M. Roger Karoutchi. … d’autres !
M. Mathieu Darnaud. … quelques autres…
En effet, si nous croyons à la démocratie sociale – soyez-en convaincu, monsieur le Premier ministre –, nous souhaitons connaître la place du Parlement dans les travaux à venir. Cette clarification doit venir vite : vous la devez aux Français.
En outre, il faut créer le meilleur environnement possible pour que les acteurs économiques travaillent et innovent ; c’est là une autre de nos grandes priorités.
Je pense aux entreprises de toutes tailles, qui doivent être soutenues face à une concurrence mondiale de plus en plus féroce – vous en avez peu parlé jusqu’à présent.
Je pense tout particulièrement aux agriculteurs. Ils ont choisi de nourrir les hommes : c’est l’un des plus beaux métiers qui soient. Ils permettent encore – mais pour combien de temps ? – à notre commerce extérieur de briller, grâce à l’agroalimentaire. Et pourtant, ils souffrent.
Surtransposition des normes, concurrence déloyale intra-européenne, nouvelles pandémies animales, problèmes d’approvisionnement en eau, impact du réchauffement climatique : les difficultés s’accumulent et nos agriculteurs ont de plus en plus de mal à vivre dignement de leur activité. Pour nos territoires comme pour notre souveraineté alimentaire, nous devons tout mettre en œuvre pour leur donner un avenir.
Beaucoup de promesses ont été faites à nos agriculteurs, et ce de longue date, mais rares sont celles qui ont été tenues. La dissolution de l’Assemblée nationale puis la censure du gouvernement de Michel Barnier ont une fois encore retardé la réponse de l’État. À quelques semaines du salon de l’agriculture, nous devons leur envoyer un message clair. Monsieur le Premier ministre, le temps de l’action est venu ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP.)
Dans ce domaine aussi, vous pourrez compter sur le Sénat. Nous entamerons dans quelques jours l’examen de la proposition de loi de nos collègues Laurent Duplomb et Franck Menonville (Très bien ! sur des travées du groupe Les Républicains.) visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, et nous attendons un réel soutien du Gouvernement. Nous souhaitons que l’Assemblée nationale se saisisse très rapidement de cette proposition de loi, qui vient compléter le projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole en apportant des réponses concrètes et immédiates.
Je poursuis l’énumération de nos grandes priorités en évoquant – cela ne vous surprendra pas – les collectivités territoriales.
Nous sommes arrivés au bout d’un système par trop centralisé. Jour et nuit, nos élus locaux travaillent, tentent de régler de multiples problèmes en étant confrontés à une pléiade d’interlocuteurs toujours plus nombreux. Ils se débattent dans un amas de normes, de contraintes et d’injonctions de tous ordres. Ils sont trop souvent étouffés par un pouvoir centralisateur et autocentré.
Désormais, les maires sont même parfois attaqués, agressés ; ils sont épuisés, monsieur le Premier ministre. À la tête de leurs communes, ils représentent pourtant la véritable démocratie de proximité. Ils permettent aux Français de mieux comprendre l’action publique.
Certes, comme le rappelle le président du Sénat, ils sont « à portée d’engueulade ». Mais ils sont surtout des porteurs de projets, proches des habitants ; ils sont la démocratie vivante et innovante.
Monsieur le Premier ministre, nos élus locaux demandent plus de décentralisation et plus de confiance en leur action. Vous qui êtes maire pouvez le comprendre mieux que quiconque.
Sur ce sujet également, le Sénat a conduit de nombreux travaux, solides et étayés, en vue de restaurer et de réaffirmer la liberté communale.
Vous l’avez reconnu, les compétences eau et assainissement, le ZAN (zéro artificialisation nette) ou encore le statut de l’élu local ne sont pas des marottes sénatoriales. Traiter ces sujets, c’est au contraire franchir autant d’étapes essentielles pour libérer les territoires.
Le ZAN symbolise à lui seul l’inflation normative produite par un État ankylosé, vertical et parfois incohérent, mettant à mal l’esprit même de la décentralisation. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP.) Il cristallise les tensions et les craintes légitimes des élus, dont il empêche l’action en bien des domaines.
M. Yannick Jadot. Parlons des vrais problèmes ! Ce n’est pas sérieux !
M. Mathieu Darnaud. Sur ce sujet également, nous défendons des solutions concrètes, rassemblées dans la proposition de loi de nos collègues Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace). Faisons en sorte que ces textes et rapports ne restent pas lettre morte.
