M. le président. La parole est à M. Michaël Weber, pour présenter l’amendement n° 548.

M. Michaël Weber. Le texte me semblait vouloir encourager la simplification de la vie des entreprises… J’y vois plutôt un texte de dégradation des droits.

La disposition visée s’appuie sur le constat selon lequel plus de 100 000 emplois avaient été supprimés en 2012 dans les PME, en France, faute de repreneurs.

Actuellement, ce dispositif d’information préalable, issu de la loi Hamon de 2014, est applicable dans les entreprises de moins de 250 salariés, lorsque le propriétaire envisage de vendre son fonds de commerce, ou sa participation représentant plus de 50 % des parts sociales d’une société à responsabilité limitée, ou d’actions ou valeurs immobilières donnant accès à la majorité du capital d’une société par actions.

L’objectif est de permettre à un ou plusieurs salariés de l’entreprise de présenter une offre pour l’acquisition du fonds ou de la participation. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, ces derniers doivent être avertis, au plus tard, deux mois avant la vente du fonds de commerce ou de leur société.

La commission spéciale, par la voix de sa rapporteure, estime que ce dispositif, entré en vigueur en 2014, n’a pas atteint ses objectifs. Or il s’agit de reconnaître la reprise interne comme l’un des modes de reprise les plus efficaces en matière de pérennité de l’entreprise et de sauvegarde de l’emploi.

Considérer que l’on est incapable d’évoquer avec ses salariés les conditions de la reprise deux mois avant la vente constitue, je crois, un véritable recul social.

M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. J’aimerais rappeler les raisons pour lesquelles la commission a supprimé le dispositif d’information préalable aux cessions sous peine d’amende, un dispositif issu de la loi Hamon que vous souhaitez conserver.

Nous partageons tous l’objectif de favoriser les transmissions d’entreprise. Tous, vous avez rappelé les chiffres : 350 000 entreprises pourraient être à reprendre en France au cours des dix prochaines années, notamment en raison de l’âge des chefs d’entreprise. Il s’agit donc d’un enjeu majeur pour préserver l’activité et l’emploi dans nos territoires.

Je maintiens que le dispositif de la loi Hamon a clairement été identifié comme un frein à la transmission d’entreprise. Je vous renvoie aux travaux transpartisans de la délégation aux entreprises du Sénat, ainsi qu’aux auditions que nous avons menées avec les organisations patronales.

Certes, la suppression de cette information préalable ne résoudra pas tous les problèmes, mais elle contribuera assurément à simplifier les opérations : outre la charge administrative qu’elle implique, l’obligation d’information présente souvent un effet à caractère dissuasif pour les potentiels acquéreurs.

Par ailleurs, les chiffres que vous avez rappelés, madame Poncet Monge, sont ceux de 2014. Or la loi a été votée en 2014, année à partir de laquelle on constate une stagnation, voire une régression du nombre de reprises. Ainsi, on ne peut pas dire que le dispositif soit efficace.

Enfin, il n’est dans l’intérêt d’aucun chef d’entreprise de dissimuler son projet de vente à un salarié en mesure de lui présenter un projet de reprise crédible. Je rappelle que nous parlons de petites entreprises : on peut supposer que, dans ces structures, les salariés et les patrons sont assez proches et discutent ensemble.

Pour toutes ces raisons, nous émettons un avis défavorable sur ces cinq amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Ces échanges sont fort intéressants. Le constat est partagé sur toutes les travées : les reprises et transmissions constituent un défi d’envergure pour les dix années à venir, puisque 25 % des chefs d’entreprise de nos 150 000 PME ont plus de 60 ans, et 11 % d’entre eux plus de 65 ans. Le problème de la transmission est donc patent.

Ces amendements visent à supprimer l’article 6, pour revenir au délai d’information préalable de deux mois fixé par la loi Hamon de 2014.

Premièrement, la suppression totale du délai d’information préalable des salariés ferait courir un fort risque d’inconventionnalité au regard de l’article 7 de la directive du 12 mars 2001.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. C’est précisément l’objet de votre amendement suivant, madame la ministre…

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Non, pas du tout, madame la rapporteure !

Les auteurs de ces amendements de suppression risquent de supprimer purement et simplement tout droit d’information préalable des salariés.

Deuxièmement, le délai d’information préalable entendait favoriser la reprise d’entreprises par les salariés, en leur donnant la possibilité de présenter une offre d’acquisition. Or les données relatives aux transmissions d’entreprise démontrent que cette mesure n’a pas encouragé les rachats par les salariés. Leur nombre n’a pas connu d’augmentation significative.

Par ailleurs, les remontées des échanges que nous avons eus avec les fédérations soulignent que le délai de deux mois appliqué aux entreprises de moins de 50 salariés, comme l’a souligné Mme la rapporteure, est de nature à compromettre la vente ou la cession : il peut dissuader de potentiels acquéreurs et, monsieur le sénateur Gay, il fragilise l’entreprise face à ses clients et fournisseurs ou face à ses prédateurs. (M. Fabien Gay le conteste.)

Monsieur Gay, vous avez beau ne pas être d’accord, telles sont les remontées de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), notamment de l’Union des entreprises de proximité (U2P). (M. Fabien Gay ironise.)

C’est pourquoi l’objet de l’article 6, dans sa version initiale, est de préserver le droit d’information préalable, pour éviter la requalification, tout en limitant le risque de dissuasion des acquéreurs extérieurs à l’entreprise. Ce compromis favorise la reprise des entreprises de moins de 50 salariés et la préservation des emplois.

J’émettrai donc un avis défavorable sur ces cinq amendements identiques, avant d’avoir le plaisir de commenter les deux amendements qui vont suivre.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Comme en commission, nous demandons des faits. Que le système actuel ne soit pas totalement efficace, personne n’en disconvient.

Dès lors, posons-nous la bonne question : pourquoi une telle inefficacité ? Certes, un salarié qui souhaite reprendre son entreprise sera d’abord informé. Il pourra ensuite exprimer sa volonté de reprise auprès au chef d’entreprise. Mais, pour finir, il sera confronté à l’accès au crédit.

Vous n’allez pas au cœur du problème. La question est de savoir comment favoriser les reprises, y compris par des crédits, pour que les salariés puissent racheter leur entreprise. Au lieu de cela, vous liquidez la seule mesure qui permet aux salariés d’être informés, ne serait-ce que deux mois avant la cession.

Vous n’allez pas résoudre le problème ! Vous pouvez réduire le délai à un mois, mais, si nous ne réglons pas la question de l’accès au crédit, nous n’aurons rien fait.

Vous nous dites que l’U2P fait remonter un grand nombre de cas où ce délai de deux mois fragilise les entreprises : présentez-nous donc des chiffres ! Combien d’entreprises ont-elles été fragilisées, au cours de leur rachat, à cause de ce droit d’information des salariés de deux mois ? Nous ne voulons pas nous contenter de rumeurs : nous voulons des faits précis, documentés, présentant en détail des cas d’espèce, avec des dates du rachat d’une PME-TPE par un prédateur.

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.

Mme Audrey Linkenheld. Nous oublions quelle était l’intention de la loi Hamon de 2014. Ce texte a instauré un droit d’information préalable des salariés, qui doivent donc savoir qu’il existe un projet de cession. Mais cela ne signifie en rien que les salariés sont obligés de reprendre leur entreprise ! Les deux choses sont différentes.

Les chiffres relatifs au nombre de reprises par les salariés ne sont pas pertinents. Il ne s’agit que de donner la possibilité à ceux qui le souhaitent de racheter l’entreprise en question. Cela s’appelle un droit d’information, à ne pas confondre avec une obligation de reprise de l’entreprise.

