M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte soumis ce soir à votre examen, de nouveau sur l’initiative du Sénat, s’inscrit dans une dynamique plus générale de renforcement de la législation contre le mésusage du protoxyde d’azote.
Ce n’est pas la première fois que le Sénat se saisit de l’usage détourné de produits du quotidien pour en faire de véritables drogues. Le protoxyde d’azote, aussi appelé « gaz hilarant » ou « proto », souvent utilisé comme anesthésiant en médecine, est emblématique de cette pratique. C’est un sujet dont nous avons également débattu à l’Assemblée nationale il y a quelques semaines.
C’est grâce à une initiative sénatoriale transpartisane, portée par la désormais ministre Valérie Létard, que les pouvoirs publics ont pu réagir dès les premières alertes remontées par l’ANSM ou formulées par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives.
Ainsi, la loi du 1er juin 2021 tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d’azote, dite loi Létard, a permis d’interdire la vente de protoxyde d’azote aux mineurs, quelles que soient les circonstances, mais aussi de manière générale dans certains commerces, comme les débits de tabac et les débits de boissons, de prohiber les dispositifs facilitant les usages détournés, comme les « crackers », et de renforcer les contrôles.
Il était essentiel de poser un cadre de loi ferme et spécifique, car nous assistons depuis plusieurs années à une recrudescence de l’usage détourné du protoxyde d’azote, principalement chez les lycéens, mais également chez les très jeunes collégiens, qui l’utilisent dès l’âge de 10 ou de 11 ans.
Ce gaz n’a malheureusement d’hilarant que le nom, même si l’effet d’euphorie spontanée recherché peut paraître inoffensif, voire bon enfant. Il ne faut absolument pas s’y tromper : les risques pour la santé sont majeurs. La liste est longue, et vous l’avez rappelée, madame la rapporteure : chutes, brûlures, asphyxie, paralysie, troubles neurologiques, hématologiques, cardiaques. Les conséquences peuvent être également psychosociales. La consommation de protoxyde d’azote peut entraîner un isolement et créer une dépendance susceptible de provoquer un phénomène de manque et des troubles psychologiques. Enfin, elle peut malheureusement être à l’origine d’accidents sur la voie publique et de mises en danger d’autrui.
Le protoxyde d’azote présente également des risques pour la sécurité publique et environnementale puisque bon nombre de bonbonnes de « proto » sont à l’origine d’explosions quasi quotidiennes dans les usines d’incinération. Le syndicat national du traitement et de la valorisation des déchets urbains et assimilés estime ainsi qu’un tiers des installations françaises sont concernées, chaque incident ayant un coût pouvant aller jusqu’à 200 000 euros.
Pour ces raisons, le ministère de la santé n’a cessé de renforcer notre arsenal réglementaire en la matière.
Ainsi, l’arrêté du 19 juillet 2023 limite fortement les volumes de vente aux particuliers. Précisément, il interdit la commercialisation de bouteilles et de bonbonnes et limite la taille des cartouches à 8,6 grammes maximum et les volumes de vente à dix unités par acte d’achat.
En effet, quand on cherche à se procurer des bonbonnes d’un tel format ou bien des cartouches dans de telles quantités, on devine aisément que ce n’est pas forcément pour préparer de la chantilly !
Cet arrêté ne prévoyant toutefois pas de sanctions, je suis bien conscient qu’il s’agissait d’une de ses limites. C’est pourquoi j’ai demandé aux services de mon ministère d’en définir dans un décret qui est en cours d’élaboration et qui sera publié cette année.
Par ailleurs, le décret du 20 décembre 2023 renforce les informations légales et l’obligation d’afficher un message sanitaire sur les emballages mettant en garde contre les risques d’inhalation et d’intoxication.
Je pense que vous le savez tous, l’Europe se mobilise également sur le sujet : des procédures de classement du protoxyde d’azote sont en cours à cet échelon. Celles-ci pourraient mener à des restrictions très importantes, allant jusqu’à l’interdiction du produit. Précisément, en mars 2023, le comité d’experts de l’Agence européenne des produits chimiques a classé le protoxyde d’azote comme produit neurotoxique et reprotoxique. Ce classement doit désormais être confirmé par la Commission et devrait aboutir dans les douze mois.
