Mme Amélie de Montchalin, ministre. Lors des débats, nous vous proposerons plusieurs amendements visant à renforcer la répression du blanchiment et à entraver davantage encore l’action des criminels. Le premier service d’investigation en matière de blanchiment est l’Office national antifraude (Onaf), qui est placé sous la double tutelle des douanes et de la direction générale des finances publiques (DGFiP), et que nous vous remercions, mesdames, messieurs les sénateurs, de vouloir renforcer, ainsi qu’en attestent vos propositions.
Pour aller plus loin, nous devons faciliter l’accès à l’information à des fins d’enquête et le partage des informations en question, qui changera véritablement la donne pour les services. C’est le sens des dispositions que nous vous présenterons, permettant notamment aux agents de la douane d’avoir accès aux données de certains opérateurs privés dans les secteurs des transports et de la logistique. C’est un enjeu majeur pour la maîtrise des flux et des échanges, notamment dans les ports – M. Retailleau s’est récemment rendu au Havre –, sur lequel nous avons beaucoup de retard, notamment par rapport aux Five Eyes anglo-saxons.
C’est pour cela aussi que la proposition de loi vise à donner à plusieurs services accès à certains fichiers. Nous proposons de donner également à l’Onaf accès au fichier informatisé des données juridiques immobilières (Fidji).
Il s’agit aussi de donner à nos services la possibilité d’appréhender les criminels, en autorisant les visites domiciliaires après vingt et une heures. Ainsi, les agents des douanes habilités, sur ordonnance du juge des libertés et de la détention, pourront accroître leur efficacité.
Il s’agit encore de permettre aux lanceurs d’alerte d’adresser des signalements à Tracfin. Cette extension permettra, pour la première fois, à ce service de traiter des informations émanant de personnes physiques. Elle permettra aux lanceurs d’alerte de signaler tout type de faits, notamment des faits de blanchiment de trafic de stupéfiants.
Les flux financiers sont également au cœur des enjeux de la lutte contre les trafics. L’extension de la présomption de blanchiment douanier, notamment aux cryptoactifs, permettra d’inverser la charge de la preuve de la provenance délictueuse des fonds : ce sera aux fraudeurs de se disculper.
En un mot, comme vous l’avez dit, monsieur le garde des sceaux, le but n’est pas seulement de saisir la drogue, mais bien de taper les criminels au portefeuille. Nous devons donc permettre aux douanes non seulement de saisir les stupéfiants ou le matériel issu des trafics, mais aussi d’entraver la circulation des flux financiers massifs générés par ces trafics.
La création de la procédure d’appréhension des comptes bancaires et des instruments financiers en cas de notification d’infractions douanières permettra ainsi que soient saisis les comptes et les avoirs financiers là où, aujourd’hui, les douaniers n’ont parfois le droit de saisir que les voitures ou les bateaux qui ont contribué aux infractions.
Enfin, comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre la criminalité organisée et le narcotrafic repose sur des femmes et des hommes engagés, que nous devons protéger. Cela passe notamment par la protection des techniques douanières, qui ne doivent pas être divulguées aux criminels et aux trafiquants au moment des procès pour rester efficaces dans le temps. C’est le sens de la mesure permettant d’étendre aux services douaniers la possibilité de créer un dossier distinct.
Par ailleurs, l’ancienne ministre de la fonction publique que je suis note avec une grande satisfaction que les agents des douanes pourront se pseudonymiser. Ce faisant, il s’agit de les protéger pleinement face aux trafiquants qui, eux, ne connaissent pas de limites. Je salue aussi la possibilité que vous souhaitez offrir aux enquêteurs de l’Onaf de faciliter leur saisine en matière de blanchiment du produit des infractions à la législation des stupéfiants, qui lui permettra d’être encore pleinement effective.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, il est urgent d’agir. Le Gouvernement n’a pas qu’une vision régalienne des sujets et inclut pleinement les enjeux financiers. L’État sera fort, grâce à vous, et je vous en remercie. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d’État, mes chers collègues, nous connaissons les conséquences humaines et sociales dramatiques du narcotrafic dans la quasi-totalité des territoires de la République. Nombreux sont les quartiers qui portent les stigmates d’un trafic à ciel ouvert. J’aurais pu, sur le modèle du rappel des titres d’un journal télévisé, dresser la liste des drames commis au nom de la drogue et de son commerce, en pointant les paroxysmes des violences exercées. Avec elles, c’est un quotidien d’insécurité et de précarité auquel sont confrontés un grand nombre de nos concitoyens.
