Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Pour répondre à Mme la sénatrice Linkenheld, qui a besoin d'éclaircissements sur les parties judiciaire et administrative, je comprends, à la lecture de l'amendement du sénateur Perrin, qu'il vise les deux aspects.

Permettez-moi de faire le parallèle avec la lutte contre le terrorisme. Aujourd'hui, pour récupérer des informations sur des messageries cryptées – Telegram, WhatsApp, Signal ou autres –, que ce soit en administratif ou en judiciaire, les services judiciaires ou de renseignement – direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), service national de renseignement pénitentiaire (SNRP) –, sont obligés de faire de la captation à distance, c'est-à-dire qu'ils prennent possession du téléphone à distance.

Il y a des officines privées qui le font. Je vous rappelle à cet égard les problèmes rencontrés avec des sociétés israéliennes.

Cependant, pour avoir été au conseil de défense et de sécurité nationale pendant plusieurs années, je puis témoigner que le Président de la République a toujours refusé les solutions étrangères, notamment israéliennes, et a préféré développer des solutions françaises, internes à l'État. J'y insiste, nous ne sous-traitons pas ces espionnages administratifs ou judiciaires, et nous sommes parmi les seuls pays dans ce cas.

Ce que dit le sénateur Perrin me paraît extrêmement intéressant, même si j'entends les préoccupations de la commission. Nous pourrions peut-être profiter de la navette pour saisir le Conseil d'État de ces questions, avant de reprendre le débat devant l'Assemblée nationale.

Personne ne conteste que nous sommes devant un problème de libertés publiques, mais pour réaliser des écoutes téléphoniques classiques, si j'ose dire, nous devons pouvoir profiter de portes dérobées nous permettant d'entrer dans les messageries cryptées. Il faut donc forcer les opérateurs à ces plateformes de nous en ouvrir l'accès.

C'est très compliqué pour ces plateformes, car leur raison d'être repose justement sur la confidentialité, mais le parallèle avec la lutte contre le terrorisme, que le ministre de l'intérieur et moi-même faisons, est évident. Il s'agit d'adopter les mêmes techniques, qui ont fait leurs preuves.

Aussi, comme Bruno Retailleau, je soutiens la proposition du sénateur Perrin, tout en étant attentif, évidemment, aux effets de bord éventuels.

En conclusion, madame la sénatrice, pour avoir pendant longtemps eu à connaître d'écoutes administratives, je puis vous assurer que tout est extrêmement encadré. La CNCTR en refuse même beaucoup.

Mme Audrey Linkenheld. Qui les autorise in fine ?

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Si c'est administratif, l'autorité ministérielle – ministre de la justice pour le SNRP, ministre de l'intérieur pour la DGSI ou la direction nationale du renseignement territorial, le ministre des armées pour la DGSE – fait une demande. Ensuite, le cabinet du Premier ministre, après avis de la CNCTR, donne ou refuse l'autorisation.

Si c'est une écoute judiciaire, c'est le magistrat du siège. Par parenthèse, vous savez qu'il existe un débat sur les données de connexion entre les juges européens et le Conseil d'État. En tout état de cause, ces écoutes judiciaires sont subordonnées au respect des libertés publiques protégées par le bloc de constitutionnalité.

Objectivement, il y a peu de risques. Ces textes ont pour objet de lutter contre la criminalité organisée : il s'agit non pas d'écouter tout le monde, tout le temps, sur tous les sujets, mais de s'intéresser aux narcotrafiquants.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous souhaitons pousser le parallèle avec le terrorisme jusqu'au bout – parquet spécialisé, chef de file, modalités de détention –, mais n'oublions pas que le terrorisme, cet ennemi terrible, tue moins en France que le narcotrafic, qui constitue aujourd'hui une menace concurrente. Nous devons donc avoir les mêmes moyens pour le combattre que pour lutter contre le terrorisme.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.

M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Je vais illustrer notre position de façon encore plus nette.

Nous sommes à l'aéroport du Bourget, en août 2024. Un ressortissant franco-russe, Pavel Durov, est arrêté. C'est le fondateur de la messagerie Telegram, à laquelle les autorités judiciaires françaises reprochent un manque de coopération dans une affaire de pédopornographie qu'elles instruisent. Par la suite, les enquêteurs ont disposé d'un certain nombre d'informations qui leur ont permis de démanteler un réseau de pédopornographie gigantesque.

Voilà ce à quoi ce dispositif va servir ! Il ne s'agit pas d'écouter des sénateurs ou des députés.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C'est toujours ce que l'on dit ! (Sourires.)

M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Comme l'a expliqué très clairement le garde des sceaux, il s'agit de disposer d'armes à la hauteur de la menace.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je m'en remets à vous pour décider du sort de cet amendement du président Perrin, dont l'adoption me semble essentielle pour donner de la puissance à nos forces de sécurité et à nos enquêteurs.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 73 rectifié ter.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 8.

TITRE IV

RENFORCEMENT DE LA RÉPRESSION PÉNALE DU NARCOTRAFIC

Chapitre Ier

Mesures de droit pénal

Article 9

I. – Le code pénal est ainsi modifié :

1° Le 14° du II de l'article 131-26-2 est ainsi modifié :

a) (Supprimé)

a bis) (nouveau) Après le mot : « code », sont insérés les mots : « ainsi que le délit d'appartenance à une organisation criminelle prévu à l'article 450-1-1 » ;

b) Les mots : « lorsqu'il a pour objet » sont remplacés par les mots : « lorsque l'association de malfaiteurs ou l'organisation criminelle a pour objet la préparation d' » ;

2° Le titre V du livre IV est ainsi modifié :

aa) (nouveau) L'intitulé est complété par les mots : « et de l'appartenance à une organisation criminelle » ;

a) (Supprimé)

b) L'article 450-1 est ainsi modifié :

– après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque l'infraction préparée est un crime pour lequel la loi prévoit une peine de réclusion criminelle à perpétuité ou une répression aggravée en cas de commission en bande organisée, la participation à une association de malfaiteurs est punie de quinze ans de réclusion criminelle et de 225 000 euros d'amende. » ;

– au deuxième alinéa, après le mot : « crimes », sont insérés les mots : « autres que ceux mentionnés au deuxième alinéa » ;

c) (Supprimé)

d) (nouveau) Après l'article 450-1, il est inséré un article 450-1-1 ainsi rédigé :

« Art. 450-1-1. – Constitue une organisation criminelle tout groupement ou toute entente prenant la forme d'une structure existant depuis un certain temps et formée en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, un ou plusieurs crimes et, le cas échéant, un ou plusieurs délits.

« Le fait pour toute personne de concourir sciemment et de façon fréquente ou importante au fonctionnement d'une organisation criminelle, indépendamment de la préparation d'une infraction particulière, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Ce concours est caractérisé par un ou plusieurs faits matériels démontrant que, directement ou indirectement, cette personne tient un rôle dans l'organisation de cette structure, fournit des prestations de toute nature au profit de ses membres, ou verse ou perçoit une rémunération à ou de ses membres. » ;

e) (nouveau) À l'article 450-2, après les mots : « l'article 450-1 », sont insérés les mots : « ou ayant commis l'infraction prévue à l'article 450-1-1 » ;

f) (nouveau) À l'article 450-3, les mots : « de l'infraction prévue par l'article 450-1 » sont remplacés par les mots : « des infractions prévues par les articles 450-1 et 450-1-1 » ;

g) (nouveau) À l'article 450-4, les mots : « de l'infraction définie à l'article 450-1 » sont remplacés par les mots : « des infractions définies aux articles 450-1 et 450-1-1 » ;

h) (nouveau) À l'article 450-5, les mots : « au deuxième alinéa » sont remplacés par les mots : « aux deuxième et troisième alinéas ».

II. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Le 5° bis du I de l'article 28-1 est ainsi modifié :

a) Avant le mot : « délits », sont insérés les mots : « crimes ou » ;

b) (nouveau) Après le mot : « pénal », sont insérés les mots : « ainsi que l'infraction prévue à l'article 450-1-1 du même code » ;

c) (nouveau) Les mots : « lorsqu'ils ont » sont remplacés par les mots : « lorsque l'association de malfaiteurs ou l'organisation criminelle a » ;

2° Le 4° de l'article 689-5 est ainsi modifié :

a) Au début, le mot : « Délit » est remplacé par les mots : « Crime ou délit » ;

b) (nouveau) Le mot : « prévu » est remplacé par le mot : « prévus » ;

c) (nouveau) Après le mot : « pénal », sont insérés les mots : « ou d'appartenance à une organisation criminelle prévu à l'article 450-1-1 du même code » ;

d) (nouveau) Les mots : « lorsqu'il a » sont remplacés par les mots : « lorsque l'association de malfaiteurs ou l'organisation criminelle a » ;

3° L'article 706-34 est ainsi modifié :

a) Les mots : « le délit » sont remplacés par les mots : « les crimes ou délits » ;

b) (nouveau) Le mot : « prévu » est remplacé par le mot : « prévus » ;

c) (nouveau) Après les mots : « même code », sont insérés les mots : « et le délit d'appartenance à une organisation criminelle prévu par l'article 450-1-1 dudit code » ;

d) (nouveau) Les mots : « lorsqu'il a » sont remplacés par les mots : « lorsque l'association de malfaiteurs ou l'organisation criminelle a » ;

4° Le 15° de l'article 706-73 et le 4° de l'article 706-73-1 sont ainsi modifiés :

a) Au début, le mot : « Délits » est remplacé par les mots : « Crimes ou délits » ;

b) (nouveau) Après le mot : « pénal », sont insérés les mots : « ou d'appartenance à une organisation criminelle prévu à l'article 450-1-1 du même code » ;

c) (nouveau) Les mots : « lorsqu'il a » sont remplacés par les mots : « lorsque l'association de malfaiteurs ou l'organisation criminelle a » ;

4° bis (nouveau) Le 2° de l'article 706-74 est ainsi modifié :

a) Au début, après le mot : « Aux », sont insérés les mots : « crimes ou » ;

b) Les mots : « le deuxième alinéa » sont remplacés par les mots : « les deuxième et troisième alinéas » ;

5° Le 7° de l'article 706-167 est ainsi modifié :

a) Au début, les mots : « Le délit » sont remplacés par les mots : « Les crimes ou délits » ;

b) Le mot : « prévu » est remplacé par le mot : « prévus » ;

b bis) (nouveau) Après le mot : « pénal », sont insérés les mots : « ainsi que le délit d'appartenance à une organisation criminelle prévu par l'article 450-1-1 du même code » ;

c) Les mots : « lorsqu'il a » sont remplacés par les mots : « lorsque l'association de malfaiteurs ou l'organisation criminelle a ».

Mme la présidente. L'amendement n° 222, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéas 2 à 5, 7, 14 à 19, 24, 25, 29, 30, 34, 35, 38, 39 et 46

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Nous venons de vivre un moment important, et je vous propose d'en vivre un autre, mesdames, messieurs les sénateurs. Il est peut-être un peu moins essentiel, mais ce sujet animera tout de même nos discussions tout au long de la navette, me semble-t-il.

Nous aimerions voir supprimée la nouvelle infraction, issue du rapport Durain-Blanc, qui figure à cet article. En effet, il s'agit d'incriminer la seule appartenance à une organisation criminelle, indépendamment de toute participation à l'organisation d'une activité délictueuse.

Aujourd'hui, d'après le rapport et l'exposé des motifs de la proposition de loi, les magistrats n'auraient pas les moyens de le faire. Les auteurs de la proposition de loi présentent cette mesure comme étant de bon sens.

Je vois là trois difficultés.

La première est d'ordre constitutionnel. Je pense à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Certes, nous pouvons attendre une décision du juge constitutionnel, mais je me dois de le rappeler dans l'intérêt de nos débats.

La deuxième tient à la difficulté que l'on éprouve, aux termes de votre texte, à définir ce que serait l'appartenance à une organisation criminelle. J'ai constaté, durant mes quatre ans et demi au ministère de l'intérieur et mes trente-six jours au ministère de la justice,…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Seulement ? (Sourires.)

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Vous savez, madame de La Gontrie, c'est plus l'intensité d'une relation que sa longueur qui compte. (Nouveaux sourires.)

J'ai constaté, donc, que les organisations criminelles comme la DZ Mafia n'avaient pas de bulletins d'adhésion et de fichiers ! Seuls les groupes d'ultra-droite sont très organisés, et nous avons d'ailleurs pu récolter des informations très intéressantes lors de perquisitions. Le souci de l'ordre prévaut dans ces structures, ce qui aide bien les services. Cependant, les autres organisations criminelles n'organisent pas les choses de manière aussi évidente.

Il y a même des personnes qui se revendiquent, par exemple, de la DZ Mafia, dans les prisons ou ailleurs, soit pour faire les malins, soit pour bénéficier d'une protection, réelle ou supposée, soit pour faire peur.

Ce qui nous inquiète beaucoup avec cette infraction nouvelle, c'est qu'elle n'est pas du tout précise. Le garde des sceaux que je suis ne peut accepter ici, devant la Haute Assemblée et d'éminents parlementaires qui exercent ou ont exercé le noble métier d'avocat, la création d'une infraction avec aussi peu de précisions. Cela me paraît être en contradiction avec ce que nous souhaitons faire.

La troisième difficulté, enfin, tient à l'existence de l'association de malfaiteurs. Cette infraction implique, certes, que des délinquants se réunissent en vue de faire quelque chose de mal, ce qui la distingue de votre proposition. Cependant, tout ce qui relève de l'association de malfaiteurs – recel, blanchiment, organisation – correspond à ce que vise la nouvelle infraction que vous appelez de vos vœux.

Aussi, je vous propose, en bonne intelligence, de retirer ce dispositif du texte.

Je comprends votre intention novatrice, mais votre amendement n'est pas assez clair. Ses dispositions posent un problème d'ordre constitutionnel et pourraient brouiller l'application des règles relatives à l'association de malfaiteurs.

En effet, le magistrat ouvrant une information de ce chef demanderait aux enquêteurs de police ou de gendarmerie de prouver l'existence de l'organisation et un avocat suffisamment expérimenté aurait tôt fait d'obtenir l'annulation de la procédure, ce qui n'arriverait certainement pas si l'on poursuivait d'emblée pour association de malfaiteurs, une infraction bien plus solide pour les enquêteurs.

Je le répète, l'intention est bonne, mais ce dispositif n'a pas sa place dans ce texte. D'où cet amendement de suppression.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, lorsque les auditions nous ont démontré qu'une de nos propositions n'était pas judicieuse, nous avons accepté de la voir supprimée, comme ce fut le cas tout à l'heure avec les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross).

Pour autant, en l'occurrence, je comprends mal votre position. Bien sûr, c'est une innovation que nous proposons, mais, comme je l'ai dit tout à l'heure, si nous nous en tenons au statu quo, nous n'arriverons pas à vaincre les narcotrafiquants et la criminalité organisée.

C'est pourquoi nous tentons de mettre en œuvre de nouvelles dispositions. Sont-elles perfectibles ? Probablement, et c'est tout l'intérêt de la navette parlementaire, mais je ne suis pas totalement convaincue par les arguments que vous nous opposez.

Tout d'abord, c'est vrai, il existe déjà la participation à une association de malfaiteurs, qui, elle, sera caractérisée lorsque celui qui sera incriminé sur cette base aura préparé une infraction particulière. C'est la préparation du délit qui va permettre de caractériser la participation à une association de malfaiteurs.

Pour notre part, nous nous sommes librement inspirés de ce qui a été mis en œuvre pour lutter contre la mafia. Avec ce délit d'appartenance à une organisation criminelle, nous souhaitons pouvoir sanctionner quelqu'un qui a conscience de faire partie d'une organisation criminelle, quand bien même il ne préparerait aucune infraction déterminée.

C'est ce critère qui distingue les deux infractions, qui ne se confondent pas, et j'imagine qu'un magistrat saura parfaitement faire la différence entre l'existence d'une préparation à une infraction et le fait de faire sciemment partie d'une organisation criminelle.

Dès lors, comment définir une organisation criminelle ? De la même manière que l'on définit une bande organisée, une notion retenue dans un certain nombre d'articles du code pénal. Cela ne me paraît pas beaucoup plus complexe.

Par ailleurs, monsieur le garde des sceaux, nous avons tenu compte de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Je crois qu'il faut essayer d'aller plus loin que ce que notre droit permet, pour poursuivre des personnes qui ne participent pas clairement à la préparation d'une infraction, mais qui participent très clairement à une organisation criminelle, et qui le savent.

Soyons innovants si nous voulons gagner la lutte contre le narcotrafic. Je le répète, nous pourrons encore travailler à une amélioration de la rédaction, mais nous devons aller de l'avant à partir de notre proposition.

La commission demande donc le retrait de cet amendement de suppression, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

M. Guy Benarroche. Je partage totalement les arguments de Muriel Jourda et de la commission des lois.

Cet article reprend le modèle italien, qui a donné des résultats et dont nous avons souvent parlé depuis le début de la discussion. Il permet notamment d'étendre la caractérisation de la participation à l'association de malfaiteurs à toute personne ayant commis une infraction connexe à une infraction préparée dans ce cadre.

Plusieurs acteurs de la chaîne pénale auditionnés par la commission d'enquête, notamment l'Agence de l'Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust), ont indiqué que l'infraction française d'association de malfaiteurs apparaissait insuffisante pour appréhender pleinement les agissements des narcotrafiquants, en particulier de ceux qui agissent en haut du spectre, compte tenu de leur capacité à s'impliquer dans le trafic de stupéfiants tout en en restant suffisamment éloignés pour éviter une mise en cause judiciaire.

Notre groupe salue et accompagne toute initiative susceptible de mettre en cause le haut du spectre du narcotrafic.

Il nous faut innover pour avancer. Si le cadre actuel était satisfaisant, nous aurions plus de résultats. La création de cette infraction est, à notre sens, de nature à améliorer les choses.

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.

Mme Corinne Narassiguin. Je crois que nous allons suivre l'avis de la commission. En effet, les auditions nous ont fait comprendre en quoi cette innovation rendrait plus efficace notre lutte contre les narcotrafiquants du haut du spectre, comme l'a dit M. Benarroche.

Je m'interroge sur le sens de cet amendement du Gouvernement. Pourquoi ne serions-nous pas capables en France de mettre en œuvre ce qui a réussi en Italie ? Est-ce que les dispositions de cet amendement ne cachent pas plutôt un manque de moyens ?

Nous ne devrions pas nous interdire de faire évoluer notre droit dans le bon sens et de nous doter législativement des bons outils, simplement parce que le ministère de la justice ne dispose pas des moyens nécessaires aujourd'hui.

Si nous voulons être efficaces dans la lutte contre le narcotrafic, il faut aller au-delà des déclarations d'intention et mettre les moyens là où ils sont nécessaires.

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Pour ce qui est des moyens, vous avez raison, il faut les augmenter. C'est la raison pour laquelle j'espère que nous aurons un budget bientôt.

Sachez que cela fait deux mois que nous ne pouvons pas recruter de magistrats ni d'auxiliaires de justice. Je pense que vous avez entendu des magistrats les réclamer lors des audiences solennelles de rentrée des cours d'appel. Chaque mois qui passe est un mois perdu pour la magistrature française ! (Mme Marie-Pierre de La Gontrie manifeste son ironie.)

Madame Narassiguin, monsieur Benarroche, nous pouvons certes nous inspirer de l'Italie, mais l'organisation de la mafia n'a rien à voir avec le narcotrafic sur notre territoire.

Les violences sont les mêmes et les circuits de blanchiment sont parallèles, mais comparer les organisations mafieuses comme Cosa Nostra en Sicile ou la mafia sarde, qui, au passage, ont été pratiquement éradiqués par nos amis italiens dans les années 2000, avec celles qui dirigent le narcotrafic en France n'a pas de sens. Le dispositif que vous proposez pourrait éventuellement nous aider pour ce que j'appellerais l'organisation criminelle corse, mais, encore une fois, cela ne concerne pas le narcotrafic que nous visons.

Les membres de la DZ Mafia, du clan Yoda ou des gangs des métropoles lyonnaises ou lilloises ne sont pas tatoués ni organisés hiérarchiquement avec un parrain, comme le sont les mafias italiennes.

Vous me dites : « Créons une infraction et nous verrons si elle est utile. » Je vous réponds qu'elle est susceptible de gêner fortement l'application des mesures relatives à l'association de malfaiteurs. Ce n'est pas une question de moyens – de toute façon, on ne va pas ouvrir deux enquêtes distinctes ! –, mais la qualification des faits sera difficile.

Je m'étonne tout de même que le groupe socialiste et le groupe écologiste s'apprêtent à voter la création d'une infraction d'appartenance supposée à une organisation, alors qu'aucun délit ou crime n'est en préparation, et cela sans définition précise.

La loi pénale doit pourtant être un minimum explicite, pour que tout prévenu sache de quoi on l'accuse. Avec votre proposition, l'épouse, la compagne ou le fils qui vivent dans une habitation sous écoute où a eu lieu une réunion de malfaiteurs seront considérés comme faisant partie d'une organisation criminelle. Cela ne me paraît pas très raisonnable.

Tout à l'heure, Mme le rapporteur a regretté l'absence d'étude d'impact préalablement à l'amendement du sénateur Perrin, mais votre texte n'a pas non plus fait l'objet d'un avis du Conseil d'État. Il faut donc faire très attention. Le Parlement votera ce qu'il voudra, mais je vous mets en garde contre les effets de bord qui pourraient remettre en cause l'application des dispositions relatives à l'association de malfaiteurs.

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.

M. Francis Szpiner. De tout ce que j'ai entendu, monsieur le ministre, j'ai retenu un argument tout à fait valable, sur lequel je terminerai, mais vous ne pouvez pas dire que l'appartenance à une organisation criminelle mine l'association de malfaiteurs. En l'occurrence, je précise qu'il y a même une différence de degré entre l'association de malfaiteurs normale et celle qui est constituée en vue de commettre des actes terroristes.

Vous savez aussi que le débat sur le côté très vague de l'association de malfaiteurs a été dénoncé, souvent d'ailleurs par des gens idéologiquement très éloignés de moi, qui lui reprochent son côté fourre-tout.

En tout état de cause, vous ne pouvez pas dire que la création de l'appartenance à une organisation criminelle diminue la portée de l'association de malfaiteurs. C'est un degré en dessous. Sur ce point-là, vous ne m'avez pas convaincu.

En revanche, je pense que la rédaction devra être améliorée à la faveur de la navette. J'ai moi aussi un problème avec la définition des éléments constitutifs. C'est le point le plus pertinent de votre intervention : vous avez raison, la loi pénale doit pouvoir être objectivée.

Je suis d'accord aussi pour considérer que, actuellement, et heureusement, les bandes de narcotrafic n'ont rien à voir avec les mafias italiennes, où le sentiment d'appartenance, très fort, est de nature à justifier ce type de mesures.

Néanmoins, la proposition des rapporteurs est intéressante dans une approche graduée de la lutte contre le crime organisé. Certaines petites mains, dont nous savons pertinemment qu'elles font partie d'une organisation, seraient plus facilement sanctionnables avec cette incrimination qu'avec l'association de malfaiteurs. Je le répète, c'est l'échelon en dessous.

Je ne voterai pas la suppression de ces alinéas, mais je milite pour un effort de précision dans la rédaction à la faveur de la navette.

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Si les rapporteurs s'engagent à retravailler leur rédaction dans la perspective de la CMP pour bien définir ce que serait cette infraction – je pense notamment à l'expression « depuis un certain temps », qui me paraît bien vague –, j'accepterai de retirer l'amendement du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je précise tout de même, monsieur le ministre, que la locution « un certain temps » est retenue par la Cour de cassation.

Par ailleurs, je suis d'accord avec Francis Szpiner : l'association de malfaiteurs suppose une infraction connexe. Celle-ci est qualifiée formellement, ce qui entraîne la qualification de l'association de malfaiteurs, par exemple en vue de commettre des actes de terrorisme. L'intérêt de cette nouvelle infraction, c'est justement de la dispenser de toute autre infraction identifiée. Ces deux dispositifs se complètent, mais ne se chevauchent pas.

Pour autant, si les services de la Chancellerie nous permettent d'améliorer le texte, nous serons preneurs.

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. M. le ministre a proposé très élégamment de retirer son amendement si nous étions disposés à améliorer la rédaction. J'ai déclaré en préambule que notre dispositif était certainement perfectible. Nous nous engageons donc bien volontiers à le retravailler.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Je retire mon amendement, madame la présidente !

Mme la présidente. L'amendement n° 222 est retiré.

Je mets aux voix l'article 9.

(L'article 9 est adopté.)

Article 10

Après l'article 227-18-1 du code pénal, il est inséré un article 227-18-2 ainsi rédigé :

« Art. 227-18-2. – Le fait de publier, sur une plateforme en ligne définie au 4 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, un contenu accessible aux mineurs proposant aux utilisateurs de transporter, détenir, offrir ou céder des stupéfiants est puni de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende. »