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Dossier législatif : projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2023
Discussion générale (fin)

Approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2023

Rejet définitif en procédure accélérée d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, rejeté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2023 (projet n° 35, rapport n° 44, avis n° 37).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de laccès aux soins. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de présenter aujourd’hui devant la Haute Assemblée le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) pour l’exercice 2023, après son passage à l’Assemblée nationale la semaine dernière.

Comme vous le savez, c’est seulement le deuxième exercice de ce type, rendu possible par la loi organique, d’initiative parlementaire, du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, qui permet de consacrer un temps à l’examen par les assemblées de l’exécution des comptes de la sécurité sociale.

Un tel texte fournit ainsi aux parlementaires une photographie factuelle des comptes sociaux de l’année écoulée. Il permet de rendre compte aux Français et à leurs représentants. Car, derrière les sommes importantes dont il est question, c’est l’argent public, c’est-à-dire celui de nos concitoyens, qui est en jeu.

Comme j’ai pu l’évoquer à plusieurs reprises, je suis très attachée à l’évaluation de nos politiques publiques. Or c’est par l’instauration d’exercices démocratiques comme celui d’aujourd’hui que nous faisons progresser la culture de l’évaluation, qui fait parfois défaut en France.

Au-delà d’une simple énumération de chiffres, le texte illustre surtout ce qui découle des choix politiques passés. Il peut représenter un guide pour les décisions futures qui détermineront l’avenir de la protection sociale française.

Vous le savez, notre pays est aujourd’hui à la croisée des chemins. Nous devons répondre aux enjeux à la fois de justice sociale, de pérennité de nos comptes publics et de modernisation de notre système de santé et de sécurité sociale. C’est une période charnière aussi bien pour le système de soins que pour nos finances.

Présenter ce projet de loi me donne l’occasion de rappeler les progrès que nous avons réalisés collectivement, mais aussi d’évoquer les défis que nous devrons relever dans les mois à venir. Nous devons adopter une vision prospective de nos finances publiques. En d’autres termes, il nous faudra penser le temps long !

Je commencerai en soulignant les améliorations que nous avons apportées, et ce malgré la période difficile que nous avons traversée.

L’année 2023 a été témoin d’une amélioration de la situation financière de la sécurité sociale. J’appuierai mon propos par quelques chiffres.

Le solde des administrations de la sécurité sociale est de +0,5 milliard d’euros en 2023.

Les excédents de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) s’établissent à 18 milliards d’euros en 2023 ; ils participent ainsi largement au solde positif de l’ensemble du secteur.

Le déficit global de la sécurité sociale a été contenu à 10,8 milliards d’euros, chiffre considérablement plus bas que le pic historique lié à la crise de la covid-19, en 2020 : celui-ci s’élevait à 39,7 milliards d’euros.

Cette amélioration va dans le bon sens. Elle témoigne de l’efficacité des mesures prises pour contenir le déficit tout en protégeant notre système de santé et ainsi garantir un accès aux soins pour nos concitoyens par une stimulation des recettes. C’est le reflet d’une approche que je fais mienne : garantir la protection en dépensant plus efficacement.

C’est évidemment cette logique qui a été la nôtre lors de la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, dont l’examen a débuté en commission à l’Assemblée nationale et dont le Sénat sera très prochainement saisi à son tour.

Le texte traduit aussi, je le crois, l’attention que nous devons porter à la justice sociale, avec une priorité accordée à la protection des Français, notamment des plus précaires. Il s’agit également de garantir l’accès aux soins et de continuer à accompagner l’engagement de nos soignants et de nos professionnels de santé.

Cependant, nous ne devons pas nous voiler la face : malgré nos efforts, le déficit reste élevé. Il est supérieur de 2 milliards d’euros aux prévisions établies en loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, en raison non seulement d’un ralentissement des recettes, mais aussi de la dynamique inflationniste, qui a pesé sur les coûts ; je pense notamment au secteur hospitalier et aux soins de ville.

L’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), qui constitue l’un des principaux leviers de contrôle budgétaire dans notre système de santé, a atteint 247,8 milliards d’euros, soit seulement 0,2 milliard d’euros de plus que prévu en loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

Le dépassement, assez mineur, reste donc contenu et témoigne de la maîtrise de nos dépenses de santé, et ce malgré l’impact persistant de la crise sanitaire et des tensions inflationnistes.