À voir les villes concernées, on constate que l’on est bien loin de l’idée reçue selon laquelle seuls des départements hyper-urbanisés seraient touchés.
Ce que nous pouvions considérer il y a quelques années comme des faits divers, des épiphénomènes individuels, est devenu un fait social pour notre nation entière. Il s’agit de gestes qui sont devenus si fréquents et réguliers et qui se sont tellement étendus qu’il n’y a plus rien d’isolé dans chacun des récits.
Au printemps dernier, le Sénat a rendu un rapport de qualité intitulé Un nécessaire sursaut : sortir du piège du narcotrafic, qui mérite d’être salué. J’étais moi-même membre de la commission d’enquête à l’origine de ces travaux. Toutes les auditions qui ont été menées dans ce cadre ont dressé un constat préoccupant.
Les trafiquants ont développé des réseaux très organisés. Cette expansion s’accompagne d’une augmentation alarmante de la violence, ainsi que de faits de corruption très préoccupants. Certains territoires d’outre-mer sont particulièrement vulnérables. Leur géographie, stratégique, en fait des plaques tournantes du trafic de cocaïne et de cannabis.
Les rapporteurs l’ont souligné : nous observons également une véritable ubérisation du trafic, allant jusqu’à la création de centres d’appels pour assurer des livraisons à domicile. Les criminels rivalisent d’ingéniosité pour contourner la répression. Cette sophistication des méthodes conduit à ce que le trafic se structure comme une industrie, à l’échelon tant national qu’international.
Tout cela n’est pas inévitable et je me réjouis que le Sénat soit à l’initiative d’un sursaut. Le texte que nous examinons est d’une grande richesse. Évidemment, certains points ne sont pas abordés, comme la prévention. Celle-ci est nécessaire et nous ne pourrons pas faire l’impasse sur ce sujet. Toutefois, elle pourra faire l’objet d’un autre véhicule législatif.
Dans tous les cas, l’organisation d’une lutte efficace contre le trafic ne nous exemptera pas d’un débat de société sur les drogues, sur les explications sociales de l’addiction, pour comprendre comment des jeunes oubliés des politiques de la ville tombent aujourd’hui dans les mains des trafiquants. Face aux griffes des criminels, nous devons également tendre la main, solidaire, de la République.
Avec ce texte, nous allons discuter d’une question primordiale : la réponse sécuritaire et pénale. Le consensus sénatorial est attendu par nos concitoyens.
Je ne ferai pas l’inventaire des dispositifs proposés. J’évoquerai simplement une modification émanant de la commission des lois : préférer au parquet national anti-stupéfiants un parquet national anti-criminalité organisée. C’est une très bonne chose, car il y a une dimension tentaculaire dans le narcotrafic, qui s’accomplit suivant des procédés innombrables. Il ne faut pas nous restreindre !
Nous saluons également l’ensemble des dispositifs proposés en vue d’endiguer le blanchiment d’argent. D’autres outils d’ordre procédural pourraient également voir le jour. Je pense à la création de dossiers coffres ou au recours au procès-verbal distinct pour protéger les techniques d’enquête sensibles. Il s’agit indéniablement d’une atteinte au principe du contradictoire, constituant un pilier du procès équitable. C’est pourquoi, mes chez collègues, je vous invite à veiller à ne pas fragiliser les droits de la défense. La délibération parlementaire que nous nous apprêtons à avoir est importante pour trouver des solutions de compromis qui garantissent la protection des droits et des libertés tout en maintenant un exigeant niveau d’efficacité. À mon sens, la mesure est suffisamment encadrée, limitée et proportionnée à l’objectif qu’elle vise.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, tout en espérant que ce texte soit accompagné des moyens financiers nécessaires, le groupe RDSE votera en sa faveur à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Cadic. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic prolonge opportunément le travail accompli par la commission d’enquête sénatoriale, qui était présidée par Jérôme Durain et dont le rapporteur était Étienne Blanc : je les félicite tous les deux pour leur travail. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Avant tout, je veux saluer l’engagement de nos forces de l’ordre et de nos magistrats. Le taux moyen d’homicides en France a été divisé par deux depuis les années 1990. Il est de 1 pour 100 000 habitants, une proportion à peu près stable depuis dix ans. Nous sommes très loin de ce que l’on observe en Amérique latine, où ce taux est près de vingt fois supérieur.