La proposition de loi que nous examinons s’inscrit donc dans une dynamique nationale et désormais européenne de renforcement continu de notre cadre légal et réglementaire contre le mésusage du protoxyde d’azote. Je souscris tout à fait à cet objectif en tant que ministre de la santé.
J’accueille donc très favorablement cette initiative, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, sous réserve de quelques ajustements dont nous aurons à débattre dans quelques instants.
Il est, en effet, nécessaire de veiller à ce que les dispositions de ce texte soient proportionnées et coordonnées avec toutes les réglementations en vigueur ou en cours d’élaboration. Je pense notamment au travail en cours sur les sanctions pour les contrevenants aux limites de vente, que j’ai déjà évoqué. Il faut également naturellement prendre en compte les notifications et l’alignement avec le droit européen.
Contre les usages détournés du protoxyde d’azote, nous sommes forts d’un arsenal législatif et réglementaire déjà riche et régulièrement renforcé. Le combat doit donc aussi se mener sur le terrain pour que les interdictions soient appliquées, pour que les contrôles soient effectifs et pour renforcer la prévention. Je sais que c’est également un point auquel vous êtes toutes et tous attachés.
C’est probablement sur le terrain de la prévention que nous devons désormais progresser, en allant vers les jeunes, en diffusant largement des ressources accessibles dans les écoles, les collèges et les lycées, et en proposant un accompagnement adapté. Je sais que plusieurs initiatives se développent localement dans un certain nombre de territoires.
Je pense notamment à la campagne de sensibilisation menée par les agences régionales de santé (ARS) des Hauts-de-France et d’Île-de-France : « Le proto, c’est trop risqué d’en rire ». Cette initiative a connu un réel succès auprès du jeune public, notamment grâce à la diffusion des vidéos explicatives et ludiques de Jamy Gourmaud, le présentateur vedette que nous connaissons tous de l’émission C’est pas sorcier. Je vous invite d’ailleurs à les regarder : la présentation physiopathologique des effets du gaz hilarant, qui agit sur une zone préfrontale, est très instructive.
La proposition de loi prévoit également une information sur les dangers des usages détournés du protoxyde d’azote lors des séances de prévention et de sensibilisation aux conduites addictives organisées dans les collèges et les lycées. Je salue d’ailleurs le renforcement du volet du texte relatif à la prévention grâce au travail effectué en commission des affaires sociales.
Je veux m’appuyer sur l’ensemble de ces actions et sur l’engagement des acteurs de terrain pour que nous réussissions collectivement à détourner les jeunes de cette substance, qui n’a rien – je le rappelle encore une fois – d’un divertissement léger et sans conséquence. Il provoque au contraire de graves atteintes à la santé physique et mentale.
Ce travail de fond, qui nécessite une véritable action de proximité et de pédagogie, est indispensable pour modifier le regard que la société porte sur le protoxyde d’azote. C’est seulement ainsi que nous réussirons. Je mènerai ce chantier avec détermination, en sachant pouvoir compter sur le soutien des sénatrices et des sénateurs. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et RDSE. – M. le président de la commission et Mme Marion Canalès applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Marion Canalès applaudit également.)
Mme Anne Souyris. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 1999, nous constatons l’usage détourné du protoxyde d’azote. Employée, d’une part, comme anesthésique et analgésique, d’autre part, comme gaz de pressurisation d’aérosol pour les siphons de chantilly, qui font tant parler cette assemblée, cette substance est détournée pour ses effets hilarants.
Si ce dernier usage a bénéficié d’une visibilité médiatique importante, rappelons qu’il reste un phénomène mineur. En 2022, 4,3 % des adultes déclaraient avoir expérimenté le protoxyde d’azote et 5,4 % des 15-18 ans.
Pour autant, monsieur le ministre, les conséquences sanitaires de cette consommation – brûlures par le froid, asphyxie, pertes de connaissance, risques mortels de fausse route, troubles neurologiques, troubles psychiques – nous invitent à renforcer la lutte contre les usages détournés. Le protoxyde d’azote n’est pas un produit anodin et sans risque, bien au contraire. En outre, vous avez rappelé, monsieur le ministre, l’impact environnemental problématique des bonbonnes et les risques qu’elles font courir aux travailleurs des déchetteries.
