M. Roger Karoutchi. Oh là là…

Mme Corinne Narassiguin. J'irai même plus loin : pourquoi ne pas exiger un casier vierge pour pouvoir se marier ? (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Par ailleurs, je rappelle qu'un maire exerce ses fonctions d'officier de police judiciaire sous le contrôle du procureur de la République. C'est donc bien ce dernier, et lui seul, qui a autorité pour faire opposition à un mariage.

On nous dit que ce texte a vocation à protéger les maires. Mais de quoi seront-ils protégés ? Des contentieux ? Qui peut prétendre que ce texte empêchera les recours contre les maires, a fortiori s'il leur appartient dorénavant de contrôler la régularité du séjour de leurs administrés ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Fabien Gay applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Marianne Margaté, pour présenter l'amendement n° 9.

Mme Marianne Margaté. Les tentatives de sauvetage de ce texte ne changeront rien au fait qu'il est essentiellement problématique et inconstitutionnel. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Thomas Dossus. Il ne sert à rien !

Mme Marianne Margaté. Depuis le début, nous attendons qu'on nous donne des chiffres.

Mme Marianne Margaté. De quoi parle-t-on ? Monsieur le garde des sceaux, sur quelles données s'appuie cette proposition de loi ? Il n'y en a pas !

Il serait tout de même grave de conclure ce débat sans obtenir le moindre chiffre justifiant les mesures que propose la majorité sénatoriale.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Il me semble clair que nous devons interroger le Conseil constitutionnel. Attention aux excès d'interprétation : comme je l'ai dit, en 2012, la jurisprudence du Conseil constitutionnel s'est infléchie. Rien ne dit qu'un revirement n'interviendra pas en cas de nouvelle saisine au titre de l'article 61 de la Constitution.

Monsieur Hochart, le maire d'Hautmont a bel et bien reçu le soutien direct des services de l'État et du préfet de région. Vous le savez très bien, nous l'avons auditionné ensemble ! Au cours de cette audition, il a expliqué que le préfet de région l'avait aidé à préparer ses arguments dans le cadre du référé.

Par ailleurs, madame Vogel, ce n'est pas parce que le Rassemblement national dit que le soleil est jaune que nous sommes obligés de dire l'inverse !

M. Stéphane Demilly. Exactement !

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. J'invite chacun à faire preuve de bon sens et de pragmatisme.

La commission émet un avis défavorable sur ces amendements identiques.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Avis défavorable.

Madame Narassiguin, votre question sur les chiffres est absurde… (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)

Étant donné qu'à l'heure actuelle, nous ne demandons pas le document attestant de la régularité de la situation de l'un des époux, nous ne pouvons pas savoir combien sont en situation irrégulière ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

J'ai tout d'abord cru que vous posiez cette question dans la volonté de débattre, avec une pointe de provocation. Mais vous la répétez et semblez croire que si je n'y réponds pas, c'est que j'ai des choses à cacher !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. C'est précisément l'objet de l'amendement de M. le rapporteur que de nous permettre de répondre à votre question. Dès lors que nous imposerons aux époux de fournir un document prouvant la régularité de leur situation, nous serons en mesure de vous répondre !

Chaque année, 30 000 mariages sont célébrés entre une personne française et une personne étrangère – qui n'est pas forcément en situation irrégulière. Je préciserai à l'Assemblée nationale, lorsque le texte y sera examiné, le nombre de mariages entre personnes étrangères, faute de le connaître au moment où je vous parle. Bien sûr, elles ont elles aussi le droit de se marier sur le territoire national.

En l'état, je suis incapable de vous donner la proportion de mariages entre un Français et une personne en situation irrégulière.

Mme Mélanie Vogel. Et on légifère quand même ?

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Nous légiférons précisément pour le savoir, voyez-vous ! Il y a un intérêt ! (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Vous démontrez une forme de mauvaise foi…

M. Fabien Gay. Vous êtes notre maître en la matière ! (Sourires.)

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Quand un individu se marie avec un Français, il justifie d'une vie privée et familiale en France pouvant lui permettre d'obtenir la régularisation de sa situation. Plus tard, il peut demander la nationalité française, parce que son conjoint et ses enfants sont français. Ce n'est pas automatique, mais le mariage est un accès à la régularisation du séjour et à la nationalité.

Mme Corinne Narassiguin. Vous voulez interdire à un étranger l'exercice de son droit !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Ne faites pas semblant de vous intéresser aux chiffres : comme l'a dit à juste titre M. Szpiner, quand bien même il n'existerait qu'un seul cas, il serait tout de même nécessaire de légiférer.

