Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, vous posez une question essentielle, celle de la capacité de l’Union européenne à innover et à se placer à la frontière de la connaissance en matière de recherche et de développement.

Permettez-moi de vous faire part de la signature, en marge de la visite du Président de la République en Allemagne, d’un contrat pour développer la première station internationale privée, entre, d’un côté, un consortium rassemblant Airbus et deux groupes américain et japonais – l’acheteur –, et, de l’autre, une start-up franco-allemande fondée en France par une Française, Hélène Huby – le vendeur –, laquelle a conçu la première capsule européenne privée, susceptible d’approvisionner cette future station.

La signature de ce contrat revêt une portée symbolique : c’est sur une initiative franco-allemande que l’innovation spatiale européenne renaît. C’est très prometteur, même si d’aucuns objecteront qu’il ne s’agit que d’une entreprise. Assurément, de nombreuses autres devront suivre pour que l’Union européenne s’illustre, dans ce domaine comme dans d’autres.

L’un des instruments les plus remarquables ayant été développés ces dernières années est le programme-cadre Horizon Europe, doté de 100 milliards d’euros qui seront consacrés au soutien aux universités, à la recherche et à l’innovation. Il est à ce point remarquable que nous négocions un accord avec la Suisse, qui veut y être associée, tant il a permis de développer l’investissement et la recherche, dans ce pays comme partout ailleurs en Europe.

Le Président de la République, dans son discours de la Sorbonne, a affiché l’objectif d’atteindre une part de 3 % du PIB européen qui serait consacrée à la recherche et au développement. Nous tâcherons de rallier nos partenaires européens à ce principe dans les semaines à venir.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel.

M. Stéphane Sautarel. Monsieur le ministre, la question dont il nous est donné de débattre est très large et recouvre des entrées multiples pouvant susciter de nombreuses réponses. Pour ma part, j’ai pris le parti de l’examiner sous le prisme du poids de la France et de son influence au sein de l’Union européenne.

En effet, il semble, hélas ! que notre parole porte de moins en moins, et cela pour une raison simple : notre faiblesse intérieure, liée au manque d’ordre tant dans nos comptes que dans nos rues, pour paraphraser un ancien Premier ministre, ne nous permet plus d’être entendus à l’échelle européenne, comme nous devrions encore l’être.

Les récentes initiatives de la France en matière de budget européen – en particulier le recours à une dette européenne propre, alors même que nous ne savons toujours pas comment rembourser l’emprunt covid – et de défense commune semblent nous isoler davantage encore.

La procédure de déficit excessif qui devrait nous frapper après le 9 juin est inquiétante, tout comme la manière dont Bruxelles a réagi à la transmission de notre programme de stabilité.

À quelques jours des élections européennes du 9 juin prochain et dans la perspective du prochain cycle 2024-2029, la question de l’influence française au sein des prochaines instances se pose, notamment dans la perspective de déterminer les prochaines orientations budgétaires et la future PAC.

Sommes-nous mieux placés qu’il y a cinq ans pour faire valoir nos positions, dans un contexte de durcissement des relations internationales et de décrochage de notre continent ?

Monsieur le ministre, comment abordez-vous cette échéance, du point de vue tant des priorités stratégiques que nous défendons – mettre fin à la naïveté de notre politique de concurrence, qui affaiblit notre souveraineté, et défendre la PAC, tout en maintenant un budget européen soutenable – que des postes à responsabilité – cabinet des commissaires, responsabilité de directions générales structurantes, chefs de délégation – au sein de la Commission européenne ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, permettez-moi de formuler un diagnostic divergent : la France n’a sans doute jamais été aussi influente en Europe que ces cinq dernières années. (M. Didier Marie proteste.)

Toutefois, l’influence se cultive, s’entretient, se travaille. Aussi avez-vous raison de pointer les deux dimensions de l’influence française.