Le ZAN fait partie des multiples verrous qui ferment l’accès à la propriété. Chacun doit pouvoir, dans la mesure de ses moyens, devenir propriétaire ; malheureusement, la liste des blocages s’allonge. Il est urgent que soit enfin mise en œuvre une grande politique du logement dans notre pays. Les Français en rêvent autant qu’ils en ont besoin ; vous devez en avoir l’ambition.
J’en viens au champ régalien.
À cet égard, une priorité est désormais évidente, au point de faire consensus : elle doit donc être affirmée avec force. Les Français le veulent, les Français l’attendent. Ils le disent sans ambiguïté, sondage après sondage : il faut garantir la sécurité des biens et des personnes, le retour de l’ordre public, le respect de l’État et de ses représentants, ainsi que la maîtrise de l’immigration.
Vos propos, monsieur le Premier ministre, traduisent le soutien que vous apportez à l’action de notre ministre de l’intérieur, cher Bruno Retailleau. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
C’est bien ainsi que nous concevons les choses : ni l’ordre républicain ni la laïcité ne sauraient être bafoués sans réponse ferme de la part de l’État.
M. Michel Savin. Très bien !
M. Mathieu Darnaud. « L’histoire nous enseigne qu’une civilisation, pour garder la maîtrise de son destin, doit se donner les moyens de sa sécurité. » Plus que jamais, les mots du président Chirac trouvent leur sens. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.) La justice, la police et les armées devront donc disposer de budgets qui soient à la hauteur de leurs besoins et des défis auxquels nous sommes confrontés.
La France ne saurait se singulariser et s’affaiblir au sein de l’Europe en ne se donnant pas les moyens d’agir efficacement et rapidement. Sans doute faudra-t-il ainsi créer un parquet national spécialisé dans le traitement du narcotrafic et de la très grande criminalité. (Mme Marie-Carole Ciuntu applaudit.)
Sur tous ces sujets essentiels, nous serons particulièrement vigilants.
Monsieur le Premier ministre, nous disposons de plusieurs propositions de loi opérationnelles sur des sujets clés : ces textes sont prêts. Je pense par exemple à la proposition de loi sénatoriale visant à sortir la France du piège du narcotrafic, que notre assemblée va examiner prochainement et dont nous souhaitons qu’elle entre rapidement en vigueur.
Le domaine du régalien, c’est aussi l’immigration, et, à cet égard, il y a beaucoup à faire.
Dès le jour de sa nomination, votre ministre de l’intérieur a commencé à agir avec pragmatisme et efficacité.
M. Laurent Burgoa. Très bien !
M. Mathieu Darnaud. Donnez-lui les moyens d’amplifier son action.
Je veux dire un mot, enfin, de l’outre-mer.
Certains territoires ultramarins ont beaucoup souffert au cours des derniers mois. Ils vont avoir besoin, de la part de l’État, d’un accompagnement financier et humain à la fois intelligent, agile et innovant.
Je pense à Mayotte, territoire dévasté, qui aspire à une reconstruction globale. Je pense également à la Nouvelle-Calédonie, ainsi qu’à la Guadeloupe et à la Martinique, où l’État doit trouver des solutions pour lutter contre la cherté de la vie.
Monsieur le Premier ministre, le Sénat est un lieu singulier où se mêlent sagesse et audace, liberté de pensée et culture du consensus, œuvre législative et travail de contrôle. Ne négligez pas notre assemblée !
La gravité du moment nous oblige tous. Il est plus que temps de dessiner l’avenir, d’éclairer la voie, de parler enfin de la France aux Français.
M. Stéphane Ravier. La France aux Français, bel hommage !
M. Mathieu Darnaud. Votre mission est immense : redonner du souffle et de la cohérence à l’action politique, sortir des solutions toutes faites, rendre à l’État une partie de son efficience passée.
Il s’agit là d’une responsabilité politique au sens le plus noble du terme : nos concitoyens nous demandent de retrouver l’ambition, d’oser le courage, d’exprimer des convictions et de rassembler. (Plusieurs sénateurs du groupe SER frappent leur pupitre pour signaler que l’orateur a dépassé son temps de parole.)