Le maire d'Hautmont a refusé de marier un imam étranger radicalisé, qui faisait l'objet d'une procédure d'expulsion parce que sa mosquée avait été fermée administrativement. Je suis très étonné que des républicains comme vous trouvent cela scandaleux…

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Son cas devrait tous nous réunir ! Oui, monsieur le sénateur Gay…

M. Fabien Gay. Je n'ai rien dit ! (Sourires.) C'est une obsession ! Ou un sentiment ?

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. C'est très important, les sentiments. L'amour est un sentiment à prendre en considération ! (Mêmes mouvements.)

Monsieur le sénateur Gay, au fond, vous savez très bien que ces postures sont l'une des raisons pour lesquelles une grande partie de l'électorat communiste de mon département et de ma région… (Oh ! sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. Fabien Gay. Arrêtez-vous là !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. … vote pour le Rassemblement national, ce qui explique qu'un homme aussi respectable que Fabien Roussel a pu être battu dès le premier tour dans la circonscription de Saint-Amand-les-Eaux, où je suis né et où mes grands-parents ont voté communiste, parce qu'ils étaient mineurs et se souciaient des conditions de vie du prolétariat.

La défense du prolétariat ne justifie en rien le fait de marier des imams radicalisés dans les mairies de la République !

M. Fabien Gay. Ai-je dit cela ?

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Prenez-en conscience et vous parlerez peut-être un peu plus aux prolétaires de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Fabien Gay. Ce sont des vérités alternatives !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, que les groupes socialiste et communiste ne soutiennent pas le maire d'Hautmont, qui a été traîné devant la justice et menacé de mort pour avoir refusé de marier un imam radicalisé, et qu'ils refusent de régler ces problèmes, voilà qui fait monter le Rassemblement national ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Fabien Gay. Ça, c'est du trumpisme !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Suis-je une sous-sénatrice ? Je n'ai pas le droit de prendre la parole ?

M. le président. La parole est à Mme de La Gontrie et à elle seule ! Veuillez poursuivre, chère collègue.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Merci, monsieur le président.

Nous voterons bien évidemment ces amendements de suppression. Depuis le début de cette séance, la majorité sénatoriale fait comme si c'était ce texte ou rien, en oubliant qu'il existe déjà de nombreux outils. J'ai entre mes mains une circulaire signée par Michèle Alliot-Marie, qui était membre du parti auquel vous avez appartenu, monsieur Darmanin.

M. Max Brisson et Mme Jacqueline Eustache-Brinio. En quelle année ?

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Je n'avais pas le bac !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous qui pourriez faire l'exégèse du nomadisme politique, vous sauriez vous faire le représentant de divers mouvements sur ces sujets.

Il existe également une circulaire Valls pour indiquer à la fois au procureur de la République et aux maires, via les préfets, la façon d'évaluer, lors des entretiens avec les futurs époux, qui sont désormais obligatoires, les éventuelles fraudes au consentement à un mariage.

Je suis tout de même frappée d'apprendre que, pour le garde des sceaux, il faut légiférer pour savoir ! Nous avions cru comprendre que le Gouvernement ne souhaitait plus réaliser d'études d'impact pour ses projets de loi, mais là, c'est un véritable renversement de logique : nous ne savons pas exactement combien il existe de cas, mais comme nous avons très envie de le savoir, nous allons faire une loi. C'est une conception pour le moins curieuse…

Ensuite, il y a l'évidence et le bon sens, et il y a la constitutionnalité. Monsieur le garde des sceaux, lorsque vous avez défendu la loi immigration il y a un an et demi, vous vous êtes opposé à la mesure prévue par cette proposition de loi ,car elle était inconstitutionnelle.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. C'était un cavalier !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Curieusement, vous n'avez pas proposé d'aménagement pour trouver un moyen conforme à la Constitution de régler la situation des maires confrontés au problème dont nous débattons, qui sont, si j'ai bien compris, au nombre de deux. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Ne nous racontons pas d'histoires, vous vous trouvez dans une configuration politique particulière : vous étiez LR, vous êtes devenu macroniste ; ayant compris que le macronisme n'était plus une marque très porteuse, vous vous rapprochez de nouveau des LR. Voilà pourquoi vous décidez de soutenir cette mesure que vous condamniez voilà un an !

Pour notre part, nous souhaitons supprimer cet article unique. (M. Jean-Claude Tissot applaudit.)