De plus, on nous oppose les remontées issues des auditions. Pour ma part, je reviendrai sur l’avis du Conseil d’État, qui indique que l’étude d’impact « ne fait apparaître aucune difficulté particulière tenant à l’obligation d’information préalable des salariés et, notamment, n’établit pas que cette obligation compromettrait des projets de vente ». Le Conseil « note, à cet égard, l’absence d’évaluation des dispositifs créés par la loi du 31 juillet 2014 et préconise de préciser l’étude d’impact sur ce point ».

Voilà qui est clair. C’est la raison pour laquelle nous nous opposons à la proposition de Mme la rapporteure, à savoir la suppression totale du droit d’information des salariés. Au contraire, nous souhaitons son rétablissement, avec des délais les plus longs possible, pour que les salariés aient le temps de se retourner et puissent trouver des repreneurs. (Mme la ministre déléguée sexclame.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Oui, un droit d’information représente des contraintes pour l’employeur.

Au sein de la commission spéciale, nous avons demandé que l’on nous apporte des faits et des éléments précis. Nous connaissons, pour notre part, des exemples de reprises par les salariés où ce droit d’information a été déterminant. En effet, les reprises d’entreprise par les salariés, notamment pour les sociétés coopératives participatives (Scop), ont souvent évité la fermeture de ces mêmes entreprises.

Pensons au site de Fralib à Gémenos, qui appartenait à Unilever. Cette dernière société souhaitait simplement fermer l’entreprise et récupérer son marché. La reprise par les salariés, sous le nom Scop-Ti, a permis non seulement de maintenir l’entreprise, mais de la développer. D’autres cas pourront vous être présentés lors de l’examen de l’amendement n° 376.

Enfin, bien souvent, l’entrepreneur garde le choix de son repreneur ! La loi Hamon veut encourager la reprise par les salariés dans le cas où il n’y a pas de repreneur déclaré. Ce qui se joue alors, c’est bien la fermeture de l’entreprise et la récupération de son marché par les grands groupes.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 26 rectifié, 122 rectifié, 294, 375 et 548.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L’amendement n° 476, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

I. – Le code de commerce est ainsi modifié :

1° L’intitulé de la section 3 du chapitre Ier du titre IV du livre Ier est remplacé par un intitulé ainsi rédigé : « De l’instauration d’un délai permettant aux salariés de présenter une offre en cas de vente d’un fonds de commerce dans les entreprises qui ne disposent pas d’un comité social et économique exerçant les attributions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 2312-1 du code du travail » ;

2° L’article L. 141-23 est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est ainsi modifié :

– les mots : « qui n’ont pas l’obligation de mettre en place un comité d’entreprise en application de l’article L. 2322-1 du code du travail » sont remplacés par les mots : « qui ne disposent pas d’un comité social et économique exerçant les attributions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 2312-1 du code du travail » ;

– le mot : « deux » est remplacé par le mot : « un » ;

b) Au cinquième alinéa, les mots : « de deux » sont remplacés par les mots : « d’un » ;

c) Au dernier alinéa, le taux : « 2 % » est remplacé par le taux : « 0,5 % » ;

3° Au dernier alinéa de l’article L. 141-25, les mots : « des comités d’entreprise à l’article L. 2325-5 du code du travail » sont remplacés par les mots : « de la délégation du personnel du comité social et économique à l’article L. 2315-3 du code du travail » ;

4° Au 2° de l’article L. 141-27, après le mot : « sauvegarde, », sont insérés les mots : « de sauvegarde accélérée, » ;

5° L’intitulé de la section 4 du chapitre Ier du titre IV du livre Ier est ainsi rédigé : « De l’information anticipée des salariés leur permettant de présenter une offre en cas de vente d’un fonds de commerce dans les entreprises qui ne disposent pas d’un comité social et économique exerçant les attributions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 2312-1 du code du travail » ;

