Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, durant les premières décennies de leur construction, les institutions européennes ne passionnaient pas les foules. Aujourd’hui encore, il est souvent reproché à l’Union européenne d’être technocratique, voire déconnectée du réel, du quotidien et des préoccupations de nos concitoyens.

Au fil des années, le rôle de l’Union européenne a été étendu. De crise en crise, les Européens ont été conduits à prendre conscience de l’impérieuse nécessité de s’unir plus étroitement.

Les partis des extrêmes pouvaient encore, il y a quelques années, proposer de quitter l’Union européenne. Désormais, sans doute grâce au contre-exemple du Brexit, plus personne n’est assez irréaliste pour prétendre qu’un pays européen, seul, pourrait faire face aux grandes puissances régionales du monde. L’invasion de l’Ukraine par Poutine, les manœuvres de Pékin ou encore l’inconstance de notre allié américain laissent au contraire penser que le renforcement du rôle de l’Union européenne devrait se poursuivre.

À mesure que le pouvoir de ces instances s’accroît, notamment celui de la Commission européenne, les nominations deviennent de plus en plus stratégiques.

Ce raisonnement a conduit le président Rapin à déposer la proposition de loi que nous examinons ce soir. Son objet est de renforcer la place du Parlement dans les nominations des candidats aux fonctions de commissaire européen, de membre de la Cour des comptes européenne ou encore de juge ou d’avocat général près les juridictions l’Union européenne.

Le texte prévoit ainsi que les candidats pressentis seront auditionnés par les commissions du Parlement, auditions qui seraient suivies d’un vote consultatif.

La perspective du renforcement des prérogatives du Parlement est toujours séduisante. Elle ne doit cependant pas nous conduire à méconnaître les principes essentiels de la démocratie, notamment celui de la séparation des pouvoirs.

Les rapporteurs ont exposé la fragilité constitutionnelle du texte. Ces nominations relèvent en effet de l’exécutif.

Mme la rapporteure a toutefois indiqué en commission qu’il ne revenait pas à la commission des lois d’anticiper la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Cette position peut étonner lorsque l’on connaît la très grande sensibilité avec laquelle les commissions de notre assemblée appliquent les irrecevabilités au titre des articles 40 et 45 de la Constitution !

En réalité, ce texte est inconstitutionnel. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est parfaitement claire à cet égard, comme l’a souligné la commission des lois dans son rapport.

Sous réserve du dépôt en séance publique d’amendements destinés à apporter des correctifs, lesquels ne pourront être qu’insuffisants, la commission a adopté sans modification un texte qu’elle sait inconstitutionnel, ce qui suscite de fortes interrogations de notre part.

Le texte que nous examinons ne semble pas avoir vocation à prospérer, encore moins à être promulgué. Il s’agit d’une proposition d’appel, que nous saluons. Néanmoins, nous considérons que tel ne doit pas être l’objet d’un texte de loi. Faut-il ainsi prendre le risque de fragiliser nos institutions afin de permettre le cas échéant à certains d’exprimer leur désapprobation concernant des nominations ?

« Les formes sont les divinités tutélaires des associations humaines », écrivait Benjamin Constant. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires considère qu’il faut avant tout veiller à préserver les institutions de notre démocratie.

L’inconstitutionnalité de ce texte devrait amplement suffire à provoquer son rejet. Nous devons cependant également examiner les conséquences que son adoption entraînerait.

Le candidat resterait choisi par le pouvoir exécutif. Le Parlement serait consulté sans pouvoir s’opposer à sa nomination, mais il pourrait en revanche le désavouer. Si le vote consultatif plébiscitait le candidat, la situation resterait inchangée : il signifierait que le Parlement français soutient le candidat français. A contrario, si le vote traduisait la défiance du Parlement, le candidat de la France s’en trouverait affaibli. À cet égard, même une absence d’unanimité pourrait suffire à éroder sa légitimité.

Finalement, cette proposition de loi ne renforcerait aucunement la légitimité du candidat français, mais elle permettrait assurément au Parlement de l’affaiblir. Les divisions politiques intérieures sont une conséquence tout à fait normale de la démocratie ; en revanche, il nous semble que les afficher sur la scène internationale pourrait affaiblir la France.

Quand bien même le Parlement verrait son pouvoir s’accroître, nous estimons qu’une telle réforme serait préjudiciable à notre pays. Pour que la France continue de peser au sein des institutions européennes, il nous paraît essentiel que les candidats français ne soient pas fragilisés.

Par conséquent, j’ai le regret de vous dire que le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi présentée par notre collègue Jean-François Rapin, que je remercie pour son initiative, répond à une exigence démocratique fondamentale : permettre au Parlement national d’exercer un droit de regard sur la désignation des représentants français à des postes clés au sein des institutions européennes.

Ce texte s’inscrit pleinement dans le prolongement des réflexions menées au sein du groupe de travail transpartisan du Sénat sur les institutions, dont le rapport a été publié en mai 2024.

Aujourd’hui, force est de constater que ces nominations, bien que stratégiques pour notre pays, sont décidées sans que le Parlement ne soit associé au processus. Cela a été particulièrement évident lors de la récente désignation du candidat français à la Commission européenne, intervenue dans des conditions qui ont soulevé de légitimes interrogations.

Une telle situation ne peut plus perdurer si nous voulons restaurer la confiance de nos concitoyens dans nos institutions, affirmer la place de la France en Europe et donner une réelle légitimité aux représentants français face à leurs homologues européens. Pas d’affaiblissement, donc, mais un renforcement de la position de la France !

Cette proposition de loi vise ainsi à combler une lacune en instituant un mécanisme d’audition parlementaire préalable pour les candidats français à certaines fonctions européennes : commissaires européens, membres de la Cour des comptes européenne, juges et avocats à la Cour de justice de l’Union européenne et juges au tribunal de l’Union européenne.

Ces auditions, qui seront ouvertes aux commissions permanentes compétentes de chaque assemblée, garantiront un débat transparent et permettront d’évaluer les compétences et l’indépendance des candidats.

À l’issue de ces auditions, un vote sera organisé, offrant ainsi au Parlement la possibilité de prendre position, sans pour autant remettre en cause les prérogatives de l’exécutif.

Mme la rapporteure a déjà parfaitement décrit l’ensemble de la procédure et ses enjeux. D’ailleurs, dix États membres de l’Union européenne associent déjà leurs parlements nationaux à la désignation de leurs commissaires européens, onze pays à celle des membres des juridictions européennes et neuf à celle des membres de la Cour des comptes européenne.

Cette proposition de loi s’inscrit donc dans une véritable dynamique européenne de consolidation du rôle des parlements nationaux.

La nomination des membres français des institutions européennes n’est pas une question purement formelle. Elle engage notre crédibilité collective et l’efficacité de ses représentants sur la scène européenne.

En effet, comme le rappelle Jean-François Rapin dans son exposé des motifs : « Cette nouvelle procédure permettrait d’évaluer les qualifications et l’expérience du candidat au regard des fonctions qu’il est appelé à exercer, mais aussi d’éclairer la représentation nationale sur les orientations que le candidat entend soutenir s’il est confirmé dans ses fonctions. » Ces nominations doivent être perçues non plus comme des décisions prises unilatéralement, mais bien comme un processus transparent et démocratique.

La représentation nationale doit jouer pleinement son rôle en éclairant la pertinence des candidatures proposées par l’exécutif.

Par ailleurs, cette initiative est cohérente avec l’esprit de la révision constitutionnelle de 2008, qui a renforcé le contrôle du Parlement sur certaines nominations nationales. Elle s’inscrit donc dans la même logique d’équilibre des pouvoirs, en permettant au Parlement d’exercer un contrôle démocratique sur des décisions qui engagent la place de la France en Europe.

J’insiste, ce texte ne remet en cause ni les prérogatives de désignation de l’exécutif ni le domaine réservé du Président de la République. Monsieur le ministre, il s’agit non pas d’un droit de veto parlementaire, mais bien d’un outil au service de notre démocratie. Il permet d’associer le Parlement à des décisions cruciales tout en respectant les équilibres institutionnels. Il s’inscrit dans un contexte plus large de renforcement du rôle du Parlement dans les affaires européennes. Je sais que notre commission des affaires européennes y est particulièrement attachée.

