M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour explication de vote.
M. Ian Brossat. Monsieur le ministre, à vous entendre, il serait scandaleux de rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune. Vous invoquez avant tout la stabilité ; mais – pardonnez-moi de vous le dire – j’ai le sentiment qu’il s’agit d’un argument à géométrie variable.
Les Français s’apprêtent à subir l’augmentation de la taxe sur l’électricité…
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Non !
M. Ian Brossat. Dans le même temps, on va leur infliger la hausse du ticket modérateur et, sur l’initiative de la droite sénatoriale, sept heures de travail gratuit. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Pour eux, la stabilité est donc toute relative.
En fait, cet impératif vaudrait uniquement pour les grosses fortunes : il ne faudrait surtout pas les solliciter davantage.
À une semaine d’intervalle, vous instaurez sept heures de travail gratuit et vous refusez de rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune : vous aurez du mal à expliquer vos choix aux millions de travailleurs qui peinent à boucler leurs fins de mois !
Une majorité de nos concitoyens souhaitent aujourd’hui que le Gouvernement soit censuré. De tels votes ne sont pas franchement de nature à les faire changer d’opinion…
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, je me souviens des débats suscités dans cet hémicycle par la suppression de l’ISF. Bruno Le Maire, alors ministre de l’économie, nous assurait que c’était un moyen de renforcer l’investissement productif. Il invoquait la théorie du ruissellement…
Le dernier rapport du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital – ce document n’émane pas du groupe communiste : il vient de chez vous ! – constate que, presque six ans plus tard, rien ne permet de confirmer cette hypothèse. Peut-être même la suppression de l’ISF a-t-elle encore accru les capitaux improductifs.
L’ensemble des groupes de gauche avaient voté contre la suppression de l’ISF, voulue par la majorité présidentielle. Je le répète, cette réforme était censée bénéficier à l’économie réelle, mais ce n’est pas ce qui s’est passé.
M. Albéric de Montgolfier. Le ruissellement…
M. Fabien Gay. Bien au contraire, elle n’a fait qu’accroître le rendement financier : voilà la réalité.
Vous nous parlez de stabilité : mon collègue Ian Brossat vous a déjà répondu sur ce point. Il a cité plusieurs des mesures que vous infligez aux plus modestes, à celles et ceux qui n’ont pas grand-chose d’autre que leur force de travail. Il faut encore y ajouter les salaires bloqués et les licenciements, qui se multiplient dans les grandes entreprises et ailleurs, notamment chez les sous-traitants.
Rétablir l’ISF, c’est demander 5 milliards d’euros de contribution à ceux qui ont déjà beaucoup. C’est imposer de 2,6 points supplémentaires les patrimoines de plus de 10 millions d’euros. Il s’agit non pas d’une spoliation des grandes fortunes, mais d’une contribution raisonnable ; et pourtant, vous refusez de solliciter cet effort !
Après cela, il ne faudra pas nous demander de vous soutenir, en nous servant le discours de l’union nationale… C’est un budget très droitier que vous nous proposez. D’ailleurs, le vote qui se profile sera dominé, dans cet hémicycle, par l’opposition droite-gauche.
M. le président. La parole est à M. Alexandre Ouizille, pour explication de vote.
M. Alexandre Ouizille. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes censés être les dépositaires d’une forme de décence commune et de rationalité supérieure. Or beaucoup d’entre nous persistent à nier ce qui se passe actuellement dans le pays.
Le constat est clair et net : notre société connaît, depuis les années 1980, un grand mouvement de reconcentration de la richesse.
La seule arme dont nous disposons pour lutter contre ce phénomène, c’est l’impôt. En refusant de l’employer – telle est bien votre politique –, vous détruisez les classes moyennes, ni plus ni moins ; car c’est au détriment de ces dernières que s’opère la reconcentration de la richesse.
Les classes moyennes sont en train de s’évaporer. En France, à l’heure actuelle, le patrimoine médian n’est que de 50 000 euros : cet indicateur montre nettement que notre société est de plus en plus inégalitaire. Or nous sommes désormais au bord de la falaise. Il faut sortir du déni. Il faut se réveiller.