Si la loi Létard de 2021 a interdit la vente de protoxyde d’azote aux mineurs, mais aussi aux majeurs dans certains lieux, ainsi que la vente de tous les produits contenant une faible quantité de ce gaz et ne correspondant pas aux usages traditionnels de ces produits, force est de constater que la consommation n’a pas diminué. Le nombre de cas signalés par le réseau Addictovigilance et de cas graves a été multiplié par quatre entre 2020 et 2023.
Aussi la présente proposition de loi est-elle l’occasion de faire œuvre utile si nous renforçons la lutte contre les usages détournés du protoxyde d’azote. Si et seulement si !
En effet, plusieurs mesures – il faut le reconnaître – vont dans le bon sens, comme le renforcement des sanctions en cas de vente aux mineurs et d’incitation à l’usage détourné de protoxyde d’azote par un mineur, lesquelles sont désormais alignées sur la législation relative à la vente d’alcool. Il en est de même du renforcement de la prévention et de la présentation explicite des dangers des usages détournés du protoxyde d’azote lors des séances de sensibilisation aux conduites addictives au collège et au lycée.
Toutefois, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’oppose à la pénalisation de l’usage détourné de protoxyde d’azote. Il ne s’agit évidemment pas de dire que celui-ci doit être encouragé ni qu’il est sans risque. Comme je l’ai indiqué dans l’exposé des motifs de ma proposition de loi relative à la dépénalisation de l’usage de drogues pour mieux soigner les personnes dépendantes et apaiser l’espace public, il faut admettre la réalité : la pénalisation des usages n’a pas d’effet sur la consommation.
Pis, la pénalisation est contre-productive, car elle empêche l’usager d’entrer dans un parcours de soins, concentre l’action publique sur le tout-répressif aux dépens de la prévention et de la santé publique, et, enfin, elle surmobilise les effectifs de police auprès des consommateurs.
Nous l’avons vu à Paris : la police n’arrive à rien du tout en appréhendant les jeunes concernés, en général des mineurs ayant de graves problèmes sociaux que leur arrestation ne permet pas de résoudre. Cette surmobilisation se fait au détriment de la lutte contre les trafics et la vente illégale.
Ainsi, nous proposons – je le répète – de supprimer la pénalisation qui nous est ici proposée.
Le texte qui nous est soumis encadre davantage la vente de protoxyde d’azote au travers d’un régime de déclaration administrative. Cette déclaration vaudrait autorisation de vente pour les commerces. Si nous saluons cette mesure, nous lui préférons une option mieux-disante : il faudrait simplement interdire, monsieur le ministre, la vente de protoxyde d’azote aux particuliers.
En effet, l’usage licite de ce produit dans les siphons à chantilly ne constitue pas, à nos yeux, une nécessité. Préservons donc les usages médicaux et industriels pour la restauration collective et interdisons l’accès des particuliers au protoxyde d’azote.
Surtout, gardons en tête que c’est par l’information sur les risques liés aux conduites addictives que nous parviendrons à prévenir la consommation de drogues, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre. Puisque nous y sommes parvenus pour le tabac, nous pouvons obtenir le même succès avec le protoxyde d’azote. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marion Canalès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur l’initiative du groupe du RDSE et de notre collègue Ahmed Laouedj, auteur de la présente proposition de loi, nous sommes appelés à nous pencher sur un fléau qui frappe notre population et notre jeunesse et qui repousse les limites de l’action publique municipale et nationale, à savoir l’usage détourné du protoxyde d’azote pour en faire un stupéfiant.
Les usages détournés ont précédé les usages médicaux. En effet, les premières utilisations du protoxyde d’azote, qui a été découvert en 1799, datent du XIXe siècle. Elles avaient alors des visées euphorisantes.