La France reste un pays sûr. Nous avons un État qui fonctionne. Notre police et notre justice agissent. Nous devons leur permettre de s’adapter, car nous entrons dans une nouvelle ère.
L’Amérique latine, avec 8 % de la population mondiale, totalise 37 % des homicides. Plus des deux tiers de ces meurtres sont attribuables à des groupes criminels. Traditionnellement, les cartels contrôlaient des territoires limités et se spécialisaient dans un seul produit, généralement la cocaïne. Aujourd’hui, ils s’internationalisent et se diversifient rapidement. Ils s’impliquent de plus en plus dans le trafic d’êtres humains et de produits illégaux, dans les kidnappings et l’extorsion.
Nous voyons se développer chez nous les activités que les cartels laissent aux groupes locaux, car elles requièrent une main-d’œuvre nombreuse et génèrent un moindre profit. Nos outre-mer sont en première ligne sur la route de ce trafic.
Étienne Blanc l’a bien dit : nous pouvons voter toutes les lois du monde, si nous ne mettons pas les moyens en face, les résultats ne seront pas au rendez-vous.
Pays producteurs et pays consommateurs ne peuvent se renvoyer la balle. Ils sont les deux faces de la même pièce. L’ensemble des pays de la zone affectée par le narcotrafic réclament une coopération internationale plus poussée.
Pourtant, nous n’avons même pas dix attachés de sécurité intérieure pour toute l’Amérique latine ! Il n’y en a qu’un au Pérou ou en Bolivie, alors que ces pays sont respectivement les deuxième et troisième producteurs mondiaux de cocaïne. Qui plus est, notre attaché de sécurité intérieure au Venezuela a été expulsé ce week-end par M. Maduro…
Au mois de mai dernier, à l’invitation du ministre de l’intérieur bolivien, j’ai assisté dans la jungle amazonienne à une opération de destruction de laboratoires de cocaïne. Nous y avons découvert des sacs de précurseurs chimiques fabriqués en Chine, qui entrent à 60 % dans la composition de la cocaïne. Ces précurseurs chimiques peuvent être commandés sur internet. Ils composent également les drogues de synthèse comme le Fentanyl.
Un vendeur de Fentanyl dans les rues de New York gagne 30 000 dollars par semaine. Les États-Unis sont passés de quelques centaines de décès liés à ce produit au début des années 2010, à plus de 70 000 en 2021, pour franchir la barre des 120 000 décès en 2023. Cette année-là, le président Biden a ajouté la Chine à la liste américaine des principaux pays producteurs de drogues illicites au monde. Les mafias chinoises assurent le blanchiment de ces profits au travers de casinos, d’immobilier et de sociétés écrans diverses. Comme notre commission d’enquête l’a révélé, Hong Kong est devenu le trou noir du blanchiment.
Si louables que soient les avancées proposées dans ce texte, que le groupe Union Centriste soutiendra, nous sommes conscients que le volet répressif ne résoudra rien à lui seul.
Le premier décès officiel par overdose enregistré en France date de 1969. Nous en comptons actuellement plusieurs centaines par an. Sur les routes, un décès sur cinq implique un conducteur ayant consommé de la drogue.
Au-delà des mesures d’urgence proposées dans ce texte, sur lesquelles reviendra Pascal Martin, il nous faudra des politiques beaucoup plus élaborées sur le long terme, avec des efforts importants pour la prévention, en particulier en faveur de la jeunesse, pour enrayer la violence liée à la drogue tout en préservant nos libertés publiques.
La guerre contre le narcotrafic est mondiale. Pour la gagner, il faut adopter une approche européenne, en donnant de véritables moyens à la coopération internationale contre le crime organisé pour empêcher l’arrivée de la drogue sur notre territoire.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Olivier Cadic. Croyez-vous que nous aurions réussi dans notre lutte contre le terrorisme sans aller combattre Daech sur son terrain, en Syrie et en Irak ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérémy Bacchi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Jérémy Bacchi. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d’État, mes chers collègues, en 2023, avec 49 narchomicides, Marseille, ma ville, fut plus que jamais au centre d’une actualité dramatique. C’est d’ailleurs ce qui m’a poussé, avec mes collègues Marie-Arlette Carlotti et Guy Benarroche, à demander au président Larcher la mise en place d’une commission d’enquête sur le narcotrafic.