J’évoquerai quelques chiffres en détail.

Les dépenses liées aux établissements de santé s’élèvent à 102,9 milliards d’euros, dépassant de 4 milliards d’euros les prévisions de la loi de financement de la sécurité sociale. Cela s’explique par la compensation des mesures statutaires de 3,5 milliards d’euros et d’une aide exceptionnelle de 500 millions d’euros au titre de l’inflation, allouée à la fin de 2023 en soutien aux établissements de santé.

Les soins de ville ont atteint 105,3 milliards d’euros, soit 2 milliards d’euros de plus que prévu.

En revanche, les dépenses exceptionnelles liées à la gestion de l’épidémie de covid-19 – il faut le souligner, puisque cela a largement contribué à l’amélioration de nos comptes – ont largement diminué. Elles se sont élevées à 1,1 milliard d’euros, contre 11,7 milliards d’euros en 2022, marquant ainsi la fin progressive des mesures d’urgence, qui avaient pesé lourdement sur nos finances publiques ces dernières années.

Plus spécifiquement, le déficit de la branche maladie est de 11,1 milliards d’euros. S’il est donc légèrement plus élevé que prévu, il a toutefois été divisé par deux par rapport à 2022.

De tels résultats nous obligent. Nous devons tenir un discours de responsabilité. La maîtrise de nos comptes n’est pas qu’une question technique ; c’est un impératif démocratique.

Nous devons envisager des solutions de moyen terme et de long terme pour assurer la viabilité de notre système de santé. Je pense évidemment en particulier aux évolutions démographiques de notre pays : le défi du vieillissement de la population doit être pris en compte, car qui dit nouvelles pathologies dit besoins de soins croissants. Il est, me semble-t-il, de notre devoir de préparer l’avenir : mieux vaut vieillir en bonne santé que malade !

Les recettes, bien qu’en croissance, n’ont pas évolué aussi favorablement que prévu en 2023.

Je ne vous apprendrai pas qu’un chiffre en soi ne veut rien dire ; il faut bien entendu replacer les résultats dans leur contexte.

En l’occurrence, c’est le ralentissement de la croissance économique, couplé à un contexte international incertain, qui affecte nos recettes fiscales et sociales.

Si de tels résultats ne sont pas à la hauteur de nos espérances, ils ne doivent pas nous empêcher de souligner les progrès qui ont été réalisés ; ces derniers présagent d’une amélioration pour notre système de santé.

J’insisterai particulièrement sur la lutte contre la fraude sociale, qui constitue un enjeu important pour le rétablissement de nos comptes publics.

Ces deux dernières années, nous n’avons eu de cesse d’intensifier nos efforts pour détecter et sanctionner les fraudes ; je pense notamment aux fraudes aux prestations sociales ou au travail dissimulé.

Nous pouvons nous féliciter des résultats obtenus depuis la mise en place du plan de lutte contre les fraudes.

Les redressements de l’Urssaf ont augmenté de 50 % sur la fraude sociale des entreprises : il y a eu 1,2 milliard d’euros de redressement en 2023, contre 800 millions d’euros en 2022 et 500 millions d’euros en 2017. L’objectif sera désormais de 5,5 milliards d’euros d’ici à 2027.

Les résultats sont également significatifs pour les prestations sociales, avec 400 millions d’euros détectés par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), 200 millions d’euros par l’assurance vieillesse et 400 millions d’euros par l’assurance maladie.

Enfin, les actions contentieuses en santé ont augmenté de 60 %, et l’assurance maladie va amplifier et systématiser ses contrôles dans les années à venir.

Nous pouvons donc nous féliciter de tels chiffres. Parce que chaque euro détourné est un euro qui manque à ceux qui en ont besoin, notre combat contre la fraude va se poursuivre et s’intensifier dans les années à venir. Tous les acteurs sont très mobilisés.

Je le réaffirme, ce Placss 2023 doit nous inviter à prendre acte des progrès réalisés tout en restant pleinement conscients des défis qui nous attendent.

Il nous faut moderniser notre système, mais jamais au détriment de la solidarité et de l’accès aux soins pour tous.

