Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat a autorisé l’utilisation des titres-restaurant pour l’achat de tout produit alimentaire, directement consommable ou non.
Depuis trois ans, le Parlement est appelé chaque année à reconduire dans l’urgence cette dérogation, afin de permettre aux 5,4 millions de salariés bénéficiaires de tels titres d’utiliser ceux-ci pour l’achat de produits alimentaires non directement consommables.
Depuis trois ans, nous avons donc le même débat : les titres-restaurant ne doivent pas se transformer durablement en chèques alimentaires, mais les salariés doivent pouvoir continuer de les utiliser pour acheter tout produit alimentaire. Et depuis trois ans, nous répétons que le problème de fond est l’absence d’indexation des salaires sur l’inflation.
En effet, les rémunérations décrochent face à la hausse des prix, notamment ceux de l’alimentation, ce qui entraîne une perte de pouvoir d’achat pour les familles. Selon l’association Familles rurales, les prix de l’alimentation ont augmenté de 11,9 % en 2023, alors que les salaires progressaient sur la même période de seulement 4 % en moyenne.
Les entreprises qui n’augmentent pas les salaires utilisent les titres-restaurant comme un outil de rémunération complémentaire. Les titres-restaurant ne sont pourtant pas un instrument de soutien au pouvoir d’achat ; ils constituent uniquement une solution de restauration pour les salariés qui ne disposent pas d’une offre de restauration collective.
En commission, la rapporteure nous a expliqué que, l’inflation étant moins importante en 2024 qu’en 2023, la prolongation de la possibilité d’utiliser les titres-restaurant pour faire des courses se justifiait moins.
Néanmoins, si l’inflation a été effectivement moins forte en 2024, les prix de l’alimentation, eux, ont explosé. Depuis janvier 2022, le prix de la viande a augmenté de plus de 20 %, celui du poisson de plus de 10 % et celui des produits laitiers de plus de 26 %. Globalement, les prix des produits non directement consommables visés par la proposition de loi ont augmenté de plus de 24 %.
La droite sénatoriale a finalement accepté de prolonger la dérogation, mais pour un an au lieu de deux. Cette solution consistant à couper la poire en deux ne satisfait personne. Il revient au Gouvernement de prendre ses responsabilités et de réformer les titres-restaurant.
Ce dispositif est largement soutenu par les financements publics, qui prennent en charge un tiers de la part patronale du ticket, ce qui représente 1,5 milliard d’euros pour les caisses de l’État et de la sécurité sociale. Nous ne pouvons continuer d’enrichir des plateformes de livraisons « ubérisées » avec de l’argent public, alors que ces entreprises ne respectent pas les droits sociaux les plus élémentaires de leurs propres salariés.
Une réflexion sur les tickets-restaurant doit être menée, en priorité par les représentants syndicaux au sein de la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR). En attendant, la question de l’augmentation des salaires reste centrale. Le décrochage des salaires par rapport à l’inflation est un facteur majeur qui a plongé de nombreux ménages dans la précarité alimentaire.
C’est pour cette raison que le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky a déposé, le 17 décembre dernier, une proposition de loi visant à indexer les salaires sur l’inflation que nous vous invitons à soutenir le 20 février prochain, mes chers collègues.
Notre groupe votera donc en faveur de la proposition de loi visant à prolonger la dérogation d’usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire, comme nous l’avons toujours fait depuis trois ans, pour une durée d’un an.
Toutefois, à l’avenir, nous conditionnerons notre vote à l’organisation d’une véritable négociation sur la réforme des titres-restaurant. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cela devient un rituel : nous nous retrouvons à la fin de chaque année pour examiner un texte de prolongation de la dérogation permettant d’utiliser les titres-restaurant pour acheter des produits alimentaires non directement consommables, quel que soit le type de commerce, avec un plafond journalier porté à 25 euros par un décret publié en catimini.
Combien de temps encore se poursuivront ces dérogations tendant à imposer une pérennisation de fait de ce dispositif, au détriment d’une réforme préservant l’objet social du titre-restaurant, tout en tenant compte des changements du monde du travail ?