« Gaz hilarant », « consommation récréative » : derrière ce champ lexical extrêmement joyeux pour qualifier l’usage du protoxyde d’azote se cache un produit dangereux, qui justifie un débat très sérieux d’un point de vue sanitaire et environnemental.
Le protoxyde d’azote a fait l’objet de plusieurs textes, cela a été rappelé : avant la proposition de loi visant à renforcer la prévention des risques d’accident liés aux cartouches de protoxyde d’azote dans les installations de traitement des déchets que nous avons votée tout à l’heure et le texte que nous examinons à présent sur les usages détournés, un texte a été adopté récemment à l’Assemblée nationale, après l’adoption en 2021 de la proposition de loi de Mme Létard tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d’azote.
Ce gaz est loin d’être hilarant : il est dangereux sanitairement, socialement et écologiquement.
D’abord, il n’est pas drôle en termes de santé publique. Ces deux dernières années, les autorités sanitaires ont alerté sur les dangers de l’usage du protoxyde d’azote. La mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) et la direction générale de la santé ont recensé des dizaines de cas graves, ce gaz provoquant en outre des troubles psychiatriques et cardiaques. Le nombre de patients connaît une hausse exponentielle.
Selon une enquête réalisée en 2023, 6,7 % des 18-64 ans ont consommé du protoxyde d’azote. Initialement cantonné aux milieux festifs alternatifs, le mésusage de ce gaz s’est diversifié. Il est désormais consommé dans l’espace public.
Ensuite, ce gaz hilarant n’est pas drôle non plus pour la sécurité routière. Le protoxyde d’azote altère le discernement et les réflexes. Il est à l’origine de nombreux accidents de la route mortels ou il leur est corrélé, comme ce fut le cas à Échirolles, Nîmes, Toulouse ou Lille, pour ne citer que quelques exemples sans entrer dans les détails.
Enfin, le protoxyde d’azote n’est pas drôle pour l’environnement.
Cela a été rappelé, le protoxyde d’azote est utilisé en médecine. L’interdiction de sa vente aux particuliers, que nous soutenons, n’affecterait pas les professionnels, à qui le protoxyde d’azote resterait accessible. Je souligne toutefois que la Société française d’anesthésie et de réanimation a préconisé en 2022 aux professionnels utilisant ce gaz de se tourner vers les produits de substitution existants, dont le bénéfice clinique est égal, afin de réduire les effets des anesthésiques sur l’environnement.
En effet, le protoxyde d’azote est un gaz à effet de serre ayant un très fort impact sur l’environnement et joue un rôle dans la destruction de la couche d’ozone. Son utilisation en anesthésie représente tout de même 1 % à 3 % des émissions mondiales. J’y insiste : il existe des produits de substitution, y compris dans le secteur médical, développés afin de réduire les impacts des anesthésies.
Par ailleurs, depuis 2017, la vente du protoxyde d’azote s’est intensifiée, mais non pour les usages classiques, nous l’aurons compris, que ce soit en gastronomie ou en médecine. D’abord vendu dans les supermarchés et les commerces de proximité, ce gaz s’est répandu. Il est désormais consommé, par exemple, dans les bars et les boîtes de nuit. Cela a déjà été dit, cela pose des problèmes de ramassage et de traitements des déchets.
Certaines collectivités, comme Montpellier, ont été obligées de passer des marchés publics spécifiques. Chaque incident survenant dans les fours et autres équipements de traitement de ces déchets peut coûter jusqu’à 200 000 euros. Et je ne parle pas des risques de blessure grave pour le personnel.
Ainsi, dans mon territoire, Clermont Auvergne Métropole, environ 300 cartouches et bouteilles sont retrouvées chaque mois. Le surcoût pour le traitement d’une bonbonne vide oscillerait entre 20 et 30 euros dans certains territoires. Sur qui pèse-t-il ? Sur les collectivités !
Les municipalités et les collectivités sont en effet en première ligne depuis de nombreuses années pour gérer les problèmes environnementaux et de santé publique que pose le protoxyde d’azote. Elles doivent être non seulement soutenues et écoutées, mais aussi sécurisées d’un point de vue juridique.
Les collectivités se sont emparées de ce sujet pour le moins explosif, sans mauvais jeu de mots, et font ce qu’elles pouvaient : elles prennent des arrêtés pour interdire la consommation, s’appuient sur le principe d’abandon de déchets sur la voie publique et usent pour certaines de rappels à l’ordre, lorsque des usagers sont interpellés, pour essayer de faire passer des messages de prévention.
En 2019, de premières communes ont interdit le produit aux mineurs, par exemple Clermont-Ferrand ou Cournon. Votre département, monsieur Laouedj, a été très réactif, notamment la commune de Saint-Ouen, dont Mme la rapporteure a auditionné les représentants de la mairie. La loi a suivi ces collectivités, le texte de Mme Létard interdisant la vente aux mineurs du protoxyde d’azote ayant été adopté.
D’autres communes désormais, comme Dijon ou Marseille, interdisent la consommation à tous et non plus seulement aux mineurs ; d’autres encore vont plus loin en interdisant non seulement la consommation, mais aussi la vente. Il faut écouter les collectivités qui prennent des arrêtés. Elles ont besoin d’un cadre juridique, ces interdictions étant nécessaires.
Ce texte prévoit utilement de renforcer la sanction encourue en cas d’incitation à l’usage détourné de protoxyde d’azote par un mineur. J’y suis évidemment extrêmement favorable.
Réserver la vente du protoxyde d’azote aux professionnels permettrait, en outre, de repousser les premières expérimentations par chacun de ce produit.
Comme l’auteur de la proposition de loi, je souhaite que l’on avance sur le cadre légal afin d’endiguer ce fléau. Je le remercie d’avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour des travaux du Sénat. Je remercie également Mme la rapporteure de son écoute. J’espère que nos travaux cet après-midi nous permettront d’avancer.
Pour conclure, j’évoquerai un point qui nous préoccupe tous : les mesures destinées à prévenir l’usage détourné du protoxyde d’azote.
Monsieur le ministre, vous l’avez indiqué à l’Assemblée nationale : « je souhaite relancer les campagnes d’information et de prévention […]. L’adoption de la proposition de loi [visant à restreindre la vente de protoxyde d’azote aux seuls professionnels et à renforcer les actions de prévention sur les consommations détournées] leur donnerait plus de poids. […] Construisons ensemble un texte susceptible…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Marion Canalès. … d’améliorer la prévention ». Je vous propose, monsieur le ministre, de le faire cet après-midi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter M. Laouedj de cette proposition de loi, ainsi que Mme le rapporteur Maryse Carrère.
Quel produit s’apparentant à un stupéfiant lorsque son usage est détourné est aujourd’hui accessible très simplement en supermarché pour quelques euros ? Le protoxyde d’azote, aussi appelé « gaz hilarant ». Pourtant, ce gaz n’est pas considéré comme un stupéfiant : son usage et sa détention sont licites pour les majeurs.
À l’origine, le protoxyde d’azote était utilisé en médecine pour ses propriétés analgésiques. En outre, il est utilisé comme gaz de compression dans les aérosols. Ce dernier usage, lorsqu’il est détourné pour obtenir un gaz hilarant, peut avoir de graves conséquences.
Cet usage détourné est désormais impressionnant chez les jeunes : ce produit est la troisième substance consommée après l’alcool et le tabac ou, selon certaines sources, après le cannabis et les poppers. Dans tous les cas, il est beaucoup trop consommé !
Malgré l’interdiction de vente aux mineurs instaurée par la loi du 1er juin 2021, sa consommation est en constante augmentation. Cette année-là, justement, le nombre de cas graves déclarés avait été multiplié par trois, passant de 82 à 265. Il a même atteint 314 en 2023 !
Les risques pour la santé sont bien réels et particulièrement nombreux, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre : addiction, lésions neurologiques, vertiges, tétraplégie, troubles psychiatriques ou cardiovasculaires.
De plus, ce produit est hautement addictif. Sa consommation régulière peut avoir des conséquences dramatiques et occasionner des séquelles irréversibles.
La consommation détournée de protoxyde d’azote pose aussi un problème environnemental, car les capsules et les bonbonnes de « proto » s’accumulent dans certains endroits où les consommateurs peuvent les déposer discrètement.
J’ai évoqué précédemment l’enjeu de la gestion de ces déchets, qui est une réelle difficulté et constitue un problème pour les personnels concernés. En 2023, par exemple, la ville de Lyon a collecté sept tonnes de bonbonnes de gaz vides !
De nombreuses municipalités ont donc pris des arrêtés pour interdire la vente, l’usage et la détention de protoxyde d’azote dans l’espace public. Néanmoins, une grande partie des ventes se fait sur internet. Le marché évolue de façon notable et on voit apparaître des formats différents, clairement destinés à un usage détourné.
En l’état, et au vu de l’explosion des chiffres concernant la consommation, la loi du 1er juin 2021 ne paraît donc pas suffisamment efficace pour lutter contre l’usage détourné du protoxyde d’azote. Il semble indispensable de la renforcer pour protéger efficacement les jeunes contre un produit dont l’usage prétendument récréatif peut avoir des répercussions dramatiques sur le reste de leur vie.
La présente proposition de loi prévoit ainsi de renforcer les sanctions. La sanction encourue en cas d’incitation à l’usage détourné de protoxyde d’azote par un mineur sera désormais assortie d’un an d’emprisonnement. Le montant de l’amende prévue en cas d’infraction aux interdictions de vente, tant aux mineurs que dans les débits de boissons et les débits de tabac, sera doublé. Enfin, une sanction est prévue en cas d’abandon de bouteille.
Pour ma part, j’ai déposé un amendement visant à rétablir la nécessité pour les professionnels d’obtenir un agrément pour vendre du protoxyde d’azote. Certes, une telle mesure suppose auparavant l’accord de la Commission européenne, comme cela a été le cas préalablement à l’interdiction des puffs.
Parce qu’en matière d’addiction la répression seule ne sera jamais suffisante, le texte contient un volet sur la prévention. Le protoxyde d’azote sera désormais évoqué au collège et au lycée lors de la sensibilisation aux conduites addictives. Je propose que cette sensibilisation se fasse dès la fin du primaire, même si cela peut paraître précoce, car l’exposition à ce type de produit commence chez certains dès le collège. La prévention doit donc se faire avant.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra, bien entendu, cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Khalifé Khalifé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)
M. Khalifé Khalifé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les usages détournés du protoxyde d’azote. Je tiens tout d’abord à saluer le travail de son auteur, notre collègue Ahmed Laouedj, ainsi que le sérieux avec lequel Mme le rapporteur, Maryse Carrère, a conduit les travaux sur cette proposition de loi et les différentes auditions.
Ce texte s’inscrit dans la continuité de la loi du 1er juin 2021, portée dans notre assemblée par notre ancienne collègue Valérie Létard. Il s’agit de faire face de manière urgente à l’augmentation inquiétante des accidents liés à l’usage détourné du protoxyde d’azote.
Monsieur le ministre, cette augmentation illustre, si besoin était, la nécessité pour le législateur d’évaluer les dispositions qu’il adopte, en particulier sur des sujets aussi sensibles, afin de les adapter aux mutations de notre société.
Ce produit, qu’il soit vendu en magasin ou, désormais, sur des sites internet, est largement accessible au grand public. Le protoxyde d’azote est utilisé comme gaz de conditionnement dans le secteur agroalimentaire ou comme gaz propulseur dans les siphons et autres bombes de crème chantilly. Il est également utilisé dans l’industrie et, depuis un siècle, dans la médecine en tant qu’analgésique. Enfin, s’il sert de gaz hilarant dans les fêtes foraines depuis le XIXe siècle, son usage détourné et les conséquences qui en résultent ont largement cessé de faire rire…
Actuellement, l’usage médical du protoxyde d’azote comme adjuvant d’anesthésie est de plus en plus abandonné. Ce gaz reste néanmoins utilisé pour des anesthésies de courte durée dans les services d’urgence, chez l’adulte et l’enfant.
Le protoxyde d’azote est actuellement la troisième substance la plus consommée par les jeunes, après le cannabis et les poppers. L’âge moyen des consommateurs est de 22 ans. Plus de 5 % des élèves de troisième déclarent en avoir consommé, deux fois plus de garçons que de filles.
D’usage facile, ce gaz est inhalé via un ballon après avoir été extrait de cartouches ou de bonbonnes de plus en plus volumineuses. Son effet, immédiat et éphémère, favorise une consommation répétée, notamment dans les espaces festifs et en groupe, où l’apparence d’un usage contrôlé est souvent une illusion trompeuse.
Nous rappelons de surcroît que les risques liés à cette substance sont loin d’être anodins. La majorité des cas déclarés dans les centres d’addictovigilance et dans les centres antipoison ont trait à des complications neurologiques et neuromusculaires.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi d’insister sur les effets de cette consommation sur le plan médical : ils peuvent être très graves.
À court terme, si les effets mineurs – vertiges, céphalées, etc. – sont fréquents, les cas sévères donnent lieu à des complications neurologiques qui peuvent aller jusqu’à la paralysie par inactivation de la vitamine B12, laquelle est nécessaire à la viabilité des fibres nerveuses, des troubles respiratoires pouvant provoquer une asphyxie – ce n’est pas rare –, des troubles cardiaques pouvant entraîner un arrêt cardiaque et une mort subite.
À plus long terme – il est très important également de le souligner –, la neurotoxicité du produit et l’hypoxie cérébrale peuvent être à l’origine de troubles cognitifs irréversibles, de paralysies, mais aussi de troubles psychiatriques sévères pouvant aller jusqu’à la paranoïa et aux idées suicidaires.
Ces troubles relèvent du même mécanisme – cela a été scientifiquement démontré – que les effets de l’opium et que ceux de la kétamine, deux stupéfiants puissants, alors que le protoxyde d’azote n’est pas considéré comme tel. Mais les instances européennes devraient prochainement statuer sur la nature de ce produit, aujourd’hui considéré comme neurotoxique.
Au-delà des dangers sanitaires, le protoxyde d’azote est devenu un véritable fléau environnemental ; nous avons passé une bonne partie de l’après-midi à en parler. Sa consommation de masse inquiète énormément les collectivités, qui consacrent énormément de moyens à la combattre. Le recyclage est difficile et reste insuffisant.
Quant au risque d’explosion dans les déchetteries, il est inutile d’y revenir ; nous nous réjouissons du vote cet après-midi de la proposition de loi visant à renforcer la prévention des risques d’accidents liés aux batteries au lithium et aux cartouches de protoxyde d’azote dans les installations de traitements de déchets.
Je tenais également à appeler votre attention sur l’effet de serre extrêmement puissant de ce produit, mais notre collègue Marion Canalès vient de le faire.
Nous aurions souhaité que ce produit soit strictement réservé aux professionnels, mais son usage demeure aujourd’hui utile dans certains secteurs, en particulier l’agroalimentaire. Mme la rapporteure se souvient que j’avais interrogé une personne que nous auditionnions sur la possibilité de remplacer ce produit par un autre, moins hilarant ; cette question était restée sans réponse, ce que je regrette.
Dans la situation actuelle, la prévention sous toutes ses formes doit être renforcée. Il est capital de sensibiliser la population sur les dangers d’un usage intensif et répété de ce produit, en ciblant plus particulièrement les collégiens, les lycéens et les étudiants. Tel est l’objectif de cette proposition de loi.
Il semble également souhaitable que soit imposée une mention explicite, sur les emballages concernés, des risques liés à la consommation détournée de ce produit. Il faut aussi orienter très rapidement les consommateurs réguliers vers des centres d’addictologie, pour une prise en charge précoce. Surtout – cela manque énormément –, il faut articuler la prise en charge par les services de neurologie, qui accueillent ces patients, avec la prévention secondaire, qui relève des centres d’addictologie.
En définitive, mes chers collègues, et en l’absence de solutions techniques permettant de remplacer ce produit et d’en interdire l’usage par le grand public, ce texte constitue une avancée nécessaire que nous soutenons sans réserve. Il faudra bien sûr impérativement assortir sa mise en œuvre d’une campagne de prévention et d’accompagnement des victimes de cette consommation. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE.)