On nous dit tous les matins qu’il y a trop d’épargne dans notre pays. Mais alors, la suppression de l’ISF était une mauvaise idée, puisqu’elle n’a fait qu’augmenter l’épargne des plus riches.
Enfin, notre société est façonnée par des choix politiques. Si, demain, l’ISF est rétabli, il rapportera 5 milliards d’euros, soit exactement le montant des crédits de la mission « Écologie ». On préfère donc épargner quelques dizaines de milliers de contribuables plutôt que de sauver l’avenir de nos gosses ? Tel est le choix très grave que le Sénat s’apprête à faire.
J’observe en outre que M. le ministre se situe à la droite de la droite sénatoriale, ce qui m’inquiète encore plus : à tout le moins, il faut adopter les amendements de compromis ayant pour objet l’épargne improductive.
Monsieur le ministre, chers collègues de la majorité sénatoriale, je vous le dis à mon tour : vous faites fausse route. Je sais bien que l’on ne nous écoute guère, alors que l’on va vers un 49.3 dont on ignore l’issue… C’est pourtant l’avenir de notre société qui est en jeu.
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.
M. Michel Canévet. Mes chers collègues, les élus du groupe Union Centriste attendaient ce moment depuis longtemps ! Voilà plusieurs années qu’ils déposent cet amendement tendant à créer un impôt sur la fortune improductive, pour faire entrer de nouvelles recettes dans les caisses de l’État.
Nous n’allons pas rouvrir le dossier de l’ISF, qui – Fabien Gay l’a rappelé – a déjà donné lieu à des débats passionnés dans cet hémicycle. Pourquoi avons-nous supprimé cet impôt ? Tout simplement parce qu’il contribuait à détourner l’épargne du financement des entreprises. Il nuisait, de ce fait, au dynamisme de notre pays.
À en croire M. Brossat, nous ne prêterions attention qu’aux riches. Non ! Nous venons de voter l’article 3, qui crée la contribution différentielle sur les hauts revenus : c’est impossible qu’on l’ait déjà oublié. Tout le monde, sans exception, est mis à contribution.
En parallèle, nous devons absolument orienter l’épargne vers l’économie. Au cours des dernières années, nombre d’entreprises ont été créées et la situation de l’emploi s’est améliorée : on ne peut pas le nier. N’est-ce pas le fruit des réformes menées, traduisant la volonté d’accompagner les entreprises en France ? Pour notre part, nous en sommes persuadés.
Dans l’intérêt de notre pays, il faut adapter les outils fiscaux à la situation actuelle, quitte à taxer un peu plus la fortune, qui n’est pas de nature à favoriser le développement économique et donc l’emploi.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Je le souligne à mon tour : l’article 3 du projet de loi de finances instaure déjà une imposition exceptionnelle temporaire sur les hauts revenus, à savoir la CDHR. On nous le reproche suffisamment par ailleurs…
M. Fabien Gay. En tout cas, pas chez nous !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. C’est une mesure que j’assume, car le redressement des comptes publics exige aussi le concours des plus grandes fortunes.
M. Fabien Gay. On ne vous le reproche pas : on dit que l’on peut faire un peu plus !
M. Ian Brossat. On ne mettra personne sur la paille !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Monsieur Ouizille, je tiens également à rappeler que notre pays redistribue plus que les autres. On ne peut pas dire le contraire. Comparez les revenus avant et après imposition : la France dispose du régime le plus redistributif au monde et, selon moi, c’est une bonne chose.
En France, 75 % du produit de l’impôt sur le revenu est acquitté par quelque 10 % des contribuables ; et la CDHR va encore accentuer l’effort de redistribution, dans le droit-fil de la contribution exceptionnelle des hauts revenus, la CEHR.
Des écarts de revenus et de patrimoines s’observent effectivement dans tous les pays, mais la France dispose des outils de redistribution les plus puissants au monde, lesquels jouent un véritable rôle d’amortisseur : c’est aussi une vérité. Le présent texte ne remet absolument pas en question notre effort redistributif. Bien au contraire, la CDHR poursuit ce chemin.