Comme le disait Stefan Zweig, une seule chose fatigue l’homme : l’hésitation et l’incertitude. Monsieur le Premier ministre, ayez le courage d’agir ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la semaine prochaine, Donald Trump deviendra le quarante-septième président des États-Unis…
M. Stéphane Ravier. Bravo ! (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Kanner. Dès lors, outre-Atlantique, c’est sa vision du monde qui sera au pouvoir, qu’il s’agisse d’affaiblir l’Otan, de laisser l’Ukraine aux mains de Poutine ou d’annexer le Groenland…
Pendant ce temps, les populismes gagnent l’Europe. Pendant ce temps, la situation s’enlise au Proche-Orient. Pendant ce temps, les relations se tendent avec l’Algérie.
Monsieur le Premier ministre, le monde est en ébullition et la France d’Emmanuel Macron se regarde le nombril.
Oui, j’en veux au Président de la République. Je lui en veux d’avoir affaibli la voix de notre pays sur la scène internationale. Comment prendre au sérieux un État fragilisé par la dissolution incompréhensible de son Assemblée nationale ? Comment accorder le moindre crédit à une nation gouvernée par un pouvoir instable et en contradiction totale avec le résultat des dernières élections législatives ?
Face à ce chaos, la tentation était grande de laisser l’exécutif face à ses propres turpitudes. Bien sûr, nous aurions pu nous contenter de rester les spectateurs passifs de cette crise politique et institutionnelle. Mais, vous le savez, monsieur le Premier ministre, tel n’a pas été notre choix.
Nous sommes et demeurons dans l’opposition,…
M. Stéphane Ravier. Si peu !
M. Patrick Kanner. … évidemment et fondamentalement. Nous sommes dans l’opposition, car nous ne partageons ni vos convictions, ni vos priorités, ni votre vision de la société. Le budget que vous construisez n’est en aucun cas celui que nous aurions bâti si nous avions été au pouvoir, et nous saurons vous le rappeler le moment venu.
À l’évidence, nous ne serons jamais vos alliés. Nous ne serons jamais vos partenaires.
Nous ne sommes pas guidés par un quelconque intérêt personnel. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Nous n’avons pas accepté, encore moins réclamé, le moindre portefeuille ministériel. Nous savons ce qu’est l’exercice du pouvoir. En aucune façon nous n’aurions pu envisager de participer à un gouvernement dont nous n’approuvons pas le projet. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Ce qui nous importe, c’est d’être utiles aux Françaises et aux Français. Notre seul honneur,…
M. Stéphane Ravier. Vous parlez d’honneur ?
M. Patrick Kanner. … c’est d’arracher des victoires chaque fois que c’est possible, c’est d’épargner aux plus fragiles de nos concitoyens la facture de l’incurie budgétaire pratiquée par Emmanuel Macron depuis de trop nombreuses années.
Les Français n’attendent pas le Grand Soir : ils aspirent à vivre mieux, et chaque avancée obtenue en ce sens est une victoire à saluer.
Je suis fier d’être socialiste aujourd’hui (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe SER.), fier d’appartenir à une famille politique qui n’a pas ménagé ses efforts pour obtenir des progrès pour nos concitoyens. Je vous invite à un peu d’humilité, chers collègues du groupe Les Républicains !
Sans notre intervention, sans la gauche, la taxe sur l’électricité aurait augmenté…
M. Jean-François Husson. C’est faux !
M. Patrick Kanner. Les médicaments et les consultations médicales auraient été déremboursés ; les pensions de retraite n’auraient pas été indexées sur l’inflation. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-François Husson. C’est faux !
M. Patrick Kanner. Les retraites, justement, parlons-en.
Monsieur le Premier ministre, lors de votre déclaration de politique générale devant nos collègues députés, vous vous êtes engagé à remettre en chantier la réforme de 2023.
Nous l’avons dit et répété, revenir sur cette réforme permettrait de réparer enfin une injustice sociale et une anomalie démocratique : une injustice sociale, car repousser l’âge de départ à 64 ans, c’est prélever un impôt sur la vie des Français, et en particulier des Françaises, qui subissent pendant des années des métiers pénibles, des carrières longues ou hachées ; une anomalie démocratique,…
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est ainsi que Jospin désignait le Sénat…
M. Patrick Kanner. … car nous avons tous en mémoire la brutalité avec laquelle cette réforme a été imposée, et ce malgré l’opposition du Parlement et celle, écrasante, des Français.
J’en suis convaincu : la remise en cause de cette réforme provoquera un soulagement salutaire dans notre pays.
Qu’en est-il, à présent, de la méthode à suivre ?
