec cette proposition de loi, nous prenons donc un risque, mes chers collègues.
L’avis des associations nationales mérite sans doute d’être interrogé. Dans mon département, les associations locales qui leur sont affiliées ont en effet exprimé leur opposition à ce texte.
Dans les communes de plus de 1 000 habitants, où la liste complète et paritaire est une obligation, il n’y a bien souvent qu’une seule liste. Quel choix démocratique reste-t-il alors aux électeurs ? Et que se passe-t-il dans ce cas ? Les électeurs ne se déplacent plus. Pourquoi iraient-ils voter, puisque le résultat est joué d’avance, si ce n’est au premier tour dans le cas où il n’y a pas suffisamment de votants, du moins au second tour ?
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Laurent Somon. Je ne remets pas en cause les arguments des uns et des autres, mais j’estime que ce texte emporte un véritable risque d’attrition démocratique. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 7 rectifié ter est présenté par MM. Chevalier, Laménie, Brault et Grand, Mme L. Darcos, MM. D. Laurent, V. Louault, Khalifé et Verzelen, Mmes Nédélec et Guidez, MM. Longeot, Paccaud et Somon et Mmes Romagny et Paoli-Gagin.
L’amendement n° 25 rectifié ter est présenté par MM. C. Vial, Klinger et Sido, Mmes Jacques et Joseph, M. Chatillon, Mmes F. Gerbaud et Estrosi Sassone, MM. Bruyen, Perrin, Rietmann, Naturel, de Legge, Panunzi, Saury et Bouchet, Mmes P. Martin, Belrhiti et Ventalon, M. Chaize, Mme Chain-Larché et M. P. Vidal.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Cédric Chevalier, pour présenter l’amendement n° 7 rectifié ter.
M. Cédric Chevalier. Cet amendement vise à supprimer le présent article, qui prévoit l’harmonisation du mode de scrutin des petites communes avec celui des communes de plus de 1 000 habitants.
J’ai déjà exposé plusieurs arguments lors de la discussion générale, et j’ai écouté avec attention les différentes interventions. Je suis néanmoins surpris par certains propos, mes chers collègues : on nous dit que la parité fonctionne, que l’on parvient à trouver des femmes pour constituer des listes. Si tel est le cas, pourquoi changer les règles ?
Le véritable problème, selon moi, est celui du calendrier, et pas seulement parce que les élections municipales sont prévues dans un an. La sagesse serait d’adopter d’abord la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local, qui répond de manière concrète aux enjeux de vocation, d’accompagnement et de formation des élus. Que se passera-t-il une fois ce dernier texte examiné par l’Assemblée nationale ? Sera-t-il adopté dans les mêmes termes qu’au Sénat, qui l’a voté à l’unanimité ?
La sagesse commanderait donc de retirer cette proposition de loi, d’attendre la mise en place du statut de l’élu local, d’en tirer un bilan, et ensuite, seulement, de réfléchir à une évolution du mode de scrutin. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour présenter l’amendement n° 25 rectifié ter.
M. Cédric Vial. Cet amendement est identique au précédent et vise, tout simplement, à supprimer le présent article. Je constate qu’il est toujours très compliqué de faire simple, mes chers collègues.
M. Jacques Grosperrin. C’est la France !
M. Cédric Vial. Je ne répéterai pas ce que j’ai déjà dit. Les dispositions de cet article nous entraîneraient dans une complexification sans pareille. J’en ai donné quelques exemples ; j’aurais pu en ajouter d’autres, comme les effets de ces dispositions sur les conseils communautaires ou le nombre d’adjoints.
Cette réforme emportera de plus une politisation des petites communes. Nous savons que le passage à la proportionnelle entraîne inévitablement une politisation des élections, puisqu’il conduit à un scrutin de liste. Nous allons introduire de la politique politicienne dans des petites communes qui en étaient préservées. C’est une évolution dont nous devrions nous méfier, mes chers collègues.