Si le chemin à parcourir reste long, je suis convaincue qu’avec les réformes engagées et nos efforts collectifs, nous parviendrons à garantir la viabilité et l’efficacité de notre système de sécurité sociale pour les générations futures.

Ensemble, travaillons dans un esprit de responsabilité pour l’avenir, en faisant le choix de la solidarité.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous le savez, la commission des affaires sociales a adopté sur ce texte une motion tendant à opposer la question préalable. Je vous présenterai cette motion plus en détail tout à l’heure, mais précisons d’ores et déjà qu’il s’agit d’abord de souligner le fait que, malgré d’incontestables améliorations par rapport au Placss pour 2022, les obligations organiques ne sont pas encore suffisamment respectées, que ce soit en matière de fiabilité des comptes, d’évaluation des niches ou d’actualisation des indicateurs.

La motion se justifie également par la volonté de la commission d’exprimer son désaccord avec la politique de finances sociales du précédent gouvernement. Il faut en particulier souligner que, si le déficit est passé, en arrondissant, de 20 milliards d’euros en 2022 à 10 milliards en 2023, c’est essentiellement parce que les dépenses liées à la crise sanitaire, s’élevant à 10 milliards d’euros, ont quasiment disparu en 2023, et non pas – nous le déplorons – en raison de mesures correctrices.

Toutefois, si le législateur organique a instauré les Placss, c’est avant tout pour créer un rendez-vous annuel, à la fin du printemps ou au début de l’été, lors duquel il serait possible de s’intéresser à l’efficacité et à l’efficience des politiques en matière de sécurité sociale – vous avez parlé d’évaluation, madame la ministre, c’est tout à fait cela –, afin notamment d’instaurer un chaînage vertueux, appelé de ses vœux par mon prédécesseur, Jean-Marie Vanlerenberghe, avec la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale de l’année suivante, à l’automne.

C’est pour cette raison que, en vertu de la loi organique, le rapport de la Cour des comptes sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, jusqu’alors publié à l’automne, doit désormais l’être lors du dépôt du Placss. Le calendrier de cette année – baroque, disait l’un de nos collègues –, bouleversé par la dissolution de l’Assemblée nationale, ne facilite pas cet exercice. Nous nous retrouvons donc de fait dans la situation antérieure, quand la première partie du projet de loi de financement de la sécurité sociale tenait lieu de Placss.

Mes collègues rapporteurs de branche ont toutefois lancé, plusieurs mois avant la dissolution, des travaux destinés à alimenter nos réflexions sur certains dispositifs. Étant formellement l’unique rapporteure de ce texte, je suis la seule à m’exprimer devant vous ès qualités. Néanmoins, il me semble préférable, plutôt que de rappeler des chiffres que tout le monde connaît sur l’exécution 2023, de me faire porte-parole des rapporteurs de branche, qui pourront, le cas échéant, préciser mes propos. N’oublions pas que, dans l’esprit du législateur organique, c’est pour avoir ce genre de débats qu’a été instauré le Placss.

Pour ce qui concerne la branche vieillesse, notre collègue Pascale Gruny s’est penchée sur le non-recours au minimum vieillesse. D’après une estimation datant de 2016, ce non-recours s’élèverait à environ 50 %. Il est particulièrement élevé chez les personnes bénéficiant d’un patrimoine, comme les non-salariés agricoles – c’est également le cas dans les territoires ultramarins –, ce qui semble s’expliquer au moins en partie par la crainte d’un recouvrement sur succession.

Partant de ce constat, la commission a fait trois préconisations. Tout d’abord, il n’est pas possible de mener une politique efficace de lutte contre le non-recours sur le fondement d’une estimation datant de 2016. Il faut actualiser régulièrement cette estimation. Ensuite, le plafond de recouvrement sur succession vient juste d’être relevé, en 2023. Il conviendra donc de voir comment les comportements évoluent, afin de déterminer s’il faut ou non mener d’autres actions pour réduire la crainte d’un recouvrement sur succession ; nos collègues d’outre-mer sont sensibles à cette question. Enfin, la Cour des comptes le souligne dans son rapport de mai 2024 sur la sécurité sociale, il faut poursuivre, mais aussi mieux évaluer, les efforts d’information et d’accompagnement des caisses.

En ce qui concerne la santé, notre collègue Corinne Imbert s’est intéressée à trois sujets.

Le premier est celui des rendez-vous de prévention – vous en avez parlé, madame la ministre –, instaurés par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, dont les pouvoirs publics font la promotion de manière relativement timide, sous l’appellation « Mon Bilan Prévention ». Il s’agit de permettre aux patients de s’entretenir avec un professionnel de santé volontaire. La mise en œuvre de ce dispositif a été tardive et, près de deux ans après sa création, le législateur ne dispose d’aucun recul sur cette mesure. En particulier, il n’est pas évident que ces rendez-vous permettent de cibler les usagers les plus éloignés du soin ou soient correctement articulés avec un parcours de soins structuré en aval. Pour ma part – je le dis en passant –, je regrette que le terme de prévention ait disparu de l’intitulé de votre ministère, madame la ministre…

Mme Pascale Gruny. Tout à fait !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Le deuxième sujet auquel s’est intéressée notre collègue est la quatrième année de médecine générale, instaurée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. Cette quatrième année doit servir à faire un stage, en priorité dans les zones sous-denses. La commission s’inquiète des conditions de mise en œuvre de cette réforme, qu’elle a soutenue. Elle souligne le très haut niveau de l’incertitude dans laquelle les étudiants sont contraints de faire des choix d’orientation les engageant pour le reste de leur carrière. Elle déplore les multiples retards dans la parution des textes attendus et appelle à engager au plus vite les dernières concertations nécessaires à leur finalisation.

Enfin, Corinne Imbert s’est intéressée à la sécurisation des ressources des établissements de santé. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a mis fin à la garantie de financement des établissements de santé, instaurée en 2020 dans le contexte de la crise sanitaire, et l’a remplacée par un nouveau mécanisme de sécurisation modulée à l’activité. Or, malgré ce mécanisme, le déficit des établissements publics pourrait atteindre 2 milliards d’euros en 2023.

Pour la branche famille, notre collègue Olivier Henno s’est intéressé à la réforme des congés de paternité de 2021. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 a allongé la durée du congé de paternité de onze à vingt-cinq jours. Après deux années pleines de mise en œuvre, le principal effet de cette réforme réside dans l’allongement de la durée moyenne du congé de paternité, passée, entre 2020 et 2023, de onze à vingt-trois jours. On pourrait y voir un progrès, mais l’allongement du congé de paternité en 2021 n’a pas conduit les pères qui ne recouraient pas à ce congé à y recourir davantage ; là est le problème.

La commission préconise donc de stabiliser le dispositif afin de mieux l’évaluer, de relancer la communication sur celui-ci afin d’augmenter le taux de recours, et d’inscrire le congé de paternité dans une réflexion plus large sur les congés parentaux.

Notre collègue Chantal Deseyne s’est intéressée aux relations financières entre la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et les départements. Une réforme en la matière est manifestement nécessaire. Cette réforme a fait l’objet de travaux entre l’État et les départements, qui n’ont pas encore abouti. Deux grands scénarios ont été proposés dans le cadre d’un comité des financeurs, tous deux reposant sur la fusion des principaux concours. Pour la commission, il est urgent de faire aboutir cette réforme, en ayant pour objectifs la simplification de l’architecture des concours, l’amélioration de leur lisibilité et de leur cohérence, et la réponse aux besoins territoriaux.

Enfin, notre collègue Marie-Pierre Richer s’est intéressée à l’indemnisation des travailleurs exposés à l’amiante. La politique d’indemnisation du fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) est plus protectrice que celle de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). De plus, tant la rapidité de traitement des dossiers que l’accompagnement proposé recueillent les louanges des associations de victimes. Le Fiva doit tout de même répondre au défi du non-recours, qui concerne entre 35 % et 40 % des demandeurs potentiels. Le sujet est pris à bras-le-corps par le fonds, mais il faut attendre la publication des textes d’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

Voilà, mes chers collègues, ce que je souhaitais vous dire sur ce Placss. Nous en faisons un acte politique, consistant à approuver ou à rejeter une politique de finances sociales. C’est bien entendu légitime, mais en réalité ce n’est pas ce pour quoi les Placss étaient initialement prévus. Dans l’esprit du législateur organique, l’examen du Placss doit avant tout permettre d’avoir un débat sur les politiques menées. J’espère que cela sera pleinement le cas à partir du prochain Placss !

Dans l’immédiat, il me semblerait utile, madame la ministre, que vous puissiez apporter quelques éléments de réponse aux points que je viens d’évoquer. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, en remplacement de M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Michel Canévet, en remplacement de M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rapporteur pour avis de la commission des finances, Vincent Delahaye, m’a demandé de vous exposer les raisons pour lesquelles il a proposé à la commission d’émettre un avis défavorable sur ce projet de loi.

Mme la rapporteure générale vient de le rappeler, le calendrier de l’examen de ce texte a été bouleversé par la dissolution de l’Assemblée nationale ; aussi examinons-nous ce texte peu de temps avant le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, qui témoigne de l’état catastrophique des comptes de la sécurité sociale, avec un déficit anticipé de 18 milliards d’euros en 2024 et de 16 milliards d’euros en 2025.

Celte situation n’est pas nouvelle et s’observait déjà en 2023. Ainsi, si l’article liminaire présente un solde des administrations de sécurité sociale (Asso) légèrement positif, il s’agit toutefois d’un trompe-l’œil. Le périmètre des Asso comprend en effet les recettes de la Cades à hauteur de 18 milliards d’euros, alors qu’elles sont destinées au remboursement de la dette sociale.

En excluant la Cades, les comptes des Asso sont en déficit de 5,1 milliards d’euros. En particulier, les déficits des régimes obligatoires de sécurité sociale sont dramatiques. Le déficit total s’élève à 10,8 milliards d’euros, dont 11,1 milliards d’euros pour la branche maladie et 2,6 milliards d’euros pour la branche vieillesse seule.

Les deux explications habituellement apportées au déficit des administrations publiques en 2023 – la crise sanitaire et la crise inflationniste – ne permettent pas de justifier une telle situation : d’une part, les dépenses de 2023 liés à la crise de la covid n’ont été que de 1 milliard d’euros contre près de 12 milliards en 2022 ; d’autre part, l’inflation de 4,9 % en 2023 a eu un effet à la hausse tant pour les recettes que pour les dépenses et ne constitue donc pas une explication satisfaisante.

Le déficit important constaté en 2023 est en réalité la conséquence de recettes moins élevées que prévu et, pour l’essentiel, de dépenses en hausse structurelle.

En premier lieu, les recettes sont inférieures de 2,3 milliards d’euros par rapport à la prévision présentée par le Gouvernement dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024. Quant aux dépenses, elles ont augmenté de 3,1 % entre 2022 et 2023, et même de 5 % si l’on exclut les dépenses liées à la crise de la covid, particulièrement élevées en 2022 ; elles sont liées essentiellement à la branche maladie et à la branche retraite.

Pour la branche maladie, l’Ondam exécuté a été supérieur de 3,7 milliards d’euros par rapport à la cible fixée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. Mal prévues, les dépenses de la branche maladie ne sont pas maîtrisées et dérapent depuis 2019, l’Ondam augmentant chaque année de 5,4 % en moyenne, soit à un rythme supérieur à l’inflation.

En second lieu, en ce qui concerne la branche vieillesse, ses déficits vont croître dans les années à venir, jusqu’à représenter 6,1 milliards d’euros en 2027. Le déficit devrait atteindre 5,5 milliards d’euros en 2024 et 6,3 milliards d’euros en 2025. La Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), caisse de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, contribue au déficit de la branche à hauteur de 2,5 milliards d’euros en 2023 et de près de 4 milliards d’euros en 2024, alors qu’elle a été « ponctionnée » de plus de 100 milliards au cours des dernières années pour financer d’autres régimes.

L’état des comptes de la sécurité sociale va donc s’aggraver dans les années à venir. Le déficit devrait ainsi se maintenir à 17,2 milliards d’euros en 2027. Or l’explosion des déficits de la sécurité sociale implique une hausse très forte de la dette sociale, qui s’élève déjà à 161,7 milliards d’euros en 2023. Si, pour l’instant, cette dette est portée par la Cades, aucune dette sociale ne pourra être transférée à cet organisme au-delà de 2025 en l’absence d’une nouvelle loi organique. Toutefois, un tel texte reviendrait à acter la pérennisation de la dette sociale et n’est donc pas souhaitable. Il est surtout urgent de réduire structurellement les déficits de la sécurité sociale, pour éviter la poursuite de l’accumulation de la dette.

Devant ces constats inquiétants pour l’avenir de la sécurité sociale – des dépenses non maîtrisées, des recettes plus faibles que prévu, un endettement social sans précédent – et en l’absence d’une certification des comptes de la branche famille et de la Cnaf par la Cour des comptes, la commission des finances, sur la suggestion de Vincent Delahaye, vous invite, mes chers collègues, à rejeter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Laurent Burgoa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la procédure du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale marque indéniablement un progrès pour la mission de contrôle parlementaire des finances sociales ; c’est d’ailleurs pour saluer ce progrès que, l’an dernier, malgré les graves lacunes et inexactitudes du texte, le groupe SER avait souhaité son étude complète en séance.

Cette année, c’est la deuxième fois que nous sommes saisis d’un Placss et le temps est maintenant au respect plus strict de la procédure, de l’esprit et du texte de la loi organique. Nous en sommes loin…

Le dépôt du texte a été tardif au printemps dernier et c’est ce caractère tardif qui a empêché son examen avant la dissolution du mois de juin. Puis le Gouvernement a redéposé le texte en juillet dernier, mais sans réunir le Parlement. Nous voilà donc arrivés à la fin du mois d’octobre et nous entamons le travail sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 sans avoir délibéré sur le Placss pour 2023.

Ce désordre de calendrier est au fond très révélateur du désordre de nos finances sociales ; ici, la forme rejoint parfaitement le fond. Les chiffres qui nous sont présentés sont alarmants. Le déficit de la sécurité sociale, loin de se résorber, continue de se creuser : de 10,8 milliards d’euros en 2023, il est projeté à 18 milliards en 2024, et à encore plus à l’horizon 2027.

Notre inquiétude, nous l’avons largement exprimée à cette tribune au cours des deux dernières années, alors que le « quoi qu’il en coûte » de la période covid, qui était nécessaire – nous n’avons aucun regret à cet égard – s’éloignait. Vous, madame la ministre, et vos prédécesseurs – mais vous êtes issus du même mouvement politique – n’aviez apporté aucune réponse convaincante à nos alertes, et pour cause : il n’y a eu rien d’efficace dans votre gestion.

Notre inquiétude est partagée par la Cour des comptes, par le Comité d’alerte sur l’évolution des dépenses de l’assurance maladie, par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), par le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), bref, vous l’aurez compris, par l’ensemble des institutions veillant à la fiabilité des trajectoires financières, parce qu’aucune perspective de retour à l’équilibre n’est proposée par le Gouvernement.

Je constate que le texte que nous étudions aujourd’hui, au travers de son inscription dans une dynamique de déficits, va bien au-delà des simples ajustements techniques ou comptables. En réalité, il s’agit de redéfinir l’ambition que nous souhaitons donner à notre système de sécurité sociale ; cela est d’autant plus crucial cette année, alors que nous avons dépassé les conséquences financières de la crise sanitaire.

Les allégements de cotisations sociales, en particulier sur les bas salaires, ont profondément modifié la structure de financement de la sécurité sociale. En 1990, les cotisations représentaient 64 % des ressources ; en 2023, elles ne pèsent plus que pour 48 %, tandis que la part des impôts et taxes, comme la TVA et la contribution sociale généralisée (CSG), ne cesse de croître. En 2023, ces exonérations ont privé la sécurité sociale de 19,3 milliards d’euros ; sans ces mesures, les comptes sociaux seraient en excédent…

La Cour des comptes souligne également cette dépendance croissante aux impôts, qui modifie en profondeur le modèle originel. Derrière les chiffes, la sécurité sociale est maintenue en déficit constant, sans que les résultats soient par ailleurs à la hauteur, en particulier pour les branches maladie et retraite, auxquelles est imputable une grande partie du déficit.

Oui, le déficit des comptes sociaux est un choix délibéré, le déficit des comptes sociaux est un choix politique, le déficit des comptes sociaux sape la légitimité de notre modèle de protection sociale. Ce déficit est organisé par des transferts entre les comptes sociaux et ceux de l’État. Ainsi – faut-il le rappeler ? –, sans le transfert aux comptes sociaux, via la Cades, de plus de 130 milliards d’euros de dette covid, la sécurité sociale serait quasiment à l’équilibre ! En 2018 – faut-il le rappeler également ? –, après cinq années de durs efforts, les comptes sociaux avaient été ramenés à l’équilibre. Ensuite, depuis sept ans, vous les avez plongés dans des déficits sans trajectoire de retour à l’équilibre !

C’est la marque d’un triple échec : l’équilibre financier n’est pas assuré ; la qualité du service rendu, du point de vue par exemple des indicateurs de santé, n’est pas au rendez-vous ; et les fondamentaux de notre système de protection sociale sont malmenés.

Le Gouvernement nous propose d’approuver, pour une année de plus, une gestion court-termiste de la sécurité sociale qui hypothèque l’avenir des comptes sociaux. L’Ondam est déconnecté des besoins réels de notre politique sanitaire. Nous manquons d’un véritable pilotage stratégique. La tendance naturelle à la hausse des dépenses, liée aux évolutions démographiques et épidémiologiques, nous enferme dans une logique où nous ne faisons que subir les événements, au lieu de les anticiper et de les gérer.

Il est impératif de changer de modèle, car, aujourd’hui, nous ne fixons pas d’objectifs de santé en amont des débats budgétaires. Prenons un exemple, celui du surpoids, une problématique qui gagne en importance et qui a de lourdes conséquences de santé publique et pour les comptes sociaux. Eh bien, quels programmes sont prévus pour lutter contre cette tendance ? Où est le « virage de la prévention » ? Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 ne comporte de chapitre ni sur le tabac ni sur l’alcool…

L’Ondam, fixé à 247,8 milliards d’euros pour 2023, a été dépassé de 3,6 milliards d’euros. Ce dépassement, pour la deuxième année de suite, est d’autant plus préoccupant que les coûts liés à la crise sanitaire ont chuté de 10,6 milliards d’euros. Les dépenses permanentes ont, quant à elles, augmenté de 4,8 %, bien au-delà de l’objectif de 3,5 %. Il est évident que la gestion actuelle de l’Ondam rend impossible l’élaboration d’une politique de santé publique plaçant la prévention en son centre, tout en assurant une trajectoire financière crédible.

Toujours sur le fond du texte, les erreurs comptables et le refus de la Cour des comptes de certifier les comptes de la branche famille devraient amener tout législateur à rejeter ce texte.

Enfin, la question des recettes ne peut plus être éludée. C’est une question politique fondamentale, qu’il est urgent d’aborder, mais, nous l’avons compris, madame la ministre, nous attendrons le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 pour y travailler.

Permettez-moi tout de même de revenir sur un chiffre : les recettes sont inférieures de 2,3 milliards d’euros par rapport à la prévision présentée par le Gouvernement dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024. Ces erreurs – ou ces errements, je ne sais – dans les prévisions de recettes sont incompréhensibles. Comment les justifier autrement que par une gestion approximative des comptes sociaux ?

Les comptes de la sécurité sociale sont en réalité soutenus par l’emprunt et les jeux de transfert entre la Cades et l’ex-Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale), devenue l’Urssaf Caisse nationale, masquent la véritable nature des déficits. Le passif net, après des années de réduction entre 2014 et 2020, connaît une dégradation rapide, atteignant 99,2 milliards d’euros à la fin de 2022.

Un mot, enfin, sur la situation de l’hôpital. Les chiffres sont là : le déficit des hôpitaux, déjà inquiétant à 1,1 milliard d’euros en 2022, atteindrait 1,9 milliard d’euros en 2023, selon des estimations qui ne sont même pas encore définitives. C’est une multiplication par trois par rapport à 2021 ! Si ce n’est pas une fatalité, c’est, de nouveau, le résultat de choix politiques. L’hôpital est abandonné, car il n’est pas financé à la hauteur de ses missions ; ce décalage entre ses missions et le financement est devenu permanent.

Madame la ministre, je le répète, le pilotage actuel a démontré ses limites. Face à l’ampleur du déficit et à la dégradation continue de notre système de santé, votre gestion n’est pas la bonne. Ce Placss est trop marqué par son calendrier inacceptable, par ses manquements et ses graves échecs pour qu’il soit utile d’en débattre plus avant. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)