Oui, il faut replacer les partenaires sociaux au centre des discussions. Oui, il faut d’urgence leur permettre d’aboutir à un accord qui permette de sauvegarder notre système par répartition via des solutions de financement ne pesant pas sur les plus fragiles. Mais entendons-nous bien : si, en raison du droit de veto donné de facto au Medef, les partenaires sociaux ne parvenaient pas à un accord dans les délais fixés, il serait intolérable de revenir à la réforme de 2023. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST.)
Dans cette hypothèse – je reprends votre expression, monsieur le Premier ministre –, le Parlement devra impérativement avoir le dernier mot…
M. Roger Karoutchi. Il l’a déjà eu !
M. Patrick Kanner. … et débattre de toutes les options mises sur la table par les partenaires sociaux. Je pense en particulier à l’âge légal de départ,…
M. Bruno Sido. Démago !
M. Patrick Kanner. … qui n’est pas un tabou pour vous, et à la durée de cotisation. Nous voulons vous entendre clairement sur ces questions, car le compte n’y était pas à l’Assemblée nationale, ni hier, lors de la déclaration de politique générale, ni aujourd’hui, lors des questions d’actualité au Gouvernement.
Sachez par ailleurs que nous n’acceptons pas la provocation qui consiste à parler d’un déficit annuel de notre système de retraite de l’ordre de 40 milliards à 45 milliards d’euros : vous vous livrez là à une manipulation des chiffres. Vous annoncez un déficit exagéré en sorte de placer les partenaires sociaux devant un défi impossible à relever. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
Cette manœuvre, qui se fonde sur les travaux que vous avez menés en tant que haut-commissaire au plan, a déjà été déjouée à deux reprises par les membres du Conseil d’orientation des retraites (COR), et singulièrement par les syndicats de salariés, que vous sollicitez maintenant. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes GEST et CRCE-K.)
Pour que nous puissions engager ces travaux sur des bases saines, je vous demande de revenir sur cette affirmation et de présenter la vérité aux Français.
Bien sûr, nos revendications ne s’arrêtent pas à la réforme des retraites : sur bien d’autres chantiers, nous attendons des réponses de votre part.
Au sujet du pouvoir d’achat, que proposez-vous concrètement ? Il est nécessaire de revaloriser les salaires en partant du Smic. Il est nécessaire d’assurer à nos agriculteurs, acteurs essentiels de notre économie, de notre alimentation et de nos territoires, des revenus justes et décents. Nous continuerons également de nous battre pour l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires.
Pouvez-vous nous dire clairement que vous abandonnez définitivement le passage d’un à trois jours de carence dans la fonction publique en cas d’arrêt maladie ? (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) Cette question simple appelle une réponse simple.
Nos revendications portent également sur les services publics. Commençons par la santé, puisque vous avez fait des annonces dans ce domaine.
Nous avons obtenu une marche arrière sur le déremboursement des médicaments et des consultations. Nous avons obtenu également une légère augmentation de l’Ondam. (M. Alain Milon proteste.) Mais cela suffira-t-il à sauver l’hôpital, aujourd’hui plongé dans une crise sans précédent ? Comme le disait hier, à l’Assemblée nationale, mon homologue Boris Vallaud, nous voulons savoir « très concrètement ce que cela signifie en matière de maintien ou de création de postes et de maintien ou d’ouverture de lits ».
J’en viens à l’école de la République : elle doit accueillir tous les élèves et garantir l’égalité des chances, grâce à des personnels en nombre suffisant et mieux formés. C’est précisément pourquoi nous vous avons demandé de revenir sur la suppression de 4 000 postes de professeurs, de diminuer le nombre d’élèves par classe, d’améliorer l’accueil des élèves en situation de handicap, de revaloriser le salaire des enseignants et de l’ensemble des personnels qui œuvrent dans les établissements et d’améliorer la mixité sociale et scolaire.
M. Jacques Grosperrin. Et on rase gratis ?
M. Patrick Kanner. Vos déclarations, monsieur le Premier ministre, nous ont laissés sur notre faim. À tout le moins, elles manquent de clarté.
Là encore, à question simple, réponse simple : annulez-vous la suppression de 4 000 postes ? (Voilà ! et applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Quant aux collectivités territoriales, depuis 2017, les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron les ont malmenées : les privant de recettes propres, ils ont mis à mal leur autonomie financière et fragilisé le lien démocratique qui unissait les citoyens aux élus.
