Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Sans blague ?…
Mme Muriel Jourda. … qui relève d’une vision quelque peu hôtelière de la prison. En revanche, nous sommes pour la différenciation des lieux d’incarcération en fonction de la dangerosité de ceux qui y sont détenus. Je crois qu’en la matière nous sommes d’accord, monsieur le garde des sceaux.
Tous ces problèmes ne seront pas résolus par le vote de ce budget : c’est un travail de longue haleine qui a commencé, et qui doit être poursuivi.
Je suis rarement d’accord avec notre collègue Ian Brossat, mais je partage avec lui la conviction que c’est l’État de droit qui est ici en jeu.
C’est un sujet donc nous avons souvent débattu. D’aucuns prétendent qu’il s’agit d’un système d’organisation des pouvoirs publics qui nous met à l’abri des abus de l’État. C’est sans doute vrai. Pour ma part, je pense que la première vertu de l’État de droit est de mettre fin à la loi du plus fort. En France, ce système repose sur des parlementaires qui votent des lois, lesquelles sont exécutées par l’exécutif, puis respectées grâce à l’intervention de la justice.
Or cet État de droit n’a pas besoin d’être attaqué de l’extérieur pour s’effondrer.
Il suffit que l’un de ses rouages ne fonctionne plus.
Il suffit que les parlementaires se comportent de façon « absurde », pour reprendre l’expression employée par M. Brossat, et oublient qu’ils doivent agir dans l’intérêt du pays.
Il suffit que l’exécutif ne souhaite plus exécuter ou qu’il le fasse si mal que cela revient au même.
Il suffit, enfin, que la justice ne joue plus son rôle, qu’elle soit trop lente ou trop partiale – cela arrive – et que, en réalité, elle n’inspire plus aucune confiance aux citoyens.
Lorsque nous parlons de la justice, au-delà de ce grand service public régalien, c’est donc de notre système d’État de droit, dans lequel la démocratie peut s’épanouir, qu’il est question. Nous devons tous y être attentifs.
Aux yeux du groupe Les Républicains, monsieur le garde des sceaux, ce budget montre suffisamment l’attention que vous portez la justice pour que nous y soyons favorables. Notre groupe votera donc ces crédits. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, UC et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Salama Ramia.
Mme Salama Ramia. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la mission « Justice » porte en elle l’essence du régalien, tout en ayant l’ambition d’accompagner les justiciables au plus près de leurs réalités quotidiennes.
Dans la droite ligne de la trajectoire budgétaire engagée depuis 2017, cette mission connaît une nouvelle progression : son enveloppe de 12,46 milliards d’euros en crédits de paiement est en hausse de 108 millions d’euros par rapport à l’année précédente.
Malgré un contexte financier contraint, ce budget reste fidèle à la promesse de garantir une justice plus rapide, plus efficace et plus protectrice des plus vulnérables. Ainsi, le programme 166, « Justice judiciaire », bénéficiera d’une hausse notable de ses crédits.
Les priorités fléchées en 2025 auront notamment pour effet d’améliorer les délais de traitement des décisions de justice et de renforcer le soutien des juridictions judiciaires, en poursuivant les projets d’immobilier judiciaires, qui permettront d’accueillir dans de bonnes conditions les nouveaux effectifs.
Le programme 101, « Accès au droit et à la justice », sera lui aussi renforcé. Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants réitère son souhait de voir tous les Français de l’Hexagone et des outre-mer accéder à la justice, d’un point de vue tant géographique que matériel. À ce titre, l’aide juridictionnelle constitue la majeure partie des crédits de ce programme, sans oublier l’accès au droit, qui reste fondamental.
L’ambition demeure, à cet égard, de faire reculer les zones de non-droit et de combattre la peur, l’illettrisme et l’illectronisme. C’est pourquoi je souhaite renforcer le financement des bus itinérants. Il est indispensable d’amener la justice au plus près des campagnes françaises, notamment en outre-mer.
Ce renforcement de l’accès aux droits permettra aux femmes victimes de violences de continuer à bénéficier, par exemple, des téléphones grave danger, dont plus de 6 000 étaient déployés en juillet 2024, ce qui est considérable.
Concernant la protection judiciaire de la jeunesse, les moyens affectés connaissent à leur tour une progression par rapport à 2024.
La direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) poursuivra son action en 2025 pour moderniser les dispositifs de prise en charge, afin d’éviter toute rupture de parcours. Par ailleurs, 4 millions d’euros seront consacrés à la construction de nouveaux centres éducatifs fermés, pour augmenter notre capacité d’accueil de ce public particulier. Cette priorité trouve un écho dans nos territoires. C’est la raison pour laquelle mon groupe soutient cette trajectoire.
Enfin, à l’issue de la chaîne pénale, la hausse historique du budget de l’administration pénitentiaire se poursuit. Les défis pour cette administration sont de taille, et les objectifs pour 2025 contribueront à y faire face.
Je pense tout d’abord au renforcement de la sécurité des personnels et des structures pénitentiaires, indispensable après le drame d’Incarville, au cours duquel deux agents ont été tués et trois autres grièvement blessés. J’ai d’ailleurs une pensée pour eux aujourd’hui.
Ensuite, nous devons travailler à la réinsertion des personnes placées sous main de justice, en favorisant le recours à la peine de travaux d’intérêt général (TIG) et en développant le travail, la formation professionnelle et les activités en détention.
Enfin, il faut améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires qui sont confrontés à la surpopulation carcérale chronique. Ce phénomène frappe notamment mon département de Mayotte ; le taux d’occupation atteignait ainsi 191 % à la maison d’arrêt de Majicavo le mois dernier.
Sur ce point, au regard de l’accroissement constant de la pression carcérale, il est évident que le seul programme immobilier ne suffira pas à endiguer durablement ce phénomène. Nous espérons tout de même que la poursuite du « plan 15 000 » permettra d’apporter une solution.
Nous saluons, monsieur le garde des sceaux, les propositions innovantes envisagées en ce qui concerne les structures modulaires, mais nous resterons tout de même vigilants quant à la garantie de la dignité humaine en détention dans ces conditions.
Pour concrétiser tous ces engagements, des recrutements massifs sont indispensables. Les crédits alloués à la justice pour 2025 permettront l’embauche de nouveaux magistrats, greffiers, attachés de justice, agents pénitentiaires et éducateurs de la PJJ.
Alors que le projet initial prévoyait une baisse de 500 millions d’euros, nous nous réjouissons des ajustements budgétaires récemment annoncés, qui permettront de respecter les engagements de la LOPJ.
Bien conscient des contraintes budgétaires fortes qui pèsent sur cette mission, mais également des efforts qui ont été accomplis pour maintenir nos compatriotes au cœur de ce service public, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants votera en faveur des crédits de cette mission.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Quelle surprise ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Mme Dominique Vérien applaudit.)
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à vous dire mon attachement obsessionnel à la lutte contre la fraude aux finances publiques. Je tiens donc à aborder la situation du parquet national financier (PNF).
Le parquet national financier, dont le budget relève du programme 166, n’est pas mentionné dans le document de politique transversale sur la fraude et l’évasion fiscales. C’est une carence. Je l’avais déjà signalée l’année dernière, mais elle n’a toujours pas été comblée.
Il serait donc utile que le PNF figurât dans ce document transversal. Ainsi, nous pourrions suivre son travail et il ferait l’objet d’un traitement spécifique dans le projet annuel de performances de la mission « Justice ».
Bien sûr, il est indispensable de lui allouer des moyens complémentaires. Je rappelle que le PNF est chargé de la plus grosse affaire de son histoire en matière de fraude à l’arbitrage de dividendes, qui a mobilisé seize de ses dix-neuf magistrats. Cette opération de très grande ampleur a notamment donné lieu à des perquisitions l’année dernière.
Monsieur le garde des sceaux, nous avons voté vendredi dernier un dispositif très performant contre la fraude à l’arbitrage de dividendes. Or le Gouvernement a tenté de torpiller par un sous-amendement, que nous avons rejeté à l’unanimité sur ces travées.
M. André Reichardt. Heureusement !
Mme Nathalie Goulet. Le parquet national financier mérite donc toute votre attention et tous les crédits dont il a besoin.
Avec trois minutes de temps de parole, il m’est difficile de m’attarder davantage sur ce point. Je tiens cependant à vous signaler que le PNF n’accepte pas de parlementaires en stage. C’est fort dommage, bien que je comprenne la nécessité de respecter la confidentialité de ses procédures.