Ce pas supplémentaire permettrait d’associer étroitement les Français, via leurs représentants, à des questions européennes d’une résonnance majeure. C’est notre responsabilité, en particulier au regard des actualités géopolitiques, économiques, sociales et environnementales qui heurtent, parfois, les intérêts de la France et de l’Union européenne.

Ainsi, en adoptant cette proposition de loi, le Sénat enverrait un signal fort en faveur d’un dialogue renouvelé entre les institutions européennes et les institutions nationales au sens large, d’une part, et leurs mandants – les Français –, d’autre part.

Nous avons aujourd’hui l’occasion de réaffirmer la place du Parlement national en tant qu’acteur incontournable de notre démocratie, place que je sais essentielle pour notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Teva Rohfritsch.

M. Teva Rohfritsch. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis ce soir d’une initiative, a priori louable, visant à renforcer l’influence de notre Parlement dans le jeu institutionnel européen. Vous conviendrez néanmoins que l’actualité, qui s’emballe, nous appelle à l’appréhender dans un contexte différent de celui qui a dû présider à sa gestation. En tout état de cause, nous devons faire preuve de la plus grande sagacité sur le processus qu’il risque d’engager.

Les troubles et les évolutions récentes de l’équilibre mondial, dont nous avons débattu aujourd’hui même avec le Gouvernement, n’auront échappé à personne. Ces tensions ont bousculé l’agenda européen dans des délais très courts, que peu d’experts avaient envisagés, sur des thématiques aussi essentielles. Après les tensions sur l’approvisionnement énergétique et celles sur l’accès aux ressources agricoles, nous voici brutalement confrontés à la question de notre défense nationale et européenne, la guerre devenant une thématique de débat dans nos assemblées.

Dans ce contexte, nous sommes tous soucieux de préserver nos intérêts nationaux au sein de l’Union européenne et de garantir nos intérêts européens face à la véhémence des puissances expansionnistes, alors que l’Union est calomniée sur la place publique mondiale et son existence même décriée. Aujourd’hui, 64 % des Français s’inquiètent de la situation en Ukraine et des risques d’embrasement de l’Europe. Cette actualité brûlante nous appelle à faire bloc et à œuvrer avec pragmatisme pour préserver l’efficacité de notre propre influence dans le processus de décision bruxellois.

Cette proposition de loi vise à rendre obligatoire une audition publique devant notre Parlement préalablement à certaines nominations au sein des institutions européennes, suivie d’un vote à caractère consultatif. Encore une fois, si cet objectif paraît louable, il convient de s’interroger sur les conséquences pratiques d’une telle mesure dans le contexte que nous connaissons.

En ce qui concerne la nomination du commissaire européen, la consultation parlementaire préalable qui est souhaitée complexifiera sans équivoque notre processus de désignation. Or le droit de l’Union n’oblige aucunement les États membres à associer leur pouvoir législatif à cette sélection – cela a été rappelé.

Qui plus est, d’un point de vue pratique, une audition devant notre Parlement, organisée sous huitaine, sans que nous ayons connaissance du périmètre du portefeuille dont notre candidat aurait la charge, pose question quant à notre capacité d’apprécier sa candidature et d’émettre un avis pleinement éclairé.

Enfin, la comparaison des pratiques en vigueur dans certains autres États membres conduit à occulter la singularité du rôle joué au nom de la France par tous les chefs de l’État français, de gauche comme de droite, dans la construction de l’Europe depuis le début de ce grand dessein, au lendemain du dernier grand conflit mondial.

La création d’une telle contrainte interne risque de fragiliser la posture de la France, et donc son influence, au cours du processus sensible de négociation entre États membres sur les nominations ; car il s’agit bien, en effet, d’une négociation. Cette désignation s’inscrit dans un rapport de force qui appelle une proposition claire, pleine et entière de la France.

L’équipe de France pourrait-elle faire bloc, alors que la responsabilité et l’autorité des sélectionneurs sur une équipe incapable de jouer collectivement seraient totalement diluées ?

Pour ce qui concerne la nomination d’un commissaire européen, il est légitime que l’autorité mandatée soit notre exécutif : le Président de la République, qui représente l’État français au sein du Conseil européen, arrête la composition du collège soumis au Parlement européen. Le système en vigueur a le mérite de la clarté et d’une certaine efficacité. Il s’inscrit – pardonnez-moi de le rappeler – dans une tradition bien gaulliste, à laquelle adhèrent me semble-t-il nombre d’entre nous.

Permettez-moi aussi de formuler des réserves sur la conformité juridique du dispositif proposé. En effet, l’analogie du processus de nomination avec la procédure de l’article 13 de la Constitution, dont il s’inspire, est contestable. Citée par notre commission des lois, la décision n° 2012-658 DC du 13 décembre 2012 est sans appel à cet égard et ne saurait être ignorée par notre assemblée.

Pour apprécier le caractère démocratique de la proposition de nomination par le chef de l’État, il convient de souligner qu’elle peut parfaitement être rejetée à trois occasions par les instances européennes, qui sont démocratiquement élues et au sein desquelles la voix des citoyens est représentée de façon incontestable. C’est le cas durant le processus de désignation par la voix du Conseil, où siège l’exécutif français ; lors de l’approbation du collège au Parlement européen, au sein duquel siègent les parlementaires français élus au suffrage universel direct ; enfin, lors de la nomination finale de la Commission par le Conseil.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, avec toute la considération et le respect que je porte, comme vous tous, à notre assemblée et au président Rapin, je m’interroge néanmoins sur l’opportunité de cette proposition de loi, a fortiori dans le contexte mondial que nous connaissons.

Faut-il réellement engager une révision des règles de nomination en vigueur et remettre en cause par ce biais l’autorité du Président de la République française, au moment où la France doit tenir sa place et son rang au sein de l’Union européenne ?

Faut-il porter les joutes politiciennes et les divisions extrêmes, qui rongent notre Parlement depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, au sein des institutions européennes, à ce moment crucial de notre histoire ?

Quelle sera notre capacité collective à désigner un candidat commun par la seule règle de la majorité dans les deux chambres, quand il nous a fallu trois gouvernements pour voter le budget de la Nation ?

Mes chers collègues, la fonction présidentielle est essentielle en ces temps de tensions. N’alourdissons pas le navire quand il doit affronter la tempête ! Je suis certain que ceux qui nourrissent l’ambition de prendre la barre à compter de la prochaine échéance présidentielle apprécieront de pouvoir constituer l’équipe de France en faisant preuve du sens des responsabilités, forts de la confiance des Français.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Sophie Briante Guillemont. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le pouvoir de nomination représente, par excellence, l’acte du souverain. Historiquement, cette compétence se rattache à l’exercice du pouvoir exécutif. Les théoriciens de la souveraineté y ont même vu, à l’époque moderne, la prérogative royale la plus importante. Aussi, dans les régimes républicains, cette tradition et sa place n’ont jamais cessé d’être entre les mains du chef de l’État.

L’article 13 de la Constitution de 1958 prévoit ainsi : « [Le Président de la République] nomme aux emplois civils et militaires de l’État. » Quant à l’article 21 du même texte, il consacre, sous réserve des dispositions précédentes, une compétence similaire du Premier ministre.

Dans la pratique, cette prérogative est le plus souvent restée la chasse gardée du Président de la République, et elle le restera si l’on en croit le discours que vient de tenir M. le ministre.

La révision constitutionnelle de 2008 a pourtant amorcé une inflexion nécessaire en la matière. Depuis cette date, le Parlement auditionne les personnes nommées à une cinquantaine de fonctions jugées suffisamment importantes pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation.

Dans ce contexte, la présente proposition de loi vise à élargir les prérogatives des chambres en soumettant à une audition les candidats pressentis aux postes de commissaire européen, de membre de la Cour des comptes européenne et aux fonctions de juge et d’avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne et au Tribunal de l’Union européenne.

En ce qui concerne la désignation des candidats pressentis au poste de commissaire européen, nous partageons entièrement le raisonnement du président Rapin.

Après l’épisode, pour le moins surprenant, de la démission de M. Thierry Breton en septembre dernier, il apparaît sain, pour notre compréhension de l’Union européenne et pour notre démocratie, aussi bien de clarifier les modes de nomination des commissaires français que d’auditionner les candidats pressentis à ces postes. Ces commissaires occupent en effet, comme vous le savez, une place essentielle au sein de l’exécutif européen. Que nous puissions auditionner le candidat français paraît donc, sur le principe, tout à fait raisonnable.

De fait – cela a été rappelé –, de nombreux États en Europe ont déjà pris cette direction : dix parlements nationaux participent actuellement au processus de désignation de leur commissaire européen. En Autriche, le nom du candidat proposé fait même l’objet d’une véritable concertation entre les parlementaires et le gouvernement.

Nous estimons que de telles auditions sont également souhaitables pour les candidats au poste de membre de la Cour des comptes européenne. Cette institution remplit une fonction éminente puisqu’elle contrôle les recettes et les dépenses de l’Union européenne, ainsi que les organisations qui gèrent des fonds européens.

Enfin, en ce qui concerne le Tribunal et la CJUE, je comprends que la mesure proposée, laquelle est similaire, puisse étonner. En effet, il n’est pas dans la tradition française de faire auditionner par le Parlement les magistrats et les juges, à l’exception des membres du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil constitutionnel – une institution qui ne cesse de se juridictionnaliser. Sur ce point, je reste donc attachée au texte initial.

Ce n’est pas nuire à l’indépendance des magistrats que d’avoir une conversation franche sur leur future fonction et la compréhension qu’ils en ont, en particulier lorsque ce vote n’est pas contraignant. D’ailleurs ces auditions sont pratiquées chez onze de nos voisins européens. En Allemagne, une commission spéciale est même désignée pour procéder à la nomination des juges allemands au sein du Tribunal et de la CJUE.

Ces auditions, exactement comme celles qui sont prévues aux articles 1er et 2 de cette proposition de loi, permettraient surtout de mieux associer le Parlement aux désignations au sein de certaines institutions européennes particulièrement importantes.

Enfin, je soutiendrai les amendements proposés par le président Rapin, qui visent à régler un certain nombre de difficultés soulevées par la rédaction initiale.

Sans préjuger d’une éventuelle décision du Conseil constitutionnel, le groupe du RDSE votera ce texte, car il est essentiel pour l’avenir de l’Union européenne que les processus de désignation à ces postes clés soient mieux connus, plus transparents, et donc plus démocratiques. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes ce soir appelés à examiner la proposition de loi relative à la consultation du Parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes, déposée par le président Rapin, que je salue et remercie pour cette initiative. Je tiens également à remercier nos collègues Agnès Canayer et Pascal Allizard pour la qualité des travaux qu’ils ont réalisés en tant que rapporteurs.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui vise à renforcer le contrôle du Parlement dans le processus de désignation des candidats français à la Commission européenne, à la Cour des comptes européenne et aux juridictions européennes, en instaurant des auditions consultatives dans chaque assemblée parlementaire.

Derrière ces dispositions se dessine clairement la volonté de parfaire la légitimité démocratique des institutions de l’Union européenne, une union dont les fondements demeurent les États souverains « unis dans la diversité ». C’est pourquoi il semble légitime que la représentation nationale, dont le Sénat, ait un droit de regard sur les propositions de nomination du Président de la République. Ce contrôle d’une décision de l’exécutif par le législatif n’est ni anachronique ni singulier, bien au contraire !

Trois principales objections ont été formulées contre cette proposition de loi. Je souhaite répondre et réfléchir à chacune d’entre elles avec vous.

Première objection : ces auditions consultatives des candidats alourdiraient une procédure politiquement déjà complexe.

Or, parmi les États membres, dix parlements nationaux participent actuellement à la désignation des commissaires européens, sans que cela pose problème au niveau de la Commission. Je citerai notamment la Hongrie, qui n’est pas au nombre des pays les plus européens ou les plus européistes ! Il ne semble donc pas incohérent, et encore moins inenvisageable, que la France, l’un des pays fondateurs de l’Union, instaure une telle procédure parlementaire.

Deuxième objection : le Parlement européen réalise d’ores et déjà une audition des candidats désignés. À celle-ci j’opposerai deux arguments.

Premier argument, la proposition de loi du président Rapin ne s’oppose en aucun cas aux actions du Parlement européen, elle est un complément ; elle enrichit donc la démarche de ce dernier.

Oui, le Parlement national émet un avis sur les désignations proposées par le Président de la République, puis le Parlement européen est libre d’approuver ou non les candidatures ! Pourquoi ce droit accordé au Parlement européen serait-il refusé aux parlements nationaux ?

Second argument, cette proposition de loi constitue, pour reprendre les termes de l’exposé des motifs, un « enjeu important pour la démocratisation de la construction européenne ».

Permettez-moi d’évoquer l’expérience que je vis dans mon département des Hautes-Alpes, frontalier avec l’Italie, un État avec lequel les échanges économiques, sociaux et culturels sont séculaires. Les élus locaux m’interpellent régulièrement sur des questions transfrontalières de santé, d’immigration ou de transport entre les Hautes-Alpes et la région du Piémont, par exemple, mais aussi sur l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030, qui se tiendront en partie sur mon territoire ; des échanges se nouent avec Turin qui les a accueillis en 2006, et où certaines épreuves se dérouleront peut-être.

À cet égard, une question se pose : pourquoi le sénateur d’un territoire transfrontalier, élu au scrutin majoritaire, en lien au quotidien avec les élus locaux, ne bénéficierait-il pas d’une légitimité démocratique au moins équivalente à celle d’un député européen, élu au scrutin proportionnel dans une circonscription nationale, pour interroger un candidat au poste de commissaire européen ? Et je n’évoquerai pas les jeux de partis auxquels nous avons pu assister et à cause desquels nos concitoyens se perdent en conjectures…

Troisième objection : il existerait un risque d’inconstitutionnalité.

Les rapporteurs vont nous soumettre des amendements visant à sécuriser le dispositif proposé, mais le risque existe bel et bien. Sur le plan purement juridique, seul le Conseil constitutionnel peut déclarer un texte législatif conforme à notre bloc de constitutionnalité ou le censurer. Sur le plan politique, je tiens à le préciser, bien qu’il soit vrai que les désignations pour les postes européens n’entrent pas dans le périmètre de l’article 13 de la Constitution, rien n’empêche, selon moi, la tenue d’un cycle d’auditions.

Pour paraphraser les mots de la rapporteure Canayer, les désignations au poste de commissaire européen, notamment, relèvent d’une procédure ad hoc ; il semble donc logique que le contrôle du Parlement national soit également ad hoc.

Pour conclure, il est essentiel de rappeler que nous étudions ce texte dans un contexte international inédit. À l’heure où nous assistons à un « basculement entre deux mondes », il nous faut plus d’Europe. Dans un monde où les poussées impérialistes, où qu’elles se situent, s’accélèrent, l’Union européenne demeure le creuset d’un certain nombre de valeurs. Le combat des idées appelle à la nuance, la confrontation des doctrines appelle à la tolérance. L’Union a donc tout intérêt à ce que les nations qui la composent trouvent leur place dans ce débat à l’échelle européenne.

Comme l’a dit un précédent orateur, l’argument relatif à la protection des institutions, notamment à celle de la présidence de la République, est réversible. Imaginons que nous ayons, demain, un président de la République dont le profil serait de type « Trump », ou autre ! Je ne citerai aucun nom… Il serait alors important que le Parlement puisse émettre un avis et corriger les éventuels excès de pouvoir d’un président de la République autoritariste, élu dans un contexte particulier et dont les idées seraient très éloignées de celles que nous défendons au Sénat ou au sein du Parlement européen.

Je tiens à saluer le travail du président Rapin. Le groupe Union Centriste, qui adoptera les amendements qu’il nous proposera dans quelques minutes, votera cette proposition de loi utile pour la Nation et pour la construction européenne, si nécessaire aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)