Par ailleurs, la seule compensation de la suppression de la taxe d’habitation a privé l’État de plus de 23 milliards d’euros par an, donc de moyens d’action considérables.
Il est temps de rendre aux collectivités territoriales des marges de manœuvre budgétaires, afin qu’elles puissent jouer pleinement leur rôle moteur d’investisseur partout sur notre territoire.
M. Jean-François Husson. Vous auriez dû voter avec nous !
M. Patrick Kanner. Hier, vous avez indiqué vouloir limiter les coupes budgétaires à leur encontre, mais celles-ci sont encore beaucoup trop importantes. Nous souhaitons la tenue d’une conférence relative aux moyens financiers et aux compétences des collectivités territoriales. Lors de l’examen du budget, qui reprend aujourd’hui même, les élus de notre groupe sauront se montrer très combatifs pour défendre les moyens qui leur sont alloués.
Placer les outre-mer au rang des priorités de notre pays, c’est proposer un véritable plan de rattrapage concerté et adapté à chaque territoire.
M. Bruno Sido. Avec quel argent ?
M. Patrick Kanner. C’est lutter contre la vie chère ; c’est reprendre le chemin vers l’égalité réelle.
Pour sortir Mayotte du chaos et redonner des perspectives à ses habitants, il faudra davantage qu’un plan de reconstruction sur deux ans. En Nouvelle-Calédonie, le dégel du corps électoral à marche forcée a conduit à une situation dramatique, marquée par des pertes humaines et des destructions matérielles considérables. Pour notre part, nous avons une fois de plus été pourvoyeurs de solutions, notamment juridiques, afin de privilégier le dialogue, la concertation et le respect des spécificités locales.
Qu’en est-il, par ailleurs, de la justice fiscale ? Depuis bientôt huit ans, Emmanuel Macron n’a eu de cesse de désarmer l’État en le privant chaque année de plus de 50 milliards d’euros de recettes fiscales. (M. Mickaël Vallet le confirme.)
En s’entêtant dans le dogme du « moins d’impôt », le Président de la République a préservé les plus riches, aggravé les inégalités sociales – plus de 10 millions de nos concitoyens vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté – et conduit l’État à réduire ses dépenses. Or réduire les dépenses publiques, c’est fragiliser de fait les plus modestes de nos concitoyens, pour qui la puissance publique est souvent le seul filet de sécurité.
À cet égard, monsieur le Premier ministre, votre discours ne nous permet toujours pas de disposer d’une vision claire de l’équilibre général de votre budget.
Nous attendons avec inquiétude de découvrir les domaines aux dépens desquels vous ferez de nouvelles économies. En effet, la politique de l’offre menée depuis huit ans ne permet pas le ruissellement des richesses : elle provoque l’assèchement des emplois.
Cette politique de l’offre n’empêche pas l’existence de 300 plans sociaux en 2025 et la suppression de plus de 180 000 emplois. En parallèle, les entreprises du CAC40, battant un nouveau record que je qualifierais d’obscène, vont verser à leurs actionnaires 100 milliards d’euros en dividendes et rachats d’actions. Si votre réponse se limite à une taxation des plus hauts patrimoines – encore faut-il que vous la confirmiez et que nous en connaissions les contours, le rendement et la pérennité –, alors elle n’est pas à la hauteur des enjeux.
Parlons maintenant du logement. Où se trouve votre volonté politique, à l’heure où ce secteur traverse une crise sans précédent ? Vous parlez de « politique du logement repensée », sans évoquer ni la tension locative, ni la captation du foncier, ni les moyens à redonner aux organismes de logement social.
En matière de transition écologique, quelle est votre boussole ? Il faut agir sur les causes du réchauffement climatique, et non seulement sur ses effets. Reprendre la planification écologique et ne pas abaisser nos normes environnementales sont des préalables nécessaires à une politique qui n’a d’autre choix que celui de l’ambition.
Il est temps d’agir avec fermeté et cohérence pour garantir un avenir plus respectueux de notre planète.
J’en arrive à ma conclusion. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Monsieur le Premier ministre, vous le voyez, les socialistes ont des propositions à vous faire pour sortir de l’impasse.
M. Jacques Grosperrin. Lesquelles ?
M. Patrick Kanner. Oui, ces propositions sont ambitieuses, mais elles sont surtout exigeantes. En effet, la situation politique vous oblige : faute de majorité absolue à l’Assemblée nationale, elle vous contraint au compromis.