Tout d’abord, nous devons diffuser nos idées auprès de nos partenaires. Je pense en particulier à la défense de l’agriculture et de nos agricultures, dont presque personne, que ce soit au sein de cet hémicycle ou dans tout le pays, ne conteste qu’il s’agit d’une priorité. Or cette idée simple est une idée française ; dans de nombreux pays européens, elle ne relève pas de l’évidence. C’est pourquoi l’influence est nécessaire pour la faire prospérer.

Ensuite, notre influence doit être incarnée au sein des institutions européennes par des hommes et des femmes.

En ce qui concerne la première dimension, nous avons des idées très claires, que ce soit sur la PAC, sur la souveraineté industrielle ou sur la réciprocité dans les échanges. Celles-ci ont été exprimées de manière très précise et détaillée dans le discours de la Sorbonne du Président de la République, que notre diplomatie s’attache à relayer auprès de nos homologues, que ce soit dans les capitales ou au sein des instances européennes, auprès de ceux qui ont la responsabilité d’y représenter leur pays.

Nous sommes allés jusqu’à mobiliser l’intelligence artificielle pour convertir le discours de la Sorbonne dans les langues de l’Union européenne, afin d’effacer les barrières de la langue et le rendre ainsi accessible au plus grand nombre.

Pour ce qui concerne à présent les hommes et les femmes qui incarneront ces priorités, notre présence au sein des institutions européennes est tout à fait convenable, et de nombreux pays nous l’envient.

Toutefois, il nous faut la préserver. C’est la raison pour laquelle j’ai rencontré ces dernières semaines, sous l’autorité de Stéphane Séjourné, les directeurs généraux français de la Commission européenne, du Conseil de l’Union européenne et du Service européen pour l’action extérieure (SEAE). J’ai également rencontré les Français qui travaillent dans les cabinets des commissaires européens.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. En outre, nous accueillerons dans les prochaines semaines à Paris l’ensemble des Français de la Commission, pour nous assurer que nous sommes bien représentés à tous les étages dans les administrations et que les idées françaises y sont bien incarnées.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour la réplique.

M. Stéphane Sautarel. Je vous remercie de vos réponses, monsieur le ministre. Mon inquiétude porte non pas sur les idées que vous défendez, même si elles méritent de faire l’objet d’un débat, mais sur notre crédibilité pour les faire valoir.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Avant tout, je tiens à remercier nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’avoir demandé l’organisation de ce débat ; la question posée est d’une brûlante actualité.

Monsieur le ministre, je suis certes le dernier à vous interroger, et nombre de sujets ont déjà été abordés. Mais nous pouvons approfondir encore de nombreuses questions, notamment agricoles. Ces dernières se posent avec une acuité toute particulière dans le département des Ardennes, dont j’ai l’honneur d’être l’élu.

La France fait partie des trois plus importants contributeurs au financement de l’Union européenne – pour l’État, ce poste de dépenses représente près de 23 milliards d’euros chaque année –, et c’est bien normal, car il y va de la solidarité entre les pays membres. Toutefois, je m’interroge sur la complexité des dossiers exigés pour obtenir des aides européennes. Pour les collectivités territoriales, les entreprises ou encore les associations, ces procédures sont toujours très complexes.

Par ailleurs, permettez-moi d’évoquer un sujet qui me passionne de longue date, à savoir le ferroviaire, et de citer un exemple selon moi tout à fait significatif.

Dans mon département, qui est frontalier de la Belgique, il manque 22 kilomètres de voies entre Givet et Dinant pour assurer la liaison ferroviaire Reims-Charleville-Mézières-Givet-Namur. On déplore cette lacune depuis plus de vingt ans, mais le tronçon dont il s’agit manque encore et toujours.

Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous nous battons toutes et tous en faveur des infrastructures, notamment ferroviaires, car c’est un véritable enjeu d’aménagement du territoire ; 22 kilomètres de voies, ce n’est pas si considérable ; pourtant, on n’arrive pas à les obtenir…

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, vous insistez tout d’abord sur l’effort de simplification que l’Union européenne se doit selon vous d’accomplir.