En parallèle, il faut veiller avec la plus grande attention à préserver ce qui a marché au cours des dernières années.
Vous pouvez être en désaccord avec la politique économique de l’offre, au motif que vous prônez une logique moins libérale ; c’est une chose. Mais je vous interroge à mon tour : depuis sept, huit ou même neuf ans, y a-t-il eu plus de créations d’entreprises dans notre pays ? La réponse est oui. A-t-on dénombré plus d’ouvertures que de fermetures d’usines ? La réponse est oui. Le taux d’emploi n’est-il pas au plus haut depuis des décennies ? La réponse est oui…
M. Patrick Kanner. Avec des smicards…
M. Laurent Saint-Martin, ministre. On ne peut pas prétendre, en toute honnêteté, en toute objectivité, que ce résultat est le fruit de la conjoncture mondiale, surtout quand on regarde la situation des pays européens comparables au nôtre. (M. Alexandre Ouizille proteste.)
Mesdames, messieurs les sénateurs – je m’adresse surtout aux membres du groupe communiste, compte tenu des amendements qu’ils ont déposés –, je ne vous demande pas d’être d’accord avec moi…
M. Ian Brossat. Aucun risque !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Je vous demande simplement de reconnaître qu’une fiscalité attractive assortie de conditions, dans une économie ouverte, peut favoriser les investissements productifs, ceux qui vont dans nos usines, monsieur Gay, ceux qui alimentent les fonds propres des PME de nos territoires.
Les réformes menées en ce sens expliquent, en premier lieu, les bons résultats économiques et sociaux que je viens de citer.
M. Fabien Gay. Non, vous ne pouvez pas dire cela !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Mon cher collègue, calmez-vous…
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Je vous mets au défi de répondre à ces questions : pourquoi, dans notre pays, a-t-on ouvert davantage d’usines que l’on en a fermées ? Pourquoi le chômage a-t-il baissé au cours des dernières années ? Pourquoi a-t-on créé tant d’entreprises malgré la conjoncture mondiale ? Tout simplement parce que la politique de l’offre, la politique d’attractivité a porté ses fruits. Prenons garde à ne pas abîmer ce qui a fonctionné ces dernières années.
M. Grégory Blanc. Et l’action de la BCE ?
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour explication de vote.
M. Thierry Cozic. Monsieur le ministre, je me dois de réagir à vos propos.
Quels sont les résultats de la politique pro-capital que vous persistez à défendre ? La part de l’emploi industriel dans le secteur privé est passée de 16,4 % en 2017 à 15,5 % aujourd’hui.
M. Thierry Cozic. Vous dites que les investissements auraient le vent en poupe grâce à ces mesures. Pourtant, dans notre pays, l’investissement des entreprises a reculé de près de deux points, passant de 56 % à 54,2 % du volume total. Ce qui soutient l’investissement en France, c’est l’action publique, en particulier l’action des collectivités territoriales – celles-là mêmes dont vous entendez sabrer les budgets.
Les investissements étrangers ne sont pas non plus en hausse, au contraire…
M. Thierry Cozic. Les investissements français à l’étranger augmentent de 13,8 milliards d’euros, tandis que les investissements étrangers en France ne progressent, eux, que de 12,6 milliards d’euros.
M. Thierry Cozic. En revanche, nous sommes les champions incontestés du versement de dividendes.
M. Fabien Gay. Voilà !
M. Thierry Cozic. Ces montants sont deux fois plus élevés en France qu’en Allemagne, d’après le Janus Henderson Global Dividend Index. Cette politique a bien favorisé les actionnaires, mais en aucun cas les investissements des entreprises. Vous prenez soin d’insister sur le nombre de ces investissements, sans doute pour mieux occulter leur volume…
J’en reviens aux investissements étrangers des entreprises dans notre pays. Selon le baromètre sur l’attractivité de la France, notre pays comptait, en 2023, 1 194 projets d’investissements étrangers, contre 985 au Royaume-Uni et 733 en Allemagne. Vous avancez, sur cette base, que notre pays est en tête du classement. Toutefois, en réfléchissant un tant soit peu, on constate que ce chiffre n’a guère de sens. Le nombre de projets importe moins que le nombre d’emplois créés, qu’ils soient directs ou indirects.