Je conçois que l’exercice soit difficile, quand on sait combien le Président de la République s’est toujours vu en maître des horloges jupitérien. Et puis, disons-le, il n’est jamais agréable de perdre une élection. Il est encore moins agréable d’en perdre deux d’affilée – les élections européennes, puis les élections législatives – pour aboutir, trois mois plus tard, à une censure humiliante.
Il faut se rendre à l’évidence : les Français ont sévèrement sanctionné la politique menée depuis près de huit ans. Vous n’avez pas d’autre choix que de l’infléchir et d’engager enfin un véritable dialogue. Il n’y aura pas de stabilité dans ce pays dans la continuité des politiques menées jusqu’à présent.
Monsieur le Premier ministre, ceux qui vous ont précédé l’ont appris à leurs dépens : s’il y a matière à censurer un gouvernement, alors nous le censurerons. Nos collègues députés l’ont fait sans trembler le 4 décembre dernier.
Je conclus pour de bon (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains, l’orateur ayant dépassé son temps de parole.) : un choix demeure entre vos mains, monsieur le Premier ministre, celui du compromis avec les forces de gauche, arrivées en tête des élections législatives et désireuses de poursuivre avec vous des négociations constructives et exigeantes.
Qu’il n’y ait pas de malentendu : dans l’hypothèse où les conditions seraient réunies pour que nous ne censurions pas votre gouvernement, nous ne vous signerions pas de chèque en blanc. Je l’ai dit, nous restons dans l’opposition. N’en doutez pas, vous nous trouverez sur votre chemin si vous vous attaquez aux acquis sociaux.
Ce sera ma dernière phrase (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.) : monsieur le Premier ministre, les conditions de la stabilité de notre pays sont entre vos mains. Donnez-nous de bonnes raisons de ne pas vous censurer ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est la troisième fois depuis un an que nous prenons part à cet exercice de la déclaration de politique générale. Pour nous, sénateurs, c’est même la sixième fois, puisque nous avons droit à double ration : lecture de la déclaration le mardi et explication le mercredi, pour le cas où nous n’aurions pas compris ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP et sur des travées des groupes RDPI, RDSE et SER.)
Il me semble que nos concitoyens voudraient bien nous voir faire autre chose et sont las de toutes ces palinodies politiques : on peut les comprendre.
Vous l’avez souligné, monsieur le Premier ministre, la censure du précédent gouvernement, pour ne parler que d’elle, a affaibli notre pays. Il est faux de dire qu’elle a été sans conséquence. En témoigne l’accord commercial avec le Mercosur, que les autorités européennes cherchent à entériner en profitant de la situation de la France. Les agriculteurs en souffrent également et nous pourrions évoquer bien d’autres domaines, comme la fiscalité.
Espérons donc que, cette fois, comme vous le souhaitez ardemment, nous saurons trouver les conditions d’un retour à une forme de stabilité institutionnelle ; nous en avons le plus grand besoin.
Voilà qui ne sera pas une mince affaire, car, depuis que les élections législatives de juin dernier ont accouché d’une Assemblée nationale divisée en trois blocs inconciliables, la France apparaît bloquée comme elle ne l’a jamais été sous la Ve République. Le gouvernement de Michel Barnier s’est heurté de plein fouet à cette malheureuse réalité ; je veux à mon tour saluer son engagement.
Monsieur le Premier ministre, c’est à vous qu’incombe maintenant la responsabilité d’accomplir cette mission, avec une pression extrême, car, cette fois, il ne s’agit plus d’essayer : nous devons réussir. Autrement dit, nous avons aujourd’hui vis-à-vis du pays une obligation de résultat, et non seulement une obligation de moyens.
En effet, comment les Français nous jugeront-ils, nous, parlementaires, si nous nous révélons indéfiniment incapables de trouver des solutions ? C’est la démocratie représentative elle-même qui est en jeu.
S’il s’avère impossible de trouver des compromis, nous nous installerons dans l’instabilité et nous n’échapperons pas à une nouvelle dissolution : les Français devront être à nouveau sollicités.
La responsabilité ne sera donc plus celle de la droite, du centre ou de la gauche : elle sera celle, collective, des parlementaires, qui auront échoué. Le cas échéant, il est probable que les électeurs se montrent très sévères.
Partant de ce constat, le président du groupe Union Centriste ne peut que saluer l’arrivée à Matignon d’un Premier ministre centriste. (M. Jean-Marie Vanlerenberghe applaudit.)