Si la première dérogation, adoptée dans des circonstances exceptionnelles, avait été approuvée par l’ensemble des collèges du CNTR, afin de permettre aux travailleurs de ne pas perdre leurs droits, les prolongations consenties depuis lors se sont faites contre l’avis des quatre collèges du CNTR, qui nous alertent en vain sur les conséquences délétères des modalités d’utilisation du ticket-déjeuner – ou, plus précisément, du ticket de la pause déjeuner – du salarié, qui en font un dispositif de soutien au pouvoir d’achat, soit un substitut de salaire ne justifiant plus, dès lors, son exemption de prélèvements sociaux et fiscaux, comme le rappelle la Cour des comptes.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Elle n’a pas tort !
Mme Raymonde Poncet Monge. Continuer de soumettre la perspective du titre-restaurant au prisme dominant du pouvoir d’achat démontre d’ailleurs, à contre-courant du discours gouvernemental, que la crise du pouvoir d’achat des salariés est toujours d’actualité ; il y a donc un aveu d’échec à prolonger ce qui était naguère justifié au nom de la crise du pouvoir d’achat due à l’inflation.
Oui, la précarité alimentaire est une réalité en France, puisque, selon le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), elle est passée de 9 % à 16 % entre 2016 et 2022. Toutefois, elle ne touche pas qu’une partie des 5 millions de salariés bénéficiaires de titres-restaurant et elle nécessite donc une politique spécifique, prenant par exemple la forme d’une sécurité sociale alimentaire.
Oui, la France connaît une déflation salariale et le nombre de travailleurs pauvres augmente, mais le retour à l’échelle mobile se révélerait bien plus pertinent pour y faire face que de demander au titre-restaurant de compléter un salaire insuffisant.
Enfin, selon le Centre d’études et de prospective (CEP), l’industrie alimentaire a augmenté ses prix au-delà des coûts réels du choc énergétique, permettant ainsi une augmentation indue de sa marge, passée de 28 % à 48 % entre 2021 et 2023. Or ce sont ces acteurs économiques, fauteurs d’inflation spéculative, que cette prolongation favorise !
Ainsi, la reconduction sans réforme concertée de ce dispositif exceptionnel adopté en temps de covid-19 et suspendant le fonctionnement normal du titre-restaurant, a livré une part de marché de près de 10 milliards d’euros et en croissance aux grandes surfaces, au détriment des restaurateurs et commerces assimilés de proximité.
À l’issue de cette nouvelle dérogation, sans le retour d’une régulation préservant l’objet du titre-restaurant, il est probable que les restaurateurs perdront leur première place et que, faute de contrôle, ce dispositif servira de moins en moins à solvabiliser la demande d’un repas, dans le cadre de la pause méridienne.
Les organisations représentatives des PME, ainsi que les restaurateurs et assimilés, ne cessent de souligner cette dynamique de transfert et ses conséquences : près de 80 % des 100 000 emplois créés par le ticket-restaurant se trouvent encore dans le secteur de la restauration et sont en partie menacés par ce transfert d’affaires, rendu possible par les modalités actuelles de ce titre ; et je ne parle même pas de la perte fiscale pour l’État, due au différentiel de taux de TVA.
Dans un contexte de fragilisation du secteur de la restauration, liée notamment au coût de l’énergie, des défaillances ne sont pas à exclure, dans la mesure où 15 % du chiffre d’affaires des restaurants dépendent du titre-restaurant, alors que celui-ci ne représente que 1 % du chiffre d’affaires de la moyenne et grande distribution, avec un effet de levier sur l’économie locale nettement plus important.
Sans doute, le titre-restaurant n’a pas pour objet de soutenir un secteur économique, mais son premier objectif – protéger la pause-repas quotidienne du salarié – est plus proche de l’activité du secteur des restaurants et commerces assimilés que des courses réalisées deux fois par semaine au supermarché.
Si, in fine, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne s’oppose pas à une dérogation accordée pour la seule année 2025, comme l’avait décidé la commission avant son revirement, c’est pour que le délai obtenu soit enfin consacré à la discussion et à la mise en place de mesures de modernisation et d’adaptation du dispositif, négociées avec tous les acteurs, mais préservant son objet social : mise en place d’un double plafond ou, à défaut, d’un plafond représentatif du coût moyen d’un repas au restaurant, revalorisation du montant exonéré, enfin, abondement complémentaire, rendu possible par la numérisation du dispositif, en cas de consommation favorable à la santé publique et à la santé du salarié.