Enfant des quartiers nord de Marseille, je sais pourtant que ma ville, mes quartiers, ne se résument pas à cela – tant s’en faut. Pourtant, comment ne pas voir la progression continue des trafics, de plus en plus organisés, structurés et, j’ose le mot, de mafias structurant ces trafics ?
Au mois de janvier 2024, j’ai lancé un appel qui a rassemblé plusieurs milliers de signatures : acteurs de la place portuaire, responsables de l’éducation nationale, acteurs du monde culturel, tous, nous dénoncions avec force le poids de ces mafias dans ma ville, dans mon département, mais également dans le pays. Oui, cette problématique est bien une problématique nationale, et même internationale.
Je voudrais ici rendre hommage au député communiste italien Pio La Torre, assassiné par la mafia en 1982 après avoir mené une vie de combat contre ces organisations criminelles. Je souhaite rendre hommage aussi à François Billoux, député communiste de Marseille, ministre, qui, dès 1936, lançait une grande campagne intitulée « Marseille propre », pour lutter contre les mafias de l’époque.
Le communiste que je suis sera toujours pour la lutte acharnée contre ces réseaux et ces mafias. Certaines mauvaises langues mal intentionnées pourraient trouver contre-intuitif qu’un communiste appelle à l’ordre.
M. Jérémy Bacchi. Je réaffirme ici avec force que les premières victimes de ces mafias sont bel et bien les personnes les plus fragilisées, les plus vulnérables et les plus précaires. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.) Ce sont leurs quartiers, leurs maisons, leurs familles qui sont exploités par les bandes mafieuses. Si l’État les a abandonnés, les trafiquants, eux, se montrent bien présents, gangrenant notre pays et profitant des failles de notre État social.
Si je salue ici le travail de mes collègues sur cette proposition de loi, il nous faudra aussi réinvestir tous les territoires de la République. Là où l’État est fort, le narcotrafic recule. Là où l’État est faible, les mafias prospèrent. Un État fort, cela signifie des services publics présents et de qualité, partout et pour tous.
L’État doit protéger. Il doit protéger les quelque 350 000 mineurs relevant de l’aide sociale à l’enfance (ASE) que ces mafias recrutent sans plus même se cacher, souvent sous la contrainte d’ailleurs. Il s’agit d’une main-d’œuvre bon marché et corvéable à merci, dès la sortie des foyers.
Ni les moyens humains ni les moyens financiers ne sont à la hauteur, malgré la mobilisation des professionnels, que je salue. Nombreux sont ceux qui tirent la sonnette d’alarme face à cet abandon.
Il faut protéger aussi tous les professionnels particulièrement exposés aux narcotrafiquants, plutôt que les présumer coupables ou complices. Je pense bien sûr aux avocats, au personnel des ports, aux dockers, aux agents pénitentiaires ou encore aux douaniers. C’est parce qu’ils sont en première ligne face aux réseaux de narcotrafiquants qu’il nous faut assurer leur protection. Nous avons déposé plusieurs amendements en ce sens.
Enfin, il nous faut agir avec cohérence et détermination à chaque étape de la lutte contre le narcotrafic. La réforme récente de la police judiciaire paraît, dans ce contexte, d’autant plus surprenante. L’excellent travail réalisé par nos collègues Jérôme Durain et Étienne Blanc dans le cadre de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a bien montré qu’une stratégie fondée sur un travail d’enquête de fond et à long terme est beaucoup plus efficace contre la criminalité organisée. Nous attendons donc le retour de la police judiciaire, seule apte à faire face à la criminalité organisée.
La cohérence et la détermination à chaque étape de la lutte contre le narcotrafic doivent aussi s’incarner dans nos relations diplomatiques. La France doit davantage hausser le ton contre les pays producteurs de drogues, que ce soit le cannabis, la cocaïne ou l’héroïne. S’attaquer aux mafias, c’est aussi s’attaquer aux lieux de production qui prospèrent à travers le monde, parfois même, malheureusement, avec la complicité de certains États.