La Commission européenne s’est engagée à réduire de 25 % le volume de normes et d’obligations déclaratives qu’elle impose aux entreprises, notamment aux exploitations agricoles. Nous veillerons très attentivement à ce que cet objectif soit tenu. Dans la discussion qui s’engage au sujet de l’agenda stratégique des cinq prochaines années, nous allons même proposer de le rendre plus ambitieux encore.

Comme vous, je me passionne pour les sujets transfrontaliers, car c’est à la frontière que l’on ressent le mieux l’existence de l’Europe, qu’il s’agisse d’ailleurs d’une frontière intérieure ou d’une frontière extérieure de l’Union européenne.

La voie ferrée de transport de passagers qui reliait Givet à Dinant n’étant plus exploitée depuis 1990, il n’existe plus d’interconnexion entre les réseaux français et belge sur plus de 200 kilomètres entre Maubeuge et Longwy – si d’aventure je me trompe dans mes chiffres, vous ne manquerez pas de me corriger ! (Sourires.)

La réouverture de cette ligne est envisagée depuis 2004. J’ajoute qu’une étude franco-belge sera financée pour le segment Reims-Namur-Bruxelles.

Depuis 2015, des travaux de régénération de la ligne Charleville-Givet sont engagés ; et, en 2021, une déclaration d’intention franco-belge a été publiée pour lancer de nouvelles études de potentiel. Ces dernières ont été entreprises en 2022, pour un montant de 119 000 euros, sous maîtrise d’ouvrage de SNCF Réseau. S’y ajoute désormais un travail d’estimation du coût de réouverture de la ligne, comprenant son électrification.

Les conclusions de ces études sont attendues avant la fin de l’année 2024. Aussi, je me propose de rester en lien avec vous pour traiter plus avant ce dossier. Je l’ai découvert à l’occasion de ce débat, dont je remercie bien sûr les élus du groupe socialiste.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.

M. Marc Laménie. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Il faut s’efforcer de rester positif : je vais donc continuer d’espérer, car je crois sincèrement au ferroviaire !

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. Michaël Weber, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Michaël Weber, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si des ambitions pour l’Europe ont été affirmées, elles ont ensuite été dévoyées dans la pratique.

Relance, planification ou encore réarmement sont autant de termes dotés d’une grande portée symbolique. Mais ces mots n’auront pas suffi à prouver la force du projet européen. Bien au contraire, ils alimentent le ressentiment contre une Europe jugée dogmatique et tissée de formules stéréotypées.

Monsieur le ministre, l’Europe que construit votre majorité est celle du renoncement. C’est une Europe qui renie notre modèle social, environnemental et économique, sapant ainsi les fondements de notre attractivité de par le monde.

En renonçant à ces valeurs, non seulement on provoquerait un retour en arrière, mais on en viendrait à accepter tacitement la détérioration démocratique et sociale de nos sociétés. Or nos démocraties ne survivront pas sans garantir la justice sociale ni offrir une place à chacun.

Pour notre part, nous voulons donner à l’Union européenne les moyens d’agir pour améliorer la vie quotidienne des Européens face aux multiples crises qu’ils subissent.

Ces actions s’inscriront dans une vision globale défendant la valeur travail. À cet égard, l’égalité entre les femmes et les hommes est l’une de nos priorités : c’est précisément pourquoi nous souhaitons sanctionner financièrement les entreprises qui dérogent à ce principe. Limitons les écarts de salaires pour assurer la plus juste répartition de ces derniers et instaurons un revenu minimum garanti pour que personne ne soit laissé-pour-compte.

Notre ambition est frappée du sceau de la solidarité à l’égard des ménages, des travailleurs et de tous ceux que votre modèle exclut. La pauvreté, qui va croissant, le dumping social ou encore l’accès différencié à la santé ne sauraient exister dans le contre-modèle que nous défendons.

Nous ne sommes ni la Chine ni les États-Unis : il ne s’agira pas de produire plus, mais de produire mieux, en adoptant résolument des pratiques vertes. Nous ne saurions envisager une écologie qui recule devant un lobby d’industriels de la terre.