Or, d’après la même source, les projets d’investissements étrangers en France sont associés à 39 773 créations d’emplois : à cet égard, la France passe en troisième position sur l’échelle européenne de l’attractivité, derrière le Royaume-Uni et l’Espagne. C’est une première nuance. Mais cet indicateur doit, lui aussi, être manié avec précaution : il faudrait, au minimum, rapporter le nombre d’emplois créés à la taille du pays pour que la comparaison ait du sens…
M. le président. Il faut conclure.
M. Thierry Cozic. Une fois cet ajustement opéré, on constate que la France arrive en fait en huitième position, derrière le Portugal, la Serbie,… (Protestations sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. Monsieur Cozic, veuillez conclure.
M. Thierry Cozic. … l’Irlande, la Hongrie, l’Espagne, le Royaume-Uni et la Grèce. Monsieur le ministre, il n’y a pas de quoi fanfaronner !
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, pour explication de vote.
M. Grégory Blanc. Monsieur le ministre, il faut savoir raison garder !
J’en appelle à votre honnêteté intellectuelle : ce qui a prévalu dans les résultats économiques des dernières années, c’est évidemment la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). Ce sont évidemment les taux d’intérêt bas…
M. Grégory Blanc. Il faut – passez-moi l’expression – remettre l’église au milieu du village.
Il se trouve que le maintien de taux bas s’est accompagné de baisses d’impôt : c’est la conjonction de ces deux politiques qui a provoqué l’explosion des patrimoines les plus élevés de notre pays. Il faut prendre la mesure de ce phénomène.
Cette remarque étant formulée, je tiens à exprimer une satisfaction : il semble que le Sénat s’apprête à voter l’impôt sur la fortune improductive, ce qui revient à élargir l’assiette de l’IFI. Mais un enjeu majeur reste à traiter : l’adaptation de la fiscalité au défi climatique.
Oui, nous devons faire évoluer notre fiscalité, pour prendre en compte la production de CO2 ou encore la consommation non vertueuse. Or nos débats prouvent que, sur ces points, nous restons dans l’impasse. Pour notre part, nous insistons sur la nécessité d’instaurer un ISF climatique.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le ministre, le règlement du Sénat ne permet pas à M. Gay de vous répondre ; je vais donc m’en charger, après vous avoir écouté attentivement.
Tout d’abord, je ne peux pas vous laisser dire que notre formation politique s’oppose à toute forme d’aide aux entreprises : ce n’est pas vrai. Nous avons toujours défendu de tels dispositifs, à condition qu’ils soient utiles à l’investissement, au développement de la production, de l’emploi et des territoires.
C’est une simple question d’efficacité. La conditionnalité de ces aides n’a pas pour but d’effrayer qui que ce soit, mais d’accroître l’efficience de la dépense publique. Il s’agit tout de même – faut-il le rappeler ? – de l’argent des Françaises et des Français.
De votre côté, vous vous êtes livré à une défense magistrale des précédents gouvernements. Mais, il y a tout juste quelques semaines – souvenez-vous –, votre propre gouvernement lançait l’alerte. Vous prédisiez des fermetures d’usines en cascade, en évoquant un certain nombre de sites industriels dont dépendent des sous-traitants à travers tout le pays. Votre beau plaidoyer a donc ses limites : vos propres déclarations le soulignent.
Le maintien de l’attractivité économique, le développement industriel et la relocalisation des entreprises dans notre pays ne relèvent pas de la fiscalité stricto sensu. Ils exigent une véritable volonté politique.
Il ne s’agit pas, avec ces amendements en discussion commune, de « faire les poches » des Français ou d’empêcher qui que ce soit d’investir. Nous voulons simplement que les plus riches de notre pays participent, à la mesure de leurs moyens, à l’effort de solidarité.
Mes chers collègues, la solidarité n’est pas seulement un beau mot. C’est la solution aux problèmes que nous connaissons, car c’est par la redistribution que l’on assurera l’avenir de la France.
M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.