6° L’article L. 141-28 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « soumises à l’obligation de mettre en place un comité d’entreprise en application de l’article L. 2322-1 du code du travail » sont remplacés par les mots : « qui disposent d’un comité social et économique exerçant les attributions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 2312-1 du code du travail » ;

b) Le deuxième alinéa est ainsi modifié :

– La référence : « L. 2323-33 » est remplacée par la référence : « L. 2312-8 » ;

– Les mots « comité d’entreprise » sont remplacés par les mots : « comité social et économique » ;

c) Au dernier alinéa, les mots : « absences concomitantes du comité d’entreprise et de délégué du personnel, constatées conformément aux articles L. 2324-8 et L. 2314-5 du code du travail » sont remplacés par les mots : « absence de comité social et économique exerçant les attributions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 2312-1 du code du travail » ;

7° L’intitulé de la section 1 du chapitre X du titre III du livre II est ainsi rédigé : « De l’instauration d’un délai permettant aux salariés de présenter une offre en cas de vente des parts sociales, actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital dans les sociétés qui ne disposent pas d’un comité social et économique exerçant les attributions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 2312-1 du code du travail » ;

8° L’article L. 23-10-1 est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est ainsi modifié :

– les mots : « qui n’ont pas l’obligation de mettre en place un comité d’entreprise en application de l’article L. 2322-1 du code du travail » sont remplacés par les mots : « qui ne disposent pas d’un comité social et économique exerçant les attributions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 2312-1 du code du travail » ;

– le mot : « deux » est remplacé par le mot : « un » ;

b) Au cinquième alinéa, les mots : « de deux » sont remplacés par les mots : « d’un » ;

c) Au dernier alinéa, le taux : « 2 % » est remplacé par le taux : « 0,5 % ».

9° Au troisième alinéa de l’article L. 23-10-3, les mots : « des comités d’entreprise à l’article L. 2325-5 du code du travail » sont remplacés par les mots : « de la délégation du personnel du comité social et économique à l’article L. 2315-3 du code du travail » ;

10° Au 2° de l’article L. 23-10-6, après le mot : « sauvegarde, », sont insérés les mots : « de sauvegarde accélérée, » ;

11° L’intitulé de la section 2 du chapitre X du titre III du livre II est ainsi rédigé : « De l’information des salariés leur permettant de présenter une offre en cas de vente des parts sociales ou actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital, dans les sociétés qui disposent d’un comité social et économique exerçant les attributions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 2312-1 du code du travail » ;

12° L’article L. 23-10-7 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « soumises à l’obligation de mettre en place un comité d’entreprise en application de l’article L. 2322-1 du code du travail » sont remplacés par les mots : « qui disposent d’un comité social et économique exerçant les attributions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 2312-1 du code du travail » ;

b) Le deuxième alinéa est ainsi modifié :

– la référence : « L. 2323-33 » est remplacée par la référence : « L. 2312-8 » ;

– les mots : « comité d’entreprise » sont remplacés par les mots : « comité social et économique » ;

c) Au cinquième alinéa, le taux : « 2 % » est remplacé par le taux : « 0,5 % » ;

d) Au dernier alinéa, les mots : « absences concomitantes du comité d’entreprise et de délégué du personnel, constatées conformément aux articles L. 2324-8 et L. 2314-5 du code du travail » sont remplacés par les mots : « absence de comité social et économique exerçant les attributions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 2312-1 du code du travail ».

II. – Le I s’applique aux cessions conclues deux mois au moins après la date de publication de la présente loi.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Je commencerai par apporter une précision : la proposition du Gouvernement, telle qu’elle est présentée dans cet amendement, n’est en rien de liquider le délai d’information préalable du salarié.

Entre deux positions contraires, je tente de trouver une voie médiane. Cette rédaction vise à préserver l’information des salariés, à l’aune de l’obligation imposée par le droit européen. En effet, la directive du 12 mars 2001 fait de l’information des salariés, en cas de transfert d’entreprise dépourvue de représentants du personnel, une obligation. Ainsi, nous garantissons le respect de la directive. Mais nous voulons aussi éviter de dissuader les repreneurs extérieurs à l’entreprise.

Monsieur Gay, j’aurai des chiffres à vous livrer dans quelques instants, mais, avec l’immense et sincère respect que je vous porte, j’entends dans votre discours une pétition de principe consistant à dire que les reprises sont entravées par les problèmes d’accès au crédit des repreneurs salariés. Je ne dis pas qu’il n’y a pas là une difficulté, mais reconnaissez que cet argument, lui aussi, ne s’appuie sur aucun chiffre. (M. Fabien Gay manifeste sa lassitude.)

L’U2P comme la CPME ont été très clairs lors de nos échanges. Il est clair que, pour de petits repreneurs d’entreprise de moins de 50 salariés, le droit d’information préalable des salariés, tel qu’il a été imaginé par la loi Hamon, non seulement ne produit pas les effets escomptés, malgré son intention louable, mais dissuade un certain nombre d’acquéreurs extérieurs à l’entreprise.

Le Gouvernement propose donc de réduire le délai d’information, tout en le préservant. Ainsi, nous ne mettrons pas l’entreprise en danger et nous laisserons aux salariés la possibilité de se positionner pour un projet de reprise.

Cet amendement vise donc à rétablir l’article 6, en proposant une voie médiane entre la suppression pure et simple du droit d’information préalable et le statu quo, à savoir un délai de deux mois. Pour le reste, le débat sur la reprise des entreprises se poursuivra.

M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Comme j’aimerais pouvoir remonter le temps jusqu’au moment de votre audition, il y a trois semaines, madame la ministre, en compagnie du ministre de l’économie et des finances, M. Le Maire !

Je me souviens très bien vous avoir interrogés sur ce point. Finalement, vous êtes restés au milieu du gué. Vous coupez la poire en deux : de deux mois vous passez à un mois, et vous avez considérablement réduit l’amende. Pourquoi ne pas être allés au bout de la démarche ?

Je me rappelle très bien que M. Le Maire m’a répondu, avec un léger sourire, qu’il s’en remettrait à la sagesse du Sénat. Vous changez donc d’avis, madame la ministre.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. C’est Olivia Grégoire qui est au banc du Gouvernement !

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. M. Le Maire nous a répondu qu’il fallait légitimement s’interroger sur l’efficacité du dispositif. Je me suis alors dit : « Formidable ! Il va nous suivre ! » Lui peut-être, vous non, visiblement, madame la ministre…

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Je ne vais pas porter le costume de M. Le Maire pendant les deux prochains jours…

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Par ailleurs, dans votre argumentaire, vous mettez en avant la méconnaissance du droit de l’Union européenne. À mon humble avis, cela ne tient pas. En effet, il s’agit ici de supprimer un délai d’information qui est encadré par un délai rigide et dont le non-respect est sanctionné par une amende. Or la directive que vous citez ne prévoit ni délai ni amende.

Je le rappelle, dans les entreprises de 50 salariés et plus, en cas de cession, le comité social et économique est par construction informé en temps utile.

Pour ce qui est des petites entreprises dépourvues de représentants du personnel, je rappelle que le dispositif d’information, plus souple, prévu par l’article 18 de la loi Hamon, qui s’applique à l’ensemble des entreprises de moins de 250 salariés, n’est pas remis en cause par le présent texte : nous n’avons pas supprimé cette disposition. Les salariés restent donc prévenus en cas de cession.

J’ai envie de vous prendre au mot, madame la ministre : dans la discussion générale, vous nous avez dit que la simplification était un état d’esprit. Conformément à cet état d’esprit, nous proposons de supprimer les normes qui n’ont pas porté de fruits.

Mme Pascale Gruny. Très bien !

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. J’informe le Sénat qu’une ministre déléguée, toute déléguée qu’elle soit, peut aussi avoir ses points de vue et ses convictions…

Mon ministre de tutelle vous a répondu ; j’étais d’ailleurs à ses côtés lors de l’audition à laquelle vous faites référence. Je suis toujours à l’écoute de la sagesse du Sénat, comme de celle de l’Assemblée nationale, mais cela ne m’empêche pas d’avoir un avis et d’essayer de le défendre.

Voilà précisément ce que je viens de faire, ce qui ne garantit en rien que je serai suivie ni ne traduit un quelconque manque de respect à l’endroit du Parlement.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Simplement, je m’émancipe : j’ai aussi mes propres avis ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Par cet amendement, le Gouvernement propose de rétablir l’article 6 dans sa rédaction initiale. Celui-ci ne nous convenait pas lorsque nous avons étudié une première fois le texte avant son passage en commission, car la réduction du délai d’information des salariés à un mois fragiliserait le dispositif en vigueur, le rendant moins efficace. Ce serait une première étape vers sa suppression.

Vous l’avez dit, madame la ministre : cette suppression n’est pas possible au regard du droit européen. Il arrive que ce dernier soit bel et bien protecteur…

La droite l’a compris, qui vous propose d’aller au bout de votre logique et de supprimer le droit d’information. Dès lors, rétablir la version initiale de l’article devient un moindre mal. C’est ce qui nous conduit à soutenir l’amendement du Gouvernement, afin que soit maintenu dans le code de commerce le droit d’information préalable des salariés en cas de vente de leur entreprise.

Nous ne saurions participer à la suppression totale, proposée par la commission, de cette disposition de la loi Hamon.

La commission a supprimé ce dispositif sans démontrer – la séance publique, pour le moment, n’y a rien changé – qu’il avait effectivement fait obstacle à des reprises.

Je ne reviens pas sur la démonstration que, quant à nous, nous avons conduite : nous pouvons produire de nombreux exemples de reprises réussies d’entreprises par leurs salariés. Certaines de ces reprises ont pris la forme de Scop : en 2017, on dénombrait 74 créations de Scop issues de reprises d’entreprises par les salariés ; elles ont permis la sauvegarde de centaines d’emplois.

Ce chiffre est d’autant plus significatif que le taux de pérennité à cinq ans d’une Scop, qui s’établit à 76 %, est quinze fois supérieur à celui des autres entreprises. Abroger cette disposition de la loi Hamon n’a donc pas de justification ; ce n’est pas en rendant plus difficile la reprise par les salariés que l’on empêchera les milliers d’entreprises qui disparaissent tous les ans de subir ce sort.

En conséquence, nous voterons pour cet amendement du Gouvernement : il a au moins le mérite de rétablir cette mesure de la loi Hamon, bien qu’en réduisant sa portée, ce que nous regrettons.

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.

Mme Audrey Linkenheld. Comme je l’ai indiqué hier lors de la discussion générale, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain pensait avoir bien compris la différence de positionnement entre la droite sénatoriale et la droite macroniste.

Du côté du Gouvernement, on souhaite maintenir le droit d’information préalable, tout en réduisant le délai applicable à un mois. Voilà qui, certes, ne fait pas disparaître ce droit, mais, dans les faits, le rend inopérant. Quant à la majorité sénatoriale, considérant que ce droit d’information préalable ne sert à rien, elle veut aller au bout de la logique, d’après ses propres termes, et propose de le supprimer.

Notre position est claire, et je l’ai expliquée hier. Nous sommes pour un droit d’information préalable des salariés qui soit opérant, ce qu’il n’est ni quand le délai est de zéro jour ni quand il est fixé à trente jours.

Pour notre part, nous nous rallierons donc à l’amendement du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires : il y est proposé un délai d’information qui nous paraît beaucoup plus compatible avec la possibilité pour les salariés d’étudier un projet de cession, de réfléchir à une offre d’acquisition et, le cas échéant, d’aller chercher les partenaires et les financeurs qui leur permettraient de reprendre leur entreprise, afin que celle-ci ne disparaisse pas.