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. C'est ça, vos arguments ?

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2, 8 et 9.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 207 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption 113
Contre 230

Le Sénat n'a pas adopté.

Je mets aux voix l'article unique.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 208 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption 229
Contre 113

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer les prérogatives des officiers de l'état civil et du ministère public pour lutter contre les mariages simulés ou arrangés
Intitulé de la proposition de loi (fin)

Intitulé de la proposition de loi

M. le président. L'amendement n° 12, présenté par M. Le Rudulier, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi visant à renforcer les prérogatives des officiers d'état civil et du ministère public pour lutter contre les mariages simulés ou arrangés

La parole est à M. le rapporteur.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Cet amendement vise à tirer les conséquences des changements apportés au présent texte, en modifiant son intitulé. C'est bel et bien aux maires et aux procureurs de la République d'appliquer l'interdiction précédemment votée.

Chers collègues de gauche, vous avez réclamé des chiffres : le rapport en contient un certain nombre. En 2024, plus de 500 personnes ont été mises en cause sur le fondement de l'article L. 823-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour des mariages simulés ou arrangés. En 2019, on en comptait même plus de 700. Nous ne parlons pas de cas isolés, comme vous voudriez le faire croire.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Sagesse !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 12.

(L'amendement est adopté.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Stéphane Demilly, pour explication de vote.

M. Stéphane Demilly. Mes chers collègues, je le répète, la proposition de loi sur laquelle vous allez vous prononcer dans un instant est à la fois simple, univoque et laconique.

Le but de ce texte est essentiellement de sécuriser les maires en harmonisant un certain nombre de procédures.

J'ai travaillé avec l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités, qui soutient notre proposition de loi. Nous sommes ici dans la maison des élus : par respect pour eux, j'espérais que ces dispositions feraient l'objet d'un large consensus.

Je ne sais quelle sera l'issue du vote, mais une chose est sûre : nous avons mis le problème sur la table. Contrairement à ce que certains ont pu déclarer, il s'agit d'un vrai problème.

Naturellement, les élus du groupe Union Centriste voteront ce texte. J'espère que le vote des autres groupes sera, de même, dicté par le bon sens.

M. Stéphane Demilly. En simplifiant les procédures en question, nous protégerons un peu plus ces fantassins de la République qui œuvrent dans nos mairies ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.

Mme Corinne Narassiguin. Que nous ayons été maires ou non, nous avons tous été élus par des maires. Or, au-delà de l'audition des représentants de l'AMF, beaucoup d'eux nous contactent pour nous dire à quel point ils sont inquiets du vote de cette proposition de loi.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C'est bizarre, ils nous déclarent l'inverse !

Mme Corinne Narassiguin. Chers collègues, si la navette atteint son terme, nous nous empresserons bien sûr de saisir le Conseil constitutionnel : loin de protéger les maires, ce texte les plongerait dans des situations plus difficiles encore que celles que vous déplorez. Il ferait d'eux les otages de polémiques politiques que vous cherchez précisément à encourager. (M. Roger Karoutchi manifeste son impatience.)

Monsieur le garde des sceaux, vous déclariez au début de cette discussion qu'il s'agissait de lutter contre une instrumentalisation du mariage. Mais les seuls à instrumentaliser le mariage, ici, ce sont les partisans de cette proposition de loi.

Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'ils procèdent ainsi pour nourrir la haine de l'autre. Il y a douze ans, ils visaient les homosexuels lors de la réforme du mariage pour tous. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Aujourd'hui, ce sont les étrangers.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Encore une fois, vous êtes dans le déni !

Mme Corinne Narassiguin. Il me semble qu'en 2023, monsieur le garde des sceaux, vous avez émis des regrets à ce propos, en reconnaissant que votre opposition au mariage pour tous avait été une erreur. J'espère que vous mettrez moins de temps à réaliser que vous êtes, une fois de plus, du mauvais côté de l'histoire. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. Laurent Somon. De la morale…

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Quand on soutient LFI !

M. Roger Karoutchi. Et le Hamas !

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi, modifiée, dont le Sénat a ainsi rédigé l'intitulé : proposition de loi visant à renforcer les prérogatives des officiers d'état civil et du ministère public pour lutter contre les mariages simulés ou arrangés.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 209 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l'adoption 227
Contre 110

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures cinq,

est reprise à quatorze heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Mise au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 205, ma collègue Véronique Guillotin souhaitait s'abstenir. En outre, lors du scrutin public n° 206, mon collègue Philippe Grosvalet souhaitait voter pour.