En 2022 et 2023, alors que je siégeais à la commission des lois, Mme de La Gontrie et moi-même étions fort intéressées – sans doute par curiosité féminine ! (Sourires.) – par un stage au sein du parquet national financier. Il serait sans doute très utile que des parlementaires puissent profiter de cette expérience et assister aux travaux du PNF ; bien sûr, il faudrait pour cela respecter des conditions qui restent à déterminer, mais je suis persuadée que nous y parviendrions aisément.
Par ailleurs, monsieur le garde des sceaux, il faudrait éclaircir les procédures de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, comme le demande le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). En effet, la dualité de saisine entre juridictions administrative et judiciaire est source de difficultés, notamment en matière de sursis à statuer depuis les arrêts Cahuzac et Wildenstein. Ce travail mériterait vraiment d’être approfondi, une fois encore pour mieux réprimer la fraude et l’évasion fiscale.
J’arrive à regret au terme du temps qui m’est imparti. Monsieur le garde des sceaux, dans cette atmosphère particulière – c’est un peu Hiroshima, mon amour ! –, nous voterons ces crédits. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – M. André Reichardt applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Chaillou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Christophe Chaillou. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans le prolongement de l’intervention de Marie-Pierre de La Gontrie, et malgré le caractère quelque peu irréel de nos échanges, comme plusieurs orateurs l’ont souligné, je concentrerai mon propos sur le programme 182, « Protection judiciaire de la jeunesse ».
Chacun sait l’importance de ce programme consacré aux mesures éducatives et judiciaires destinées aux mineurs et aux jeunes adultes, et sa place dans notre dispositif judiciaire.
Nous connaissons l’implication des personnels attachés profondément à leur mission. À l’occasion d’une visite du centre éducatif fermé de La Chapelle-Saint-Mesmin, dans mon département du Loiret, j’ai ainsi constaté le nombre croissant de défis auquel est confronté ce secteur, en raison de l’évolution des publics accueillis, de plus en plus difficiles, des contraintes budgétaires et des problématiques liées aux ressources humaines.
Contrairement aux autres acteurs de la justice, la PJJ n’a pas connu d’augmentation significative de ses moyens à la suite de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice de novembre 2023.
C’est un secteur très fragile. Nous l’avons constaté l’été dernier, lorsque le décret d’annulation a amputé de 23 millions d’euros l’enveloppe disponible. Cette décision s’est traduite par le non-renouvellement des contrats. Cependant, le Gouvernement a été contraint de rétropédaler face à l’ampleur du mouvement social. Des recrutements ont donc été autorisés dans l’urgence, après un drame qui aurait pu être évité, dans un secteur qui est, je le répète, particulièrement fragile.
La protection judiciaire de la jeunesse est confrontée à de nombreuses interrogations.
Tout d’abord, les centres éducatifs fermés deviennent trop souvent une solution de placement par défaut, accueillant de nombreux primodélinquants, ce qui n’était pas leur vocation initiale.
Ensuite, ce secteur doit évaluer l’impact du nouveau code de justice pénale pour les mineurs, comme l’a souligné Laurence Harribey.
Enfin, se pose la question de la mise en œuvre des dispositions liées au Ségur dans le secteur associatif.
Le budget initialement proposé pour l’année 2025 ne semblait pas répondre à ces interrogations, compte tenu de la quasi-stabilité des crédits. Dans le cadre des premiers débats relatifs au budget, monsieur le garde des sceaux, vous avez obtenu du Premier ministre une enveloppe complémentaire de 250 millions d’euros, sur les 500 millions d’euros qui étaient nécessaires. Cette hausse est proposée au travers d’un amendement déposé sur la deuxième partie du projet de loi.
Monsieur le garde des sceaux, nous souhaiterions que vous vous engagiez sur les moyens supplémentaires qui seront consacrés à la PJJ dans le cadre de cette enveloppe. Lors de votre audition devant la commission des lois du Sénat, vous avez évoqué la création de 45 postes supplémentaires pour ce secteur. C’est indispensable, et il faut d’allouer les moyens nécessaires aux centres éducatifs fermés.
Il est également urgent d’agir sur la question des ressources humaines, pour renforcer l’attractivité de ces professions, afin de privilégier les recrutements de personnels de terrain sur les personnels de support.
Enfin, vous le savez, le secteur est confronté à l’application des dispositions du Ségur. Là encore, pouvez-vous nous confirmer que l’enveloppe complémentaire sera bien affectée à cet égard ?
Dans ces conditions, et dans l’attente de ces clarifications, nous ne pourrons voter ces propositions budgétaires. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis devant vous ce soir pour débattre du budget pour 2025 du ministère de la justice.
Comme vous le savez, le projet de loi de finances constitue, pour l’ensemble des gens de justice – magistrats, directeurs des services de greffe judiciaires, greffiers, fonctionnaires et agents des services judiciaires de l’administration pénitentiaire et de la protection de la jeunesse –, mais aussi, et surtout, pour l’ensemble de nos concitoyens, le marqueur de la force et de la réalité de nos engagements en matière de justice dans notre pays.
Mme Audrey Linkenheld. Cela ne va pas durer !
M. Didier Migaud, garde des sceaux. À ce titre, le projet de loi de finances pour 2025 présenté le 10 octobre dernier en conseil des ministres, fondé sur la lettre plafond adressée à mon prédécesseur, a notamment été rehaussé pour permettre à mon ministère d’honorer ses missions.
Je le rappelle, les États généraux de la justice, en 2021, ont fait le constat d’un retard et d’un sous-dimensionnement historiques de notre système. C’est la référence de tous les acteurs du monde judiciaire et, au-delà des seuls professionnels de la justice, celle des élus nationaux et locaux, ainsi que de nos concitoyens.
Ces constats, étayés, ont en effet été unanimes : les 38 cours d’appel et les 164 juridictions qui œuvrent au quotidien pour la justice sont en attente de moyens humains, numériques, mais aussi immobiliers. Ces demandes, auxquelles nos concitoyens sont fortement sensibles, sont indispensables à la réduction des délais de jugement et à la confiance dans la justice.
C’est pourquoi, ainsi que le Premier ministre s’y était engagé, le ministère de la justice fait l’objet d’un effort significatif dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, à hauteur de 250 millions d’euros supplémentaires par rapport à la lettre plafond. Le budget de la justice qui vous est présenté est donc rehaussé à 10,5 milliards d’euros, à la hauteur des engagements pris.
L’allocation de 250 millions d’euros d’autorisations d’engagement et de crédits de paiement supplémentaires par rapport à la lettre plafond, dans le contexte budgétaire extrêmement contraint qui est le nôtre, constitue un effort important, que je salue. Je vous remercie de l’avoir souligné dans la majorité de vos interventions.
Cet effort n’aurait pas été possible sans l’arbitrage favorable du Premier ministre et le soutien du ministre chargé du budget et des comptes publics, auxquels je renouvelle mes remerciements. Il constitue un signal fort en faveur de la réparation de notre justice, alors que cette mission régalienne fondamentale a été trop longtemps délaissée.
Entre 2024 et 2025, les crédits du ministère augmentent ainsi de 358 millions d’euros. Ces moyens sont importants.
Vous le savez, je suis prioritairement attaché à maintenir les engagements pris sur les effectifs, condition sine qua non pour parvenir à désengorger les tribunaux dont les délais d’audiencement sont devenus inacceptables.
Il faut donc poursuivre les recrutements entamés à la suite des États généraux de la justice, à partir des moyens obtenus par mon prédécesseur, en les conjuguant à des mesures catégorielles ciblées, afin de renforcer l’attractivité des métiers de la justice.
Ainsi, concernant l’année 2025, une autorisation de recrutement de 1 543 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires est prévue, soit 924 emplois de plus que dans le PLF pour 2025 initial.
Par ailleurs, l’attention aux personnels et aux conditions de travail est un engagement fort de la loi d’orientation et de programmation, tout comme la garantie de l’attractivité des rémunérations des métiers de la justice. Grâce au rehaussement du budget, nous sommes à la hauteur des engagements catégoriels pris. Nous respectons toutes nos promesses envers les magistrats, les personnels de greffe et les agents pénitentiaires. Les protocoles d’Incarville et les accords du Ségur seront honorés.
L’efficacité dans l’exécution des peines et l’accélération des procédures pénales font également partie des priorités.
À ce titre, rien ne pourra se faire si nous n’avons pas la capacité de prendre en charge les personnes placées sous main de justice, en particulier les personnes détenues, dans le respect et la dignité dus à chacun. C’est pourquoi j’insiste sur l’importance des crédits dédiés à la réhabilitation et à la maintenance au moins autant que sur celle des moyens alloués à la construction.
Concernant la programmation immobilière pénitentiaire, les crédits dévolus en PLF pour 2025 sont conçus pour permettre la poursuite du plan de construction de 15 000 places supplémentaires.
Je tiens à rappeler ici les difficultés que nous rencontrons dans le calendrier de réalisation des grandes opérations de construction. Ainsi, la réalisation du « plan 15 000 » est en retard : moins d’un tiers est réalisé aujourd’hui, et 42 % seulement le seront d’ici à 2027.
Ces difficultés sont liées à des facteurs exogènes indépendants de la volonté du ministère, qui ne sont toujours pas d’ordre budgétaire, comme des aléas techniques et environnementaux, des tensions générées sur les délais d’approvisionnement par les différentes crises ou la fragilité du tissu économique.
Je le dis aussi sans détour devant votre la Haute Assemblée, qui est celle des territoires de la République : il est très souvent difficile de convaincre les élus de nous laisser bâtir un établissement pénitentiaire sur leur territoire. J’ai moi-même été élu local. Je peux parfaitement le comprendre et je ne réduis pas nos difficultés à ces seules réticences.
L’achèvement du « plan 15 000 » ne sera pas possible opérationnellement avant 2029 dans le meilleur des cas, et, au-delà des accords que nous devrons obtenir des élus, cela supposera des efforts budgétaires substantiels dans les prochaines années.
Il nous faut agir sur l’ensemble des leviers. C’est ce que j’ai demandé à Laurent Ridel, inspecteur général de la justice et ancien directeur de l’administration pénitentiaire, en lui confiant une mission d’accélération du programme pénitentiaire. Il nous faut en effet aller plus vite, en proposant des solutions juridiques, en explorant toutes les pistes opérationnelles – foncier, bâti, modulaire… – et en adaptant au mieux les types d’établissements aux différents profils de population pénale.
Ces mesures auront, nous l’espérons, un premier effet d’ici à 2027 sur l’augmentation du nombre de places livrables à cette échéance. Elles serviront aussi, et surtout, après cette date, car la construction ne s’arrêtera pas là. Mais encore une fois, rien ne sera possible sans la solidarité des élus autour de cette ambition, qui est aussi une cause de solidarité nationale.
Concernant l’immobilier judiciaire, le budget proposé doit nous permettre de couvrir les opérations d’ores et déjà en chantier et de poursuivre la mise à niveau du parc immobilier, notamment au regard de la sécurité des personnes, des mises aux normes réglementaires, de la mise en sûreté des palais de justice et des opérations de gros entretien indispensables à la pérennité du patrimoine.
Enfin, parallèlement à l’état des lieux sur le programme pénitentiaire, une évaluation de l’avancement du plan de création de centres éducatifs fermés devra être réalisée, de même qu’un point sur les autres formats de prise en charge.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite mettre en lumière certaines enveloppes qui ont pour vocation de moderniser et d’améliorer concrètement le fonctionnement du service public de la justice, ainsi que les conditions de travail de ses agents.
Tout d’abord, les crédits d’investissement alloués à l’informatique de mon ministère atteindront 285 millions d’euros, soit une hausse de 4,7 % par rapport à 2024.
Ces crédits doivent permettre de poursuivre les projets du second plan de transformation numérique du ministère. Je suis conscient de nos insuffisances actuelles dans ce domaine. Nous tentons progressivement de rattraper notre retard. En outre, les crédits consacrés aux techniques d’enquêtes numériques judiciaires sont portés à 49 millions d’euros.
Ces crédits ont été calibrés pour permettre de poursuivre la dématérialisation et la modernisation de bout en bout de nos chaînes judiciaires civiles et pénales, avec la procédure pénale numérique, le projet de refonte civile Portalis, la dématérialisation complète du casier judiciaire national, la mise en convergence de nos outils applicatifs pénaux, ou encore le nouveau système d’information de l’application des peines Prisme.
Les crédits de l’accès au droit et à la justice sont portés à 802 millions d’euros pour 2025, contre 790 millions d’euros en 2024.
Plus spécifiquement, dans cette enveloppe, les crédits dédiés à l’aide juridictionnelle augmentent en 2025, pour atteindre 718 millions d’euros, soit 6 millions d’euros supplémentaires sur une année. Parallèlement, l’aide aux victimes est portée à 51 millions d’euros en 2025, soit une hausse de 4,5 millions d’euros par rapport à 2024.
Sur ce point, je souligne que l’aide aux victimes de violences intrafamiliales constitue désormais 37 % du budget dévolu aux victimes. L’effort et l’organisation mis en place ces dernières années se poursuivront.
Enfin, concernant l’action sociale offerte par le ministère à ses agents, action qui est essentielle pour assurer leur soutien et contribuer à l’attractivité de notre institution, le projet de budget prévoit la mobilisation de plus de 36 millions d’euros, soit une augmentation de 3 % par rapport à 2024.
Plusieurs d’entre vous ont évoqué la fin de gestion 2024. Je suis parfaitement conscient des contraintes budgétaires considérables auxquelles nous sommes confrontés. Je suis attaché comme vous à la crédibilité financière de notre pays.
Tout au long de l’exercice budgétaire 2024, mon ministère a pris part à l’effort budgétaire rendu nécessaire par la situation des finances publiques.
Dans ce contexte, les efforts sur le fonctionnement consentis par mon ministère n’ont pas manqué de provoquer des mouvements sociaux au sein de la protection judiciaire de la jeunesse dès cet été et des tensions dans toutes les cours d’appel, juridictions et au sein des établissements pénitentiaires depuis la mi-septembre.
Le Gouvernement a ainsi accepté de réduire d’environ la moitié le montant des régulations successives de l’année.
Ce geste prend en compte, d’une part, les efforts de maîtrise réalisés et, d’autre part, la nécessité de récupérer le quantum de crédits nécessaires au fonctionnement du service public de la justice d’ici à la fin de l’année, sans entraîner d’importants reports de charges obérant la gestion 2025.
L’augmentation des frais de justice, que plusieurs d’entre vous ont évoquée, suit une dynamique préoccupante.
L’enveloppe de crédits consacrée à cette action est portée à 748 millions d’euros. Cette dotation est en hausse de 11 % par rapport à 2024. À ce titre, et en sus du plan de maîtrise lancé en 2023, qui commence à porter ses fruits, une revue de dépenses associant différents ministères et inspections sera lancée.
Pour conclure, j’espère que ce budget, qui est un bon budget pour le ministère de la justice, me semble-t-il, pourra être adopté dans les conditions de droit commun prévues par la Constitution. Faute de quoi, ce sont des moyens essentiels à la justice qui manqueront, nous devons en être conscients, alors que jamais les Français n’ont tant attendu de leur justice. Le soutien du Sénat est indispensable, pour que ce projet de budget poursuive son parcours parlementaire dans le contexte politique que vous connaissez.
J’aurai l’occasion de compléter mes réponses à l’occasion de la discussion des amendements que vous présenterez, mesdames, messieurs les sénateurs. Mais je tiens à le dire dès maintenant : nombre de vos propositions me sont très sympathiques, dans la mesure où elles tendent à augmenter le budget de la justice !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est déjà cela !
M. Didier Migaud, garde des sceaux. Toutefois, je reste bien entendu solidaire de la politique gouvernementale et je ne pourrai exprimer un avis favorable sur ces amendements.
Je formulerai une remarque à cet égard : en tant que député, rapporteur général de la commission des finances ou président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, il m’est arrivé de rapporter des budgets de la justice qui n’étaient pas aussi importants que celui qui vous est présenté aujourd’hui…
La LOPJ a permis à chacun de prendre conscience du sous-investissement qui avait affecté la justice, pendant des dizaines d’années, sous des gouvernements de gauche comme de droite. (M. le rapporteur spécial de la commission des finances acquiesce.)
Aujourd’hui, nous faisons collectivement un effort pour la justice, et cela me paraît tout à fait positif. En rendant la justice moins lente et ses jugements plus effectifs, nous pourrons renforcer la confiance de nos concitoyens à son égard.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie du soutien que vous apportez à la justice de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)