Mme Ghislaine Senée. Monsieur le ministre, vous nous répétez, avec d’autres, que la France est le pays d’Europe ayant créé le plus d’emplois depuis 2017.
En tout, 1,9 million d’emplois ont été créés dans notre pays, ce qui représente une hausse de 7,2 % de l’emploi total – je n’ai rien à redire à ces chiffres. Mais ce taux est à peine supérieur à la moyenne des 27 pays de l’Union européenne, laquelle s’établit à 6,7 %. Au total, onze pays ont fait mieux que le nôtre. J’ajoute que la progression de l’emploi constatée en France reste inférieure à la moyenne de la zone euro. Comme le disait Grégory Blanc, c’est avant tout à la politique de la BCE que l’on doit ce résultat.
Vous affirmez, en outre, que la France a connu une baisse spectaculaire du taux de chômage pendant la même période. Cet indicateur a certes diminué de 2 points depuis 2017, mais le chômage a beaucoup moins reculé chez nous que chez nos voisins : en moyenne, le taux de chômage a baissé de 2,3 % dans l’Union européenne et de 2,7 % dans la zone euro.
Soyons clairs, malgré les grandes phrases et les satisfecit, la réalité, c’est que la France n’a pas fait beaucoup mieux que ses voisins européens.
M. Grégory Blanc. Exactement !
M. le président. La parole est à M. Pierre Barros, pour explication de vote.
M. Pierre Barros. Mes chers collègues, j’observe que la discussion de ces amendements donne lieu à des débats très riches.
Lors de la discussion générale comme lors de l’examen de la motion tendant à opposer la question préalable, nous avons insisté sur le sort des collectivités territoriales. Ces dernières vont être mises à rude épreuve. Officiellement, on va leur demander un effort de quelque 5 milliards d’euros ; mais, en réalité, on va sans doute leur prendre le double pour tenter de redresser les comptes publics.
Dans un tel contexte, comment peut-on se montrer si frileux au sujet des grandes entreprises, qu’il s’agit simplement de faire contribuer à la mesure de leurs moyens ? Nous sommes presque tous élus locaux. Nous sommes, pour beaucoup, d’anciens maires. Comment pourrons-nous l’expliquer à nos collègues élus, dans les territoires ? Franchement, je ne comprends pas que l’on puisse raisonner ainsi.
Qu’il s’agisse des régions, des départements ou des communes, les collectivités territoriales vont, comme les intercommunalités, se trouver dans des situations extrêmement délicates. Or – on le sait – elles jouent un rôle essentiel au développement économique. Elles assurent un certain nombre d’aménagements et déploient de nombreux dispositifs grâce auxquels des entreprises peuvent s’installer dans nos territoires. Mais, je le répète, elles seront bientôt à sec, ce qui aura de graves conséquences économiques à l’échelle nationale.
Il est urgent d’élever la contribution des entreprises à la hauteur de la situation, ce qui suppose également d’adopter des mesures pérennes. Nous refusons ce « deux poids, deux mesures » au détriment des services publics et de leurs agents.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Monsieur de Montgolfier, je souhaiterais obtenir quelques précisions quant à la notion de fortune improductive. Je peine notamment à cerner l’assiette de l’impôt que Mme Vermeillet et vous-même proposez, même si je note que vous fixez le seuil d’assujettissement à 2,57 millions d’euros.
En 2019, vous avez consacré un rapport à cette question avec Vincent Éblé – vous étiez alors respectivement rapporteur général et président de la commission des finances. Quel serait le rendement d’un tel impôt ? Je crains qu’il ne rapporte moins que l’actuel IFI, auquel il est censé se substituer et qui a lui-même perdu 4,5 milliards d’euros de rendement au cours des dernières années.
Nous ne pouvons pas voter à l’aveugle, qui plus est sur un tel sujet. Pouvez-vous m’éclairer ?
M. Albéric de Montgolfier. Comme je suis interpellé directement par mon collègue Lurel, je vais lui répondre.
Je le confirme, l’amendement visant à créer un impôt sur la fortune improductive est issu des travaux que j’avais menés, du temps où j’étais rapporteur général, avec Vincent Éblé, alors président de la commission des finances. Bien que nous ne fassions pas partie du même groupe, nous avions partagé un certain nombre de constats, notamment sur le faible niveau de ruissellement assuré par la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune. Toutefois, nous n’étions pas parvenus à la même conclusion.
À la suite de ces travaux approfondis, j’avais déposé cet amendement. Depuis, il a été voté à plusieurs reprises par le Sénat, au fil des ans.
Il consiste simplement à élargir la base fiscale, afin d’imposer un plus grand nombre de revenus. Le seuil d’assujettissement est plus élevé, mais tout est calculé pour obtenir un rendement similaire à celui de l’IFI. Le Gouvernement a la main sur les simulations, c’est donc à lui de nous dire s’il partage notre analyse.
Si l’impôt sur la fortune improductive possède une base large, c’est parce qu’il frappe des actifs improductifs, dont la liste est bien plus longue. À l’inverse, l’IFI a une assiette étroite puisqu’il concerne les seuls investissements immobiliers. Cela entraîne toutes les conséquences négatives que nous connaissons, notamment sur la production de logements.
Je comprendrais que ceux qui prétendent qu’il n’existe pas de problèmes de logement ou d’immobilier ne votent pas cet amendement. Or ce sont des problèmes essentiels.
J’insiste pour que nous remplacions l’IFI, car il frappe de manière aveugle les investissements, pourtant si nécessaires dans notre pays.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. J’interviens une dernière fois dans l’espoir de clore ce débat, même s’il est important.
Madame la présidente Cukierman, les risques qui pèsent sur l’industrie et l’emploi ne concernent pas seulement la France, malheureusement. Ainsi, vous ne pouvez pas dire que ces risques sont liés à la politique économique conduite ces dernières années. (Exclamations et rires sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
M. Fabien Gay. Non, bien sûr, cela n’a rien à voir…
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Où en serions-nous aujourd’hui si aucun investissement national ou étranger n’avait été réalisé dans notre pays, si 2 millions d’emplois n’avaient pas été créés,…
M. Fabien Gay. Sérieusement ?
M. Thierry Cozic. Un million d’emplois !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. …si nous avions failli à protéger notre économie, nos emplois et nos entreprises au cours des dernières crises, notamment pendant la crise du covid ? (Nouvelles exclamations.)
Reste que la menace sur l’emploi et l’industrie demeure réelle. Encore une fois, elle ne résulte pas de la politique économique menée ces dernières années. Au contraire, celle-ci a permis de protéger l’emploi et même d’en créer, ce que les chiffres démontrent. Il est important de pouvoir le reconnaître, même si nous avons des désaccords sur le fond.
Enfin, selon le sénateur Cozic, le fait que les investissements français réalisés à l’étranger soient supérieurs aux investissements directs en France aboutit à un solde négatif. Nous devrions plutôt nous réjouir que des entreprises françaises aient investi à l’international ! Cela signifie qu’elles sont en meilleure santé et qu’elles se développent.
Alors que la France se trouvait en bas du classement entre 2012 et 2017, elle est devenue, il y a cinq ans, le pays d’Europe le plus attractif pour les investisseurs, ce de façon continue.
M. Thierry Cozic. Non, elle est toujours huitième !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Certes, les entreprises françaises ont davantage investi à l’international, mais elles ont eu de bonnes raisons de le faire.
M. Victorin Lurel. Cela signifie surtout qu’elles sont moins attractives que les entreprises étrangères !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Du reste, il n’est pas possible de faire le solde entre les investissements étrangers en France et les investissements français réalisés à l’étranger, comme lorsque l’on calcule la différence entre le nombre d’imports et d’exports. En l’occurrence, ces deux types d’investissements ont des effets positifs sur l’économie, dans les deux sens.
M. Victorin Lurel. Vous n’avez pas répondu sur l’évaluation de l’impôt sur la fortune improductive !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos I-936 rectifié bis et I-1339.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos I-128 et I-1482 rectifié ter.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 3, et les amendements nos I-798 rectifié, I-555, I-327 rectifié et I-93 rectifié bis n’ont plus d’objet.