M. Jacques Grosperrin. – Exactement.
M. Cédric Vial. – En exigeant des listes complètes, nous allons paradoxalement contribuer à installer des conseils municipaux incomplets. Il est certes parfois difficile de trouver des élus dans certaines communes, mais chaque élu est utile. Or si cette réforme conduit à une diminution du nombre d’élus bénévoles, en particulier dans les petites communes, alors elle va à l’encontre même de notre mission.
Se pose enfin une question démocratique. Il est d’usage de ne pas modifier les règles électorales dans l’année précédant un scrutin. De plus, comme l’a indiqué mon collègue Somon, cette réforme ne contribuera pas à renforcer la démocratie, bien au contraire. Aujourd’hui, dans les petites communes, les citoyens tiennent à la liberté qui leur est accordée de voter pour des candidats individuellement. Avec ces scrutins de liste, on leur enlève ce pouvoir, cette liberté. C’est une atteinte à la démocratie. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Kerrouche, rapporteur. Le débat est conforme à ce que nous pouvions en attendre. Revenons à un peu de rationalité, mes chers collègues. Ce texte ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité. Il prévoit de doter les communes d’un outil technique dont il nous revient de déterminer si, comme je le pense, il emporte plus d’avantages que d’inconvénients.
Je n’entrerai pas dans ce débat sur la représentativité des associations d’élus. Comme vous le savez, cette mesure fait l’objet d’une demande unanime de l’AMF, de l’AMRF et d’Intercommunalités de France, ce qui est rare. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Cette demande a été réitérée à plusieurs reprises, aussi bien lors de la publication du rapport de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation que lors des auditions menées dans le cadre de l’élaboration du rapport sur cette proposition de loi.
Notre débat ressemble par ailleurs en tout point à celui que nous avons eu lorsque nous avons porté de 3 500 habitants à 1 000 habitants le seuil au-dessus duquel le scrutin de liste s’applique, mes chers collègues. À l’époque, les arguments avancés étaient très similaires. Alors que cette réforme est entrée en vigueur depuis plusieurs années, je constate que les communes concernées ne nous ont pas fait part de difficultés majeures.
M. Laurent Somon. Dans la Somme, si.
M. Éric Kerrouche, rapporteur. Je ne reviendrai pas non plus sur la question de la parité, qui est un principe constitutionnel. Je rappelle simplement que la population des communes rurales est légèrement plus féminine que masculine, en raison de l’espérance de vie, plus élevée chez les femmes, et des mobilités économiques, plus marquées chez les hommes. (Mme Anne-Sophie Romagny s’exclame.)
Quant à l’argument selon lequel ce mode de scrutin menacerait l’existence des petites communes, il n’a aucun fondement. (Mme Anne-Marie Nédélec le conteste.) Notre objectif est simple : redonner de la vitalité démocratique à ces territoires.
Enfin, si le mode de scrutin actuel des communes de moins de 1 000 habitants peut paraître naturel, contrairement à ce qui a été dit, il est loin d’être simple. Il est en réalité beaucoup moins lisible que le scrutin proportionnel.
La question du calendrier ne se pose pas vraiment. Le présent texte a été adopté par l’Assemblée nationale il y a trois ans, et nous devions l’examiner à la fin de l’année 2024… (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Que l’adoption de la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local soit une priorité, c’est une évidence. Nous avons du reste adopté ce texte à l’unanimité, mes chers collègues. Pour autant, le statut de l’élu et le mode de scrutin sont totalement décorrélés, tant et si bien que je ne comprends même pas qu’un lien puisse être fait entre les deux.
M. Stéphane Piednoir. C’est dommage !
M. Éric Kerrouche, rapporteur. Pour toutes ces raisons, et parce que nous pensons que porter un projet auprès des citoyens, comme le font les associations d’élus, est une bonne chose, je suis défavorable à ces deux amendements identiques de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Nous savons tous que la vie est parfois plus compliquée qu’il n’y paraît. Chacun a son expérience. Pour ma part, j’ai été présidente de l’association des maires de mon département et vice-présidente de l’AMF, et je suis en contact permanent avec des élus, notamment des petites communes. J’ai visité vingt-six départements et échangé avec de nombreux maires sur cette question, y compris lorsqu’ils n’abordaient pas le sujet d’eux-mêmes.
Concernant le soutien des associations d’élus, il est important de rappeler qu’il ne s’agit pas simplement de la position de leur président. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Comme vous pourrez le vérifier, mesdames, messieurs les sénateurs, ce sont des décisions prises collectivement, au sein des instances dirigeantes de ces associations. À l’AMRF, notamment, que je connais bien, ce n’est pas Michel Fournier qui a décidé tout seul !
M. Loïc Hervé. Absolument !
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Votre assemblée se réfère régulièrement aux positions prises par ces associations d’élus. Je ne vois rien de choquant à ce que ces positions ne reflètent pas une unanimité au sein de ces organisations, comme c’est le cas des votes du Parlement. Ainsi va la démocratie. Pourquoi, dans ce cas, remettrions-nous en cause les positions de ces associations ?
Vous avez raison de souligner l’importance de la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local, mesdames, messieurs les sénateurs. Ce texte sera examiné par l’Assemblée nationale durant la semaine du 26 mai prochain. Vous ne pouvez pas exiger que ce texte soit adopté avant de vous prononcer sur le présent texte.
Je rappelle que ce texte simplifie le mode d’élection en instaurant une règle unique pour toutes les communes de France. Nous ne sommes pas en train d’inventer une usine à gaz. (« Si ! » sur des travées du groupe Les Républicains.) Pour les communes de plus de 1 000 habitants, ce mode de scrutin est en place depuis longtemps, et je n’entends aucune demande de retour en arrière. S’il s’agissait d’une usine à gaz, cela se saurait. Je veux bien que nous ne soyons pas d’accord, mais tâchons d’être précis.
Nous sommes tous profondément attachés à la commune, qui est le premier kilomètre de la République. Personne ne pourra dire que ce n’est pas mon cas. Mais nous devons aussi respecter les électeurs des petites communes, qui votent pour un projet. Laisser les choses en l’état ne réglera pas la crise de l’engagement des élus, car celle-ci a d’autres causes.
Au-delà de ce que les uns et les autres ont pu entendre, je souhaite insister sur deux points qui me paraissent incontournables.
Un projet municipal est tout d’abord un véritable contrat entre une équipe et les électeurs. Constituer une liste ne se résume pas à additionner des individus qui, au fil du mandat, pourraient décider de ne plus être en accord avec le maire.
Cette réforme, ensuite, ne renforce pas la politisation des petites communes. Il existe des communes de 10 000 habitants où une seule liste s’est présentée, et des communes de plus de 1 000 habitants dans lesquelles une équipe a construit un projet solide sans que cela provoque de clivage politique nouveau. Les listes que nous évoquons se résument parfois à cinq personnes…
Ce texte est donc raisonnable. Il est conforme à l’article 1er de la Constitution, ce qui, à titre personnel, n’est pas pour me déranger. On impose déjà la parité dans des instances telle que l’ordre des architectes ou l’ordre des médecins. Pourquoi penser que les femmes ne s’engageraient pas dans la politique locale ?
Profondément attachée à mon territoire et aux communes, je défends cette réforme, qui me paraît sage. J’estime qu’il serait déraisonnable d’attendre l’année 2032 pour l’adopter.
Je salue enfin les jeunes présents aujourd’hui en tribune, car certains d’entre eux s’engageront sans doute en politique.
En tout état de cause, l’avis est très défavorable sur ces amendements identiques de suppression. En les adoptant, vous renonceriez à anticiper la diminution du nombre de conseillers municipaux, au risque de déplorer, en 2026, un déficit d’élus locaux, mesdames, messieurs les sénateurs. (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – M. Bernard Buis applaudit également.)