Par conséquent, malgré les mises en garde émises et notre vigilance lors de l’examen du texte, notre groupe, convaincu que la lutte contre le narcotrafic s’intègre dans un projet de développement économique, social, démocratique et populaire, et dans un souci de responsabilité, votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et Les Républicains. – Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Hussein Bourgi applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi fait suite aux travaux de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, demandée par les trois sénateurs écologistes et de gauche des Bouches-du-Rhône – Marie-Arlette Carlotti, Jérémy Bacchi et moi-même – et créée sous la houlette de Bruno Retailleau, alors président du groupe Les Républicains au Sénat, désormais ministre d’État, ministre de l’intérieur, présent aujourd’hui au banc du Gouvernement.
Je m’en félicite, car cela montre le sérieux des travaux de notre commission d’enquête, dont la création a découlé d’un constat commun, partagé, transpartisan. Ce constat portait sur l’échec des politiques de l’esbroufe, des places nettes, des opérations XXL : plus de saisies, davantage de personnes en prison, mais un trafic en augmentation constante.
Je regrette toutefois que le Gouvernement n’ait pas déposé un projet de loi reprenant dans les grandes lignes les conclusions de notre commission d’enquête, que M. Dupond-Moretti nous avait annoncé comme prêt. Nous aurions ainsi disposé d’une véritable étude d’impact du Conseil d’État et, au moins, d’une garantie d’engagement budgétaire reposant sur une évaluation réelle des besoins matériels et financiers.
Au lieu de cela, nous allons voter des dispositions qui coûtent de l’argent et requièrent de nouveaux moyens humains, alors qu’il semble que nous n’en ayons pas les moyens, vu l’état dans lequel vous avez mis nos finances publiques.
Cette proposition de loi comporte un ensemble d’éléments et de mesures indispensables. Pourtant, d’autres mesures, tout aussi essentielles, n’y figurent pas.
Nous regrettons que le texte ne prévoie rien sur le volet prévention, que ne soient pas envisagées et programmées deux grandes campagnes servant une cause nationale, à l’attention, d’une part, des consommateurs, d’autre part, des personnes en grande précarité, cibles privilégiées des trafiquants pour devenir les petites mains de ces réseaux, le Lumpenproletariat de cette industrie.
Nous regrettons l’absence de mesures d’information pour éviter l’entrée dans la consommation, sur les parcours de soins, sur la prise en charge des addictions, sur l’intérêt de légaliser ou de dépénaliser certains usages : aucune politique de santé publique, donc.
Rien non plus sur le volet économique et social, levier majeur de la lutte contre le narcotrafic. Rien sur la politique de la ville. Rien sur la lutte contre la précarité. Rien sur le logement, sur l’insertion par l’école et par le travail.
Rien, enfin, sur l’accompagnement et le traitement social des victimes du narcotrafic et de leurs familles. C’est pourtant l’une des demandes fortes des familles que nous avons auditionnées, à la demande des sénateurs de Bouches-du-Rhône. Nous avons déposé un amendement, qui s’est heurté à l’article 40 de la Constitution…
Pour affronter le narcotrafic, nous avons besoin d’équilibrer la dissymétrie qui existe entre les moyens de lutte et ceux des trafiquants.
« Je crains que nous ne soyons en train de perdre la guerre contre les trafiquants. » Cette phrase, prononcée par une magistrate marseillaise lors des auditions de la commission d’enquête il y a près d’un an, reflète bien la réalité. La magistrate de la cité phocéenne nous parlait du manque de « moyens humains et matériels » dans la lutte contre le trafic de drogue.
Ce texte contient des mesures attendues et des avancées certaines. Si elles ne sont pas accompagnées de moyens, celles-ci ne permettront pas de déjouer le piège du narcotrafic. Les nombreuses solutions avancées seront déterminantes dans les domaines judiciaire, policier, administratif et financier, sur le blanchiment et la corruption. La plupart des mesures proposées vont dans la bonne direction et sont, je le répète, indispensables.
Le narcotrafic est le nec plus ultra du capitalisme libéral mondialisé. Il ne se limite pas aux stupéfiants. C’est un système de criminalité organisée, qui a comme composante principale et native le trafic de drogues. Nous apprécions que le texte sorte de la focalisation sur le bas de la chaîne, les produits stupéfiants, le consommateur, pour enfin viser plus loin, frapper les trafiquants au porte-monnaie et s’attaquer à un système globalisé.
Les articles sur le blanchiment étaient attendus, ils sont bienvenus. Nous saluons la nécessaire prise en compte de la corruption, phénomène qui était très nettement sous-évalué par toutes les administrations au début de nos travaux. Nous resterons toutefois très vigilants quant à l’équilibre du texte.
Ainsi, nous examinerons comment sera améliorée la chaîne du traitement judiciaire et policier du narcotrafic. Notre combat acharné et déterminé contre ce fléau ne doit pas s’effectuer au détriment des droits de l’ensemble des justiciables et de la défense. Nous resterons particulièrement attentifs aux mesures dérogatoires, comme l’allongement des privations de liberté, que ce soit pour la détention provisoire ou la garde à vue.
Il est nécessaire que, comme l’a décidé la commission, le périmètre du parquet spécialisé contre la criminalité organisée dont la création est envisagée ne se limite pas à la lutte contre les stupéfiants. Je l’ai souvent rappelé, et les acteurs de terrain nous le répètent : le trafic de stupéfiants n’est qu’une facette partielle de l’activité du narcotrafic.
Chers collègues, la vision de notre groupe est, je le sais, souvent décriée, mais c’est une vision globale. Loin des caricatures, nous souhaitons mettre fin à la délinquance liée au trafic et à une criminalité qui blesse, tue, rackette, terrorise nos villes, essaye de corrompre les plus précaires et constitue un danger pour la sûreté et la tranquillité publiques !
Le narcotrafic atteint toutes les sphères et tous les domaines de notre société. Il est donc du devoir de l’État de mobiliser tous les moyens pour le combattre, et tout de suite ! Cela inclut ceux que j’ai évoqués et qui ne sont pas dans ce texte, et tous ceux qu’une démocratie peut utiliser dans le cadre d’une répression équilibrée, juste et efficace du haut du spectre, les gros actionnaires du narcotrafic. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Narassiguin. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis pour modifier notre arsenal juridique, afin de lutter contre un mal qui fait des ravages partout en France, dans nos moyennes et grandes villes, nos campagnes, sans oublier nos territoires ultramarins : le trafic de stupéfiants.
Je tiens à saluer l’excellent travail de Jérôme Durain et d’Étienne Blanc au sein de la commission d’enquête, puis dans la rédaction de ce texte. Celui-ci a vocation à poser les premiers jalons d’un État plus fort et mieux armé dans la lutte contre le narcotrafic, mais aussi, et surtout, contre la violence exacerbée que celui-ci induit, faisant de nombreuses victimes, souvent très jeunes.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain salue d’abord la réorganisation indispensable des acteurs de cette lutte, qui ont besoin d’une véritable spécialisation. Cela passe par le renforcement de l’Office anti-stupéfiants et par la création d’un parquet national anti-criminalité organisée, avec une meilleure coopération et une coordination avec les juridictions interrégionales spécialisées.
Nous nous félicitons également des nouveaux outils visant à lutter contre le blanchiment, comme la procédure d’injonction pour richesse inexpliquée ou le gel judiciaire des avoirs. En effet, « frapper au portefeuille » les trafiquants semble devenu parfois beaucoup plus dissuasif que la menace de l’incarcération.
Le volet relatif au renseignement permettra d’assurer une meilleure coordination entre nos services de renseignement et l’autorité judiciaire. Toutefois, des garde-fous sont nécessaires. Aussi, nous proposerons des contrôles renforcés de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), ainsi que de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Je l’ai souligné, ce texte pose les premiers jalons. Soyons clairs : si nous sommes désarmés face au narcotrafic, c’est parce que nous n’avons pas les moyens financiers de lutter contre. Notre pays fait partie des pays européens qui investissent le moins dans leur justice.
Nous devons investir massivement dans toute la chaîne pénale pour recruter des magistrats et des fonctionnaires de justice capables de faire face à une prolifération d’affaires.
D’ailleurs, ce n’est pas parce que notre justice manque cruellement de moyens qu’il faut désarmer les avocats en violant les droits de la défense. Nous refusons de remettre en cause la probité des avocats qui ne font qu’utiliser les voies de droit légales existantes, afin d’assurer la défense de leurs clients.