Bref, les pistes ne manquent pas…
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Annie Le Houerou. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à examiner une proposition de loi tendant à prolonger, de nouveau, l’autorisation d’un usage élargi des titres-restaurant en grande et moyenne surface, pour tout produit alimentaire, qu’il soit destiné à une consommation immédiate ou non.
Jusqu’à présent, cette mesure a eu un impact indéniable sur la répartition des dépenses de tickets-restaurant : en 2023, près de 2,9 milliards d’euros ont été utilisés par ce biais dans les grandes surfaces, ce qui souligne l’importance de cette possibilité pour nombre de salariés.
Cette mesure dérogatoire a été introduite, il convient de le rappeler, par la loi sur le pouvoir d’achat, dans l’espoir de fournir un soutien temporaire aux travailleurs, face à la hausse importante des prix que nous avons connue au cours des dernières années.
Or tel n’était pas l’objectif assigné initialement au ticket-restaurant. Cette mesure était supposée apporter un soutien ponctuel aux salariés, en allégeant le fardeau de l’inflation sur les foyers. Mais, force est de le constater, cette situation requiert une réponse bien plus structurée et pérenne.
La question qui se pose aujourd’hui est donc simple : pourquoi continuer de prolonger une mesure d’urgence, sans jamais définir de solutions durables ? Faute d’une véritable vision, d’un projet global pour soutenir les travailleurs face à la crise du pouvoir d’achat, nous nous retrouvons à prolonger des mesures comme celle-ci. Il est nécessaire de remettre en cause cette approche et de mieux évaluer l’adéquation entre un niveau de salaire décent et le pouvoir d’achat que celui-ci octroie.
Le mal-être des travailleurs, nourri par les politiques insuffisamment ambitieuses menées depuis plusieurs années par les gouvernements successifs du président Macron, ne pourra être résolu par des solutions aussi temporaires et fragmentées.
Nous le regrettons profondément, car l’année 2024 aurait dû être l’occasion pour le Gouvernement de mettre en place des mesures structurelles de soutien à la rémunération et au pouvoir d’achat. Malheureusement, il n’en a rien été, la négociation n’ayant pas abouti.
Le ticket-restaurant ne devrait pas constituer une mesure de pouvoir d’achat. Son objectif initial était de permettre aux salariés ne disposant pas d’un restaurant d’entreprise d’accéder à un repas équilibré et de qualité. Ce n’est pas en multipliant les dispositifs d’urgence – je pense également au chèque énergie – que nous résoudrons le problème de fond du pouvoir d’achat des travailleurs.
Nous devrions, au contraire, indexer les salaires sur l’inflation, comme le proposent d’ailleurs nos collègues communistes via la proposition de loi que nous examinerons au cours de leur niche parlementaire du 20 février prochain. C’est cette voie, celle d’une revalorisation durable et systématique des rémunérations, qui permettrait aux travailleurs de faire face à l’inflation sans dépendre de mesures ponctuelles.
Il faut souligner une autre conséquence de ce dispositif : son impact sur les restaurateurs locaux n’est pas négligeable. En effet, son utilisation en supermarché, certes devenue indispensable pour les travailleurs, n’est pas sans conséquence pour les solutions de restauration assise, qui proposent pourtant une nourriture souvent moins transformée et plus diverse. Selon l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih), le manque à gagner pour ces professionnels s’élève à 800 millions d’euros cette année.
Ainsi, en 2023, sur les 14 milliards d’euros de tickets-restaurant distribués, 8,6 milliards d’euros ont été utilisés dans la restauration traditionnelle ou rapide, 2,9 milliards d’euros dans la grande distribution et 2,5 milliards d’euros dans les commerces de proximité, dont les boulangeries.
Face aux défauts de ce dispositif de repli, que nous sommes contraints de faire perdurer faute de mieux, nous avions envisagé de proposer un amendement visant à prolonger la dérogation d’un an, au lieu de deux, en attendant de réelles mesures pour le pouvoir d’achat, ainsi qu’une réflexion sur la possibilité d’élargir le dispositif à plus de salariés.
Mais nous nous satisfaisions de l’amendement de Mme la rapporteure – je la salue d’ailleurs pour son travail et ses auditions, qui ont été source de propositions –, qui a été adopté en commission et dont les dispositions participent des mêmes inquiétudes. En effet, les salariés des entreprises de taille plus petite, notamment des PME, n’ont pas accès aux tickets-restaurant.
Aussi, il y a des secteurs dans lesquels ce type d’avantage n’est pas systématiquement mis en place. De plus, il existe une certaine ambiguïté concernant les règles et les conditions d’utilisation des tickets-restaurant, notamment dans un contexte législatif en constante évolution.
Par exemple, les critères relatifs à leur valeur maximale, les exceptions fiscales, ainsi que les modalités d’attribution, peuvent fluctuer d’une entreprise à l’autre. Cette diversité rend le dispositif complexe à comprendre et à appliquer, tant pour les salariés que pour les employeurs. Une harmonisation des règles serait donc nécessaire pour faciliter l’accès et la gestion de ce dispositif.
Il est également nécessaire de prendre en considération le rôle que pourraient jouer les tickets-restaurant dans la promotion d’une alimentation plus équilibrée et plus saine pour nos concitoyens.
Tout comme la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim) a fixé l’objectif d’atteindre au moins 20 % de produits bio en valeur d’achat en restauration collective au 1er janvier 2022, nous pourrions encourager les salariés à faire des choix alimentaires plus sains tout en soutenant des pratiques agricoles durables.
Cela permettrait d’agir concrètement sur la prévention en santé, car une alimentation saine et équilibrée est un facteur clé pour prévenir de nombreuses pathologies, telles que l’obésité, les maladies cardiovasculaires, le diabète et bien d’autres encore.
Une alimentation équilibrée permet de prévenir les troubles musculosquelettiques, les maladies chroniques et d’autres problèmes de santé, qui affectent à la fois la qualité de vie des travailleurs et leur longévité professionnelle. En ce sens, les tickets-restaurant pourraient devenir un outil précieux pour améliorer, non seulement la santé individuelle des salariés, mais encore la santé collective au travail.
Cette approche renforcerait non seulement la santé des travailleurs, mais également le soutien à l’agriculture et la réduction de l’impact environnemental.
En repensant les tickets-restaurant, nous aurions donc l’occasion de favoriser des pratiques alimentaires durables et responsables. Une telle réforme pourrait véritablement transformer l’impact des tickets-restaurant, en en faisant un levier pour améliorer la santé des travailleurs, renforcer la cohésion sociale et promouvoir une alimentation plus responsable et respectueuse de l’environnement.
Il est donc urgent de repenser l’outil des tickets-restaurant, pour sortir de la logique actuelle de mesure temporaire face à l’inflation et le faire évoluer vers un modèle d’alimentation équilibrée. Le ticket-restaurant doit retrouver sa vocation originelle – nous y sommes attachés –, mais dans un cadre rénové, qui permette à la fois de soutenir le pouvoir d’achat des travailleurs et de préserver la diversité et la qualité de notre offre alimentaire.
Nous acceptions le prolongement d’un an du dispositif, dans l’espoir d’une négociation avec les partenaires aboutissant le plus rapidement possible, dans une logique de compromis et d’amélioration des conditions de travail des salariés. Nous nous étonnons de la proposition de prorogation pour deux ans au lieu d’un.
Les salariés sont attachés aux tickets-restaurant. Il nous paraît indispensable de remettre sur le métier l’ouvrage, dans le cadre d’une véritable concertation avec les partenaires sociaux, afin de faire évoluer le dispositif et de trouver des modalités simples de mise en œuvre. Nous pensions qu’une année suffisait pour cela.
Il faut sortir de cette pérennisation larvée, pour reprendre une expression qui a été employée et qui me semble appropriée, et étudier au plus vite les propositions des partenaires sociaux. Je pense notamment au double plafond et à l’élargissement de leur utilisation à un plus grand nombre de salariés.
Nous estimons que le délai de deux ans est trop long, mais, s’il permet une meilleure adaptation du dispositif, nous ne nous y opposerons pas, à condition d’organiser une véritable concertation avec l’ensemble des professionnels concernés et des représentants des salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Les différentes interventions, notamment la vôtre, madame la rapporteure, indiquent que, au-delà de cette proposition de loi visant à reconduire un dispositif dérogatoire, se pose la question de la réforme qui est attendue et souhaitée. Différentes pistes sont ainsi suggérées.
Pour ma part, j’entends reprendre très vite les travaux engagés par mes prédécesseures ; j’ai d’ailleurs eu l’occasion, dans les jours qui ont suivi ma nomination, de m’entretenir avec Laurence Garnier sur ce sujet, qui est l’une des questions d’urgence qu’elle a tout de suite évoquées avec moi.
Si cette proposition de loi est adoptée, ce que j’espère, et dans les mêmes termes qu’à l’Assemblée nationale, j’organiserai des concertations pour réunir les différents acteurs : salariés, employeurs, restaurateurs et assimilés, émetteurs.
En ce qui concerne la temporalité de la refonte du dispositif, vous avez tous évoqué aujourd’hui le flou qui existe pour les salariés, les utilisateurs des titres-restaurant, et il est important de le dissiper. Or un vote conforme permettrait d’apporter une réponse très rapide, ce que nous souhaitons tous.
Je l’ai dit, il y a une date butoir, celle du 31 décembre 2026, mais nous devrions pouvoir aboutir avant, me semble-t-il. En tout état de cause, j’espère pouvoir vous donner dès cet été les premières pistes, afin que les différents acteurs se préparent, car certains aménagements peuvent nécessiter des adaptations de part et d’autre, notamment chez nos restaurateurs. En effet, nous souhaitons tous un usage important du titre-restaurant chez ces derniers.
J’espère que cela répond à vos préoccupations relatives à la temporalité de la réforme, madame la rapporteure.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. Merci !
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à prolonger la dérogation d’usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire
Avant l’article unique
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié n’est pas soutenu.
L’amendement n° 5 rectifié bis, présenté par M. Joyandet, Mmes Belrhiti et Berthet, M. D. Laurent, Mme Petrus, M. Houpert, Mme Lassarade, MM. Chasseing et S. Demilly et Mmes Dumont et Micouleau, est ainsi libellé :
Avant l’article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 3262-7 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les titres-restaurant sont utilisés pour acquitter en tout ou en partie le prix de repas consommés au restaurant leur montant est illimité. »
La parole est à M. Alain Joyandet.
M. Alain Joyandet. Cet amendement, signé par onze sénateurs du groupe Les Républicains, vise à remettre un peu de bon sens, de logique et d’équité dans un système qui a beaucoup dérivé.
Madame la ministre, vous vous disiez à l’instant attachée au principe d’une forte consommation chez les restaurateurs, mais les chiffres montrent que, aujourd’hui les tickets-restaurant ne sont utilisés qu’à 34 %, en valeur, dans les restaurants, le reste étant consommé notamment dans les grandes surfaces.
Aussi, sans vouloir le moins du monde remettre en cause la dérogation offerte aux bénéficiaires de titres-restaurant de se servir de ce dispositif pour acheter des produits de consommation, nous proposons que, afin de rééquilibrer les choses, on déplafonne à tout le moins l’utilisation de ces titres dans les restaurants. Cela permettrait aux restaurateurs de récupérer du chiffre d’affaires et donnerait plus de liberté aux salariés.
De grâce, s’agissant d’un avantage social qui est aujourd’hui quasiment acquis, rendons de la liberté aux consommateurs, puisque ceux-ci peuvent aussi dépenser leurs titres-restaurant dans les grandes surfaces comme ils le souhaitent.
Rendons leur liberté à nos concitoyens en déplafonnant, comme ils le souhaitent, la limite des 29 euros pour l’utilisation de ces titres au restaurant, conformément à la vocation d’origine de ces derniers ! Laissons les Français se rendre dans ces lieux sans remettre en cause l’utilisation des tickets dans les autres commerces. Cette proposition ne représente aucune contrainte ; elle ne coûte absolument rien à l’État et relève du bon sens.
J’entends qu’il faut aller vite et voter ce texte conforme. Toutefois, cet argument ne me convainc pas. Nous pouvons prendre le temps de réunir une commission mixte paritaire pour réintroduire un peu de justice dans le système.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. Je comprends votre idée, mon cher collègue. Le déplafonnement total apparaît comme une mesure de soutien aux restaurateurs, puisque ceux-ci – nous l’avons souligné à plusieurs reprises dans le cadre de la discussion générale – rencontrent des difficultés financières caractérisées. L’objectif est d’orienter le flux des titres-restaurant vers ces professionnels et de donner plus de liberté et de souplesse aux salariés.
Néanmoins, plusieurs éléments me conduisent à ne pas retenir a priori cet amendement.
Tout d’abord, l’accepter reviendrait à ne pas voter conforme la proposition de loi, donc à empêcher la mise en œuvre rapide de la prorogation d’usage, au détriment des salariés.
Ensuite, le plafond d’utilisation actuel est de 25 euros, un montant qui, même en région parisienne, là où les prix sont les plus élevés, permet à un salarié de s’alimenter correctement. Celui-ci ne fera pas bombance, certes, mais son repas sera équilibré et nourrissant.
De plus, il faudrait mener au préalable une concertation avec l’ensemble des acteurs du système. Or aucune n’est ici demandée. Il est vrai que Mme la ministre pourrait mettre sur la table cette proposition.
Enfin, le Conseil d’État, interrogé par le Gouvernement, a souligné clairement qu’il existerait un risque de rupture d’égalité entre les commerces et les restaurateurs si le plafond devait être différencié, a fortiori si la valeur des titres-restaurant devait connaître un déplafonnement total.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Monsieur Joyandet, vous proposez par votre amendement d’instituer deux plafonds : un, illimité, qui serait applicable aux restaurateurs, et un autre, limité, qui serait applicable dans les autres commerces.
En premier lieu, comme l’indiquait Mme la rapporteure, le risque juridique mérite d’être examiné. En effet, les tickets représentent un titre de paiement.
Or vous voudriez, monsieur le sénateur, que la liberté d’utilisation de leurs revenus par les Français ne soit pas la même selon que ceux-ci sont, d’une part, dans un restaurant ou, d’autre part, dans un supermarché ou une épicerie. Dans les deux cas, pourtant, l’argent est le leur. Il y va aussi de leur liberté ! Nous courons un risque non négligeable de rupture d’égalité devant la loi qui fragiliserait le dispositif. La question mérite d’être étudiée.
En deuxième lieu, même si une telle proposition devra figurer parmi les sujets de la concertation que j’appelle, comme un certain nombre d’autres personnes, de mes vœux, nous risquerions de créer un système plus complexe. En effet, le consommateur se verrait contraint de jongler entre deux plafonds. Or la simplification doit être aussi notre fil conducteur.
En troisième lieu, il existe un risque de dévoiement qui me paraît élevé. En effet, en l’absence du moindre plafond, il devient possible d’accumuler les titres pour payer avec ces derniers un restaurant familial. Nous sortirions ainsi d’une situation de restauration journalière dans le cadre du travail, ce qui n’est pas forcément l’intention des employeurs.
J’appelle de mes vœux l’examen de toutes ces questions – la proposition défendue via cet amendement peut être une piste parmi d’autres – lors des travaux de concertation qui seront conduits avec l’ensemble des acteurs. Vous avez été quelques-uns à faire état d’« études approfondies » – M. Xavier Iacovelli a parlé d’études d’impact. Celles-ci me paraissent importantes et pourraient être réalisées dans ce cadre.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, son avis serait défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Nous avons auditionné les restaurateurs : le déplafonnement n’est pas une demande de leur part. Ils réalisent en moyenne 15 % de leur chiffre d’affaires au travers des titres-restaurant, qui sont surtout utilisés pour la restauration du midi.
En effet, comme les restaurateurs eux-mêmes l’ont précisé, dans certains endroits les établissements sont fermés le soir, par exemple à La Défense ou, pour donner une référence familière à la Lyonnaise que je suis, à La Part-Dieu. Les restaurants qui ouvrent pour la pause méridienne ne sont pas intéressés par le cumul des titres-restaurant, lequel permettrait d’aller chez Bocuse, pour citer une autre référence lyonnaise.
Le double plafond – encore faut-il qu’il soit adopté – est juridiquement une impasse. Les restaurateurs souhaitent que leur activité quotidienne soit maintenue. Ils veulent que le plafond soit le même pour tous, ce qui ne pose pas de problème juridique pour le Conseil d’État, et qu’il soit fixé à partir du coût moyen d’un repas au restaurant, alors que la limite actuelle est plus basse, puisqu’elle se situe à moins de 10 euros. Il faudrait d’ailleurs revaloriser le montant maximum d’exonération de la participation patronale pour que les chiffres coïncident.
Je suis contre cet amendement. En effet, nous oublions que l’objet social de ce dispositif est non de permettre aux salariés de s’offrir un restaurant, mais de favoriser leur pause méridienne. De tels moyens sont accordés à 5 millions de Français seulement, la majorité des salariés n’en bénéficiant pas : il ne s’agit pas d’un droit, car ces titres relèvent des accords d’entreprise.