M. le président. Acte est donné de ces mises au point, ma chère collègue. Elles figureront dans l'analyse politique des scrutins concernés.

4

Lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, présentée par MM. Pierre-Antoine Levi, Bernard Fialaire et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 26, texte de la commission n° 336, rapport n° 335).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Antoine Levi, auteur de la proposition de loi.

M. Pierre-Antoine Levi, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est avec beaucoup de gravité que je m'adresse à vous cette après-midi.

Nous ne sommes pas réunis pour débattre d'un texte ordinaire : ce qui nous rassemble aujourd'hui dépasse le cadre législatif.

Cette proposition de loi vise à lutter contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur. En la soumettant à votre vote, nous nous en remettons à votre conscience : nous lançons un appel à défendre l'essence même de notre pacte républicain face à un mal insidieux, qui refait surface là où il aurait dû disparaître à jamais.

L'antisémitisme, ce poison ancien que nous pensions relégué aux heures les plus sombres de notre histoire, s'instille de nouveau, de manière tout à fait inquiétante, au cœur de nos universités.

Ces lieux devraient incarner la raison, le savoir et l'ouverture. Mais, pour certains de nos concitoyens, ils deviennent des espaces de peur, d'exclusion et de haine. C'est ce constat, douloureux et inacceptable, qui nous a conduits à déposer le présent texte.

En prononçant ces mots, je ne puis m'empêcher de penser au Monde d'hier de Stefan Zweig, témoignage bouleversant d'une civilisation qui s'effondre sous le poids de la haine.

Zweig raconte comment l'antisémitisme s'est insinué dans la société viennoise du début du XXe siècle. Avant de gagner progressivement du terrain, ce fléau a d'abord touché les universités : « À l'université, les jeunes gens commencèrent à éviter les étudiants juifs et prirent l'habitude de les regarder avec mépris. » Cette description résonne douloureusement avec notre actualité.

M. Pierre-Antoine Levi. Stefan Zweig ajoute : « Nous avions cru, dans notre orgueil, que l'époque des persécutions religieuses et des haines raciales était dépassée pour toujours. »

Cette illusion, nous ne pouvons plus nous la permettre aujourd'hui. Or ce que nous observons dans nos universités n'est pas seulement la résurgence de propos haineux, mais l'étouffement progressif de nos valeurs humanistes.

La mission d'information que j'ai menée il y a quelques mois avec Bernard Fialaire a mis en lumière une situation alarmante.

Un certain nombre d'étudiants nous ont raconté leur quotidien marqué par la peur. Insultes dans les couloirs, affiches infamantes sur les murs des campus ou encore harcèlement en ligne : nous ne sommes pas face à une simple accumulation d'incidents isolés. C'est une atmosphère empoisonnée qui s'installe. (M. le président de la commission le confirme.) Nous voyons progresser un mal qui gangrène l'espace universitaire.

Des faits que nous pensions être des exceptions deviennent des habitudes, des comportements tolérés et banalisés.

Le présent texte est né de cette urgence, de la nécessité de protéger non seulement les étudiants victimes d'antisémitisme, mais aussi l'idéal même de l'université comme lieu de savoir, de débat et de tolérance.

Depuis les attaques terroristes survenues le 7 octobre 2023 en Israël, notre pays a vu se raviver des tensions que nous espérions contenues. Ce drame a suscité des vagues de réactions légitimes sur les plans politique et humanitaire, mais il a aussi servi de prétexte à une libération de la parole antisémite, notamment dans nos universités.

Selon le rapport de la mission d'information que nous avons conduite, le nombre d'actes antisémites recensés dans les établissements d'enseignement supérieur a doublé depuis cette date. Et le chiffre officiel, bien qu'alarmant en soi, ne représente probablement qu'une fraction de la réalité, tant le phénomène est sous-déclaré par peur de représailles ou par manque de confiance dans les dispositifs existants.

Face à cette situation, nous ne pouvions rester les bras croisés.

Au cours de nos travaux, nous avons rencontré plusieurs présidents d'université. Certains nous ont confié leur désarroi et nombre d'entre eux se sont déclarés démunis pour distinguer entre ce qui relève de la critique politique légitime et ce qui constitue un acte antisémite.

La confusion est d'autant plus grande que l'antisémitisme prend aujourd'hui des formes nouvelles, souvent masquées derrière des revendications idéologiques.

Le cadre législatif actuel ne leur permet pas de répondre à cette complexité. Les dispositifs de signalement sont en effet hétérogènes et souvent inefficaces. Quant aux sanctions, elles sont trop rares : entre octobre 2023 et avril 2024, seules six commissions disciplinaires ont été saisies pour des actes antisémites, alors que soixante-sept incidents avaient été recensés durant la même période.

Le fossé entre les faits commis et les poursuites réellement engagées témoigne d'un grave dysfonctionnement. Une telle situation n'est pas acceptable.

D'autres facteurs encore – nous l'avons constaté – rendent la mesure du phénomène particulièrement difficile : le silence des victimes et des témoins, dont résulte une sous-déclaration commune à l'ensemble des atteintes à caractère raciste, haineux et discriminatoire ; les pratiques hétérogènes des équipes dirigeantes, certaines choisissant d'agir a minima pour se prémunir de toute polémique ; ou encore l'existence d'une zone grise juridique pour le recensement des actes survenant dans des contextes péri-universitaires – je pense, par exemple, aux soirées étudiantes et aux réseaux sociaux.

L'université doit rester un sanctuaire de savoir. Elle ne saurait en aucun cas devenir un terrain de haine. Laisser ces comportements se banaliser, c'est accepter que les valeurs de notre République soient foulées au pied.

Les efforts actuels, bien que louables, restent insuffisants faute d'un cadre cohérent et contraignant.

Sans une action législative forte, cette situation intolérable risque de se prolonger, voire de s'aggraver. C'est pourquoi cette proposition de loi est nécessaire.

Il s'agit non seulement d'une réponse à l'urgence, mais aussi d'un signal fort envoyé à tous : la République ne tolérera jamais que ses principes d'égalité, de liberté et de fraternité se trouvent remis en cause, que ce soit dans la rue, dans les institutions ou à l'université.

Elle donnera aux établissements les moyens juridiques et pratiques d'agir efficacement tout en préservant les libertés académiques essentielles à l'accomplissement de leurs missions.

Avec ce texte, nous posons donc les fondations d'une politique pérenne et équilibrée de lutte contre toutes les formes de haine dans l'enseignement supérieur. Nous créons un cadre grâce auquel chaque étudiant, quelles que soient sa foi, ses origines ou ses convictions, pourra étudier librement, sans subir la peur, sans faire l'objet de discrimination.

En pratique, le présent texte donnera aux établissements les moyens d'agir, grâce à un dispositif complet et cohérent.

Nous avons veillé à ce que chaque disposition de cette proposition de loi soit applicable concrètement, en tenant compte des moyens dont disposent les établissements et de leurs contraintes organisationnelles. Nous avons également pris soin de préserver l'autonomie des universités, tout en leur donnant les outils nécessaires pour agir plus efficacement.

Cette approche équilibrée reconnaît la place singulière de la lutte contre l'antisémitisme tout en l'inscrivant dans le combat, plus large, contre le racisme, les discriminations, les violences et la haine. Elle permet de mutualiser les moyens et les avancées obtenus dans d'autres champs tout en garantissant la visibilité nécessaire à chacun de ces combats.

Je laisserai à Bernard Fialaire, coauteur et corapporteur du présent texte, le soin de vous détailler ces dispositions.

Mes chers collègues, le combat contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur est un combat pour l'âme même de notre République.

Jamais plus un étudiant ne doit être discriminé, menacé ou agressé en raison de sa foi ou de ses origines. Nous devons le garantir : il y va de notre honneur collectif.

« Ce fut notre faute, à nous autres intellectuels, de ne pas avoir pris assez tôt conscience du danger et de l'avoir sous-estimé », écrivait en son temps Stefan Zweig. Formons le vœu de ne pas commettre la même erreur. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Bernard Fialaire, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi n'est pas un texte ordinaire : mon corapporteur, Pierre-Antoine Levi, vient de le souligner avec force, et ce rappel était nécessaire.

D'ailleurs – je vous l'avoue –, je n'aurais pas cru devoir, en 2025, présenter un texte visant à renforcer les outils de la lutte contre l'antisémitisme dans notre pays, qui plus est dans ces lieux de transmission de savoir que sont les universités.

Les travaux que nous conduisons depuis maintenant presque un an nous l'ont toutefois prouvé sans contredit : une intervention du législateur est non seulement nécessaire, mais aussi, et malheureusement, urgente.

Sur ce sujet grave, notre commission a travaillé de manière exemplaire.