Il faut refuser fermement ce modèle, qui nous entraîne dans une course productiviste délétère, preuve ultime des méfaits du capitalisme. S’il est de coutume de se cacher derrière la loi du marché, il tient à nous, les élus, d’assumer un choix qui nous définira comme Européens.

Au titre de la politique agricole commune (PAC), refusons le conditionnement des aides à l’hectare et proposons une rémunération plus juste, dépendant à la fois du nombre d’emplois créés par l’activité visée et de son utilité écologique.

Ne soyons pas dupes de ceux qui cherchent à exploiter la cause écologique pour poursuivre leurs rêves de production et de consommation effrénées, tout en prétendant répondre à une véritable demande sociale et économique. La transition écologique devient dès lors la source de nouvelles inégalités ; elle conduit à produire la richesse sur le dos des plus fragiles.

L’agriculteur en souffrance est sommé de devenir énergéticien et le commerce bio d’adopter un business model ciblant les ménages les plus aisés.

Aussi, ne laissons pas l’écologie aux mains des marchands. À l’inverse, les nécessités écologiques doivent nous conduire à créer des mécanismes de correction assurant une transition juste et adaptée à la réalité.

Cette transition est une nouvelle occasion de lutter contre les inégalités en réparant les fractures territoriales entre villes et campagnes. C’est ce cadre qui nous garantira un socle humaniste et démocratique ferme : celui qui garantit les droits des plus vulnérables, qui concrétise l’initiative citoyenne et qui jamais ne cédera à l’accaparement privé du pouvoir par les groupes d’intérêts.

Nous devons restaurer la confiance en l’avenir, ce qui exige d’accomplir un effort soutenu en faveur d’une Europe juste. La compétition fiscale déloyale entre États est une aberration. Elle perdure au fil des années, alors que l’Europe aurait dû y mettre fin depuis longtemps.

La redistribution est un enjeu crucial, mais il nous reste à établir une imposition minimale et européenne sur les plus hauts patrimoines.

Cette ambition, que je pensais naïvement être celle du Gouvernement, ne pourra se concrétiser sans le soutien d’une Europe adulte et capable d’assurer sa propre sécurité. Cet impératif suppose de bâtir enfin une défense européenne, de sortir de la dépendance aux énergies fossiles comme aux biens stratégiques produits en Chine, de rompre avec le libre-échange et de réindustrialiser nos nations.

Ne tentons pas de jouer à un jeu dont nous refusons les règles. Nous défendons le principe des mesures douanières miroirs, ainsi que la constitution d’un fonds coordonné par la Commission européenne en vue d’une défense européenne enfin consistante et indépendante.

Notre production devra s’accompagner du verdissement de nos énergies, que nous voulons souveraines et durables. De même, dans le secteur agricole, nous faisons le choix politique de la préférence verte européenne.

Mes chers collègues, ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas de ressasser une vieille recette politique, puisque l’ambition annoncée est restée lettre morte, neutralisée par un gouvernement expert en fortes paroles, mais aux ambitions bien faibles. Tâchons de réaliser ces aspirations : le volontarisme politique est aujourd’hui notre devoir le plus pressant.

Il est temps de passer des paroles aux actes, pour une Europe juste et prospère. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La France a-t-elle été à la hauteur des défis et de ses ambitions européennes ? »

8

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 30 mai 2024 :

De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :

(Ordre du jour réservé au GEST)

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (texte de la commission n° 620, 2023-2024) ;

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à mieux indemniser les dégâts sur les biens immobiliers causés par le retrait-gonflement de l’argile (texte n° 513, 2022-2023).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures trente-cinq.)

nomination dun membre dune commission mixte paritaire

La commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale a désigné M. Jean-Baptiste Lemoyne pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères, en remplacement de Mme Nicole Duranton, démissionnaire.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Jean-Baptiste Lemoyne est proclamé membre de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères.

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER