Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Guy Benarroche, Mme Alexandra Borchio Fontimp.

1. Procès-verbal

2. Questions d’actualité au Gouvernement

situation à gaza (i)

M. Philippe Grosvalet ; M. Stéphane Séjourné, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

situation à gaza (ii)

Mme Gisèle Jourda ; M. Stéphane Séjourné, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; Mme Gisèle Jourda.

situation à gaza (iii)

M. Pascal Savoldelli ; M. Stéphane Séjourné, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; M. Pascal Savoldelli.

lutte contre les trafics en prison

M. Olivier Henno ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Olivier Henno.

attitude de la france vis-à-vis des massacres répétés dans la bande de gaza

M. Guillaume Gontard ; M. Gabriel Attal, Premier ministre ; M. Guillaume Gontard.

dégradation des finances locales

M. Olivier Paccaud ; Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État chargée du numérique ; M. Olivier Paccaud.

convention médicale

Mme Nadège Havet ; M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention.

pénurie de médicaments et grève des pharmaciens

Mme Marie-Claude Lermytte ; M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention ; Mme Marie-Claude Lermytte.

désindexation des retraites sur l’inflation

M. Laurent Burgoa ; M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie ; M. Laurent Burgoa.

budget du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche

M. Éric Kerrouche ; Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche ; M. Éric Kerrouche.

sécurité de la maison d’arrêt de la santé

Mme Marie-Claire Carrère-Gée ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; Mme Marie-Claire Carrère-Gée.

désindustrialisation et situation d’ascometal

M. Jean-Marie Mizzon ; M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie ; M. Jean-Marie Mizzon.

changement climatique et fédérations sportives

Mme Christine Lavarde ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; Mme Christine Lavarde.

lutte contre les violences sexistes et sexuelles

Mme Laurence Rossignol ; Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations ; Mme Laurence Rossignol.

fonds de soutien au développement des activités périscolaires

Mme Marie-Jeanne Bellamy ; Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles.

propos du président de la république sur les finances locales

Mme Jocelyne Antoine, Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État chargée du numérique.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

3. Mise au point au sujet de votes

4. Candidature à une commission mixte paritaire

5. Contrôle des investissements étrangers en France comme outil d’une stratégie d’intelligence économique au service de notre souveraineté. – Débat organisé à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants

M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants

M. Franck Montaugé ; M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie ; M. Franck Montaugé.

M. Pascal Allizard ; M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie ; M. Pascal Allizard.

M. Aymeric Durox ; M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie.

Mme Vanina Paoli-Gagin ; M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie.

Mme Anne-Sophie Romagny ; M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie ; Mme Anne-Sophie Romagny.

M. Akli Mellouli ; M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie ; M. Akli Mellouli.

M. Fabien Gay ; M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie ; M. Fabien Gay.

M. Christian Bilhac ; M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie ; M. Christian Bilhac.

M. Bernard Buis ; M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie.

Mme Hélène Conway-Mouret ; M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie ; Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Marta de Cidrac ; M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie ; Mme Marta de Cidrac.

M. Cyril Pellevat ; M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie.

Conclusion du débat

M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants

6. Possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d’assistant familial. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

M. Xavier Iacovelli, auteur de la proposition de loi

Mme Solanges Nadille, rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles

Mme Marie-Pierre Richer

M. Joshua Hochart

Mme Marie-Claude Lermytte

Mme Élisabeth Doineau

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Cathy Apourceau-Poly

Mme Guylène Pantel

Mme Nadège Havet

Mme Marion Canalès

Mme Nadia Sollogoub

Mme Laurence Muller-Bronn

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 2 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Rejet.

Amendement n° 1 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Rejet.

Amendement n° 3 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Rejet.

Amendement n° 4 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Rejet.

Article 2 (supprimé)

Vote sur l’ensemble

Mme Corinne Bourcier

Mme Monique Lubin

M. Xavier Iacovelli

Mme Marion Canalès

Mme Catherine Conconne

Mme Marie-Do Aeschlimann

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Cathy Apourceau-Poly

Adoption, par scrutin public n° 205, de l’article 1er de la proposition de loi.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

7. La France a-t-elle été à la hauteur des défis et de ses ambitions européennes ? – Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

M. Didier Marie, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe

Débat interactif

M. Pierre Médevielle ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe.

M. Olivier Henno ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe.

Mme Mathilde Ollivier ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe ; Mme Mathilde Ollivier.

Mme Cathy Apourceau-Poly ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe.

M. Ahmed Laouedj ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe.

Mme Nadège Havet ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe.

M. Jean-Claude Tissot ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe ; M. Jean-Claude Tissot.

M. Alain Cadec ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe.

M. Jean-Michel Arnaud ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué, chargé de l’Europe.

Mme Karine Daniel ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe ; Mme Karine Daniel.

M. Cyril Pellevat ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe.

Mme Florence Blatrix Contat ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe ; Mme Florence Blatrix Contat.

Mme Marta de Cidrac ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe ; Mme Marta de Cidrac.

M. Jean-Baptiste Blanc ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe.

M. Stéphane Sautarel ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe ; M. Stéphane Sautarel.

M. Marc Laménie ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe ; M. Marc Laménie.

Conclusion du débat

M. Michaël Weber, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

8. Ordre du jour

Nomination d’un membre d’une commission mixte paritaire

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Guy Benarroche,

Mme Alexandra Borchio Fontimp.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Au nom du bureau, j’appelle chacun de vous à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.

situation à gaza (i)

M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. Philippe Grosvalet. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Le 7 octobre 2023, Israël a subi une attaque terroriste sans précédent. Le gouvernement Netanyahou annonçait alors engager une opération pour éliminer le Hamas et libérer les otages.

Huit mois plus tard, le bilan humanitaire est effroyable : aux 1 139 victimes israéliennes s’ajoutent 35 000 victimes palestiniennes, dont les deux tiers sont des femmes et des enfants ; près de 1,7 million de personnes ont été déplacées dans la bande de Gaza et sont laissées sans soins ni nourriture.

Et l’horreur n’en finit pas : dimanche, une frappe aérienne a tué 45 civils et en a blessé 249 autres. Hier encore, 21 personnes ont péri dans un camp près de Rafah.

L’offensive menée à Gaza n’a pas permis et ne permettra pas d’atteindre les objectifs que l’État hébreu s’était fixés initialement. Elle s’est transformée en une fuite en avant, guidée par la colère et la vengeance, sans que les dirigeants israéliens se préoccupent de l’après-conflit.

Dans ce contexte, la communauté internationale doit mettre en œuvre tous les moyens pour obtenir un cessez-le-feu immédiat.

Hélas, ni les interventions des États, ni les injonctions de l’ONU, ni les décisions de la Cour internationale de justice (CIJ) n’ont pu infléchir la position du gouvernement israélien, pas plus qu’elles n’ont permis la libération des otages.

Chacun sait pertinemment que les armes ne seront jamais la solution à ce conflit, au contraire. Le risque est grand que le deuil des familles israéliennes et palestiniennes ne devienne le terreau des haines de demain.

Une solution politique s’impose de toute urgence. Reconnaître l’État de Palestine devient dès lors un préalable indispensable pour relancer le processus devant conduire à une paix durable et équilibrée.

Monsieur le ministre, la France doit prendre pleinement part à ce processus. Le « moment utile » maintes fois évoqué par la France, et encore très récemment rappelé par le Président de la République, est venu. Quand allons-nous reconnaître l’État de Palestine, comme viennent de le faire l’Espagne, l’Irlande et la Norvège ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST, SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Stéphane Séjourné, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, je vous remercie de l’équilibre dont vous venez de faire preuve et du ton que vous avez employé, loin des outrances qui ont été prononcées dans d’autres hémicycles.

Vous l’avez dit, la semaine qui vient de s’écouler a été marquée par de nouvelles tragédies. Nous avons ainsi appris le décès de l’un de nos otages et assisté aux scènes que vous décrivez à Rafah, qui nous ont tous heurtés.

Depuis le début de la guerre que les terroristes du Hamas ont déclenchée le 7 octobre dernier, la France a agi – je le redis ici – en suivant un certain nombre de principes diplomatiques pour apporter une solution utile, loin des postures et des positionnements politiques que certains adoptent à l’occasion de la campagne des élections européennes. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

Nous agissons pour le respect du droit international pour tous. Nous avons condamné à la fois les atrocités du Hamas et les frappes israéliennes – le Président de la République l’a rappelé hier encore de manière très claire au sujet de la frappe à Rafah. Je le dis avec force, nous appelons dans toutes les instances internationales, à l’ONU comme au sein du Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne, à l’arrêt de l’opération à Rafah, à la libération inconditionnelle et sans délai des otages, à la fin immédiate des restrictions visant les actions humanitaires ; nous demandons également un cessez-le-feu durable et nous nous employons à l’obtenir.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mais ce n’est pas la question !

M. Stéphane Séjourné, ministre. La gravité de la situation, monsieur le sénateur, commande la rigueur, au-delà des outrances qui, je le regrette, prédominent aujourd’hui dans le débat français. Nous continuerons à œuvrer pour la paix et à agir concrètement pour trouver une issue durable à cette tragédie.

M. Stéphane Séjourné, ministre. Dans cette logique, la France, sur l’initiative du Président de la République, a réuni les pays arabes vendredi dernier, pour évoquer la question de la reconnaissance de l’État de Palestine. La solution diplomatique est prioritaire par rapport aux positionnements politiques : nous considérons que le sujet…

M. le président. Il faut conclure !

M. Stéphane Séjourné, ministre. … doit uniquement être abordé sous cet angle. (M. François Patriat applaudit.)

situation à gaza (ii)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Gisèle Jourda. Monsieur le ministre des affaires étrangères, vous venez certes de répondre à la question du sénateur Grosvalet, mais je resterai sur le même registre.

Vous venez de nous expliquer que vous cherchiez une solution diplomatique pour sortir de la nasse de Gaza – sans même revenir sur le nombre des victimes évoqué par le précédent orateur, j’insiste sur le mot « nasse », car Gaza est devenu un piège pour des milliers de personnes qui, au gré du feu qui s’abat sur elles, survivent dans une atmosphère particulièrement lourde.

Vous avez parlé d’action diplomatique et de communauté internationale : mais où sont-elles ? Va-t-on continuer à gesticuler pour parvenir à une solution internationale introuvable ? C’est une question de vie ou de mort, monsieur le ministre ! Dans cet hémicycle où Victor Hugo s’est exprimé, comment pourrions-nous nous satisfaire d’une solution qui ne serait empreinte ni d’humanisme ni d’humanité ? Ce n’est plus possible ! Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous contenter d’incantations. Que comptez-vous faire, monsieur le ministre ? Comment agir efficacement ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Stéphane Séjourné, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Permettez-moi de revenir sur la question de la reconnaissance de l’État de Palestine.

La France est favorable à une solution à deux États… (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. Stéphane Séjourné, ministre. Dès lors, et par définition, la question de la reconnaissance suivra. En réalité, le problème qui se pose aujourd’hui, madame la sénatrice – je l’ai dit de manière très ferme à mes homologues espagnol et irlandais –, est plutôt celui du jour d’après. Quelle est l’utilité diplomatique d’une telle reconnaissance ? (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

Je le répète, la France souhaite éviter les postures politiques et cherche des solutions diplomatiques à la crise. Je regrette qu’un certain nombre d’États européens aient privilégié une stratégie liée à la campagne des élections européennes, car celle-ci ne résout rien. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. Hussein Bourgi. Ils ont fait preuve d’un courage que vous n’avez pas !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et Bernard Guetta ?

M. Stéphane Séjourné, ministre. Il faut réfléchir au jour d’après !

Madame la sénatrice, vous qui disposez encore d’une minute pour répliquer, dites-moi exactement ce que la reconnaissance par l’Espagne de l’État de Palestine, au lendemain de son annonce, a changé à la situation à Gaza. Rien ! La France, elle, agit au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, dont elle est un membre permanent. Nous travaillons avec l’ensemble de nos partenaires arabes à l’élaboration d’une solution diplomatique, qui doit être préférée aux positionnements politiques des uns et des autres. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour la réplique.

Mme Gisèle Jourda. J’entends votre engagement, monsieur le ministre, mais il n’est pas à la hauteur ! Le Président de la République joue la montre : ce n’est plus possible ! Si l’on continue à attendre, il n’y aura plus de solution du tout dans la bande de Gaza, pas plus à deux États qu’à un seul, parce qu’il n’y aura plus personne ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)

situation à gaza (iii)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre des affaires étrangères, ma question n’a qu’un seul et unique objectif : rendre justice réparatrice et secours au peuple palestinien, tout en garantissant la sécurité du peuple israélien et la paix au Proche-Orient.

Le « jour d’après », monsieur le ministre ? Il y a dix ans, l’Assemblée nationale votait à une large majorité une résolution demandant à la France de reconnaître l’État de Palestine.

M. Pascal Savoldelli. Le gouvernement de l’époque indiquait que la France le ferait « le moment venu ». Ce moment, que vous jugez inutile, est arrivé !

Le « jour d’après », monsieur le ministre ? C’est le moment des 36 000 victimes de guerre, celui des 60 enfants tués chaque jour, celui des 45 personnes brûlées vives à Rafah dans la nuit de dimanche dernier.

Rien n’a été fait en dix ans pour apporter la paix ! Un État, cela signifie pourtant des frontières reconnues internationalement, la fin de la colonisation et le début d’un processus de paix entre les deux nations.

Les peuples du monde n’attendent plus de savoir ce que la France va dire, mais ce qu’elle va faire ! Alors, je vous le demande avec solennité, monsieur le ministre : comme 146 autres États, comptez-vous reconnaître une bonne fois pour toutes l’État palestinien, pour une solution de paix durable dans la région ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Stéphane Séjourné, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, je pense que j’ai été clair concernant la position de la France.

Je le redis, nous agissons, en tant que membre permanent, au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. C’est dans un cadre collectif, multilatéral, qu’il convient de travailler, avec l’ensemble des pays qui n’ont pas reconnu l’État de Palestine, à la mise en place d’une solution à deux États. C’est la seule manière de parvenir à résoudre utilement cette crise. Telle est la position de la France et, si vous avez le droit d’adopter une posture politique, ma responsabilité en tant que ministre des affaires étrangères est de trouver une solution diplomatique.

MM. Guillaume Gontard et Yannick Jadot. Quand ?

M. Stéphane Séjourné, ministre. Cela suppose de réfléchir, y compris avec nos partenaires arabes dans la région, à un système de sécurité collective pour les Israéliens et les Palestiniens. Voilà notre objectif.

Cela étant, monsieur le sénateur, je ne peux pas vous laisser dire que nous n’avons rien fait. Nous avons été à la hauteur en matière humanitaire : je rappelle qu’un bateau a été dépêché à Gaza, le Dixmude, pendant de nombreux mois ; la France a également rapatrié plus de quatorze enfants dans ses hôpitaux…

Mme Cathy Apourceau-Poly. Et les 36 000 morts ?

M. Stéphane Séjourné, ministre. Au-delà de ces dispositifs humanitaires, nous agissons, je le répète, sur le volet politique de la crise, notamment dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies. Dans ce moment particulièrement difficile, nous allons également trouver les voies et moyens de mettre en cohérence la position des États membres de l’Union européenne et celle des États arabes, comme la Jordanie, l’Égypte et tous les pays qui ont reconnu Israël et ont normalisé leurs relations avec l’État hébreu.

Je vous le dis sans outrance, monsieur le sénateur, la gravité du moment impose de la rigueur, de la retenue et des principes. Nous faisons preuve des trois ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, il est impardonnable d’attendre ! Mettez donc votre stratégie électorale et vos ambitions politiques de côté !

M. Stéphane Séjourné, ministre. C’est vous qui devriez le faire !

M. Pascal Savoldelli. Attendre, c’est attiser la division et la haine ! Attendre, c’est bloquer l’imposition du droit international ! Le moment est venu de concrétiser une solution à deux États sur la base des frontières de 1967. Ce n’est pas de la rigueur, ça, monsieur le ministre ?

Le moment est venu d’aboutir à une solution politique. Assez de cette confusion entre reconnaissance d’un État palestinien et complaisance envers des crimes terroristes ! Assez de cette confusion déplorable entre création d’un État et poison de l’antisémitisme !

Le gouvernement d’extrême droite de Netanyahou n’est pas disposé à accepter l’existence d’un État palestinien ni même un cessez-le-feu. En donnant raison au Premier ministre israélien, la France donne raison à ceux qui ne veulent pas des deux États : c’est une lourde responsabilité à porter devant l’histoire ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

lutte contre les trafics en prison

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Henno. Ma question s’adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, et concerne la politique carcérale et pénitentiaire de notre pays.

Pour commencer, permettez-moi de saluer la mémoire des deux surveillants qui ont récemment perdu la vie et d’adresser une pensée à leurs familles et leurs collègues.

Au fond, notre politique pénitentiaire peut être considérée sous deux angles : celui du relativisme et celui de la vérité.

Les partisans du relativisme se disent que cela fait longtemps que notre pays fait face à la surpopulation carcérale – nous avons même battu un record, puisque l’on comptabilise désormais 77 000 détenus –, que la violence dans les prisons, subie la peur au ventre par les surveillants pénitentiaires, est un phénomène désormais bien connu, et que la politique des caïds n’est pas si récente, puisque le film de Jacques Audiard, Un prophète, la décrivait déjà en détail en 2009.

Les tenants de la vérité, eux, s’intéressent à ce qui ressort des écoutes téléphoniques de Mohamed Amra. Ils ont bien conscience que les narcotrafiquants ont pris pied dans nos prisons, que la pieuvre a gagné du terrain, ce qui fait écho au récent rapport sénatorial consacré au sujet.

Pis, le narcotrafic est parfois organisé depuis les prisons elles-mêmes, ce qui est naturellement inacceptable. Cette audace, cette violence sont nouvelles. D’où mes questions, monsieur le ministre : n’est-il pas urgent de tout remettre à plat ? Que comportera le protocole d’accord qui sera signé le 10 juin prochain ? Quelle est votre vision de notre politique pénitentiaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Laurent Burgoa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Henno, je ne me résoudrai jamais au relativisme.

Nous avons connu, l’administration pénitentiaire a connu, notre pays a connu un drame absolument terrible ayant entraîné, vous le savez, la mort de deux de nos agents pénitentiaires. Trois autres agents pénitentiaires ont été blessés. Dans ce contexte, votre question est, je le dis, parfaitement légitime.

Comme vous, monsieur le sénateur, j’ai découvert dans la presse un certain nombre d’éléments concernant le détenu Amra, qui faisaient état d’une dangerosité certaine et qui ne semblaient pas avoir été pris en considération. J’ai la ferme intention de faire toute la lumière sur la prise en charge de ce détenu, notamment en ce qui concerne le partage d’informations, et c’est pourquoi j’ai confié à l’inspection générale de la justice le soin de mener une enquête sur le sujet.

De manière plus générale, je partage bien sûr votre interrogation sur l’adaptation de notre modèle carcéral à ces détenus particulièrement violents et sans aucune limite.

Le travail mené avec les organisations syndicales et l’administration pénitentiaire a d’ores et déjà permis de parvenir à un accord sur près d’une trentaine de mesures que je n’ai évidemment pas le temps de décliner ici, mais qui concernent tant l’armement que les fouilles ou les nouveaux véhicules dont les agents veulent être dotés.

Ces mesures sont pour certaines d’entre elles immédiatement applicables, notamment pour ce qui est des équipements. D’autres mesures, plus structurantes, pourraient trouver leur place dans le cadre du projet de loi de lutte contre la grande criminalité qui sera présenté dès cet automne.

Aujourd’hui même, à dix-sept heures précises, je réunirai tous les directeurs interrégionaux des services pénitentiaires pour leur demander une mobilisation totale, la mise en œuvre de l’accord trouvé avec l’intersyndicale et pour évoquer avec eux de nouvelles mesures structurelles concernant les détenus les plus dangereux, que j’entends appliquer le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour la réplique.

M. Olivier Henno. Merci, monsieur le ministre. Nous avons l’obligation à la fois collective et individuelle de faire preuve de volontarisme, car les prisons sont les fleurs noires de notre société ; elles nous tendent un miroir et racontent une histoire.

En la matière, nous n’avons donc pas le droit de céder à la facilité. À ce propos, j’aime à citer Jean-Paul Sartre : « La facilité, c’est le talent qui se retourne contre nous. » (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est vrai !

attitude de la france vis-à-vis des massacres répétés dans la bande de gaza

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guillaume Gontard. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Monsieur le Premier ministre, le 20 mai dernier, le procureur de la Cour pénale internationale requérait un mandat d’arrêt contre Benyamin Netanyahou pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité ».

Le 24 mai, la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction des Nations unies, ordonnait à Israël d’arrêter « immédiatement » son offensive militaire à Rafah, redoutant la « destruction des Palestiniens de Gaza ».

En réaction, le 26 mai, l’aviation israélienne bombardait un camp de déplacés à Rafah et continuait ses exactions : plus de 65 morts et des centaines de blessés, des corps déchiquetés, décapités, amputés par la violence de la déflagration, au point que certaines victimes ne peuvent pas être identifiées…

Aucun lieu n’est sûr pour un être humain dans la bande de Gaza !

Cette attaque abominable fragilise tous les efforts diplomatiques entrepris pour la libération des otages. L’entêtement guerrier du gouvernement d’extrême droite israélien menace la vie des otages, dont les morts tragiques s’égrènent semaine après semaine. Nous saluons la mémoire des disparus et tremblons avec les survivants et leurs familles.

Monsieur le Premier ministre, votre inaction confine à la complicité. (M. le Premier ministre manifeste son désaccord. – Protestations sur les travées du groupe RDPI.)

M. Guillaume Gontard. Quand les Premiers ministres espagnol et canadien demandent l’application de l’ordonnance de la CIJ, qui exige l’arrêt total de l’offensive israélienne et la libération des otages, vous ne faites rien !

Quand le Canada cesse ses livraisons d’armes à Israël, vous ne faites rien !

Quand la Norvège, l’Irlande et l’Espagne reconnaissent l’État palestinien, vous ne faites rien !

Quand l’Irlande et l’Espagne demandent la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, vous ne faites toujours rien !

Monsieur le Premier ministre, le courage de certains de vos homologues est le miroir de votre lâcheté.

La Palestine ne doit pas devenir le tombeau du droit international ; les conséquences pour l’humanité, à commencer par l’Ukraine, en seraient dramatiques. Le monde veut entendre la voix de la France et non pas attendre le « moment utile » ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et SER.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Monsieur le président Gontard, la situation à Gaza est grave.

Ces derniers jours, des images absolument terribles et catastrophiques nous sont parvenues, notamment celles de l’offensive à Rafah, qui nous bouleversent évidemment toutes et tous. Je pense aussi à l’annonce de la mort de notre compatriote, Orion Hernandez-Radoux, qui était retenu par le Hamas dans la bande de Gaza et qui a été tué. Je rappelle que deux otages français sont actuellement encore détenus là-bas. Il est important de le rappeler et de continuer à appeler à leur libération.

Cette situation dramatique impose que nous nous placions collectivement à la hauteur des responsabilités qui sont les nôtres. C’est la raison pour laquelle, monsieur le président Gontard, je ne comprends pas les termes que vous venez d’employer.

M. Akli Mellouli. C’est pourtant clair !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Je ne comprends pas que l’on puisse parler d’inaction quand la France, par la voix du Président de la République, a été l’un des premiers pays occidentaux à appeler à un cessez-le-feu, au point d’être critiquée à ce sujet par certains à l’époque.

Mme Raymonde Poncet Monge. Faites-le appliquer !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Je ne comprends pas que l’on puisse parler d’inaction quand la France est le pays qui a permis l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies d’une résolution appelant à un cessez-le-feu, alors même que beaucoup disaient que l’adoption d’une telle résolution était impossible.

Je ne comprends pas que l’on puisse parler d’inaction quand la France a été le premier pays à larguer de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza – c’est une fierté.

Je ne comprends pas non plus que l’on puisse parler d’inaction quand la France a envoyé l’un de ses bâtiments militaires, le Dixmude, pour soigner des blessés palestiniens sur zone.

M. Yannick Jadot. Un seul navire ne suffit pas !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Je ne comprends pas davantage que l’on puisse parler d’inaction quand la France joue aujourd’hui un rôle moteur, avec les pays arabes et nos partenaires européens, pour apporter une solution politique durable.

Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères l’a rappelé : le Président de la République a déclaré hier que la reconnaissance d’un État palestinien n’était pas un « tabou », mais qu’elle devait être « utile » au processus qui nous permettra de parvenir, d’abord, à un cessez-le-feu et, ensuite, à une solution politique. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

Tout à l’heure, Stéphane Séjourné a posé une question à Mme la sénatrice Jourda, qui ne lui a pas répondu : au lendemain de la reconnaissance unilatérale de l’État de Palestine par certains pays européens, qu’est-ce qui a changé ?

Mme Raymonde Poncet Monge. Ça change tout !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Notre responsabilité est de traiter cette question en vue de trouver un accord global : une reconnaissance unilatérale de l’État palestinien, qui n’aurait aucun effet en termes diplomatiques ou militaires, n’y contribuerait pas.

Mme Raymonde Poncet Monge. Ne rien faire, c’est encore pire !

M. Yannick Jadot. Et l’accord d’association avec Israël ?

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Il est important d’être factuel : certains termes que vous avez employés ici, les mêmes que ceux qui ont été prononcés hier à l’Assemblée nationale par un député de La France Insoumise, sont inexacts : non, les armes qui sont utilisées par l’armée israélienne à Gaza ne sont pas des armes françaises !

Le ministre des armées l’a rappelé à de nombreuses reprises, les livraisons effectuées par la France concernent des armes et des composants exclusivement dédiés à la défense du territoire israélien et au dôme de fer. Rappelez-vous que, il y a quelques semaines, 200 drones iraniens ont été lancés sur Israël. Nous étions alors bien contents que l’État hébreu dispose de ce système de défense aérienne. Je le redis, aucune arme française livrée à Israël n’est utilisée dans la bande de Gaza. Compte tenu de la gravité de la situation, il importe de rester factuel.

M. Yannick Jadot. Cela n’a rien à voir avec la question qui vous est posée !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Je me réjouis que les débats, ici, au Sénat, ne donnent pas lieu aux mêmes scènes que celles que nous avons connues hier à l’Assemblée nationale. Il est important d’éviter de faire de la politique spectacle ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Très bien !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Le drapeau de la France et celui de l’Europe se suffisent à eux-mêmes pour appeler à la paix dans la région, parce qu’ils véhiculent des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité entre les peuples. Voilà ce qui doit nous unir pour la paix dans la région ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, je suis désolé, mais je ne vous comprends pas non plus. Je ne comprends pas vos discours qui n’ont aucun sens. Un génocide est en train de se produire sous nos yeux et vous regardez vos chaussures ! Alors, s’il vous plaît, agissez ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)

dégradation des finances locales

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Paccaud. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, ainsi qu’à tous les ministres pour qui les collectivités territoriales ne sont pas une terre inconnue.

Dans une interview parue il y a quelques jours, le Président de la République a prononcé des propos abracadabrantesques : « Hormis une dérive de dépenses initialement prévues qui est du fait des collectivités locales, il n’y a pas de dérapage de la dépense de l’État. » Monsieur le ministre, êtes-vous d’accord avec cette affirmation qui met en cause la gestion des collectivités locales et qui a provoqué chez les élus un profond ressentiment ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du numérique. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marina Ferrari, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique. Monsieur le sénateur Paccaud, soyez rassuré, les collectivités locales ne sont pas une terre inconnue pour moi, puisque je suis une élue locale de longue date et qu’à ce titre je me suis beaucoup intéressée aux finances locales.

Pour vous répondre, je souhaite rappeler en préambule quelques éléments de contexte qui me semblent utiles. La situation des finances locales en 2022 était plutôt bonne. C’est en 2023 que l’on a commencé à assister à une dégradation de celles-ci, même s’il convient de la relativiser, puisqu’elle affecte inégalement les différentes communes entre elles – cela dépend de leur taille notamment –, et le bloc communal par rapport aux départements.

À ce titre, chacun sait bien que les départements ont été considérablement pénalisés par la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) – je crois savoir, pour m’être penchée sur les chiffres, que votre département de l’Oise est particulièrement concerné.

Pour autant, l’État a fourni un effort très important ces dernières années pour soutenir nos collectivités. Je ne citerai que quelques mesures : l’augmentation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) de plus de 640 millions d’euros ; la création du fonds vert, qui représente deux fois 2 milliards d’euros, en 2023 et 2024 (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), ou encore la réintégration de l’aménagement des terrains dans l’assiette de comptes éligibles au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) – une mesure très attendue par les sénateurs – à hauteur de 250 millions d’euros.

Monsieur le sénateur, les collectivités territoriales et l’État doivent collectivement concourir au nécessaire effort de réduction de nos dépenses publiques. (Mêmes mouvements.) Les débats que suscite l’effort budgétaire que l’État a engagé prouvent qu’il a, lui aussi, pris sa part dans la réduction des dépenses publiques. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le Haut Conseil des finances publiques locales (HCFPL) a d’ailleurs récemment maintenu l’objectif de réductions des dépenses de fonctionnement des collectivités en contenant leur progression à 0,5 point en dessous de l’inflation (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), ce qui représentera tout de même une augmentation de ces dépenses de 1,9 %.

Pour conclure, monsieur le sénateur, Boris Ravignon vient de remettre un rapport à Dominique Faure et Thomas Cazenave dans lequel il estime que nous pourrions, en réorganisant collectivement les compétences au sein de notre structure administrative, économiser 7,7 milliards d’euros. Nous sommes prêts à y travailler avec vous, monsieur le sénateur ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour la réplique.

M. Olivier Paccaud. Vous êtes ici devant la chambre des collectivités, dont les membres ont été désignés par 150 000 élus qui respectent la règle d’or leur interdisant d’emprunter pour leur fonctionnement. La dette de ces collectivités ne dépasse pas 9 % du PIB depuis plus de trente ans. Dois-je vous rappeler la dette de l’État ?

Ici, madame, vous ne trouverez pas l’homme qui pèse 1 000 milliards d’euros de dettes : il est à Bercy et à l’Élysée ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Ici, madame, vous ne trouverez personne qui ne respecte pas l’article 72 de la Constitution concernant la libre administration des collectivités, parce que l’État, depuis trop longtemps, ne compense plus à l’euro près les charges qu’il a transférées.

Dans mon département de l’Oise, les 217 millions d’euros versés en 2023 pour les allocations individuelles de solidarités n’ont été compensés qu’à 52 % par l’État, alors vos leçons d’économie et de morale ne passent pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

La récente interview de M. Macron nous a montré que le macronisme était peut-être le « en même temps », mais surtout la recherche permanente du bouc émissaire. Avec les collectivités locales, les Allemands et les Italiens seraient coupables du ralentissement économique…

En fait, la devise du macronisme devrait être : « C’est pas moi, c’est lui. » Il s’agit du titre d’un film des années 1980 dans lequel jouait un acteur à la démarche chaloupée. Emmanuel Macron se voulait Charles de Gaulle ;…

M. le président. Il faut conclure !

M. Olivier Paccaud. … quelle tristesse qu’il marche dans les pas d’Aldo Maccione ! (Sourires. – Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

convention médicale

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nadège Havet. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention.

Monsieur le ministre, à la suite de la publication de la campagne tarifaire pour 2024, les cliniques privées ont annoncé en avril dernier une grève pour la journée du 3 juin, dans mon département comme dans le reste de la France. Depuis, nous avons été nombreux à exprimer notre inquiétude sur la situation de ces lieux de santé et sur la continuité des soins dans nos circonscriptions.

Vendredi 24 mai, les représentants des cliniques privées ont annoncé une levée du préavis de grève, après avoir trouvé un accord avec le Gouvernement. Cet accord est une nouvelle rassurante pour nous tous. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous en préciser les contours ?

Parallèlement, la convention médicale, sur laquelle les discussions se poursuivent depuis près de dix-huit mois, emporte progressivement l’adhésion des syndicats de médecins libéraux, dont MG France, qui a annoncé ce matin valider l’accord.

Cette convention marque un tournant dans les discussions conventionnelles, des engagements réciproques ayant été pris par les médecins et les pouvoirs publics. Ces signaux positifs doivent nous encourager à poursuivre les efforts collectifs pour une collaboration vertueuse entre tous les secteurs – public et privé, ville et hôpital – pour améliorer l’accès aux soins des Français.

À cet égard, je citerai l’exemple de l’institut de cancérologie et d’imagerie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest, qui a été inauguré il y a un mois grâce à un partenariat public-privé.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous détailler les prochaines étapes des échanges qui doivent se tenir entre les divers représentants des professionnels du secteur privé pour concrétiser ces engagements réciproques ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice Nadège Havet, comme vous, je me félicite de l’apaisement des relations entre le Gouvernement et l’ensemble de la médecine libérale, qui se construit depuis plusieurs semaines.

Vous l’avez rappelé, pour faire face à la demande d’accès aux soins des Français, nous avons besoin tant de l’hôpital que des acteurs libéraux et privés pour faire fonctionner notre système de santé. Je me réjouis donc comme vous de la levée de la grève qui était annoncée par les cliniques pour le début du mois de juin.

Pour répondre précisément à votre question, l’accord qui a été trouvé avec les cliniques respecte le fonctionnement de ces acteurs important sans jamais renoncer aux exigences du Gouvernement. Trois principes ont guidé les négociations de cet accord : l’équité de traitement entre le public et le privé, le second ne devant être lésé par rapport au premier ; l’engagement des acteurs privés dans des missions d’intérêt général pour répondre à la demande du Gouvernement de voir ces acteurs prendre en charge plus amplement certaines politiques publiques ; la visibilité dans le temps, pour donner des perspectives à ces acteurs.

Pour vous donner un exemple des mesures ayant permis cet accord, l’État s’est engagé à aider les cliniques à mieux rémunérer les astreintes et les gardes de nuit que leurs salariés s’engageront à réaliser, comme il le fait pour les agents hospitaliers depuis septembre dernier. À partir du 1er juillet, le Gouvernement accompagnera les cliniques dans cette voie.

Je veux le dire ici de manière très claire, deux principes ont présidé à la négociation de cet accord. Tout d’abord, pas un euro dévolu aux hôpitaux ne sera prélevé pour accompagner les cliniques. Ensuite, pas un euro de plus que l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) ne sera dépensé à cet effet. Nous avons trouvé les marges de manœuvre nécessaires au sein de l’enveloppe qui a été déterminée par le Parlement.

Quant à la suite des échanges, je réunirai le 11 juin les cinq fédérations hospitalières publiques et privées pour préparer le cadre pluriannuel qui dressera des perspectives pour les années à venir.

En ce qui concerne la convention médicale négociée avec l’assurance maladie, trois syndicats de médecins ont d’ores et déjà donné leur accord pour la signer, mais il nous faut encore attendre que les deux syndicats restants se prononcent.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. J’ai bon espoir que nous allions jusqu’au bout, ce qui serait positif, car de nouvelles relations s’engageraient entre la médecine libérale et privée et le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

pénurie de médicaments et grève des pharmaciens

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans un message aux pharmaciens, la direction générale de la santé (DGS) a annoncé le mardi 23 avril le retrait du marché dans les prochaines semaines d’un vaccin antigrippal commercialisé par le laboratoire Sanofi. Baptisé Efluelda, ce vaccin, conçu pour les personnes les plus à risque et destiné aux plus de 65 ans, avait d’ores et déjà été commandé par nombre de pharmaciens.

Il ne s’agit que d’un exemple parmi d’autres. On pourrait évoquer la pénurie d’amoxicilline de cet hiver ou encore celles de médicaments pour les personnes diabétiques, qui sont des traitements du quotidien dont le manque peut grandement pénaliser les patients.

Le débat autour des difficultés d’approvisionnement est malheureusement récurrent. Plusieurs rapports parlementaires sur ce sujet – je pense notamment à celui de mon prédécesseur Jean-Pierre Decool – ont alerté les pouvoirs publics depuis plusieurs années.

Certains professionnels mettent en cause un prix d’achat trop bas dans notre pays, tandis que d’autres invoquent la faiblesse de la production en France et en Europe et sa concentration dans d’autres continents. Un problème d’accès aux molécules nécessaires à la fabrication de médicaments et la question de la répartition des stocks sont également soulevés.

Le risque de pénurie affecte nos pharmaciens, qui feront grève demain, mais pas seulement : tout le corps médical, du médecin aux établissements de santé, en passant bien sûr par les patients, est mis en difficulté lorsqu’une pénurie survient.

Monsieur le ministre, quelles causes avez-vous identifiées sur ces difficultés d’approvisionnement et quelles solutions envisagez-vous de mettre en œuvre pour nous assurer une indépendance sanitaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice Marie-Claude Lermytte, votre question pointe une nouvelle fois la pression sur le marché des médicaments, qui affecte bien sûr les professionnels, mais surtout les Français dans leur ensemble, qui s’interrogent sur la nature de cette crise.

Il s’agit d’un sujet d’inquiétude pour tous et de mobilisation pour le Gouvernement. Je rappelle que les signalements de rupture de stock ou de risque de rupture de stock ont augmenté de plus de 30 % en un an.

Nous connaissons les causes de ce phénomène : la prévalence des épidémies hivernales, qui a pesé cette année ; la disponibilité des matières premières pour fabriquer de nombreux médicaments ; les tensions sur le marché mondial des médicaments, mais aussi sur les chaînes de fabrication et de distribution.

En février, Catherine Vautrin, Roland Lescure et moi-même avons présenté une feuille de route pour lutter contre les pénuries de médicaments en agissant sur toute la chaîne du médicament, grâce à l’engagement de l’ensemble des acteurs.

Nous avons pris des mesures pour fluidifier et sécuriser notre chaîne d’approvisionnement, notamment l’élaboration d’une liste de 450 médicaments essentiels, qui font l’objet d’un suivi renforcé, ou encore l’autorisation de production de certains médicaments en pharmacie, par exemple l’amoxicilline.

De plus, nous avons profité du sommet Choose France qui s’est tenu il y a quelques jours pour relocaliser la production de plusieurs médicaments dans notre pays. Cela s’inscrit dans une action au long cours qui a démarré dès 2017 et permet à la France, je tiens à le rappeler, d’être championne d’Europe de l’attractivité pour les investissements étrangers pour la cinquième année consécutive.

En matière de médicaments, cinq laboratoires étrangers ont annoncé le 13 mai lors de la dernière édition du sommet un investissement de 1,2 milliard d’euros, et Sanofi a annoncé qu’il investirait 1,1 milliard d’euros à Vitry-sur-Seine. Voilà des investissements qui permettront de relocaliser la production de plusieurs médicaments sur notre territoire. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte, pour la réplique.

Mme Marie-Claude Lermytte. Je tiens également à émettre un point d’alerte sur la vente en ligne de médicaments, qui préoccupe les pharmaciens. Il s’agit d’une question importante. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

désindexation des retraites sur l’inflation

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Monsieur le ministre, le président du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale souhaite désindexer les pensions de retraite. Soutenez-vous cette initiative malgré la forte inflation que subissent déjà nos retraités ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord d’excuser Bruno Le Maire, qui est retenu, mais qui aura l’occasion de répondre à toutes les questions que vous vous posez sur les finances publiques dès demain à neuf heures trente. (Marques dironie sur les travées du groupe Les Républicains.)

En ce qui concerne votre question courte, monsieur le sénateur, dont j’imagine qu’elle appelle une réponse un peu plus longue (Sourires.), je voudrais vous dire deux choses.

Tout d’abord, il n’y a pas de plan caché. Nous sommes en période de campagne électorale et j’entends certains, ici ou là, nous prêter des intentions cachées. Il n’y en a pas, et si nous souhaitions éviter les discussions difficiles à cause de la campagne électorale, je ne pense pas que le Premier ministre aurait annoncé dimanche dernier une réforme courageuse de l’assurance chômage (Marques dironie sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K. – M. Fabien Gay sexclame.), dont j’espère que vous la soutiendrez tous et qui nous permettra de poursuivre notre route vers le plein emploi.

Ensuite, comme vous l’avez dit, l’inflation a touché tout le monde, y compris nos retraités. Nous sommes le Gouvernement qui a réindexé les retraites sur l’inflation. Depuis le mois de juillet 2022, c’est-à-dire en deux ans, les retraites ont augmenté de 10 %. Rien que pour l’année 2024, cela représente une dépense supplémentaire de 15 milliards d’euros, que nous assumons totalement, car elle protège nos retraités contre l’inflation qui nous a tous touchés.

En ce qui concerne l’avenir, le processus habituel se poursuivra : le budget sera présenté au mois de septembre ; d’ici là, les groupes parlementaires seront consultés et appelés à nous faire part des mesures qu’ils souhaitent voir appliquer. N’hésitez pas à formuler des propositions tout au long de l’été. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour la réplique.

M. Laurent Burgoa. Il semble qu’en sept ans à la tête de nos finances publiques, le Gouvernement n’ait toujours pas entrepris de réforme de fond. Vous en êtes restés aux coups de rabot successifs, sans vision de long terme.

Vous vous êtes déjà attaqué à nos collectivités en supprimant la taxe d’habitation, puis une partie de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Nos élus locaux sont toujours plus mis à contribution, bien qu’ils ne portent aucune responsabilité dans la dérive des finances publiques.

Vous estimez que nos retraités, comme nos collectivités, sont bien trop riches et qu’ils doivent désormais se serrer la ceinture. Quand arrêterez-vous de mener cette politique des boucs émissaires ?

En sous-entendant que les retraités vivraient trop bien, vous creusez un fossé intergénérationnel. Vous laissez penser aux jeunes générations qui travaillent que leurs aînés vivent dans l’opulence. En entendant un tel discours, comment voulez-vous qu’un jeune qui entre dans la vie active ne regarde pas son aîné avec défiance ?

Soyez-en sûr, le fossé que vous creusez fera le lit du populisme qui, je le crains, s’exprimera une fois de plus lors des prochaines élections européennes.

Ne serait-il pas préférable de s’attaquer aux lourdeurs administratives qui tuent les bonnes volontés, étouffent les citoyens et découragent nos élus locaux ?

M. Roland Lescure, ministre délégué. Faites-moi la liste !

M. Laurent Burgoa. Ne serait-il pas préférable de rassembler les Français, de mettre fin aux discours néfastes et à la politique des boucs émissaires, qui ne font que diviser notre pays ?

Monsieur le ministre, le mal que vous faites à notre cohésion sociale sera toujours supérieur aux économies que vous croyez faire. Pensez-y ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

budget du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Éric Kerrouche. Madame la ministre, le 7 décembre 2023, le Président de la République déclarait sa flamme à l’université et au monde de la recherche. Quelques semaines plus tard, changement de ton : 10 milliards d’euros de crédits publics sont annulés, dont 900 millions dans l’enseignement supérieur et la recherche, la recherche publique étant proportionnellement l’une des plus touchées, à hauteur de 700 millions d’euros.

Dans le même temps, le coût du crédit d’impôt recherche (CIR) s’élève à 7,6 milliards d’euros, alors qu’il est toujours aussi décrié.

Cette rupture s’inscrit dans la continuité de ce qui est fait depuis plusieurs années : un recours de plus en plus important à des emplois précaires et à des vacataires et un accroissement des inégalités entre les disciplines et les établissements, dans un contexte où un tiers du patrimoine immobilier universitaire se trouve dans un état peu ou pas satisfaisant.

Ma question est toute simple : que comptez-vous faire pour nos universités ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Sylvie Retailleau, ministre de lenseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur Kerrouche, je vous remercie d’avoir rappelé l’ambition que le Président de la République a défendue lors de son discours du 7 décembre. Les annonces qu’il a faites renforcent un rattrapage que nous avons enclenché au travers de la loi de programmation de la recherche, qui représente un investissement de 25 milliards d’euros sur dix ans, consacrés en particulier à un aspect important pour la recherche en France et en Europe : l’attractivité.

En effet, ce qui nous manque actuellement, ce sur quoi nous devons continuer de travailler, c’est de redonner de l’attractivité à notre recherche pour encourager nos talents et nos chercheurs. Sur les 54 milliards d’euros de France 2030, nous investissons 13 milliards d’euros dans des programmes prioritaires de recherche, selon une vision stratégique.

Il est vrai que, dans ce contexte économique, 900 millions d’euros de crédits ont été annulés, dont 580 millions d’euros devaient être affectés à mon ministère. Je ne vous répondrai donc que sur ces 580 millions d’euros, dont 75 millions d’euros concernent la réserve de précaution et 100 millions d’euros portent sur la programmation pluriannuelle d’immobilier et d’équipements de recherche.

Sans minimiser l’impact de cette annulation, je peux vous dire que nous continuerons, au travers de la loi de programmation de la recherche, au travers du prochain programme européen, au travers des contrats de plan État-région (CPER), pour ce qui concerne l’immobilier, et au travers des plans de relance et des projets que nous avons construits avec nos établissements, de donner corps à l’ambition exposée par le Président de la République pour la recherche et l’investissement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour la réplique.

M. Éric Kerrouche. Madame la ministre, j’entends le discours managérial habituel du Gouvernement, mais non, on ne conduit pas de bons travaux dirigés avec soixante étudiants dans une même salle, pas plus que l’on étudie dans de bonnes conditions dans un amphithéâtre où il fait 14 degrés.

Vous n’avez pas la confiance des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche : seuls 4 % d’entre eux ont un avis positif sur vos réformes.

Le recours massif à l’emploi précaire mine l’enseignement supérieur, quand les salaires académiques sont toujours peu élevés. On estime qu’il faudrait recruter 10 000 personnes dans les universités pour retrouver le taux d’encadrement de 2010.

En outre, 25 % des étudiants sont désormais inscrits dans l’enseignement supérieur privé, contre 15 % dans les années 1990. Or il n’est pas soumis à la même obligation de transparence que l’enseignement supérieur public.

Au bout du compte, vous renoncez à la promesse républicaine. Les étudiants les plus favorisés fréquentent les meilleurs établissements. Les enfants issues de catégories sociales supérieures sont plus diplômés que les enfants d’ouvriers.

Le Premier ministre a déclaré il y a quelques semaines que vous étiez le Gouvernement du dépassement ; c’est faux, madame la ministre. Pour la recherche, pour l’enseignement supérieur et pour l’université, vous êtes le Gouvernement du déclassement ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

sécurité de la maison d’arrêt de la santé

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée, pour le groupe Les Républicains.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Monsieur le ministre, malheureusement, l’enquête du journal Le Parisien sur le dangereux fugitif Mohammed Amra a très exactement confirmé ce que j’ai constaté avec mon collègue Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la mission « Justice ».

À la prison de la Santé, à Paris, rien n’est plus facile pour les trafiquants que de se faire livrer, à toute heure du jour et de la nuit, tout ce qui peut leur être utile pour poursuivre leur activité, voire pour préparer une évasion : téléphones, drogue, cash… Pourquoi pas des armes ?

Le long des murs de la prison pendent en permanence des dizaines de cordelettes. Les complices y accrochent leurs colis, qui sont ensuite hissés par-dessus les murs, puis rattrapés depuis les fenêtres. C’est un véritable Deliveroo du crime.

Pourquoi ? Parce que la police n’est pas là. Depuis 2019, les rondes permanentes de la police autour de la prison ont été supprimées. Bien sûr, des voitures de police passent de temps en temps, la vidéosurveillance est activée et il existe même une hotline vers la police pour les riverains. En cas d’agression, la police peut arriver sur les lieux assez rapidement, mais, de fait, ces livraisons font l’objet d’une tolérance absolue.

Dans des conditions très difficiles, le directeur de la prison et ses équipes saisissent tout ce qu’ils peuvent dans les cellules, c’est-à-dire beaucoup, mais évidemment pas tout.

En outre, ces livraisons font de la vie des riverains un enfer : hurlements, bagarres et intimidations font partie de leur quotidien.

Ma question est simple, monsieur le ministre : quand les rondes de police seront-elles remises en place vingt-quatre heures sur vingt-quatre autour de la prison de la Santé ?

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Carrère-Gée, je ne suis pas encore ministre de l’intérieur… (Ah ! sur de nombreuses travées.)

M. Jacques Grosperrin. Après les JO !

M. Jérôme Durain. Soyez au moins celui de la Santé ! (Sourires.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Plus sérieusement, il est vrai que la prison de la Santé connaît des difficultés propres aux établissements pénitentiaires situés en cœur de ville. Par exemple, un brouilleur général a été installé à la prison de la Santé en 2019, dont les caractéristiques technologiques n’existaient pas auparavant. Le problème, c’est que, lorsqu’il est réglé au maximum, il gêne tous les riverains, de sorte que les élus me saisissent pour me faire part de leurs plaintes. Aussi suis-je en train d’étudier comment améliorer ce système d’un point de vue technologique.

Ce que je veux vous dire, madame la sénatrice, c’est que, alors qu’il n’y avait en 2017 aucun dispositif de brouillage général dans nos prisons, 20 établissements sont désormais sécurisés, et nous doublerons ce nombre d’ici à 2025. De même, nous allons plus que doubler le nombre de systèmes anti-drones : 38 établissements sont actuellement équipés ; ils seront 90 à la fin de 2025.

Nous avons créé une centaine d’équipes locales de sécurité pénitentiaire au sein des divers établissements pour renforcer la sécurité tant à l’intérieur de nos prisons qu’à leurs abords. Des opérations de fouilles sectorielles sont menées, que j’ai d’ailleurs demandé d’intensifier. Quelque 220 opérations de fouilles en détention ont récemment été réalisées.

Le budget consacré aux équipements de sécurité a augmenté, étant porté en 2024 à 83,7 millions d’euros, soit une hausse de près de 9 % par rapport à 2023. Ces augmentations sont régulières d’année en année, avec l’appui du Sénat, que je tiens ici à remercier. En effet, les budgets de la mission « Justice » ont toujours été votés dans cet hémicycle.

M. Antoine Lefèvre. C’est vrai !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous le voyez, nous menons une politique volontariste pour sécuriser nos prisons. Comme je l’ai déjà dit, je serai dans quelques minutes avec les directeurs interrégionaux. Nous devons travailler encore, encore, encore et toujours, si j’ose dire. (MM. François Patriat et Thani Mohamed Soilihi applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée, pour la réplique.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Monsieur le ministre, peut-être connaissez-vous le ministre de l’intérieur… Au reste, c’est à lui que j’avais adressé ma question.

J’ai bien écouté votre explication sur les systèmes de brouillage qui permettraient de ne pas brouiller tout le quartier, mais enfin, il existe une solution simple, qui consiste à ne pas laisser entrer les téléphones !

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. On n’y avait pas pensé !

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Pour cela, rien de plus simple : une voiture, avec des policiers à l’intérieur, qui tourne autour de la prison. Cela se faisait auparavant et il n’y avait pas de problèmes ! Pourquoi attendre une solution technologique jusqu’à la Saint-Glinglin, alors qu’il suffirait de réinstaurer des rondes ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Monsieur le ministre, il y a quelques semaines, j’écrivais à votre collègue Gérald Darmanin en ces termes : « Un jour, il y aura un drame. Une attaque, une mutinerie, une prise d’otage. Il sera trop tard pour s’en préoccuper, trop tard pour dire qu’on ne savait pas. »

Nous y sommes : l’évasion de Mohammed Amra a causé deux morts et fait trois blessés graves. Combien en faudra-t-il d’autres ? La responsabilité de l’État est engagée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

désindustrialisation et situation d’ascometal

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour le groupe Union Centriste.

M. Jean-Marie Mizzon. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie.

Monsieur le ministre, votre gouvernement clame haut et fort que la réindustrialisation de la France figure au rang de ses priorités. Pourtant, un exemple semble démontrer le contraire dans mon département, la Moselle.

En effet, l’usine Ascometal d’Hagondange a été placée en redressement judiciaire en mars dernier. Un candidat sérieux s’est présenté pour la racheter à Swiss Steel, son propriétaire actuel, et relancer l’activité. Il s’agit des aciéries italiennes Venete.

Ascometal est l’archétype de ce qu’il nous faut préserver : l’entreprise est rentable, elle est écologique – elle recycle de l’acier – et elle est moderne – elle fonctionne à l’électricité. Quelque 1 300 emplois directs et indirects en dépendent. Venete s’est engagé à tous les maintenir.

La seule condition à cette reprise est que l’État entre au capital de l’entreprise à hauteur de 15 millions d’euros pour assurer les opérations de dépoussiérage et de désamiantage. Engager 15 millions d’euros pour sauver 1 300 emplois, on ne peut pas hésiter ! C’est pourtant ce que vous semblez faire…

C’est le rôle de l’État, de Bpifrance et de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) que d’intervenir dans un tel cas de figure, faute de quoi la communauté de communes Rives de Moselle le fera, au risque de se retrouver dans une situation financière très délicate.

Ma question est donc simple : monsieur le ministre, l’État entrera-t-il au capital d’Ascometal pour sauver ce fleuron industriel ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Khalifé Khalifé et Michel Savin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Monsieur le sénateur Mizzon, je vous remercie de votre question. Nous nous tenons évidemment aux côtés d’Ascometal et de ses salariés, que j’ai déjà eu l’occasion de rencontrer l’an dernier lorsque j’ai visité le site, et nous continuerons de le faire.

Vous le savez, l’État a déjà beaucoup soutenu cette entreprise. L’entrée en redressement judiciaire que vous avez mentionnée représente déjà plusieurs dizaines de millions d’euros auquel l’État renonce. Comme je l’ai dit à Venete comme aux autres repreneurs potentiels, nous sommes évidemment prêts à faire notre partie du travail en donnant des garanties de prêts et en accordant des prêts, en collaboration avec les autorités locales.

Mais ce que demande ce groupe n’est pas une entrée de l’État au capital d’Ascometal. Je ne veux pas trop entrer dans le détail des discussions qui sont en cours, car la procédure judiciaire connaîtra demain une étape importante. Une audience du tribunal nous permettra, je l’espère, d’avoir des offres sur l’ensemble des cinq sites Ascometal, qui concernent des milliers d’emplois, et en particulier sur celui d’Hagondange.

Venete demande une négociation avec l’actionnaire actuel sur les frais de désamiantage. Comme vous l’avez dit, plusieurs acteurs publics sont prêts à étudier une potentielle contribution. Pour ma part, j’étudie tous les dossiers avec les mêmes lunettes, avec le même regard.

Je souhaite que l’actionnaire qui reprendra l’activité soit prêt à s’investir. Il me reste encore à comprendre le degré réel d’investissement de Venete, que nous pourrons mesurer demain. À partir du moment où un investisseur s’investit, en présentant un plan d’affaires crédible, l’État est prêt à étudier son dossier, comme tous les autres, en ayant la volonté d’atterrir sur un projet crédible et durable.

Les salariés d’Ascometal ont connu suffisamment de hauts et de bas au gré du temps. Si nous relançons l’activité, je souhaite que ce soit dans la durée, avec un actionnaire crédible soutenu par l’État et les collectivités territoriales, de sorte que l’emploi et le territoire en bénéficient à très long terme. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Vincent Louault applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.

M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.

Vous le savez, la condition de reprise la plus difficile dans ce dossier, c’était la reconstitution des stocks d’acier.

M. Roland Lescure, ministre délégué. Eh oui !

M. Jean-Marie Mizzon. Les salariés l’ont assurée en travaillant d’arrache-pied. À présent, leurs regards sont tournés vers vous. Vous devez leur montrer que la réindustrialisation n’est pas un mot creux ; qu’elle est bien une réalité, une priorité, et non un simple concept, voire un leurre.

En la matière, je le sais, vous avez fait beaucoup ; mais les avancées obtenues doivent impérativement être formalisées. Un industriel a besoin d’écrits, fussent-ils en italien. Les Italiens sont les spécialistes de l’acier : l’investisseur dont nous parlons ne vient pas en France pour faire du tricot ! Il vient pour reprendre une entreprise.

Enfin, monsieur le ministre, comme le disait Mirabeau devant une autre assemblée, « Gardez-vous de demander du temps ; le malheur n’en accorde jamais. » (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

changement climatique et fédérations sportives

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Au cours des dernières années, le ministère des sports a pris un certain nombre d’initiatives pour faire de la pratique sportive un outil d’accélération de la transition environnementale : en 2017, il a publié la première charte des 15 engagements écoresponsables ; en 2021, il a mené la campagne des 10 actions pour un sport plus vert ; et, en 2022, il a élaboré un plan de sobriété.

À l’instar du label « Développement durable, le sport s’engage », créé quant à lui en 2009 par le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), ces initiatives visent essentiellement à réduire les nuisances que l’organisation des grands événements sportifs peut infliger à l’environnement. Mais qu’en est-il des injonctions que les fédérations sportives adressent aux collectivités territoriales ?

Madame la ministre, comment peut-on encore exiger d’une collectivité territoriale qu’elle agrandisse ses tribunes, au motif que son club est passé dans la division supérieure ? Rien ne dit que le même club ne sera pas rétrogradé à l’issue de la saison suivante.

De même, comment peut-on imposer à des collectivités de maintenir des patinoires en glace alors que les températures augmentent, pour la seule raison que le calendrier des championnats s’étend sur une très longue durée ? Comment peut-on imposer à des collectivités d’arroser des terrains en herbe pour pratiquer des matchs de football à un certain niveau ?

Les fédérations sportives sont placées sous la tutelle du ministère dont vous avez la charge : quelles actions concrètes allez-vous prendre pour que, désormais, le sport aille réellement de pair avec l’adaptation au changement climatique ? J’ai noté qu’une consultation avait été menée au printemps de 2023 pour préparer la contribution du sport au plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc) : quelles en sont les conclusions ? (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Madame la sénatrice Lavarde, le sport doit bel et bien s’adapter au changement climatique. À cet égard, ma mobilisation est totale ; je suis au côté des organisateurs d’événements et, au-delà, de l’ensemble des acteurs du sport, qu’il s’agisse du sport amateur ou du sport professionnel.

Le sport doit contribuer à l’atténuation du changement climatique tout en s’adaptant à ce dernier. C’est le sens du plan de sobriété énergétique, que vous avez mentionné. Ce document, élaboré avec Agnès Pannier-Runacher, contient des mesures tout à fait concrètes, qu’il s’agisse des gymnases, des piscines ou encore des stades.

C’est aussi le sens de l’effort inédit que ce gouvernement a fait pour la rénovation énergétique des équipements sportifs,…

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. … avec les 66 millions d’euros du fonds vert et les 100 millions d’euros du plan de relance.

La charte que vous avez citée, et que j’ai préparée avec le WWF (World Wide Fund for Nature), a été signée non seulement par 130 organisateurs d’événements, mais aussi par des dizaines de fédérations sportives, que nous sommes parvenus à embarquer avec nous en faveur de ce changement.

Pour accélérer l’adaptation du sport au changement climatique, et notamment au réchauffement, le ministère a publié sous ma houlette le Guide pour un été 2023 sportif et responsable. Ce volume détaille un certain nombre d’actions pour faire face aux vagues de chaleur et aux situations de stress hydrique.

Enfin, dans les toutes prochaines semaines, je présenterai avec Christophe Béchu la déclinaison spécifique au sport du plan national d’adaptation au changement climatique. Vous y trouverez des objectifs tout à fait ambitieux et plus d’une vingtaine de mesures extrêmement concrètes, dont j’assurerai la mise en œuvre en lien avec mes homologues européens.

Madame la sénatrice, dans quelques semaines, nous offrirons au monde les Jeux les plus écologiques de l’histoire. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Il est probable que nous organisions aussi les Jeux d’hiver de 2030 ; j’ai demandé aux acteurs du sport, en particulier à la fédération de hockey sur glace et à la fédération des sports de glace,…

M. François Bonhomme. Et le curling ? (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. … de mener une action spécifique aux patinoires de demain : nous devons travailler à un modèle plus économe en énergie et donc plus responsable.

Ces acteurs m’adresseront leurs propositions dans les toutes prochaines semaines. Je précise qu’ils ont déjà pris trois types d’initiatives : l’organisation d’assises ; la publication, avec l’Association nationale des élus en charge du sport (Andes), d’un guide à destination des collectivités territoriales ; et la réalisation d’une étude consacrée aux patinoires zéro carbone. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.

Mme Christine Lavarde. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, mais vous me parlez en semaines ; or les injonctions adressées aux collectivités territoriales sont immédiates…

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Je vous parle de la fin juin, madame la sénatrice !

Mme Christine Lavarde. Nos collectivités n’ont pas à supporter le coût écologique des mesures qu’on leur demande de mettre en œuvre.

Vous m’avez parlé du fonds vert : je m’inquiète de sa pérennité, au regard des coupes budgétaires menées aux dépens du ministère de l’écologie…

Pour ma part, j’ai d’autres pistes. Je pense notamment au plan France 2030, qui a pour objet la transformation de notre économie. Je n’y ai trouvé absolument aucune disposition à même de soutenir la recherche en faveur de patinoires réellement moins énergivores ou de terrains synthétiques…

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Et le raccordement systématique des fan zones aux énergies renouvelables ?

Mme Christine Lavarde. … permettant de répondre aux différentes injonctions.

M. le président. Il va falloir conclure…

Mme Christine Lavarde. Vous citez aussi un rapport de 2021, cofinancé par le ministère des sports, dont la proposition n° 5 s’intitulait « Promouvoir le pratiquer local et de saison ». L’objectif était tout à fait explicite : « Adopter une pratique sportive de saison sous-entend d’accepter une certaine saisonnalité des pratiques. » C’est ce que doivent faire les fédérations ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

lutte contre les violences sexistes et sexuelles

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Rossignol. Aujourd’hui à dix-huit heures se tiendra devant les ministères sociaux, à l’appel de plusieurs associations, un rassemblement contre les violences sexistes et sexuelles dans le monde de la santé, qu’il s’agisse des filières universitaires ou des établissements de santé, publics ou privés.

Sexisme d’atmosphère, fresques pornographiques, entre-soi masculin… (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.) Chers collègues, pourquoi vous sentez-vous concernés quand je parle d’entre-soi masculin ? (Sourires et applaudissements sur des travées du groupe SER.) Ces différents éléments, auxquels il faut encore ajouter les inégalités de carrière, ne sauraient favoriser l’attractivité de l’hôpital, dont la majorité des professions sont très féminisées et qui subit une grave pénurie de personnel.

J’espère que les organisatrices de ce mouvement seront reçues, comme elles le souhaitent, par les ministres compétents et qu’elles obtiendront les réponses qu’elles attendent.

#MeToo des armées, #MeToo de l’hôpital, #MeToo du cinéma ou encore #MeToo politique : chaque secteur a besoin d’un traitement dédié. Mais il faut aussi une loi globale, car les violences sexistes et sexuelles méritent un traitement général.

C’est le sens de l’appel lancé il y a quelques jours dans Le Monde par la Fondation des femmes pour une loi intégrale – loi d’orientation ou de programmation –, qui détaillerait à la fois les moyens et les réformes nécessaires sur la totalité de la chaîne, couvrant à la fois la prévention, l’accompagnement, la prise en charge des victimes, la répression et le travail de réparation.

Madame la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, comment le Gouvernement entend-il répondre à cette proposition, et selon quelle méthode de participation démocratique et collective ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – M. Grégory Blanc applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Madame la sénatrice Laurence Rossignol, vous avez raison : nous assistons à une mobilisation extrêmement importante, qui soulève l’ensemble de la société. Karine Lacombe a notamment pris la parole, mais, derrière elle, c’est une foule immense qui s’exprime ; une foule de femmes et parfois d’hommes qui, de la part de telle autorité ou de telle hiérarchie, subissent des abus pouvant aller jusqu’aux violences sexuelles.

M. le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention a déjà eu l’occasion de recevoir Mme Lacombe et il poursuit ses consultations. De son côté, Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a déjà travaillé à un plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le monde universitaire, en particulier au cours des études de médecine.

De manière plus générale, on le constate dans l’ensemble des secteurs frappés par de tels abus d’autorité : il faut aller plus loin, en rendant les circuits de signalement beaucoup plus efficaces, en développant les mécanismes de détection et les actions de prévention, en déployant tel ou tel garde-fou.

C’est aussi le sens de la mission interministérielle que nous avons lancée. Les ministères de la santé, du travail, de fonction publique, de l’enseignement supérieur, du sport ou encore de la culture travaillent de concert pour que de tels garde-fous soient posés. Des femmes ont été spécialement missionnées à ce titre : elles sont avocates, magistrates ou encore directrices des ressources humaines (DRH). Parmi elles, je pense par exemple à Angélique Cauchy, qui fut l’une des premières à dénoncer les violences qu’elle avait elle-même subies. Les conclusions de cette mission nous seront rendues au mois de juin.

Enfin, contre les violences sexistes et sexuelles, vous avez relayé l’appel lancé en faveur d’une loi globale.

J’observe avant tout que l’on regarde enfin en face ce fléau de masse que constituent les violences sexuelles. Les drames dont il s’agit se jouent au cœur de notre intimité, qu’il s’agisse de l’environnement familial, amical ou professionnel.

Dans neuf cas sur dix, les femmes victimes connaissent leurs agresseurs. Nous devons réviser notre code pénal en conséquence – le Président de la République s’y est engagé –, notamment pour que le consentement y soit inscrit noir sur blanc. Dès lors que la victime connaît son agresseur, la question du consentement est évidemment centrale. Certes, cette mesure ne résoudra pas tout ; mais elle constituera un nouveau point de départ, nous permettant de recréer du consensus sur ce sujet et, surtout, de mieux lutter contre ce fléau. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour la réplique.

Mme Laurence Rossignol. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse ; mais j’insiste sur le fait que, sur ces sujets, nous légiférons mal.

Nous avançons par une succession de petites propositions de loi ; nous nous contentons de carrés de crochet tricotés patiemment, dans l’espoir d’en faire un patchwork, mais nous ne pouvons pas nous contenter d’une somme de petits textes. Nous avons besoin d’une grande loi…

M. le président. Il faut conclure.

Mme Laurence Rossignol. … pour assurer un traitement global des violences. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – M. Grégory Blanc applaudit également.)

fonds de soutien au développement des activités périscolaires

M. le président. La parole est à Mme Marie-Jeanne Bellamy, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Jeanne Bellamy. Ma question s’adressait à Mme la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

En 2013, le rythme scolaire de droit commun a été fixé à quatre jours et demi. Un fonds de soutien au développement des activités périscolaires (FSDAP) a alors été créé en faveur des collectivités territoriales. Or, en septembre 2023, alors que les budgets étaient votés et que la rentrée scolaire avait déjà eu lieu, les élus ont eu la surprise d’apprendre que ce fonds serait divisé par deux, puis supprimé à la rentrée 2024. Nous sommes face à une énième décision prise sans aucune concertation…

Sous la pression des élus locaux, les crédits ont finalement été rétablis ; mais que de temps perdu !

Lors du dernier congrès des maires, Gabriel Attal, alors ministre de l’éducation nationale, a annoncé la prorogation du dispositif jusqu’à l’année scolaire 2025-2026 en promettant une « concertation approfondie avec les élus ». Le dialogue devait porter plus précisément sur les conditions de maintien du dispositif.

Mme Belloubet s’est récemment rendue dans le département de la Vienne et, à la suite de cette visite, j’ai interrogé son cabinet : on m’a indiqué que le fonds serait supprimé à la rentrée 2025. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Savin. Ce n’est pas possible !

Mme Marie-Jeanne Bellamy. La concertation ne porterait en fait que sur l’enveloppe allouée à la rentrée 2024.

Mes courriers adressés à M. Attal, puis à Mme Belloubet, sont restés sans réponse.

M. Jacques Grosperrin. Oh ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Jeanne Bellamy. Qui croire ? Le Premier ministre, qui s’engage à maintenir ce fonds, ou le cabinet de la ministre, qui annonce la fin des crédits ? Les maires, les responsables d’associations ainsi que les familles ont besoin de savoir afin de s’organiser.

Rares sont les communes qui pourront assumer seules le maintien de ces activités ; la suppression du fonds de soutien infligera un coup d’arrêt au monde associatif et à la culture en milieu rural, dans des territoires où, bien souvent, aucun centre de loisirs ne prendra le relais.

En découlent deux questions essentielles : premièrement, comment allez-vous accompagner les communes qui continueront à appliquer le rythme scolaire de droit commun ? Deuxièmement, quel sera le nouveau modèle de financement ? Les élus, au plus près de la population, ont besoin de sécurité juridique. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Madame la sénatrice Bellamy, ce qui prime, ce sont évidemment les engagements pris par le Premier ministre…

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. … à l’époque où il était ministre de l’éducation nationale.

Cette mise au point étant faite, je tiens à vous rappeler quelques éléments très concrets. Aujourd’hui, ce fonds revient pour plus d’un tiers à cinq ou six très grandes villes. Au fil des années, le nombre de communes bénéficiaires s’est littéralement effondré : après avoir été de 20 000, il est désormais de 1 300 à peine.

Conformément aux engagements du Premier ministre, la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse tiendra les concertations avec les associations d’élus locaux pour accompagner les communes qui en ont le plus besoin, à commencer par les plus petites ; mais vous m’accorderez que la situation actuelle n’est pas optimale.

L’idée est simple : affecter une partie de cette enveloppe à d’autres actions en faveur des activités périscolaires et extrascolaires. Ces temps sont essentiels à la continuité éducative et donc aux enfants ; en parallèle, ils concourent à l’accompagnement des parents eux-mêmes et à l’animation de nos communes.

L’accompagnement des actions périscolaires sera garanti et même renforcé, également via les budgets de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et des différentes caisses d’allocations familiales (CAF)…

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. En effet, en vertu de la dernière convention d’objectifs et de gestion (COG), la participation des CAF au financement du périscolaire a augmenté de 12 %. Le bonus inclusion a quant à lui été porté à 4,5 euros.

On sait très bien que, pour les petites communes, le temps méridien périscolaire, en général d’une demi-heure, représente un investissement important : nous serons au rendez-vous pour accompagner à la fois les enfants, les familles et ces communes. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

propos du président de la république sur les finances locales

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Antoine, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Antoine. Le 16 mai dernier, le Président de la République accordait à LExpress un entretien exclusif sur la situation économique de la France. Il affirmait alors : « Hormis une dérive des dépenses initialement prévues qui est du fait des collectivités locales, il n’y a pas de dérapage de la dépense de l’État. » Cette formule à l’emporte-pièce choque profondément les représentants des collectivités locales que nous sommes.

Une telle affirmation est proprement infondée : les collectivités locales contribuent depuis des années à améliorer les comptes publics, tandis que l’État connaît un dérapage structurel de ses dépenses.

Oui, la dette des collectivités territoriales est stable. Elle est même en légère diminution depuis trente ans. Nos collectivités appliquent en effet la règle d’or : elles ne peuvent pas emprunter pour couvrir leurs dépenses de fonctionnement.

D’un côté, l’État prive nos collectivités de recettes sans leur accorder les compensations qui leur sont dues ; de l’autre – le Gouvernement ne peut l’ignorer –, l’exécutif lui-même augmente leurs dépenses de fonctionnement. Il a ainsi relevé le point d’indice des fonctionnaires territoriaux ; il a également revalorisé les allocations sociales versées par les départements et les centres communaux d’action sociale (CCAS). Et ce ne sont que deux exemples parmi tant d’autres… À mon sens, c’est presque un miracle si nos collectivités locales parviennent encore à équilibrer leurs budgets de fonctionnement.

Madame la ministre, dans ce contexte, pouvez-vous nous démontrer que l’État n’est en rien responsable de la situation financière des collectivités locales,…

Mme Jocelyne Antoine. … comme l’affirme le Président de la République dans son entretien à LExpress ? (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – M. Jean-François Husson applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du numérique.

Mme Marina Ferrari, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique. Madame la sénatrice Antoine, sur ce sujet, j’ai déjà eu l’occasion de répondre à M. Paccaud, mais votre question me permet de compléter mon propos. En effet, au cours des dernières années, les collectivités territoriales ont fait l’objet d’autres mesures de soutien de la part de l’État.

Ainsi, les départements qui souffrent aujourd’hui d’une baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) bénéficient du fonds de compensation créé et abondé à parité avec l’État. Au total, 106 millions d’euros ont été mobilisés par ce biais. La Meuse, dont vous êtes l’élue, fait d’ailleurs partie des quatorze départements accompagnés à ce titre.

Je précise que, dans votre département, la situation du bloc communal est plutôt satisfaisante et que, d’une manière générale, elle est en voie d’amélioration.

En outre, l’État a beaucoup œuvré pour faire face à la crise que nous avons tous traversée. Aux mesures complémentaires que j’ai déjà égrenées, il faut ajouter le filet de sécurité, l’amortisseur électricité, ou encore la hausse de la dotation pour les titres sécurisés (DTS), dont la délivrance a connu des difficultés.

Au cours des dernières années, les collectivités territoriales ont donc fait l’objet d’un vaste ensemble d’aides – je vous vois sourire, monsieur le sénateur, mais c’est pourtant vrai…

M. Jean-François Husson. Si vous saviez pourquoi je souris… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marina Ferrari, secrétaire dÉtat. Au total, plus de 6 milliards d’euros supplémentaires ont été mobilisés.

Madame la sénatrice, l’État prend sa part de l’effort ; mais nous ne pouvons pas faire abstraction des problèmes indépendants de sa propre volonté, lesquels se sont multipliés au cours des dernières années. Je pense à la crise covid ; je pense à la crise ukrainienne ; je pense à la crise de l’énergie. En 2019, nous avions engagé le redressement de nos comptes publics ; mais, en nous imposant des mesures de soutien massives, ces crises nous ont contraints de dégrader notre situation budgétaire.

Pour autant, notre politique est claire : nous menons des réformes ambitieuses pour réduire les déficits, comme la réforme des retraites ou encore celle de l’assurance chômage, qui sera bientôt engagée. En parallèle, l’État fait des économies sur son propre budget.

J’y insiste, c’est collectivement que nous devons œuvrer au redressement des comptes publics.

Mme Nathalie Goulet. Et la lutte contre la fraude fiscale ?

Mme Marina Ferrari, secrétaire dÉtat. Notre objectif reste d’être, en 2027, au rendez-vous du pacte de stabilité. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 5 juin 2024, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

3

Mise au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny.

Mme Anne-Sophie Romagny. Au cours de la séance du soir du 28 mai 2024, lors du scrutin n° 204 portant sur l’ensemble de la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre, mes collègues Daniel Fargeot, Annick Billon, Jean-François Longeot, Annick Jacquemet, Anne-Catherine Loisier, Jean-Michel Arnaud, Pascal Martin et Sonia de La Provôté ont été enregistrés comme ayant voté pour, alors qu’ils ne souhaitaient pas prendre part au vote.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.

4

Candidature à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

5

Contrôle des investissements étrangers en France comme outil d’une stratégie d’intelligence économique au service de notre souveraineté

Débat organisé à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, sur le thème : « Le contrôle des investissements étrangers en France comme outil d’une stratégie d’intelligence économique au service de notre souveraineté ».

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur, pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour d’un droit de réplique, pour une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé sa place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est une première et, une fois de plus, cela se passe au Sénat ! En effet, si Marie-Noëlle Lienemann et moi-même avions émis le souhait que soit institutionnalisé un débat sur le contrôle des investissements étrangers en France, et si la commission des affaires économiques avait adopté à l’unanimité cette recommandation, encore fallait-il passer l’acte. Aujourd’hui, c’est chose faite !

Je remercie mes collègues du groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, tout particulièrement son président, François Patriat, d’avoir permis une telle avancée, sur le temps de la niche du groupe.

Ce débat vise à nous assurer que le patrimoine économique tricolore est bien protégé face aux menaces croissantes, dans un monde en état de guerre économique permanente – l’expression n’est pas trop forte.

Nous sommes à l’ère de la course à l’innovation qui, pour certains, justifie que tous les coups soient permis pour s’emparer et maîtriser les technologies critiques. Bonne nouvelle, la France est bel et bien dans la course, grâce à France 2030 et aux stratégies de filières qui se déploient dans les domaines de l’intelligence artificielle, de la quantique et de l’hydrogène.

Une forme de planification est de retour : c’est heureux et cela produit des résultats. Ainsi, le secteur de l’intelligence artificielle a vu le nombre de start-up augmenter de 20 % et a bénéficié de six fois plus de fonds levés en quatre ans.

Nous sommes aussi à l’ère où la compétition fait rage, notamment entre rivaux, mais aussi entre alliés. Adversaires ou alliés, qu’importe : ils peuvent avoir recours aux mêmes armes, telles que les subventions massives, les droits de douane, les barrières non tarifaires, voire les mesures de privation de liberté, comme Frédéric Pierucci, ancien président de la division chaudière d’Alstom, l’a, hélas ! expérimenté aux États-Unis.

Les chiffres sont édifiants : d’après le service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse), les alertes de sécurité ont crû de 30 % entre 2022 et 2023, leur nombre étant passé de 694 à 900. Face à cela, la France a pris des mesures fortes depuis 2017. À l’échelon national comme à l’échelon européen, le Président de la République, Emmanuel Macron, s’est constamment engagé pour que l’Union européenne soit moins naïve et pour que nous cessions d’être les idiots du village global en étant ouverts à tous les vents.

Alors que les Français sont amenés à s’exprimer le 9 juin prochain sur l’Europe qu’ils souhaitent, ils doivent savoir que la France a été un artisan du réveil des nations européennes, pour moins de naïveté et plus de souveraineté.

Cependant, avec ce débat, notre groupe a voulu aller au-delà du seul contrôle des investissements étrangers en France (IEF). Reprenons les termes du débat : ce contrôle est « un outil d’une stratégie d’intelligence économique au service de notre souveraineté ». Il s’agit donc d’un élément compris dans la palette des mesures et des actions à mettre en œuvre.

La notion d’intelligence économique a véritablement émergé en France il y a trente ans, avec le rapport d’Henri Martre de 1994, intitulé Intelligence économique et stratégie des entreprises.

Qu’est-ce que l’intelligence économique, demanderont certains ? Au-delà de la définition académique, le rapport Martre, dans son introduction, précise qu’il s’agit de « [la] gestion stratégique de l’information économique permettant à la France d’appréhender efficacement les opportunités et les risques liés à la mondialisation des échanges ».

Si nombre de constats alors dressés demeurent d’actualité, saluons aussi les efforts qui ont pu être faits grâce à la persévérance d’acteurs de l’intelligence économique, dont certains assistent aujourd’hui à notre débat. Je pense en particulier à Christian Harbulot, qui a contribué au rapport Martre et a fait des petits, si vous me permettez cette expression, grâce aux cohortes d’élèves issus de l’École de guerre économique (EGE).

Je pense aussi à Claude Revel qui, dans la lignée d’Alain Juillet, fut une déléguée interministérielle à l’intelligence économique pugnace, quand cette fonction existait encore.

N’oublions pas non plus Pascal Dupeyrat, qui a décortiqué le fonctionnement du Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS) – soit le Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis –, afin d’en tirer un certain nombre de leçons, au profit tant des Français que des Européens.

Je veux aussi mentionner la personne morale qu’est l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), qui fait énormément via les formations à l’intelligence économique qu’il organise lors de toutes ses sessions. Il a ainsi créé une sorte de réserve du patriotisme économique très utile.

Enfin, je citerai notre assemblée, car c’est tout à l’honneur du Sénat de veiller au maintien de la flamme de l’intelligence économique et d’être une vigie de la protection des intérêts et du patrimoine économiques de la Nation.

Ainsi, je vous renvoie à la mission d’information mise en place par la commission des affaires économiques, dont les travaux ont abouti à vingt-trois recommandations adoptées à l’unanimité, ainsi qu’à la proposition de loi transpartisane visant à faire de l’intelligence économique un outil de reconquête de notre souveraineté, déposée au Sénat en septembre 2023 par Marie-Noëlle Lienemann, Serge Babary, Franck Montaugé et moi-même.

Par ailleurs, un amendement transpartisan a été adopté la semaine dernière, lors de l’examen de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France. En cas d’adoption définitive du texte, ce que je souhaite ardemment, il permettrait que le rapport remis au Parlement sur le contrôle des investissements étrangers en France soit enrichi d’un suivi dans la durée des engagements pris par les investisseurs.

Le Sénat opère aussi comme vigie de l’intelligence économique grâce aux travaux de la mission d’information sur l’avenir d’Atos, à laquelle a participé notre collègue Fabien Gay,…

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Il est partout, décidément ! (M. Fabien Gay sourit.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne. … et de la commission d’enquête sur les politiques publiques face aux opérateurs d’influences étrangères, conduite par Dominique de Legge et Rachid Temal.

Le Sénat s’honore donc par sa constance, et il ne doit pas craindre de persévérer, car c’est bien l’échelon législatif qui constitue la clé de voûte de l’équilibre entre liberté des investissements et sécurité nationale.

C’est la loi de 1966 qui, la première, a posé le principe de liberté des relations financières entre la France et l’étranger. Simultanément, elle a prévu que ce principe pouvait connaître des restrictions au nom de la défense des intérêts nationaux.

Quant à la loi de 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, défendue par M. Lescure dans ses précédentes fonctions, elle a donné plus de pouvoirs non seulement au ministre de l’économie en matière de sanctions, mais aussi au Parlement en matière d’information et de contrôle.

Combien de dossiers seraient passés sous les radars si le Parlement ne s’en était pas emparé ? Je pense par exemple à Photonis, cette pépite de l’optronique, qui serait passée sous pavillon américain sans l’intervention de lanceurs d’alerte au sein de l’État, du Parlement et des médias – n’est-ce pas, cher Pascal Allizard ? (M. Pascal Allizard opine.)

Cette mobilisation a conduit l’État à s’opposer au rachat du groupe par l’américain Teledyne Technologies. Aujourd’hui, Photonis, devenu Exosens, est adossé au fonds européen HLD. Autrefois chassé, le groupe Photonis est devenu chasseur : il a procédé à cinq acquisitions et a doublé son chiffre d’affaires.

Cet exemple montre que la France doit savoir « dire non », pour citer les grands auteurs. Pour cela, elle a musclé son jeu depuis 2017, veillant à ce que toute dépendance soit minime, consentie et maîtrisée – tels sont les critères énoncés par le directeur de l’industrie de défense, Alexandre Lahousse.

L’enjeu n’est autre que de garantir notre souveraineté et notre résilience dans les domaines industriels et technologiques. Ainsi, sur l’initiative du Président de la République, une véritable politique de sécurité économique a été mise en place, une doctrine a été posée par la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) et une gouvernance a été établie par le décret du 20 mars.

L’État est donc en ordre de marche sur ce volet défensif, grâce à une structuration très opérationnelle.

Le contrôle des investissements étrangers en France a été renforcé à plusieurs reprises via l’abaissement des seuils de déclenchement et l’extension des domaines d’activité concernés.

À l’échelon européen, c’est bien la France qui a été le moteur de l’évolution de la doxa parmi les États membres ; on lui doit ainsi la mise en place d’un mécanisme de coopération en matière de contrôle des investissements étrangers. L’action de la France n’a pas toujours été une promenade de santé – je peux aisément en témoigner, ayant siégé au conseil des ministres chargés du commerce extérieur de l’Union européenne –, même si elle a abouti à des progrès notables. Plus d’États se sont dotés d’une législation en la matière et une culture et des principes communs ont été forgés.

En définitive, la France est désormais mieux armée pour faire face aux menaces et aux risques de prédation économique, sans que cela porte toutefois atteinte à son attractivité. En effet, les chiffres montrent que nous sommes toujours en haut du podium.

Je ne serai pas plus long. Mes chers collègues, je ne doute pas que, sur ce sujet d’intérêt national, nos convergences seront plus fortes que nos divergences. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie Jean-Baptiste Lemoyne d’avoir proposé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de notre assemblée. Dès 2015, j’avais personnellement appelé l’attention de la commission des affaires économiques sur ce sujet resté confidentiel : je me suis donc réjoui qu’une mission d’information puisse le mettre en lumière.

Dans le prolongement de cette mission, les enjeux et la place de l’intelligence économique dans notre stratégie de souveraineté nationale sont objectivés dans la proposition de loi transpartisane de Marie-Noëlle Lienemann, à l’élaboration de laquelle j’ai participé au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Notre pays s’est jusqu’ici focalisé sur le contrôle des investissements étrangers en France, en faisant évoluer le dispositif par différentes mesures procédant du décret de mars 2019. C’était nécessaire, dont acte !

Au-delà de l’évaluation du dispositif actuel et de son impact réel sur notre économie, je pense que l’intelligence économique devrait constituer le cadre global de notre stratégie de souveraineté économique nationale, le contrôle des investissements étrangers en France étant l’une de ses déclinaisons.

Pour quelle raison ? Le concept de guerre, aujourd’hui trop galvaudé à mon sens, se révèle pertinent dans le contexte mondial de libre-échange économique, dès lors qu’il est nécessaire de prendre en compte les risques divers d’agression auxquels nos entreprises sont en permanence soumises, sous des formes hybrides.

En quelques décennies, la guerre économique a émergé comme un domaine de savoir et de recherche ; l’École de guerre économique en illustre aujourd’hui la reconnaissance et le bien-fondé. Les enseignements et la culture qui résultent de cette science doivent faire l’objet d’une appropriation par tous les acteurs économiques et leurs partenaires, dont les collectivités locales.

Au plus haut niveau de la République, l’État doit définir et se doter des moyens de pilotage et d’administration d’une stratégie nationale d’intelligence économique englobant notamment les dispositifs actuels relatifs aux investissements étrangers en France, sans les remettre en question, je le précise.

C’est tout le sens de la proposition de loi déposée en septembre 2023, qui vise à inscrire dans la loi l’intelligence économique et à en faire le cadre d’une politique publique de reconquête de notre souveraineté économique.

Cette politique publique, débattue et votée par la représentation nationale, serait pilotée par une structure dédiée, dont la loi permettrait de garantir la pérennité.

À partir de cette analyse du contexte, jugez-vous utile, monsieur le ministre, voire nécessaire, que la France se dote d’une stratégie nationale d’intelligence économique et d’un secrétariat à l’intelligence économique, structure interministérielle qui serait rattachée au Premier ministre ?

Le cas échéant, comment entendez-vous sensibiliser les acteurs économiques de nos territoires à ce sujet qui les concerne tous, à des degrés divers ?

À cette fin, nous proposons que des comités régionaux à l’intelligence économique déclinent et pilotent la stratégie nationale, en lien avec les entreprises locales et les chambres de commerce et d’industrie (CCI.) Ces dernières seraient missionnées dans le cadre de leurs contrats d’objectifs et de performance pour prendre en compte, sur leur territoire, la stratégie nationale d’intelligence économique.

En cohérence, les schémas régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) devraient aussi intégrer un volet consacré à l’intelligence économique.

In fine, l’évaluation de cette politique publique de souveraineté ferait l’objet d’un rapport annuel traitant spécifiquement de l’intelligence économique, en sus des investissements étrangers en France.

Monsieur le ministre, l’intelligence économique doit occuper une place centrale dans les politiques publiques visant à améliorer notre souveraineté économique nationale.

Il n’est pas question, ici, de remettre en cause le dispositif actuel des investissements étrangers en France, qui doit faire l’objet d’évaluations spécifiques. Pour autant, on ne peut s’en contenter, car il ne couvre qu’une partie, au demeurant très importante, du champ de la souveraineté économique.

La guerre économique n’est pas une vue de l’esprit. Dans un monde de menaces et d’affrontements qui vont croissant, elle est une réalité géopolitique qui nous oblige en tant que Français, pour le destin de la France. Elle concerne toutes nos entreprises et nécessite une acculturation spécifique, voulue au plus haut niveau de la République et de l’État français.

Monsieur le ministre, quelles suites entendez-vous donner à nos propositions concernant la mise en place d’une stratégie nationale d’intelligence économique et d’un secrétariat spécifique ? Entendez-vous favoriser l’implication des entreprises via la mobilisation des conseils régionaux et des chambres de commerce et d’industrie ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Je suis d’accord avec vous, monsieur le sénateur Montaugé : l’intelligence économique ne se limite pas au contrôle des investissements étrangers en France, même s’il en est une composante importante, elle va au-delà.

Il faut ainsi garantir les lignes d’approvisionnement ; à défaut, comme on l’a vu pendant la crise du covid 19, le risque est de provoquer un réel problème économique. Il faut aussi protéger les actifs stratégiques, notamment dans le cadre du décret relatif aux investissements étrangers en France, et prévenir l’application de réglementations étrangères susceptibles d’affecter nos entreprises. Tous ces éléments sont très importants.

La politique de sécurité économique existe depuis 2019, monsieur le sénateur ; elle a été élaborée et présentée par l’État. Vous souhaitez qu’elle puisse être placée sous l’autorité du Premier ministre. Or, aujourd’hui, elle est conduite par le ministre de l’économie et des finances, que la commission des affaires économiques peut régulièrement auditionner dans le cadre de ses travaux ; au-delà, le ministre pourrait même vous présenter cette politique et son application.

Le Sisse, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), l’ensemble de l’appareil économique et financier de l’État et le Quai d’Orsay sont tous attachés, dans une logique interministérielle, à la mise en œuvre de la politique d’intelligence économique. Leurs représentants sont d’ailleurs présents à mes côtés aujourd’hui même au banc du Gouvernement.

Nous considérons que le dispositif mis en place en 2019 et piloté par Bercy est utile, nécessaire et efficace. Nous devons conserver l’organisation existante, mais toutes les améliorations proposées par la représentation nationale, qu’il s’agisse du rapport sur les investissements étrangers en France ou du suivi de l’ensemble de la politique d’intelligence économique, sont les bienvenues.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.

M. Franck Montaugé. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, je partage vos propos. Nous souhaitions surtout insister sur l’émergence et la prise en compte de la notion d’intelligence économique dans la démarche de l’État visant à améliorer la sécurité de l’économie française.

La notion d’intelligence économique mérite d’être mise en lumière, d’être utilisée et diffusée dans les territoires. L’enjeu d’acculturation est considérable.

M. Roland Lescure, ministre délégué. C’est vrai !

M. Franck Montaugé. Les véritables pépites que sont les petites entreprises peuplant nos territoires sont exposées à des risques profonds. D’où la proposition de loi que j’évoquais précédemment, dont l’objectif central est de mettre en lumière l’intelligence économique, dans l’intérêt de tous les acteurs économiques français.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Allizard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis, moi aussi, de l’inscription à l’ordre du jour de nos travaux de ce débat, et je remercie Jean-Baptiste Lemoyne de l’avoir organisé.

Après la « mondialisation heureuse », qui s’est révélée être une chimère, nous entrons dans une ère plus raisonnée, sans doute marquée par un regain du protectionnisme. Dans ce contexte, les équilibres sont complexes à trouver.

La crise du covid-19 et le retour de la guerre sur le sol européen et au Proche-Orient ont fait lentement évoluer les mentalités. Les orateurs qui m’ont précédé l’on dit abondamment : les mots « souveraineté », « sécurité économique » et « intelligence économique » viennent enfin au premier plan.

Tout n’est pas réglé pour autant. En parallèle, l’attractivité devient le nouveau mantra de notre économie fragilisée et désindustrialisée, de notre commerce extérieur dégradé. La consommation des ménages ne peut plus être le principal moteur de l’économie. En outre, le mur de la dette limite les capacités d’intervention publique.

Parmi les initiatives qui ont été prises, on peut citer le sommet Choose France, qui s’est tenu voilà quelques semaines. À cette occasion, 15 milliards d’euros d’investissements ont été annoncés, preuve que cet événement phare pour l’attractivité de la France, destiné à capter les investissements internationaux, va dans le bon sens.

La réindustrialisation est nécessaire, même si elle est difficile et qu’elle peine à se matérialiser, tant l’objectif est ambitieux. Reconnaissons que nous partons d’assez loin, d’où l’impératif de travailler collectivement.

Dans ce contexte, nous devons trouver un équilibre délicat entre souveraineté et attractivité, tout en veillant à ne pas laisser entrer un loup dans la bergerie qui, par ses investissements et ses actions, aurait des intentions inamicales, prédatrices ou déstabilisatrices.

Dans les relations internationales, les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts, comme l’affirmait le général de Gaulle. Toutefois, les États peuvent avoir des alliés.

En revanche, je sais, pour avoir longtemps œuvré dans ce domaine, qu’en matière économique, il n’y a ni amis ni alliés. Même les alliés et les partenaires peuvent se faire de mauvaises manières, notamment en utilisant leurs outils de sécurité à des fins d’intelligence économique et, au besoin, pour orienter leurs investissements à l’étranger.

Nos compétiteurs stratégiques ne se privent pas d’user de tous leurs moyens : subventions publiques, mesures protectionnistes, renseignement, désinformation, investissements, etc. Au service de la puissance, cette confrontation relève d’une véritable guerre économique.

La prise de conscience, en France comme dans l’Union européenne, est assez lente chez les gouvernants, quels qu’ils soient, plus encore à l’échelon des territoires. Le débat d’aujourd’hui est d’autant plus utile que le Sénat travaille sur le sujet de l’intelligence économique depuis plusieurs années et qu’il a formulé des propositions.

En France, sous la pression des événements géopolitiques et du risque de prédations sur des pépites technologiques, des dispositions défensives ont été prises pour renforcer le contrôle des investissements étrangers. Divers pays viennent aussi de mettre en place de telles dispositions.

Le contrôle se révèle d’une importance cruciale pour notre base industrielle et technologique de défense (BITD), qui compte environ 4 000 entreprises et assure à nos armées la capacité de défendre nos intérêts dans le monde, en toute indépendance.

Des actions devraient aussi être menées par le Gouvernement à l’échelon européen pour mieux tenir compte des spécificités du secteur de la défense dans les réglementations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Ces contraintes unilatérales freinent nos investisseurs.

Certains États hors de l’Union européenne font, au contraire, tout pour soutenir leur BITD. Ils s’affranchissent des ONG, instrumentalisent leurs prises de position, voire les suscitent. L’intelligence économique passe aussi par là et, faute de vision d’ensemble, nous peinons à résister à ces manœuvres.

La défense n’est pas le seul domaine nécessitant une attention en matière de contrôle, comme l’ont démontré les crises récentes. Ainsi que le relevait le chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économique, la France fait face à une forte augmentation de la menace économique étrangère, souvent de nature capitalistique.

En ces temps troublés, avec des moyens comptés, il s’agit donc de ne pas baisser la garde et de passer à une phase plus offensive. Il convient en outre d’agir le plus en amont possible, afin d’éviter que nos entreprises ne deviennent des proies pour certains investisseurs.

Ma question est donc simple, monsieur le ministre : sur ces différents sujets, quelles solutions proposez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Je vous remercie d’avoir évoqué les enjeux d’équilibre de cette stratégie, qui doit être source d’ouverture. En effet, si nous voulons exporter et laisser nos entreprises et nos industriels se projeter dans le monde, notamment via des opérations capitalistiques, il faut que la France reste ouverte. Toutefois, cela suppose de garder nos yeux bien ouverts, ce que permet le dispositif que nous avons mis en place avec l’appui du Parlement. La loi Pacte, que j’ai défendue dans mes précédentes fonctions, comme l’a rappelé le sénateur Lemoyne, a renforcé le dispositif de contrôle du Parlement sur ces dossiers.

Nous avons également investi dans les équipes et, monsieur Montaugé, dans les territoires. Cela nous permet d’alerter davantage les entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME), et de les former sur ces sujets.

Bref, le nouveau dispositif que nous avons mis en place est assez complet. Nous sommes prêts à rendre compte au Parlement de sa mise en œuvre au moins une fois par an, comme c’est le cas aujourd’hui.

Conséquence de ce nouveau dispositif : nous recevons davantage d’alertes. On dénombre plus de malades parce qu’on a mis plus de médecins dans les cabinets ! Même si les menaces, je suis prêt à le reconnaître, sont en hausse dans le monde, il est difficile de dire si les quelque mille alertes qui remontent tous les ans sont en partie liées ou non au fait qu’on les mesure mieux.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.

M. Pascal Allizard. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Nous sortons collectivement d’une grande phase de naïveté sur ce sujet, et c’est heureux.

Pour finir, j’insiste sur la problématique de la BITD française, notamment sur les plus petites entreprises. Aujourd’hui, des États, des ONG et des compétiteurs instrumentalisent leurs discours et leurs méthodes. Cela fonctionne plutôt bien, car le secteur bancaire et financier pratiquant en France la sur-compliance, les sources de financement se sont taries. Pour le coup, nous sommes réellement victimes d’intelligence économique étrangère.

Je vous en supplie, monsieur le ministre, prenez ce sujet à bras-le-corps : le financement de la BITD est exposé à un réel danger. Si tel est le cas aujourd’hui, c’est parce que des compétiteurs internationaux arrivent à faire valoir leur position, tandis que nous attendons trop sagement que le temps passe.

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeric Durox.

M. Aymeric Durox. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le contrôle des investissements étrangers en France est en effet crucial pour retrouver notre souveraineté.

Cependant, avec un gouvernement dirigé par M. Emmanuel Macron, qui, depuis 2012, en tant que secrétaire général adjoint de l’Élysée, ministre de l’économie, puis Président de la République, contribue à vendre la France et ses entreprises au monde entier, il est à la fois paradoxal et urgent de parler de souveraineté.

Devons-nous ici évoquer de nouveau la vente scandaleuse d’Alstom, véritable trahison des intérêts de l’État ? Nous devons aussi au président Macron la cession de l’équipementier télécom Alcatel-Lucent au Finlandais Nokia, du parapétrolier Technip à l’Américain FMC, de l’aéroport de Toulouse-Blagnac à la Chine, et peut-être demain d’Atos. J’en passe, et des pires !

La liste est malheureusement longue et les gouvernements qui se sont succédé depuis quarante ans en portent aussi la responsabilité, avec la désindustrialisation à marche forcée de notre pays qui a détruit des emplois créateurs de valeur et affaibli notre souveraineté, nous rendant dépendants de l’étranger dans bien des domaines.

À ces échecs stratégiques s’ajoute aussi la menace de l’extraterritorialité américaine et, de plus en plus, chinoise, qui met à mal notre tissu industriel. Si le Président de la République pouvait intervenir dans notre débat aujourd’hui, que dirait-il ? « Il faut agir en Américain… » – pardon, mon lapsus est révélateur – « … en Européen ! »

Vraiment ? Dois-je rappeler que, l’an dernier, une économiste américaine ayant travaillé pour Microsoft, Apple et Amazon a été nommée au poste de chef économiste à la direction générale de la concurrence européenne ? On a connu mieux comme défense de la souveraineté ! M. le président Macron pourrait aussi affirmer : « Cela fait partie du marché », comme il l’a récemment déclaré au média Bloomberg en acceptant l’idée que la Société Générale puisse être rachetée par une banque espagnole.

Il est temps, monsieur le ministre, mes chers collègues, de défendre réellement notre souveraineté. Au-delà des mots, cela passera, je vous le dis solennellement, par un changement complet de politique économique et, donc, par la mise en œuvre de l’alternance politique souhaitée par les Français.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Monsieur le sénateur, jusqu’ici, tout allait bien, mais voilà que nous entrons dans la polémique, dans les non-dits et les faussetés.

Je suis désolé de devoir vous corriger : si l’économiste en chef de la direction de la concurrence de la Commission européenne n’a pas été recrutée, contrairement à ce que vous affirmez, c’est bien grâce à l’intervention de la France, qui s’est émue à juste titre d’un conflit d’intérêts au regard de son expérience passée.

Vous évoquez le rachat d’une banque française de qualité par je ne sais quelle banque espagnole. Je n’ai jamais entendu le Président de la République mentionner cela, pas plus qu’aucun membre du Gouvernement.

En revanche, même si, sur le fond, nous sommes en désaccord, mais vous avez raison sur un point : la meilleure défense, c’est l’attaque. Nous souhaitons que les entreprises françaises soient offensives à l’international, à l’exportation, y compris dans un cadre européen, dans des secteurs stratégiques où nous sommes persuadés que nous serons plus forts à trois, à cinq ou à vingt-sept que seuls.

Sur ce point, nous avons, c’est vrai, de sérieux désaccords de fond. Les Français auront bientôt l’occasion de trancher ; je forme le vœu qu’ils choisissent l’offensive et l’ouverture plutôt que le repli et la défense.

Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis cinq ans, la France est le pays européen qui attire le plus de capitaux étrangers. Nous pouvons en être fiers, cela prouve que notre pays est redevenu attractif et que le site France a retrouvé sa compétitivité.

Alors que la concurrence internationale n’a jamais été aussi rude, entre le dumping structurel permanent de la Chine et la politique agressive de l’Inflation Reduction Act (IRA) aux États-Unis, cette attractivité retrouvée est un atout stratégique pour la France. Elle nous oblige.

Faire entrer des capitaux étrangers sur notre sol, se reposer sur ces flux pour irriguer notre tissu économique peut aussi exposer notre Nation à des intérêts qui ne sont pas les siens. C’est là le propre des sociétés ouvertes et la condition de toute puissance économique démocratique.

Dans le contexte que je viens de rappeler, nous aurions donc tort de verser dans l’irénisme : le libéralisme n’interdit pas l’intervention de l’État ; il l’encadre pour éviter qu’elle n’entrave le fonctionnement du marché. On peut parfaitement défendre l’économie de marché et confier à la puissance publique la mission de contrôler les investissements étrangers. Le meilleur exemple s’en trouve outre-Atlantique.

Il y a encore quelques années, le concept de souveraineté avait chez nous très mauvaise presse. On ne l’utilisait que pour dénoncer les excès de la mondialisation ou pour s’opposer au commerce international. L’ère de la naïveté est terminée et la France, comme, plus globalement, l’Europe, a compris que leur destin géopolitique dépendait de leur capacité à défendre leur appareil productif et leur souveraineté économique. Cette prise de conscience, sans doute tardive, est salutaire.

C’est pourquoi je remercie nos collègues du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants d’avoir inscrit à l’ordre du jour ce débat sur le contrôle des investissements étrangers en France. Nous sommes nombreux ici à considérer qu’il s’agit d’un outil stratégique au service de cette souveraineté.

Sur ce point, en 2019, la loi Pacte avait déjà renforcé notre arsenal public de contrôle des investissements étrangers dans certains secteurs stratégiques.

Plus récemment, le Gouvernement a encore rehaussé cette ambition en pérennisant le contrôle des franchissements de seuil de 10 % dans les sociétés cotées et en élargissant son champ d’application. Il serait intéressant, monsieur le ministre, que Bercy fournisse à la représentation nationale des informations sur les cas d’usage de cette nouvelle mesure, devenue effective le 1er janvier dernier.

C’est évidemment sur les aspects capitalistiques que ce contrôle est le plus stratégique et je tiens à dire que notre groupe soutient pleinement cette approche.

Dans la même logique, il me semblerait pertinent de renforcer notre arsenal de contrôle des investissements étrangers par le biais du levier fiscal. En effet, l’attractivité de notre site France, que j’évoquais en préambule, tient aussi en grande partie aux mécanismes d’incitation fiscale que nous déployons pour qu’une entreprise étrangère décide de s’installer chez nous plutôt qu’ailleurs.

Parmi ces mécanismes, il en est un que vous connaissez tous et qui a la part belle : le crédit d’impôt recherche (CIR). Avec plus de 7 milliards d’euros annuels, cette dépense fiscale constitue évidemment un outil très puissant pour attirer des investissements étrangers.

Pour autant, j’ose espérer, monsieur le ministre, que les entreprises étrangères ne choisissent pas de venir en France seulement à cause du CIR. L’attractivité de notre pays ne doit pas se payer en deniers publics, mais bien en opportunités économiques.

En tout état de cause, il me semble pertinent de renforcer les contrôles dans l’utilisation du crédit d’impôt recherche, concernant, en particulier, la sous-traitance. Il s’agit vraiment de garantir que les dépenses fiscales bénéficient d’abord et surtout à notre propre écosystème d’innovation, en France et en Europe.

Ce raisonnement vaut également pour d’autres leviers fiscaux. Alors que le Gouvernement a prévu de rationaliser les dépenses, il nous semble inévitable de rouvrir le sujet lors de l’examen du prochain projet de loi de finances. Il y va de l’efficacité de nos dépenses publiques. Dans le cadre de la mission d’information sur la recherche et l’innovation que j’avais eu l’honneur de rapporter il y a environ deux ans, nous avions identifié ce sujet comme un levier stratégique pour accélérer la réindustrialisation.

Cette réindustrialisation de nos territoires, qui vous doit beaucoup, monsieur le ministre, ne saurait se résumer à l’arrivée d’investissements étrangers en France. Nous devons, en premier lieu, nous assurer que les deniers publics favorisent notre écosystème d’innovation, nos instituts de recherche publics, nos start-up industrielles, tout ce continuum qui permet à une découverte scientifique de qualité de devenir un produit compétitif sur le marché.

Il ne s’agit peut-être pas du pari le plus rémunérateur à court terme, mais, à long terme, c’est le seul qui nous permettra de recouvrer cette souveraineté économique que nous appelons de nos vœux. Monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est cela qui doit guider notre action. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, je vous remercie de votre intervention ainsi que de tout ce que vous faites afin de soutenir le secteur de l’innovation en France.

Celui-ci va dégager des revenus et de la prospérité, mais aussi préparer la France de demain et d’après-demain dans tous les domaines où nous en avons tant besoin : l’industrie verte, les technologies, l’énergie ou la défense.

Vous l’avez souligné, le CIR, et la fiscalité en général, ne fait pas tout. Pour autant, cela fait partie des atouts retrouvés de la France. De ce point de vue, la stabilité ne nuit pas, bien au contraire : notre capacité à donner de la visibilité sur tous les dispositifs fiscaux qui permettent à des entreprises de choisir la France est bienvenue.

Le dispositif « investissements étrangers en France » constitue également un atout, à condition qu’il soit transparent et clair. Si les entreprises savent à quelle sauce elles vont être mangées, si je puis dire, l’installation en France sera plus simple pour celles qui le souhaitent. La plupart d’entre elles sont disposées à engager le débat avec l’État de manière à satisfaire à certaines conditions si nécessaire.

Un dernier point très important de votre intervention mérite d’être souligné : choisir la France concerne d’abord et avant tout les entreprises françaises, qui doivent elles aussi faire le choix d’investir sur notre territoire. S’il est excellent d’attirer des capitaux étrangers, dont nous manquons, il est tout aussi positif de garder les capitaux en France.

À cet égard, je me réjouis que, au-delà des investissements de Choose France, nous ayons récemment eu l’occasion d’annoncer des investissements substantiels. Sanofi va ainsi investir plus de 1 milliard d’euros dans la recherche en France, tandis que le groupe Bolloré, via son entreprise Blue Solutions, installera une gigafactory de batteries dans le Grand Est. Voilà qui est également fort bienvenu. La France attire tout le monde !

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny.

Mme Anne-Sophie Romagny. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de leurs travaux sur l’avenir de l’entreprise Atos en avril 2024, les rapporteurs de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat ont souligné les moyens limités dont disposait la direction générale du Trésor en matière de contrôle des investissements étrangers.

Pourtant, notre pays a été l’un des premiers au sein de l’Union européenne à développer ces mécanismes, et les siens sont parmi les plus stricts.

La France, à l’instar de nombreux États, s’est dotée d’une politique de vérification des investissements étrangers qui repose sur un équilibre entre le principe de liberté des relations entre la France et l’étranger et la défense des intérêts nationaux.

Certains financeurs extérieurs sont ainsi soumis à une autorisation préalable du ministre de l’économie.

Ce dispositif concerne les investissements dans les activités participant, même à titre occasionnel, à l’exercice de l’autorité publique, ou étant de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale, ou relevant d’une activité de recherche, de production ou de commercialisation d’armes et de substances explosives.

La France a mis en place dès 1966 un dispositif de contrôle préalable des investissements directs étrangers. Ce mécanisme a été renforcé en 2005 par l’introduction d’une liste de secteurs pouvant faire l’objet d’un tel contrôle dans le but de protéger les champions nationaux contre des acquisitions potentielles par des investisseurs étrangers.

La liste précise des activités concernées par ces contrôles des investissements étrangers a été progressivement étendue entre 2014 et 2024. Sont désormais concernées, par exemple, les activités portant sur des matériels, des biens ou des services essentiels pour garantir l’approvisionnement en électricité, en eau ou en énergie, la sécurité et l’intégrité des réseaux de transport ou de communication, le stockage de données stratégiques ou encore les services essentiels pour garantir la sécurité alimentaire.

Depuis le 1er janvier 2024, ce contrôle s’étend également aux activités essentielles à l’extraction, à la transformation et au recyclage des matières premières critiques, ainsi qu’aux activités de recherche et de développement dans la photonique.

Parallèlement, le seuil de détention de droits de vote ou de capital déclenchant une procédure de contrôle a été abaissé : de 33,33 % jusqu’en 2019, il a été fixé à 25 %, puis à 10 % en juillet 2020, afin de protéger certaines sociétés fragilisées pendant la pandémie pouvant être l’objet de participations minoritaires opportunistes, ce qui ferait peser un risque sur la sécurité nationale.

Cette mesure temporaire a été prorogée en 2023, puis pérennisée par décret depuis le 1er janvier 2024. Nous nous félicitons de cette pérennisation, préconisée dès juillet 2022 par nos collègues de la commission des affaires économiques dans leur rapport Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique.

Malgré le renforcement du dispositif, nos entreprises restent encore trop vulnérables aux stratégies d’acquisition d’acteurs étrangers.

Dans leur rapport d’information intitulé Anticiper, adapter, influencer : lintelligence économique comme outil de reconquête de notre souveraineté, notre collègue Jean-Baptiste Lemoyne et notre ancienne collègue Marie-Noëlle Lienemann recommandaient notamment de renforcer le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France par un suivi obligatoire des engagements souscrits ayant conditionné l’autorisation d’investissement.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est crucial.

Mme Anne-Sophie Romagny. Trop souvent, un tel suivi n’est pas systématique ; de plus, il est centralisé et mis en œuvre par des services distincts de ceux qui fixent les conditions aux investisseurs. Cela complexifie et dilue le contrôle.

Les administrations centrales doivent impérativement disposer de moyens suffisants pour contrôler l’effectivité du respect des conditions assorties à une autorisation du ministère de l’économie. En 2022, sur 131 investissements autorisés au titre du contrôle IEF, 53 % ont été assortis de conditions. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que vos services auront la capacité de contrôler le respect de ces conditions ?

La question de la souveraineté de la France a fait l’objet de nombreux travaux au sein de notre assemblée et notre constat est unanime : il est absolument nécessaire que l’intelligence économique soit repensée de manière globale et intégrée plus largement à notre politique économique.

Il apparaît également essentiel que les parlementaires soient mieux associés aux dispositifs de contrôle des investissements étrangers et à la politique d’intelligence économique pratiquée par le Gouvernement.

Depuis 2020, notre pays fait face à de nombreux chocs. Les conséquences de la crise sanitaire du covid-19 et les tensions sur les matières premières liées au conflit russo-ukrainien ont révélé nos dépendances dans de très nombreux secteurs : agriculture, industrie, numérique, médicaments et énergie. Replacer l’intelligence économique au cœur de nos politiques publiques est urgent et nécessaire afin de préserver notre souveraineté. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre intervention.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Très bonne intervention !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Je souhaite rappeler à l’ensemble des sénateurs et des sénatrices ici présents qu’en 2017, lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, il n’existait pas de bureau dédié au contrôle des investissements étrangers en France. Aujourd’hui, un bureau spécifique rassemblant une trentaine de personnes s’acquitte de cette mission cruciale, avec des moyens accrus et une efficacité nettement renforcée.

Cette amélioration notable s’explique en grande partie par une sensibilisation croissante de nos entreprises, du Gouvernement, mais aussi de la représentation nationale vis-à-vis de ces dossiers stratégiques.

Il convient de souligner que le nombre de dossiers examinés a triplé depuis 2017 ; cette hausse d’activité a été rendue possible par l’augmentation des moyens alloués.

De plus, nous avons renforcé le dispositif à trois reprises, en élargissant le nombre de secteurs concernés et en durcissant le régime des sanctions applicables. Les seuils de déclenchement ont été abaissés à 10 % pour les entreprises cotées ciblées par des investisseurs non européens. Dès que ce seuil est franchi, une alerte est émise et une analyse approfondie est menée. L’an dernier, une dizaine de cas ont ainsi été passés au crible. Aujourd’hui, la France dispose d’un des dispositifs les plus aboutis d’Europe en la matière.

S’agissant des enjeux de contrôle évoqués, nous mettons en place un programme annuel qui nous conduira à mener chaque année de façon systématique, au-delà des alertes individuelles, une centaine de contrôles des conditions préalablement fixées.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny, pour la réplique.

Mme Anne-Sophie Romagny. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Réussir à contrôler systématiquement l’intégralité des conditions fixées lors de l’octroi des autorisations d’investissement étranger serait idéal, en effet. Nous comptons sur votre vigilance à ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Bernard Buis applaudit également.)

M. Akli Mellouli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer le travail remarquable accompli par Marie-Noëlle Lienemann et Jean-Baptiste Lemoyne, ainsi que leurs préconisations, qui devraient davantage être suivies d’effets.

Au tournant des années 2000, notre pays ne jurait que par la mondialisation, nos dirigeants étaient alors les chantres de la mondialisation heureuse, nos grandes écoles et nos universités formaient les élites de demain, sans aucune prise en compte des enjeux stratégiques. Cette approche crédule a provoqué une vulnérabilité de notre tissu économique et, par la même occasion, une perte de souveraineté profonde et transversale. Sans le savoir, nous avons sacrifié sur l’autel de cette mondialisation heureuse notre industrie, nos intérêts stratégiques et notre souveraineté.

Le réveil a été brutal. Les turbulences traversées par la mondialisation ces dernières années, les crises sanitaires et les tensions géopolitiques, notamment l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ont révélé les fragilités de notre modèle économique et ont poussé nos décideurs à reconsidérer notre stratégie.

Une prise de conscience salutaire a émergé, conduisant notre pays à réévaluer l’équilibre entre l’attraction des investissements étrangers et notre souveraineté. Cela s’est traduit par des évolutions structurelles dans l’accompagnement des investissements étrangers dans les secteurs sensibles, ainsi que dans l’évaluation et la prévention des menaces que ces investissements peuvent faire peser sur notre sécurité.

Ainsi, nous assistons au développement de tout un écosystème autour de cette question à la croisée de la politique, de la géopolitique, de l’économie, de la finance, de la défense et du droit.

La France, comme de nombreux États, a récemment réformé et renforcé son dispositif de contrôle des investissements étrangers. Le champ des secteurs qui y sont soumis a, en particulier, été étendu. Initialement centrée sur la défense et la sécurité, leur liste a été élargie pour inclure les activités d’approvisionnement en eau et en énergie, les réseaux de transport et de communications électroniques, ainsi que les technologies critiques comme la cybersécurité, l’intelligence artificielle et les biotechnologies.

La loi Pacte et ses textes d’application ont également renforcé ce dispositif en abaissant le seuil de déclenchement du contrôle des investissements étrangers, désormais fixé à 25 % des droits de vote d’une entité de droit français. Les prérogatives de l’administration ont été renforcées, permettant notamment au ministre de l’économie d’assortir les autorisations de conditions relatives à la gouvernance.

Pour autant, afin de garantir l’indépendance de notre économie et de préserver nos intérêts nationaux, il est crucial d’aller plus loin. Il convient à cette fin d’admettre, d’abord, certaines vérités qui ne sont pas agréables à entendre : les investissements directs étrangers (IDE) traduisent surtout un manque de financement et de prise de contrôle par nos acteurs financiers, publics et privés, soit des défaillances dans l’actionnariat et le financement des investissements locaux.

Par exemple, concernant le défi de l’intelligence artificielle, Bruno Bonnell, secrétaire général pour l’investissement chargé du plan France 2030, rappelle que la France ne peut pas s’appuyer sur la commande d’État pour soutenir ces entreprises innovantes, comme le font la Chine ou les États-Unis, en raison des réglementations de l’Union européenne, une fragilité face à laquelle il appelle les États européens à réagir. Il déplore également la faiblesse de l’investissement privé en France, de la part des grands groupes comme des fonds d’investissement. Aujourd’hui, ceux-ci n’en font pas assez.

L’autre vérité dérangeante est que, dans le domaine des investissements étrangers, il faut malheureusement aussi se méfier de ses alliés. L’affaire Gemplus en est un exemple frappant. En 2002, ce leader mondial des cartes à puce a été partiellement acquis par Texas Pacific Group (TPG), un fonds d’investissement américain. Cette acquisition a soulevé de nombreuses inquiétudes quant à la perte de contrôle sur une technologie stratégique pour la sécurité nationale. Les autorités françaises ont découvert par la suite que TPG entretenait des liens avec la CIA, exacerbant les craintes d’espionnage industriel et de fuites de technologies sensibles.

L’affaire Alstom, particulièrement révélatrice des dangers associés aux investissements étrangers, même de la part de nos alliés, offre un autre exemple. En 2014, la vente de la branche énergie d’Alstom à General Electric a marqué une perte significative pour la France dans les secteurs de l’énergie et de la défense.

Frédéric Pierucci, cadre dirigeant d’Alstom, a été arrêté aux États-Unis en 2013, accusé de corruption dans une affaire qui semblait viser à affaiblir l’entreprise française. Son arrestation a mis en lumière les pratiques d’intimidation utilisées pour faciliter l’acquisition d’Alstom par General Electric, au détriment de Siemens.

Nous avons alors renoncé à créer un Airbus de l’énergie, qui aurait pu être un acteur majeur de la transition énergétique. Cette affaire démontre clairement comment des alliés peuvent exploiter des failles pour obtenir des avantages stratégiques, soulignant l’importance de renforcer notre vigilance et nos dispositifs de contrôle des investissements étrangers afin de protéger nos intérêts nationaux et notre souveraineté industrielle.

Par ailleurs, et plus globalement, je recommande d’aborder la problématique sur un plan systémique, car celle-ci n’est pas uniquement économique, elle est également politique et culturelle : tous les pans de la société doivent entamer une révolution en la matière. L’intelligence économique doit être intégrée dans nos politiques publiques, dans notre système éducatif et dans nos entreprises. La sensibilisation à la protection des savoir-faire et à la gestion des risques doit devenir une priorité nationale.

Il est impératif, monsieur le ministre, que nous nous dotions d’un ministère de l’industrie et de l’énergie de plein exercice.

M. Akli Mellouli. La reconquête de notre souveraineté économique passera par notre réindustrialisation et notre capacité à appréhender la transition énergétique, qui est l’enjeu majeur de ce siècle. Ce sujet constitue une cause nationale qui doit tous nous transcender.

Enfin, il est impératif et urgent de travailler ensemble à la protection et à la promotion des intérêts stratégiques de notre pays ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K. – Mme Hélène Conway-Mouret et M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Monsieur le sénateur Mellouli, le ton de votre intervention pouvait laisser penser à une critique, mais au fond, vous avez abordé de nombreux points sur lesquels nous sommes en accord.

M. Akli Mellouli. Avant d’être critique, je suis constructif, monsieur le ministre !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est de la conviction !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Votre approche se révèle aussi convaincue, voire passionnée. Les exemples que vous avez donnés doivent effectivement nous inciter à demeurer alertes quant aux enjeux de l’ouverture internationale, sans que la France se ferme pour autant.

Vous avez évoqué le cas d’Alstom. Si la France n’était pas ouverte aux investissements internationaux, Alstom n’aurait sans doute pas été en mesure d’acquérir Bombardier, une société canadienne, pour en faire le premier groupe mondial de transport, derrière son concurrent chinois. Il nous faut donc trouver un juste équilibre.

Telle est, me semble-t-il, l’essence de la plupart des interventions entendues aujourd’hui, à une exception près, peut-être : parvenir à concilier une France et une Europe ouvertes sur le monde, mais nullement naïves et pleinement conscientes des risques y afférents.

La procédure que nous avons établie ensemble, systématiquement renforcée depuis cinq ans désormais, nous permet de nous approcher au plus près de la vérité, ou à tout le moins de disposer de l’un des processus de protection les plus aboutis au monde.

Dans une vie antérieure, j’ai été moi-même un investisseur relevant du CFIUS et je suis donc passé sous les fourches caudines de l’administration américaine. Notre dispositif n’est pas très éloigné de ceux qui sont en vigueur dans ce pays, où le Congrès examine également ces questions avec la plus grande attention.

Mme la présidente. La parole est à M. Akli Mellouli, pour la réplique.

M. Akli Mellouli. Nous estimons que la critique se doit d’être constructive, c’est pourquoi nous faisons preuve d’un tel esprit. Nous appelons de nos vœux des évolutions dans la gouvernance de nos entreprises, notamment au sein de nos conseils d’administration. Il nous paraît en effet nécessaire d’y associer davantage les organisations syndicales de salariés et de renforcer certains volets du dispositif actuel.

Dans ce cadre, monsieur le ministre, vous pouvez compter sur le soutien du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires pour vous accompagner dans les mesures qui vont dans le bon sens.

Nous devons néanmoins redoubler de vigilance, car les enjeux de demain revêtent une importance cruciale : la transition écologique constituera l’un des vecteurs essentiels de notre souveraineté pour les années à venir.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier notre collègue Jean-Baptiste Lemoyne et notre ancienne collègue Marie-Noëlle Lienemann d’avoir mené ce travail et proposé ce débat aujourd’hui.

Naïveté, passivité ou complicité ? La crise du covid-19 et le manque de masques ont mis en lumière une perte de souveraineté sur nombre d’activités stratégiques et industrielles, nous laissant incapables de répondre aux besoins essentiels des peuples.

Pourtant, ce constat était connu. Depuis plus de cinquante ans, notre pays a connu plusieurs vagues de désindustrialisation. Le résultat est limpide : deux millions d’emplois industriels ont été supprimés, des savoir-faire et des compétences détruits, laissant des régions entières dans un état sinistré. Cela s’est également fait en bradant notre outil industriel à des puissances étrangères : Technip, Nokia, les Chantiers de l’Atlantique, etc. La liste est bien trop longue.

Le président Macron voudrait faire oublier qu’il était déjà aux affaires sous le mandat de François Hollande et qu’il s’est rendu coresponsable des désastres économiques et industriels que nous connaissons depuis plus de dix ans.

Le pire est sans conteste le cas de General Electric. En 2019, le géant américain a préféré acquitter 50 millions d’euros de pénalités plutôt que de créer les emplois promis. Désormais, il rapatrie les brevets aux États-Unis tandis qu’on laisse EDF se débattre pour conserver les turbines Arabelle.

C’est la raison pour laquelle notre groupe plaide depuis des années en faveur d’un renforcement du contrôle des investissements étrangers, mais surtout d’un suivi au fil de l’eau des engagements pris.

Comme le souligne le rapport de la mission d’information consacrée à l’avenir du groupe Atos, fleuron industriel français du numérique désormais en grande difficulté, la France a, certes, renforcé ses modalités de contrôle des investissements étrangers, à l’instar des autres États européens, mais il reste du chemin à parcourir.

Nos administrations centrales ne disposent ainsi toujours pas de moyens suffisants pour contrôler l’effectivité de la mise en œuvre des conditions imposées lors des autorisations d’investir. En outre, ce suivi demeure trop faible, car il n’est ni systématique ni centralisé.

C’est là que l’intelligence économique prend tout son sens. La stratégie déployée aujourd’hui est uniquement défensive, par un renforcement du contrôle de certains secteurs stratégiques, malgré, reconnaissons-le, de rares décisions politiques, comme le refus de vendre Carrefour au géant canadien Couche-Tard opposé par le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Il nous faut à présent construire une stratégie offensive, notamment parce que toute politique de réindustrialisation doit s’accompagner d’une reprise en main de l’ensemble des chaînes de valeur, et ce dans chaque secteur.

Ainsi, si la question de la souveraineté numérique et de la protection de nos données revêt une importance cruciale, nous nous félicitons de l’implantation de data centers. Pour autant, cette activité est gourmande en énergie, et son effet en termes d’emplois reste à démontrer, puisqu’une partie des compétences et des savoir-faire qu’elle requiert, comme le traitement des données, ne seront pas mis en œuvre depuis le territoire français.

Dans le même ordre d’idées, nous observons l’implantation de gigafactories de batteries électriques, alors que, simultanément, Stellantis et Renault sont en train d’opérer la liquidation de leurs sous-traitants, comme l’entreprise MA France à Aulnay-sous-Bois ou encore Impériales Wheels à Châteauroux, seul fabricant français de jantes en aluminium. Notons que le dernier repreneur de cette entreprise a perçu 45 millions d’euros d’aides d’État pour convertir sa chaîne de production en chaîne électrique zéro émission.

Résultat, la boîte fermera le 20 juin prochain. Et que fait le Gouvernement ? Il reste les bras ballants, ou alors, comme vous l’avez fait, monsieur le ministre, il sermonne les ouvriers qui luttent pour conserver leur emploi et sauvegarder leur outil industriel.

Il ne suffira pas, pour promouvoir une véritable intelligence économique, de mener une politique d’offre et de créer les conditions fiscales favorables aux investissements décidés à Choose France, en priant pour que les grands groupes créent de l’emploi. Il faut également conditionner les aides publiques à des garanties sociales et environnementales, demander leur remboursement lorsque des emplois sont détruits et, surtout, responsabiliser les donneurs d’ordre pour éviter les délocalisations. Y êtes-vous prêt, monsieur le ministre ?

J’estime enfin que l’intelligence économique et la souveraineté de la France doivent s’inscrire dans une logique de politique générale qui concerne tous les secteurs, y compris la culture et le sport. Comment admettre, par exemple, que l’emblématique club de football, le Paris Saint-Germain (PSG), soit actuellement aux mains des Qataris, qui abritent du reste – je le dis au passage – le chef du Hamas ?

Preuve des liens étroits entretenus par votre gouvernement et cette puissance étrangère, vous avez même envisagé, un temps, de leur vendre le patrimoine commun que constitue le Stade de France !

L’intelligence économique et le contrôle des investissements étrangers appellent une politique globale, ainsi que les outils législatifs permettant le contrôle et le conditionnement des aides, sans naïveté, y compris à l’égard de nos amis allemands, par exemple, qui ont tout fait pour affaiblir notre énergie nucléaire et notre industrie. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Vous avez ratissé large, si je puis dire, monsieur le sénateur Fabien Gay ! Votre intervention est en effet allée bien au-delà des investissements étrangers en France, que nous contrôlons du reste davantage depuis 2017, avec la mise en place du dispositif que j’ai précédemment décrit. J’ai en déjà cité de nombreux exemples.

M. Fabien Gay. Et MA France ?

M. Roland Lescure, ministre délégué. Prenons Atos, que vous évoquez. Si Atos était resté un fleuron, comme vous le dites, une entreprise en développement et en mesure de conquérir le monde, nous n’en serions pas là aujourd’hui.

En ce qui me concerne, je suis pour des entreprises industrielles qui investissent et qui se développent, fût-ce avec l’appui de capitaux étrangers. J’estime en revanche que ce n’est pas en défendant encore et encore tous les actifs créés que nous renforcerons notre attractivité et la capacité de nos entreprises à se développer, y compris au niveau européen. Sur ce dernier point, nous pourrons sans doute nous accorder sur notre désaccord, monsieur le sénateur.

Faisons par ailleurs preuve d’un peu de discernement. Je conviens que le Stade de France est un très bel actif. Le 12 juillet 1998, comme tant d’autres Français, je me trouvais devant mon téléviseur quand nous y avons gagné la Coupe du monde de football. Il reste que, si les Qataris achetaient le Stade de France – ce qui ne sera vraisemblablement pas le cas –, celui-ci ne serait pas déplacé à Dubaï ou à Abu Dhabi pour autant. Cet actif resterait là où il se trouve.

Ce décret vise les secteurs qui sont réellement stratégiques. Concentrons nos interventions sur ces secteurs qui méritent d’être défendus, et pour tout ce qui n’en relève pas, gardons l’esprit et les yeux ouverts !

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.

M. Fabien Gay. J’estime pour ma part qu’une politique de réindustrialisation de notre pays doit viser toute la chaîne de valeur, monsieur le ministre. De fait, vous ne me répondez pas sur le fond.

L’on est en train d’implanter des gigafactories. Très bien ! Mais, dans le même temps, on laisse des entreprises, dont certaines sont françaises et dont l’État est actionnaire – Stellantis et Renault –, liquider l’ensemble de la sous-traitance. Estimez-vous que notre pays sera plus fort lorsque, demain, nous ne détiendrons plus l’ensemble de la chaîne de valeur des filières automobile, aéronautique et de tant d’autres filières ?

À l’issue de votre entrevue avec le patron de l’entreprise MA France, située à Aulnay-sous-Bois, votre seule parole a été pour sermonner les syndicats et les salariés qui se sont mis en grève pour soutenir leur emploi et sauvegarder l’entreprise, monsieur le ministre. Le résultat, c’est qu’en une semaine, le tribunal de commerce a liquidé l’entreprise.

Vous persistez pourtant à donner raison au patronat. Vous ne voulez pas responsabiliser les donneurs d’ordre. Je vous le dis avec beaucoup de colère, monsieur le ministre : c’est un véritable scandale ! Et pendant ce temps, la désindustrialisation continue sur l’ensemble du territoire. (M. Akli Mellouli applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Bernard Buis et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)

M. Christian Bilhac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat attire notre attention sur le sujet du rapport d’information intitulé Anticiper, adapter, influencer : lintelligence économique comme outil de reconquête de notre souveraineté, remis au nom de la commission des affaires économiques en juillet 2023.

Ma première remarque portera sur la définition de l’« intelligence économique » : les rapporteurs évoquent la nécessité de se « mettre en alerte » afin de préserver la « compétitivité » de notre économie.

Il s’agit, plus simplement, d’un aspect du renseignement économique, pratiqué par tous les États, et qui constitue une composante à part entière de la guerre économique. L’intelligence économique s’inscrit dans le champ plus large du contre-espionnage pratiqué de tout temps. Le renseignement économique est d’usage entre puissances étrangères, y compris alliées, intéressées par les technologies et les savoir-faire, en l’occurrence français.

Il serait faux d’affirmer que notre pays est désarmé face à l’espionnage économique. Je pense notamment au dispositif d’autorisation préalable des investissements étrangers en France, mentionné dans le rapport.

Ce cadre juridique et administratif donne au ministre de l’économie la faculté de contrôler en amont les projets d’investissement d’origine étrangère et extraeuropéenne dans les secteurs relevant de notre souveraineté.

Défini principalement par décret, le champ de cette autorisation préalable avait été élargi par le volet sur la protection des entreprises stratégiques de la loi Pacte du 22 mai 2019. Il s’agit d’une exception au principe de libre circulation des capitaux, consacré par ailleurs dans le droit international, que tous les États soucieux de leur souveraineté, y compris les plus libéraux, mettent toutefois en œuvre.

Depuis 2019, sont entrées dans le champ du contrôle préalable les entreprises des secteurs de l’aérospatial et de la protection civile, ou encore la recherche et développement en matière de cybersécurité, d’intelligence artificielle, de robotique, ainsi que les activités liées aux semi-conducteurs et celles des hébergeurs de certaines données sensibles.

D’après les informations de la direction générale du Trésor, ce renforcement réglementaire ne s’est pas fait au détriment de l’attractivité économique française.

Enfin, a été pérennisé le contrôle du franchissement du seuil de 10 % des droits de vote dans les sociétés cotées sur un marché réglementé par des investisseurs étrangers.

Des trous dans la raquette demeurent toutefois.

Si le cadre réglementaire et législatif existe, les enjeux portent davantage sur sa mise en œuvre. Il faut désormais améliorer le suivi a posteriori des engagements des investisseurs.

Plus largement, et cela nous distingue de nombre de nos partenaires et concurrents internationaux, une véritable culture de la sécurité économique nous fait encore défaut à ce jour. Cela inclut bien sûr la cybersécurité, point sur lequel le Sénat s’était penché dans le cadre des travaux de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique.

La défense de notre souveraineté ne saurait donc reposer exclusivement sur l’action de l’administration. Elle doit être l’affaire de chacun, avec une formation nécessaire dans tous les secteurs, qu’il s’agisse des étudiants, des chercheurs, des salariés ou des chefs d’entreprise, en particulier de PME.

L’on se réjouit des bons résultats de l’attractivité économique de la France depuis plusieurs années, mais connaissons-nous toujours les réelles intentions des investisseurs ?

Quid du foncier agricole de notre pays, qui aiguise l’appétit de nombreux investisseurs étrangers ? Ce sujet a déjà fait l’objet d’initiatives législatives, ici même, au Sénat.

Quid des investissements opportunistes visant à bénéficier de subventions publiques sans volonté de s’implanter durablement sur le territoire français ?

Le temps me manque pour revenir sur d’autres points intéressants du rapport, tels que la place de la France dans les comités internationaux d’élaboration des normes.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le thème de notre débat est au cœur de notre souveraineté. Dans un contexte international préoccupant, sa prise en compte doit présider à la nécessaire réindustrialisation de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Hélène Conway-Mouret ainsi que MM. Pierre-Alain Roiron et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Vous parlez d’or, monsieur le sénateur : s’il convient d’instaurer des dispositifs, d’édicter des règles et d’allouer des moyens – et nous l’avons fait –, il nous faut désormais changer de logiciel national, car la sécurité économique est aussi affaire de culture.

Je me réjouis donc de constater que la représentation nationale se saisit de ce sujet. Il convient que les entreprises s’en saisissent également et que les chambres de commerce les accompagnent sur le terrain en les sensibilisant à cet enjeu.

Il en va de la sécurité économique comme de la cybersécurité. Cette problématique a émergé au cours des dix à quinze dernières années et elle est en passe de devenir un véritable danger, mais aussi un véritable atout pour les entreprises qui s’en saisissent.

Cette révolution culturelle doit avoir lieu. Le dispositif complet dont nous disposons désormais, le rapport que vous citez, monsieur le sénateur, et les débats que nous avons régulièrement y contribuent.

Ce débat est pour moi l’occasion d’engager toutes les entreprises, notamment moyennes et petites, à se saisir de ce défi majeur, qui, s’il est envisagé avec prudence, peut devenir un avantage comparatif considérable.

Des fonctionnaires du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse) sont présents dans chaque région, sur le terrain, et prêts à accompagner nos entreprises dans ce processus.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac, pour la réplique.

M. Christian Bilhac. Nous sommes presque d’accord, monsieur le ministre. Permettez-moi toutefois de vous faire une suggestion : plutôt que d’enquiquiner à longueur de journée, à longueur de mois, à longueur d’année les chefs d’entreprise à coups de paperasserie et de dossiers, l’administration devrait consacrer son temps à former les chefs d’entreprise dans ce domaine.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mmes Guylène Pantel et Hélène Conway-Mouret applaudissent également.)

M. Bernard Buis. Madame la présidente, monsieur le ministre, cher Jean-Baptiste Lemoyne, instigateur de ce débat, mes chers collègues, plus de 15 milliards d’euros d’investissement pour cinquante-six nouveaux projets : telle fut la bonne nouvelle de la septième édition du sommet Choose France, qui a réuni, le 13 mai dernier, plus de 180 chefs d’entreprise étrangère à Versailles.

Depuis cinq ans, la France est le pays européen attirant le plus de capitaux étrangers. C’est dire l’importance des investissements extérieurs en France. Des investissements qui permettent non seulement de renforcer notre compétitivité, mais aussi de créer des emplois pour des milliers de Français. Autant de raisons, mes chers collègues, pour encourager ces investissements.

Il ne faut toutefois pas s’y méprendre : l’investissement étranger, bien que bénéfique pour notre croissance, peut parfois porter préjudice à notre souveraineté économique.

Il faut garder à l’esprit que l’objectif primordial de ces investissements est d’acquérir un intérêt durable dans une entreprise et d’exercer in fine une influence significative sur sa gestion, comme le rappelle l’Insee.

Or les turbulences que traverse la mondialisation ces dernières années, qu’elles soient sanitaires ou géopolitiques, nous imposent de rester vigilants et d’agir en faveur d’une meilleure maîtrise de la situation. Mieux maîtriser, c’est être capable de mieux contrôler. Or sans contrôle, il n’y a pas de souveraineté. Si la peur n’évite pas le danger, le contrôle, lui, permet de l’éviter.

C’est pourquoi je ne peux que saluer les mesures qui ont été prises à la fin de 2019 afin de retirer les antennes 5G du géant chinois Huawei face au risque avéré d’espionnage, ainsi que la mise en place, au début de l’année, de mesures de contrôle et de protection des entreprises et des technologies clés pour notre sécurité. Je pense notamment à l’intelligence artificielle et à la protection de nos données.

Les dispositions prises paraissent toutefois éluder l’élément essentiel de notre souveraineté économique qu’est notre savoir-faire. De la méthode ancestrale d’élaboration de la clairette de Die (Sourires.) à l’artisanat français incarnant l’art de vivre à la gauloise, notre savoir-faire français émerveille à l’international, de l’Australie à la Colombie, en passant par la Roumanie.

Si nos méthodes de production peuvent être développées grâce aux investissements étrangers, ces derniers sont également susceptibles de les menacer.

Prenons, par exemple, le domaine viticole. En 2015 déjà, selon une étude du réseau professionnel Vinea Transaction, 41 % des domaines bordelais étaient financés par des investissements étrangers, cette proportion s’établissant à 18 % dans le Languedoc et à 13 % en Provence.

La Chine – il convient de le noter – a investi massivement dans notre pays, si bien qu’en moins de vingt ans, plus de 47 % des investissements étrangers en Nouvelle-Aquitaine étaient chinois.

Il ne vous aura sans doute pas échappé, mes chers collègues, que ces données datent de presque dix ans. À n’en pas douter, la tendance n’est pas à la baisse.

La Chine possède certes désormais 900 000 hectares de vignes sur son sol, mais, fort heureusement pour nous, la diversité des cépages dont nous disposons est unique au monde.

Tous ces investissements ne sont pas sans conséquence. Ils permettent de préserver notre patrimoine et de faire en sorte que notre excédent commercial en la matière perdure.

Cependant, les acteurs de la viticulture bordelaise dénoncent une perte de maîtrise des savoir-faire qui étaient transmis de génération en génération. Le commissaire général de l’événement « Bordeaux fête le vin » pointe notamment du doigt un manque d’expérience et de compétences dans le secteur, conduisant parfois à des liquidations de domaines.

En matière de contrôle des investissements étrangers, la situation actuelle de notre pays peut donc donner lieu à plusieurs lectures.

Les outils de contrôle, comme tous les outils qui sont à la disposition de l’être humain, sont sans doute perfectibles.

Comment les affûter, dans un contexte où, malgré la situation géopolitique instable, la France consolide son attractivité depuis plusieurs années ? Loin d’être une lubie, cette nouvelle attractivité doit nous interroger sur le degré d’attention que nous devons porter, y compris au Parlement, aux financements étrangers.

Je salue à ce titre l’adoption de l’amendement de notre collègue Jean-Baptiste Lemoyne à la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France. Cet amendement, que j’ai cosigné, visait à instaurer un débat annuel au Parlement sur l’intelligence économique et à assurer le suivi du respect des engagements pris par les investisseurs étrangers en incluant ces informations dans le rapport annuel remis au Parlement. Investir est une chose, tenir ses engagements en est une autre !

Notre arsenal juridique a déjà été renforcé par le biais du décret du 28 décembre 2023 relatif aux investissements étrangers en France, qui a pérennisé le contrôle du franchissement du seuil de 10 % des droits de vote dans les sociétés cotées sur un marché réglementé par des investisseurs extraeuropéens.

Le filtre européen ne peut-il toutefois pas être amélioré ? Faut-il contraindre nos voisins membres de l’Union européenne à se doter de mécanismes de contrôle clairs et fiables ?

À l’horizon d’une Europe plus protectrice se dessine, de fait, une France plus souveraine.

Derrière la question de la souveraineté de la France se cachent en réalité les dangers de la captation de notre savoir-faire par des investissements étrangers.

L’échelon local compte autant, sinon plus, que l’échelon européen. Comment associer davantage les réseaux professionnels dans le contrôle ? Que ferons-nous lorsque 50 % des parcelles de vignes, dans le Bordelais ou en Bourgogne, seront détenues par des capitaux asiatiques ?

Certaines limites sont tracées pour ne pas être franchies. Celle de notre souveraineté, a fortiori lorsqu’il s’agit de nos liqueurs fruitées, doit à mon sens ne l’être jamais. Il nous revient de continuer à veiller sur le contrôle de ces investissements étrangers.

Quel est votre engagement dans la préservation de notre savoir-faire, et quelles mesures supplémentaires pourrions-nous envisager en ce sens, monsieur le ministre ? Quelle voix la France peut-elle porter auprès de ses partenaires européens afin de renforcer notre coopération et de mutualiser nos protections ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Monsieur le sénateur Buis, je veux vous rassurer : si la clairette de Die n’est pas soumise au décret IEF, elle est une appellation d’origine protégée (AOP) bien de chez nous, et elle est à ce titre protégée, y compris dans les accords de commerce international.

Les enjeux que vous mentionnez, notamment viticoles, ne relèvent certes pas directement du champ de la procédure IEF, mais ils sont pris en compte dans le cadre de la gestion du foncier agricole. Le rôle et le pouvoir des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), outil très français, a été renforcé, à la fin du précédent mandat, par la loi du 23 décembre 2021 portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, dite loi Sempastous, du nom du député auteur de ce texte.

Je partage votre conviction que l’investissement étranger n’est pas une fin en soi. Je préférerais pour ma part que des investissements français et européens permettent à toutes nos entreprises de se développer.

La réalité – nous avons évoqué ce point hier encore à Berlin, lors du conseil des ministres franco-allemands, où je me suis rendu avec le Président de la République – est toutefois que nous manquons, en Europe, de capitaux de long terme, ce qui n’est pas le cas des grandes zones d’investissement telles que l’Amérique du Nord. Pour remédier à cette situation, il nous faut renforcer notre capacité collective à développer une épargne française et européenne susceptible d’investir dans les entreprises.

En France, des milliards d’euros se trouvent sur des comptes dormants ou sont investis dans des obligations, des supports monétaires, tandis que nous avons trop peu d’investissements dans le capital-actions.

Nous travaillons au renforcement de l’union des marchés des capitaux au niveau européen. Nous travaillons également à l’allongement de l’horizon de nos investissements, afin de donner envie, y compris à nos jeunes, d’investir dans les entreprises. Tel est le sens du plan d’épargne avenir climat instauré par la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, dite loi Industrie verte.

Nous y travaillons également en Européens, puisque le chancelier allemand Olaf Scholz et le président Macron sont convenus de porter un projet de produit d’épargne européen qui nous permettra de renforcer les entreprises européennes.

Je vous rejoins donc sur la direction à prendre, monsieur le sénateur. Soyez assuré que nous nous y employons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret. (M. Akli Mellouli applaudit.)

Mme Hélène Conway-Mouret. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie les collègues qui ont sollicité l’inscription de ce débat à l’ordre du jour.

Alors que les États-Unis, le Canada ou encore l’Australie ont mis en place des mécanismes de contrôle des investissements étrangers dès les années 1970, la prise de conscience par les pays européens, notamment la France, a été plus tardive.

Cela s’explique naturellement par le fait que l’Europe s’est construite autour d’un marché commun gouverné par les principes de la libre circulation des biens et des capitaux, du libre-échange, mais aussi de la liberté des relations financières avec l’étranger, dont la Chine bénéficie de plus en plus, en dehors des investisseurs traditionnels que sont les États-Unis, le Royaume-Uni ou le Canada. L’exemple le plus frappant est la prise de contrôle, par la Chine, des principaux ports européens, qui a commencé par celle du Pirée, en 2016.

La pandémie a fait bouger les lignes et poussé l’Union européenne à se doter d’un mécanisme de filtrage afin de renforcer son autonomie stratégique.

Au sein de ce mouvement mondial, la France doit trouver un équilibre subtil entre les deux impératifs – vous l’avez évoqué, monsieur le ministre – que sont, d’une part, le renforcement de son attractivité pour accroître sa compétitivité, dont le sommet Choose France, avec ses promesses d’investissements à hauteur de 15 milliards d’euros, est l’un des leviers, et, d’autre part, la réduction de ses dépendances et la protection des secteurs sensibles de la prédation d’investisseurs étrangers derrière lesquels des États concurrents peuvent être à la manœuvre.

C’est dire toute l’importance d’être en mesure de tracer les chaînes de capitaux. Le renforcement du niveau de contrôle le 1er janvier 2024 tout comme l’extension de son champ à de nouveaux domaines vitaux vont dans le bon sens.

Prenons garde, toutefois, que ces mesures ne dissuadent nos potentiels investisseurs et ne débouchent sur des mesures de rétorsion.

Parmi les secteurs sensibles que nous devons protéger, je pense naturellement à celui de la défense, qui a attiré 42 % des investissements contrôlés en 2022 et qui fait l’objet d’un contrôle renforcé du fait de son caractère stratégique et consubstantiel à notre souveraineté.

Ce tissu industriel est fort de 4 000 entreprises et de 200 000 emplois en France. La guerre en Ukraine a prouvé l’importance de notre base industrielle et technologique de défense, aux dépendances limitées, maîtrisées et, surtout, consenties.

Alors qu’il est demandé à ces entreprises de produire plus, plus vite et de prendre des risques, celles-ci sont confrontées à deux obstacles majeurs.

Si la commande publique est un gage de sécurité pour les industriels, elle ne constitue tout d’abord pas une garantie pour autant. L’allongement du calendrier d’un certain nombre de commandes et de livraisons de plusieurs programmes – Scorpion, Rafale, frégates – par rapport à ce que prévoit la loi de programmation militaire l’atteste.

Nos industriels, en particulier les TPE, PME et start-up, peinent ensuite à emprunter du fait des réticences des établissements bancaires à leur consentir des prêts. Ils peinent aussi à lever des capitaux du fait de la frilosité des investisseurs français, avec pour conséquence l’abandon de leurs activités duales, ce qui prive de plus en plus le domaine militaire de la recherche innovante du monde civil.

Il n’est donc pas surprenant que nos entrepreneurs soient tentés de faire appel à des capitaux étrangers. Ce manque d’intérêt des investisseurs français va jusqu’au rachat par des groupes étrangers d’entreprises au cœur de notre souveraineté, telle Exxelia, entreprise qui produit les composants électroniques complexes utilisés par nos sous-marins nucléaires d’attaque, nos avions de combat ou nos lanceurs Ariane. Les exemples de rachat sont, hélas ! nombreux.

L’intelligence économique, qui vise précisément à procéder à une lecture fine des intérêts manifestés par des opérateurs publics ou privés étrangers à l’égard de nos industriels pour nous renseigner sur les segments qui font défaut à nos concurrents, ne mérite-t-elle pas d’être consolidée ? Elle doit in fine permettre d’éviter à temps la disparition de sous-traitants stratégiques, la fuite des compétences et la captation de pépites technologiques par nos compétiteurs, en particulier extraeuropéens, comme ce fut le cas in extremis pour Photonis, car c’est bien sûr par l’avance technologique que se jouera la prééminence militaire dans les prochaines années.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Hélène Conway-Mouret. Si la prise de conscience de la nécessité de protéger nos intérêts est bien là, le cœur du problème demeure l’insuffisance des financements.

N’est-il pas urgent de développer de nouveaux instruments, tels qu’un produit d’épargne européen, pour trouver des financements sans créer de nouvelles dépendances, monsieur le ministre ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. La réponse est oui, madame la sénatrice ! Le Président de la République et le chancelier de la République fédérale d’Allemagne ont annoncé hier qu’ils souhaitaient développer un produit d’épargne qui permettra notamment d’investir davantage dans l’industrie européenne, et sans doute en premier lieu dans l’industrie de défense, qui – il faut le reconnaître – est aujourd’hui encore trop nationale.

La France est un grand pays de défense, mais aussi un grand pays d’industrie. Pour avoir une industrie de défense de classe mondiale, il faut que le marché de celle-ci dispose de débouchés au-delà du territoire national.

Si le secteur de la défense est fort dans notre pays, c’est pour l’heure en partie grâce à la commande publique. Comme vous le savez, bien que la défense soit exclue du code de la commande publique par des directives européennes, nous avons la possibilité – et c’est heureux – de nous prévaloir de la préférence nationale, pour notre défense nationale comme pour l’exportation.

Il nous faut parvenir à marcher sur ces deux jambes.

Certains dossiers relatifs au secteur de la défense ont été bloqués, tandis que d’autres dossiers ont été autorisés sous réserve de conditions très strictes. Chaque dossier fait l’objet d’un travail d’orfèvre guidé par la souveraineté nationale, en lien avec le ministère de la défense, notre objectif étant de développer une industrie de défense puissante et de qualité. Cela suppose de disposer de davantage de capital, notamment européen.

Toute action concourant au renforcement de notre capacité de défense européenne est naturellement bienvenue.

Comme le Président de la République l’a indiqué dans son discours de la Sorbonne, la défense est l’un des grands axes stratégiques européens qui doivent faire l’objet de manière durable d’une préférence européenne, ce qui est le cas en France, mais pas nécessairement partout ailleurs en Europe.

Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour la réplique.

Mme Hélène Conway-Mouret. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Avec Pascal Allizard, nous avons convoqué les mêmes arguments pour souligner l’importance de soutenir le financement de la base industrielle et technologique de défense et éviter les difficultés qu’emporte la situation actuelle, en particulier la nécessité, pour nos entrepreneurs, de faire appel à des investisseurs étrangers.

En ce qui concerne les mécanismes de contrôle qui sont à l’œuvre et qui peuvent être renforcés, je citerai le veto que les États-Unis opposent une dizaine de fois par an au rachat d’entreprises américaines par des entreprises étrangères, quand nous ne bloquons que trois projets de ce type chaque année dans notre pays. Peut-être avons-nous des progrès à faire dans le sérieux que nous devons exiger des investisseurs qui peuvent avoir des envies de prédation sur ce que nous possédons de plus précieux.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac.

Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier Arcelor, leader mondial de l’acier, Pechiney, leader mondial de l’aluminium, Alstom, géant mondial de l’énergie, mais aussi Technip, Lafarge, Alcatel et Essilor ; demain, peut-être, Biogaran ou Atos : depuis quinze ans, la fragilisation et la vente de nos fleurons industriels ont été sans précédent.

Jamais, en si peu de temps, nous n’avons perdu ce que des générations de Français ont mis des décennies à bâtir.

À qui la faute, me direz-vous, mes chers collègues ? Au tournant des années 2000, la faute à cette idée folle : ce « monde qui vient » verrait les pays développés délocaliser à l’étranger, pour ne garder que les services. En somme, une mondialisation heureuse où le marché n’entrerait jamais en concurrence avec les intérêts nationaux.

Pendant quinze ans, cette vaine croyance a infusé dans toutes les sphères, politique, économique, financière. Une sorte d’exception française s’appuyant sur l’idée que les investisseurs n’ont pas de passeport.

Tous les courants politiques ont leur part de responsabilité, mais certains plus que d’autres. Le Président de la République a été ministre de l’économie entre 2014 et 2016. Son revirement souverainiste post-covid, certes salutaire, paraît tardif et surtout, une fois de plus, soufflant dans le sens du vent.

Le mal a été fait. S’il s’annonce peu aisé, le rétablissement doit tous nous mobiliser.

Pour mémoire, nous débattons d’un dispositif qui a pour origine un décret jugé trop protectionniste à l’époque, et qui avait été réactivé par Arnaud Montebourg avant sa démission. « On a toujours tort d’avoir raison trop tôt », disait Marguerite Yourcenar.

S’il n’est plus possible de réparer la casse de ces quinze dernières années, tentons aujourd’hui de défendre ce qui peut l’être.

Le contrôle des investissements étrangers est, à ce titre, une arme. Nous avons vu en septembre dernier le Gouvernement élargir le champ des activités dites stratégiques aux matières premières critiques, de même que le Sénat a voté récemment un suivi plus soutenu des engagements pris au titre du dispositif IEF.

Indéniablement les choses avancent, et il faut le saluer.

Terminé le temps des grandes fusions, aux éléments de langage préparés par les banques conseils, les cabinets et les agences de communication – « mariage entre égaux », « nouveau leader mondial » ! La crise de souveraineté vécue pendant le covid-19 aura rendu inaudibles ce genre d’arguments auprès des Français. Nos compatriotes ont montré qu’ils étaient attachés à leurs fleurons, et en tant que décideurs publics nous devons accompagner ces aspirations.

Assez ironiquement, les liquidateurs d’hier sont de toute évidence devenus les grands défenseurs de la souveraineté française d’aujourd’hui, quitte parfois à « montrer les muscles » en surjouant l’esprit du dispositif IEF. Chacun en conviendra : une vision souveraine met du temps à s’acquérir.

D’un extrême à un autre, nous sommes passés en 2014 de la vente d’Alstom à General Electric, qui ne concernait rien de moins que notre autonomie nucléaire, au blocage, en 2021, de la fusion entre Carrefour et Couche-Tard ; celle-ci ne présentait pourtant aucun risque pour la souveraineté alimentaire. Sept ans s’étaient écoulés, pendant lesquels le Président de la République d’aujourd’hui a fini par désavouer le ministre de l’économie de François Hollande qu’il était alors.

Le contrôle des investissements étrangers doit donc s’exercer à bon escient : frapper juste, au bon endroit et sans excès. L’idée est d’en minimiser l’imprévisibilité sans décourager non plus les investisseurs étrangers, à plus forte raison lorsque nos intérêts stratégiques ne sont pas menacés.

Cela m’amène à la réflexion suivante. Depuis plusieurs années, notre droit se sédimente à l’épreuve du temps et des événements ; il nous faut maintenant consolider une doctrine d’emploi ferme et efficace.

Aux États-Unis, le système du CFIUS, pourtant bien plus dur que notre dispositif IEF, n’aura jamais été l’ennemi des affaires, bien au contraire !

Aujourd’hui, l’actualité rattrape la théorie et se télescope avec le présent débat. Il s’agit de la vente de Biogaran et du potentiel démantèlement d’Atos, deux dossiers qui seront scrutés quant à l’emploi que Bercy fera du dispositif IEF. Des paroles transpartisanes fortes ont été exprimées sur le dossier Atos ; je les salue et y apporte mon soutien.

Bien que n’étant doté jusqu’à présent d’aucune prérogative en la matière, le Parlement a toujours été un rempart et un aiguillon de vérité pour défendre le patrimoine industriel des Français.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Marta de Cidrac. Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, je souhaitais non pas vous poser une question, mais vous soumettre ces réflexions.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. J’ai bien entendu vos réflexions, madame la sénatrice : je suis d’accord sur l’essentiel, mais votre présentation de certains dossiers, notamment celui d’Alstom, était quelque peu biaisée.

On oublie souvent de raconter la totalité de l’histoire : quand Alstom a décidé de vendre ses turbines à General Electric, la société était dans une situation extrêmement difficile. Elle s’est ensuite développée, puis est devenue un des champions mondiaux du transport via l’acquisition de Bombardier, que j’ai évoquée tout à l’heure. Dans le même temps, l’activité des turbines à gaz s’est effondrée dans le monde : GE a perdu énormément d’argent et a finalement décidé de revendre ses activités, que nous allons – je l’espère, car la transaction n’est pas encore complètement actée – racheter, dans le cadre de la relance du nucléaire.

Il faut donc faire attention, et regarder toute l’histoire : grâce à la transaction que certains ont regrettée, nous avons aujourd’hui un champion mondial dans le secteur du matériel de transport ferroviaire. Je ne sais pas dans quel état serait Alstom si la société avait gardé son activité turbines.

Concernant les autres dossiers sensibles – Biogaran, Atos –, nous les suivons de très près. Tout dépend de l’identité des acquéreurs potentiels, mais s’ils viennent de l’étranger, et a fortiori d’un pays situé en dehors de l’Union européenne, nous faisons un examen minutieux : nous sommes prêts à nous opposer à des transactions ou à imposer des conditions draconiennes, dans le respect de l’équilibre que j’ai précédemment présenté.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.

Mme Marta de Cidrac. Monsieur le ministre, l’idée est non pas de refaire l’histoire et de vous demander de nouveau des explications, mais d’être vigilant pour l’avenir, comme vous l’avez dit.

J’ose espérer que les parlementaires que nous sommes seront aussi associés à ces réflexions. C’était le sens principal de mon intervention, car nous abordons là des sujets très sensibles qui peuvent relever de la souveraineté nationale. J’espère que nous aurons votre attention.

M. Roland Lescure, ministre délégué. Vous l’aurez !

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais commencer par remercier, à mon tour, et saluer notre collègue Jean-Baptiste Lemoyne d’avoir pris l’initiative de ce débat.

Dès la proclamation du principe de liberté des relations financières entre la France et l’étranger en 1966, les sujets de défense ont été exclus de son application, au nom de l’intérêt de la Nation. Par la suite, à partir des années 1980 et plus récemment avec le décret Montebourg et la loi Pacte, la France a fait le choix de contrôler les investissements étrangers en France dans divers autres domaines, en soumettant à l’autorisation de Bercy les IEF portant sur une activité réalisée en France et qui, même occasionnellement, participe à l’exercice de l’autorité publique ou est de nature à porter atteinte aux intérêts nationaux.

Sont ainsi concernés, comme cela a été dit à plusieurs reprises – je ne les rappellerai donc pas –, les secteurs dits sensibles par nature, dont la liste est dressée par voie réglementaire.

Plus récemment, le ministre de l’économie a souhaité renforcer les contrôles et, depuis le 1er janvier 2024, ont été incluses dans cette liste les activités portant sur les matières premières critiques, la photonique, les technologies intervenant dans la production d’énergie bas-carbone et la sécurité des établissements pénitentiaires. De même, le régime d’autorisation a été étendu aux prises de contrôle de succursales en France par des entités de droit étranger, et – cela a aussi été dit, voilà l’inconvénient d’être le dernier orateur ! – le seuil déclenchant le contrôle IEF dans les sociétés françaises cotées a été abaissé de 25 % à 10 % des droits de vote.

Cette volonté de renforcer les contrôles se comprend, car elle permet de protéger les intérêts stratégiques français et d’éviter que nos fleurons puissent tomber dans les mains d’États qui pourraient chercher à nuire à la France ou dont les valeurs sont trop différentes des nôtres.

Toutefois, il faut être prudent et ne pas tomber dans un protectionnisme exacerbé. Nous ne pouvons pas, dans le cadre de notre objectif de souveraineté économique et industrielle européenne, nous désoler du manque d’investissements en Europe si nous les entravons, en particulier s’ils sont intraeuropéens. Rappelons que les entreprises de l’Union européenne sont, elles aussi, soumises à la plupart des contrôles mis en place.

Plusieurs spécialistes s’inquiètent de la tendance actuelle au durcissement des contrôles qu’ils estiment être un frein à la constitution de géants européens dans des secteurs stratégiques. Nous devons rester un pays, un continent, ouvert aux capitaux étrangers afin de permettre l’émergence d’un véritable marché de l’investissement dans l’Union européenne.

Un équilibre doit donc être trouvé entre protection de nos intérêts et développement de notre souveraineté économique et industrielle européenne.

Aussi, monsieur le ministre, je souhaiterais savoir comment vous envisagez la construction d’une approche européenne en matière d’IEF qui permettrait de concilier protection de nos actifs stratégiques et nécessité de faire émerger des géants européens dans le cadre de la construction d’une souveraineté économique européenne. La France se positionne-t-elle à Bruxelles en faveur d’une véritable vision européenne sur la question des investissements intraeuropéens ou préférez-vous vous en tenir à une vision plus nationaliste ? Si tel est le cas, pour quelles raisons ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué, pour répondre à M. Pellevat, puis pour quelques propos conclusifs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Monsieur le sénateur, je vous remercie de vos remarques, qui montrent la nécessité de trouver un équilibre : nous souhaitons une France et une Europe ouvertes sur le monde, en mode « conquête » et non en mode « citadelle imprenable, mais assiégée ».

Nous devons agir en Européens, même si un certain nombre d’éléments importants de souveraineté restent nationaux. J’y insiste, il faut trouver un équilibre. À ce stade, la coordination entre les pays est bien développée, mais sachez que cinq États membres de l’Union n’ont pas de procédure IEF ou l’équivalent, quel que soit le nom qu’on lui donne.

Un règlement européen en cours de discussion devrait contraindre chaque État membre à avoir sa propre procédure, car nous ne souhaitons pas qu’un pays ou un autre devienne le lieu privilégié pour servir de cheval de Troie.

Cher Jean-Baptiste Lemoyne, je tenais à vous remercier tout particulièrement, ainsi que Mme Lienemann, qui ne siège plus dans cet hémicycle, mais avec laquelle vous avez beaucoup travaillé sur ce dossier depuis de nombreuses années. En effet, vous nous permettez de débattre aujourd’hui de manière extrêmement franche, transparente, lucide et équilibrée du sujet des investissements étrangers en France – c’est un défi –, et plus généralement de l’intelligence économique. Il faut que nous puissions, à la fois, nous protéger et nous projeter de manière structurée et systématique, en informant la représentation nationale sur le dispositif, mais aussi en l’associant aux réflexions. Pour tout cela, je vous remercie infiniment.

Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis 2019, nous avons profondément rénové notre dispositif national d’intelligence et de sécurité économiques, au-delà d’ailleurs du seul contrôle des investissements étrangers en France, avec trois objectifs : protéger nos actifs stratégiques d’une déstabilisation, tout en captant les opportunités de partenariats internationaux bénéfiques et en maintenant le principe d’une économie ouverte ; garantir nos chaînes d’approvisionnement, car, nous l’avons vu pendant la crise du covid-19, elles peuvent être mises à mal ; prévenir l’application d’une réglementation étrangère qui affecterait nos intérêts économiques, industriels et scientifiques – un point important, même si nous l’avons peu évoqué aujourd’hui.

Pour atteindre ces trois objectifs, nous utilisons des outils qui nous permettent de prioriser notre surveillance sur des entreprises, des laboratoires publics, des technologies critiques et des secteurs particuliers. Nous avons évidemment en tête des États dont nous nous méfions un peu plus que d’autres – il faut le reconnaître.

Ce dispositif élargi et renforcé nous a permis de détecter et de traiter près de 1 000 cas de sécurité économique en 2023, soit trois fois plus qu’en 2020, ce qui traduit la montée en puissance de notre détection et peut-être aussi celle des risques. Nous avions répertorié 350 alertes de sécurité en 2020, 480 en 2021, puis 700 en 2022 et, je viens de le dire, presque 1 000 en 2023.

Pour entrer dans le détail, près de 50 % des alertes sont de nature capitalistique : investissement, achat d’une part minoritaire, etc. Ensuite, 40 % des alertes concernent des risques sur les savoirs et savoir-faire stratégiques. Enfin, 10 % des alertes relèvent d’actions de déstabilisation ou du simple droit commun.

En la matière, je vous assure que nous n’avons que des partenaires, et aucun ami.

Parallèlement, le Gouvernement a significativement renforcé ses instruments d’action selon le principe que toute alerte détectée doit être traitée.

Au-delà du contrôle des investissements étrangers, sur lequel je vais revenir, notre premier réflexe est de toujours établir un dialogue avec les entreprises et les investisseurs identifiés de façon à éluder, atténuer ou éliminer la menace. Face au développement des législations à portée extraterritoriale, nous avons renforcé – c’est un point très important – l’applicabilité et la reconnaissance de la loi du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, dite loi de blocage. Ce texte vise à nous prémunir contre des demandes d’information au titre de procédures judiciaires ou administratives que nous qualifierions d’abusives.

Nous avons ainsi, par un décret récent du 18 février 2022, créé un guichet d’accompagnement des entreprises qui est rapidement monté en charge – on a noté 98 saisines en deux ans –, avec une reconnaissance quasi systématique par les autorités étrangères de son action.

Nous mobilisons également des fonds publics, en lien avec Bpifrance, notamment la poche d’investissement French Tech Souveraineté dotée de 650 millions d’euros.

Enfin, nous venons, par un décret très récent du 14 mai 2024, de renforcer le dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la Nation. Il permet d’empêcher des individus ou des entités malintentionnés d’accéder aux savoirs et savoir-faire sensibles.

Par ailleurs, et l’essentiel de nos débats aujourd’hui ont porté sur ce point, la France dispose désormais de l’un des régimes les plus aboutis s’agissant du contrôle des investissements étrangers en France. Je ne le décrirai pas, car il l’a déjà largement été par vous, mesdames, messieurs les sénateurs, dans vos interventions et par moi-même dans mes réponses. Le dispositif a été renforcé trois ou quatre fois au cours de ces dernières années. En janvier 2024, il a été étendu à la recherche et développement (R&D) dans les technologies bas-carbone, d’extraction, de transformation et de recyclage de matières critiques : ces secteurs sont, si je puis dire, les derniers nouveaux venus !

Nous avons aussi renforcé les moyens humains, comme j’ai eu l’occasion de l’évoquer : près de 30 personnes travaillent quotidiennement à l’instruction des demandes et au suivi des engagements, et je les en remercie.

Malgré le ralentissement de l’activité de fusions-acquisitions dans le monde, l’activité du contrôle des IEF est restée stable en 2022. Vous aurez le rapport complet pour 2023, qui devrait être prêt d’ici à la fin du mois de juin, mais les premières indications que nous avons eues montrent une relative stabilité de l’activité. Le nombre de dossiers était de 325 en 2022, de 328 en 2021 et le chiffre sera similaire en 2023.

En 2022, 131 opérations d’investissement étranger ont été autorisées par le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, 53 % d’entre elles étant assorties de conditions pour préserver les intérêts nationaux. Ce taux s’élève, dans le secteur de la défense, qui représente à lui seul 40 % des procédures IEF, à 76 % des autorisations délivrées.

Le rapport qui sera disponible à la fin de juin sera complété par les informations que vous aviez demandées à la suite du dernier rapport, notamment d’informations sur les contrôles des contrôles. Une fois le contrôle effectué et les conditions fixées, est-ce suivi d’effets ? La réponse est oui : le suivi est fait de manière systématique.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Roland Lescure, ministre délégué. Je ne serai donc pas plus long, même si j’avais encore de nombreuses choses à vous dire. Je me réjouis que nous soyons parvenus à porter le sujet au niveau européen, qui est la bonne échelle pour rééquilibrer le dialogue avec nos plus grands partenaires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le groupe auteur de la demande.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier chacun de mes collègues pour leur contribution à cette « première », ainsi que les représentants de la communauté de l’intelligence économique qui assistent à nos débats en tribune. Comme toute « première », elle est sûrement perfectible, mais elle a le mérite d’exister. Nous aurions préféré, monsieur le ministre, pouvoir tenir ce débat en étant éclairés en amont des données du rapport annuel 2024, que vous annoncez pour le mois de juin.

Ce que je retiens néanmoins, c’est que la France est sortie du déni et qu’elle s’est dotée d’une politique de sécurité économique ainsi que d’outils permettant de faire respecter sa souveraineté industrielle et technologique.

Beaucoup a donc déjà été fait ; néanmoins, beaucoup reste aussi à faire.

C’est vrai pour le contrôle des IEF. Un certain nombre de collègues ont insisté pour que le suivi dans la durée des engagements soit systématiquement réalisé. C’est indispensable, sinon le dispositif ne serait qu’un tigre de papier qui ne dissuaderait plus. Raison pour laquelle le Sénat a souhaité, la semaine dernière, adopter un amendement pour que le rapport intègre cette dimension. Je comprends que tel sera le cas dans le rapport de juin prochain. Nous pouvons donc l’écrire dans la loi, cela ne posera pas problème. J’insiste sur ce point puisque la commission mixte paritaire se tiendra demain.

Ensuite, faire plus et mieux, c’est aussi mettre en place une véritable stratégie d’intelligence économique – Franck Montaugé l’a évoquée – qui intègre la sécurité économique, mais en allant au-delà. Akli Mellouli signalait que le concept d’intelligence économique était à la croisée des chemins du droit, de la politique, de l’économie.

Alors, comment faire ?

Premièrement, il faut qu’un volet offensif complète le volet défensif. Roland Lescure l’a dit et Pascal Allizard a renchéri : la meilleure défense, c’est l’attaque. Nous sommes d’accord sur ce point. Il faut travailler sur l’influence normative, c’est la première des priorités. Qui fait la norme fait le marché. Anticiper les normes, les maîtriser, c’est bien ; les produire ou les coproduire, c’est encore mieux.

À cet égard, je rends hommage à l’Agence française de normalisation (Afnor). Mais attention, un certain nombre de pays sont en voie de nous rattraper : je pense à la Chine. Nous devons être vigilants et mettre les bouchées doubles.

Deuxièmement, il faut créer un véritable cercle de confiance qui associe mieux les collectivités locales, les entreprises, les partenaires sociaux, les acteurs de l’intelligence économique – le Club des directeurs de sécurité des entreprises (CDSE), le Syndicat français de l’intelligence économique (Synfie) –, les prestataires spécialisés et les citoyens.

La stratégie d’intelligence économique doit être déclinée sur et avec les territoires. Il y a là un enjeu de meilleure coopération entre l’État et les collectivités, et de formation pour les élus locaux concernés. Je me réjouis que des prestataires dans ce domaine travaillent à des modules sur l’intelligence économique, pour sensibiliser les élus.

Il faut également sortir du réflexe très français de rétention de l’information. « Confidentiel défense » signifie « circulez, il n’y a rien à voir », alors que c’est souvent l’inverse…

Pour mettre en musique tout cela, il faut une organisation pérenne, interministérielle et inclusive et un portage politique. Raison pour laquelle nous avions préconisé, avec Marie-Noëlle Lienemann, la création d’un secrétariat général à l’intelligence économique. Je rassure les commissaires du Gouvernement présents : il n’y a rien de personnel. (Sourires.)

M. Roland Lescure, ministre délégué. J’espère bien ! (Mêmes mouvements.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne. On l’a vu, le travail accompli a notamment permis une montée en puissance. Il s’agit de donner encore plus de force, de puissance, au dispositif en s’appuyant sur les structures existantes, d’assurer un meilleur portage politique et d’amplifier l’« aller vers » les acteurs territoriaux, économiques, sociaux, universitaires ou de recherche.

Tout cela constitue une impérieuse nécessité. Il est loin le temps de la soi-disant « fin de l’Histoire » des années 1990, de la chute du mur de Berlin et de la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ! Nous sommes désormais dans le temps du retour des empires, du blocage de l’OMC, avec une économie tributaire de la géopolitique : il suffit de regarder ce qui se passe dans les détroits, à Taïwan ou à Aden.

Le rapport Martre de 1994 appelait à « une œuvre de longue haleine », parce qu’il fallait changer les états d’esprit et la culture, comme l’a dit également Roland Lescure. Ce débat y contribue.

Je me réjouis que le ministre ait dit – je le prends au mot et le compte rendu en attestera – qu’il était prêt à rendre compte une fois par an, ainsi qu’il l’a fait aujourd’hui. Alors, à l’an prochain, si vous le voulez bien, comme aurait dit Lucien Jeunesse en son temps ! Ce débat inédit a permis de revenir sur plusieurs travaux conduits dans notre Haute Assemblée, dont la qualité montre, une fois de plus, le rôle du Sénat dans la défense de la souveraineté nationale.

Je forme donc le vœu ardent, comme le ministre, que ce rendez-vous annuel soit pérennisé, au bénéfice de la mission constitutionnelle du Parlement en matière de contrôle. Cela permettra de sensibiliser les Français à l’importance de développer notre culture de l’intelligence économique. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Le contrôle des investissements étrangers en France comme outil d’une stratégie d’intelligence économique au service de notre souveraineté. »

6

 
Dossier législatif : proposition de loi ouvrant la possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d'assistant familial
Discussion générale (suite)

Possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d’assistant familial

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, de la proposition de loi ouvrant la possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d’assistant familial, présentée par M. Xavier Iacovelli et plusieurs de ses collègues (proposition n° 522, texte n° 618, rapport n° 617).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi ouvrant la possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d'assistant familial
Article 1er

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Xavier Iacovelli, auteur de la proposition de loi.

M. Xavier Iacovelli, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sur ces travées, dans cet hémicycle, Victor Hugo se fit le défenseur, comme dans ses œuvres et dans son parcours politique, de l’humanisme et de la compassion, plaidant pour un monde dans lequel les enfants sont protégés, éduqués et aimés.

Dans ce même hémicycle, le baron Thénard se fit, de son côté, le symbole de l’indifférence et du manque d’humanité, en s’opposant à la proposition de loi portée par Victor Hugo pour diminuer de seize à dix heures la durée de travail des mineurs.

C’est dans Les Misérables que Victor Hugo parviendra le mieux à dépeindre les idées de cet homme en faisant de la famille Thénardier l’unique responsable des terribles conditions de vie de Cosette, une enfant placée qui subissait chaque jour leur cruauté.

Aujourd’hui, la situation a bien changé. Mais, si la situation que vivait Cosette n’existe plus, les idées de Victor Hugo sur l’importance de protéger les enfants placés sont toujours actuelles. Nous devons agir !

Agir, car ces enfants, ces adolescents, issus de milieux souvent modestes, portent en eux le sentiment d’une vie brisée et des traumatismes multiples.

Agir, car, dans notre pays, il y a encore des milliers de placements judiciaires non exécutés, laissant les enfants en danger dans leur famille.

Agir, car, selon les magistrats, 77 % des juges des enfants renoncent à prendre une mesure de protection faute de places dans les structures d’accueil de leur département.

Agir, car, selon l’inspection générale des affaires sociales (Igas), 49 % des enfants qui décèdent sous les coups de leurs parents vivaient dans des familles déjà connues des services sociaux.

Agir, car, en dépit de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet, des enfants sont abandonnés dans des hôtels sociaux sans encadrement. Quand ils ont la chance d’être placés dans les structures de l’aide sociale à l’enfance (ASE), ils le sont dans de mauvaises conditions du fait des sureffectifs, comme en Dordogne, où le taux d’occupation des foyers est de 140 %.

Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur cette réalité. Nous devons valoriser et soutenir davantage les familles d’accueil, les assistants familiaux, qui sont les véritables piliers de notre système de protection de l’enfance.

Les assistants familiaux, ces femmes et ces hommes qui dédient leurs vies à des enfants protégés, sont les garants d’un avenir plus serein pour ces jeunes mineurs vulnérables. Ils jouent un rôle crucial en offrant un cadre de vie stable et affectueux, loin des abus et de la négligence que ces jeunes ont pu connaître dans leur famille biologique.

L’ONU reconnaît que l’accueil familial est le système le plus protecteur des droits et des besoins fondamentaux des enfants. De même, la Convention internationale des droits de l’enfant prévoit que le placement en famille d’accueil doit être la solution privilégiée.

Mais nous savons tous qu’être assistant familial n’est pas simple. Ces assistants ne sont pas de simples prestataires de l’ASE, ils sont bien plus que ça ! Ils consolent, réconfortent, éduquent et intègrent ces enfants meurtris par la vie à leur propre famille. Ils sont nombreux ces enfants qui nous disent aujourd’hui, devenus adultes, que leur « tata » ou leur « tonton » ont été leurs seules ressources et les seuls liens affectifs dont ils bénéficient. Car la fonction d’assistant familial ne cesse pas à la fin du contrat…

Pourtant, les assistants se retrouvent souvent mis de côté par l’administration de l’ASE. Je pense notamment à l’élaboration du projet pour l’enfant dont ils sont quasi systématiquement exclus par les départements, alors qu’ils sont au cœur de la vie de ces mineurs. Comment expliquons-nous que ces suppléants parentaux, qui vivent au quotidien auprès de ces enfants, ne soient même pas associés aux audiences des juges des enfants ?

Leur expertise est précieuse et il est temps que notre société reconnaisse pleinement la valeur de leur engagement en les considérant comme des travailleurs sociaux à part entière.

La proportion d’accueil familial est passée de 50 % à 40 % en seulement huit ans. Il y a encore quelques années, la France était pourtant reconnue en Europe pour avoir déployé une politique d’accueil familial d’importance.

Malgré la loi Taquet, qui autorise les assistants familiaux à travailler au-delà de la limite d’âge de départ à la retraite afin de prolonger l’accompagnement du mineur ou jeune majeur de moins de 21 ans, le nombre d’assistants familiaux continue de diminuer.

Plusieurs facteurs expliquent ce recul, notamment des conditions de travail extrêmement difficiles, ainsi que des contraintes financières parfois lourdes.

Alors, mes chers collègues, c’est pour faire face à cette demande urgente que je vous présente cette proposition de loi visant à permettre de concilier une activité professionnelle avec la fonction d’assistant familial, afin de lever un de ces freins qui existent encore.

Face à une situation où 74 700 mineurs sont actuellement accueillis par seulement 38 000 familles, où la pyramide des âges laisse envisager le pire à un horizon de cinq ans, il est urgent d’agir.

Le droit au répit, établi dans la loi Taquet, ne peut être appliqué en raison du manque d’assistants familiaux pour assurer la suppléance.

Ce texte vise à donner la possibilité à ceux qui ont un travail dans la fonction publique de devenir, à la suite de formations dédiées et obligatoires, des assistants familiaux, pour permettre la mise en œuvre de ce droit au répit.

J’entends dire que cette proposition de loi permettra de ne lever qu’un frein pour faire face à cette pénurie, qu’elle ne révolutionnera pas le système général de la protection de l’enfance et qu’elle ne réglera pas le problème de l’attractivité de la fonction d’assistant familial.

Je sais la charge immense qu’entraîne ce métier, mais ce texte tend à donner la possibilité à ceux qui le veulent et le peuvent de devenir assistant familial pour sauvegarder ce qui me semble le plus important : un lien social dans une famille qui pourra offrir de la stabilité à un enfant.

Permettre à ceux qui travaillent à temps partiel, notamment dans la fonction publique, de cumuler leur emploi avec la fonction d’assistant familial, comme c’est déjà le cas dans le secteur privé, ne peut que renforcer l’attractivité de ce métier, et donc sauver des vies. Car, dans le secteur privé, il est déjà possible de concilier un emploi et la fonction d’assistant familial. Néanmoins, au cours des auditions, la méconnaissance de cette possibilité a été mentionnée.

Il est donc important que les départements, compétents en la matière, puissent lancer de larges campagnes de recrutement, à la fois dans le secteur privé et dans le secteur public, si cette loi est adoptée.

Mes chers collègues, c’est avec une grande inquiétude que je vous parle aujourd’hui. Si nous ne réagissons pas dès maintenant, posons-nous la question : où iront ces enfants ?

Nous avons, en responsabilité, voté la fin des hôtels sociaux pour les enfants protégés : les assistants familiaux sont notre seule chance ! C’est un métier d’avenir.

Les enfants dont nous parlons aujourd’hui ne sont pas seulement « les enfants de personne », comme ils se présentent souvent ; ils sont avant tout les enfants de tous, ceux de la République. Les protéger, c’est assumer notre responsabilité collective, honorer notre devoir envers eux et assurer l’avenir de notre pays.

Je remercie l’ensemble des personnes présentes en tribune ce soir, anciens jeunes protégés par l’ASE, et les fédérations d’assistants familiaux qui nous regardent en direct.

Je remercie mon groupe, celui du RDPI, d’avoir permis que ce texte puisse être inscrit à l’ordre du jour, ainsi que l’ensemble de mes collègues, tant au sein de notre groupe que dans les autres groupes, sur toutes les travées, de l’avoir cosigné et de m’avoir exprimé leur soutien.

Je remercie enfin Solanges Nadille, rapporteure du texte, et Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales, qui ont contribué à améliorer la proposition de loi, dans le sens de l’intérêt général.

En effet, ce texte incarne véritablement l’intérêt général, transcendant tous les clivages politiques. Cent soixante-deux ans après le roman de Victor Hugo, faisons en sorte que l’histoire de Cosette ne se reproduise pas !

Cette proposition de loi permettra de lever un frein, ce qui permettra de répondre à l’état d’urgence du secteur de la protection de l’enfance.

Oui, cette proposition de loi n’est pas révolutionnaire, elle n’engagera pas à elle seule la révolution nécessaire pour la protection de l’enfance ; mais elle est un petit pas, sans lequel nous n’avancerons jamais.

Oui, nous avons tant à faire encore pour faire bouger les choses, mais je garde espoir, espoir pour ces jeunes, qui sont les enfants protégés de toute la Nation, espoir pour les assistants familiaux, qui sont la meilleure solution pour ces jeunes, espoir aussi en la ministre, qui, je l’espère, va ouvrir un certain nombre de chantiers sur la protection de l’enfance.

Pour ces jeunes, pour l’attractivité du métier des assistants familiaux, pour répondre à cette urgence, pour le secteur de la protection de l’enfance, je vous invite, mes chers collègues, à voter en faveur de ce texte qui ouvre la possibilité de concilier une activité professionnelle avec le métier d’assistant familial. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDSE. – Mmes Élisabeth Doineau et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Solanges Nadille, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Nelson Mandela disait que nous devons aux enfants, les êtres les plus vulnérables de toute société, une vie exempte de violence et de peur.

La protection de nos enfants fait partie de ces sujets qui nous rassemblent, au-delà des clivages politiques.

Disons-le d’emblée, cette proposition de loi déposée par mon collègue Xavier Iacovelli ne vise pas à réformer en profondeur le système de protection de l’enfance. Ce n’est d’ailleurs pas tant d’une nouvelle grande loi que nous avons besoin que d’une pleine application des dispositifs déjà votés.

Comme le notait déjà notre ancien collègue Bernard Bonne en juillet 2023, les acteurs doivent encore s’approprier pleinement de nombreuses mesures de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants.

En revanche, ce texte a pour objectif de lever le verrou juridique qui empêche aujourd’hui un agent public de cumuler son emploi avec un autre emploi public d’assistant familial. Il vise à répondre à une problématique précise et identifiée par les employeurs publics, sur laquelle il a paru utile à la commission d’intervenir. Il s’agit là d’une avancée concrète qui sera utile à de nombreux enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance.

Cela étant dit, avant de vous présenter le texte, permettez-moi de rappeler brièvement le contexte dans lequel il s’inscrit.

Les assistants familiaux, chargés d’accueillir des mineurs et des jeunes de moins de 21 ans à leur domicile, sont des acteurs essentiels de la protection de l’enfance. Ils constituent l’un des tout premiers modes d’accueil des enfants de l’aide sociale à l’enfance et permettent de répondre aux besoins de stabilité, d’encadrement et de sécurité de ces enfants.

Selon les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), à la fin de l’année 2021, 74 700 jeunes, soit 40 % de l’ensemble des jeunes confiés à l’ASE dans l’Hexagone, étaient hébergés en famille d’accueil.

Cette prépondérance du mode d’accueil familial est tout aussi vraie en outre-mer ; les assistants familiaux assurent par exemple plus de 60 % des accueils de l’ASE dans mon territoire de la Guadeloupe.

La profession connaît toutefois une démographie déclinante, en raison d’une pyramide des âges vieillissante et d’un défaut d’attractivité à l’embauche. En 2021, on comptait 38 000 assistants familiaux, à 90 % des femmes, leur âge médian s’élevant à 55 ans. Les effectifs d’assistants familiaux employés par les départements ont ainsi diminué de 7,2 % entre 2017 et 2022.

Cette situation varie selon les départements. Certains territoires, du fait de leurs particularités, sont plus épargnés. Toutefois, beaucoup d’autres territoires sont en première ligne dans cette pénurie de recrutement. Le département du Pas-de-Calais a vu ses effectifs d’assistants familiaux décroître de 2 100 professionnels en 2019 à 1 700 en 2024, quand la Savoie a connu une chute de près de 30 % entre 2017 et 2022.

Lors des auditions, plusieurs acteurs du secteur ont expliqué que le métier souffrait d’un manque de notoriété. Un effort de communication semble donc indispensable pour faire connaître ce métier et ainsi attirer de nouveaux profils.

De plus, il apparaît nécessaire d’agir pour permettre aux employeurs publics d’élargir leur vivier de recrutement. Actuellement, le code de l’action sociale et des familles ne permet qu’aux seuls assistants familiaux de droit privé, généralement salariés d’une association, de cumuler, dans le silence de leur contrat de travail, un second métier relevant du secteur privé.

En revanche, un agent public – et peu importe sa quotité de travail – ne peut pas cumuler son emploi public avec un emploi d’assistant familial. En effet, le statut de la fonction publique veut que l’agent public se consacre entièrement à son métier, sauf dérogations spécifiquement prévues ou encadrées par la loi. Cela empêche concrètement des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) exerçant un emploi à temps non complet de quelques heures par semaine d’être recrutés par un département pour héberger un enfant confié à l’ASE.

Le texte initial de l’article 1er visait à modifier le code général de la fonction publique, en instaurant deux régimes juridiques, selon que l’agent public exerce à temps non complet ou à temps complet. L’agent à temps non complet pourrait exercer une activité d’assistant familial après une simple déclaration à son administration. La commission a souhaité simplifier le dispositif en ne permettant le cumul d’activité que sous un seul régime d’autorisation préalable de l’autorité hiérarchique.

L’article 2 tendait à encadrer l’assouplissement de la possibilité de concilier un emploi public et la fonction d’assistant familial. Il prévoyait que, dans ce cas, l’agrément n’autorise l’accueil que d’un seul mineur âgé d’au moins 3 ans et relevant de la protection de l’enfance. Par ailleurs, l’article précisait que l’assistant familial bénéficiait d’une formation dont la durée ne pouvait être inférieure à soixante heures, dans une période de six mois après obtention de l’agrément.

Au regard de la diversité des situations d’accueil des enfants ainsi que de la réalité propre à chaque territoire, la commission n’a pas souhaité inscrire dans la loi ces modalités d’encadrement. Elles pourraient se révéler trop rigides sur le terrain et remettre en cause l’effectivité du texte. En effet, en fonction de la réalité de chaque situation, ce cumul d’emplois pourrait aussi bien concerner des personnes qui exerceraient en soutien d’autres assistants familiaux, afin de faciliter la prise de congés et l’effectivité du droit au répit, que des prises en charge à part entière d’enfants scolarisés ou non.

Par ailleurs, il n’est pas apparu pertinent de prévoir une formation potentiellement plus courte pour les agents publics souhaitant cumuler leur métier avec celui d’assistant familial. Il est important, pour garantir la même qualité d’accueil chez les assistants familiaux, que tous ces professionnels bénéficient de la même formation de 240 heures et suivent également le stage préparatoire prévu par la loi avant le premier accueil d’enfant.

C’est pourquoi, sur ma proposition, la commission a supprimé cet article 2, afin de renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de définir les règles d’encadrement. Le décret, après concertation des acteurs, employeurs comme représentants des assistants familiaux, permettra de déterminer au mieux les conditions permettant ce cumul d’emploi, tout en préservant l’intérêt supérieur des enfants protégés. Il couvrira également toutes les situations de cumul, quelle que soit la seconde activité professionnelle exercée, afin de ne pas créer de rupture d’égalité entre les agents publics et les salariés de droit privé.

Madame la ministre, je compte sur votre engagement pour que ce décret soit pris très rapidement, après la promulgation de la loi, afin d’assurer la pleine effectivité de cette évolution.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce texte nous semble nécessaire pour apporter une première réponse aux difficultés de recrutement que connaît la profession d’assistant familial, en autorisant un assouplissement bienvenu du cadre d’exercice du métier, le rendant ainsi plus attractif, et ce avec pour seul objectif l’intérêt des enfants.

En effet, en audition, plusieurs acteurs ont souligné le fait qu’autoriser les assistants familiaux à cumuler cette activité avec un emploi public, dans des conditions adéquates, constituait un intérêt pour l’enfant dans le sens où avoir une famille qui travaille favoriserait chez l’enfant un sentiment de normalité et lui ferait prendre conscience de la valeur travail.

S’il faut réformer plus en profondeur notre système de protection de l’enfance, et avancer également sur le volet de la formation des assistants familiaux, cette proposition de loi constitue sans aucun doute une brique utile pour une meilleure prise en charge des enfants protégés. Rendre plus attractif le métier d’assistant familial via un cumul d’activités encadré, c’est augmenter le nombre d’enfants protégés pouvant être accueillis en famille d’accueil, et ainsi répondre aux besoins de stabilité, d’encadrement et de sécurité de ces enfants.

C’est pourquoi la commission vous invite à adopter ce texte dans la rédaction issue de ses travaux. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, très cher Philippe Mouiller, madame la rapporteure, très chère Solanges Nadille, mesdames, messieurs les sénateurs, chers jeunes en tribune qui suivez ces travaux, nous parlons d’un sujet fondamental et essentiel : les enfants dont nous avons la responsabilité et la charge et dont nous devons assurer la protection. Nous allons parler plus spécifiquement des familles qui accueillent les enfants confiés.

Je tiens à remercier le sénateur Xavier Iacovelli, pour plusieurs raisons : je connais sa détermination, son engagement et sa motivation pour que la protection de l’enfance évolue. Oui, c’est un combat, et le groupe RDPI a fait le choix de mettre à l’honneur le métier d’assistant familial en l’ouvrant à d’autres professionnels qui exercent déjà une activité en tant qu’agent public. C’est un choix que je salue.

Cependant, il me semble nécessaire de partager une vision plus large. Aujourd’hui, la situation de la protection de l’enfance est tendue, et, disons-le, le système est en crise, à un niveau rarement connu. Nous avons immédiatement lancé des groupes de travail pour trouver des solutions, dans un temps très court. Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin de réponses. Ces groupes de travail ont été lancés avec les départements, ainsi qu’à l’Assemblée nationale, où se tient une commission d’enquête qui s’intéresse au système de la protection de l’enfance et à sa capacité à protéger les enfants dans de bonnes conditions.

Il faut construire des solutions. Nous connaissons une partie d’entre elles. Le temps est venu de continuer à améliorer le système de la protection de l’enfance. Cela passe inévitablement par la prévention, le soutien à la parentalité et l’accompagnement.

Dans ce système, l’accueil en famille est pour moi la clé : qu’il soit assuré par un tiers de confiance, dans le cadre de l’accueil durable et bénévole, et bien sûr chez les assistants familiaux. Près de 40 000 assistants familiaux accueillent plus de 70 000 enfants. Ces assistants familiaux sont souvent des femmes, qui offrent à ces enfants l’essentiel : un accompagnement et un lien d’attachement – j’assume ce terme d’attachement – leur permettant de grandir et de se construire.

La mission d’assistant familial est spécifique et doit être mieux connue, mieux comprise et aussi mieux reconnue : c’est d’abord et avant tout un métier, qui nécessite une formation préalable et continue. C’est aussi un engagement exigeant, pour l’assistant familial, d’une part, et pour sa famille et ses proches, d’autre part.

C’est un engagement au quotidien et, même s’il est nécessaire de disposer de temps de répit ou de congés, certains assurent une permanence de l’accompagnement, considérant que les enfants accueillis font partie intégrante de leur famille.

La loi du 7 février 2022 a mis en valeur ce mode d’accueil en sécurisant le statut et la rémunération des assistants familiaux : je pense à la rémunération minimale au niveau du Smic dès le premier enfant confié, à la garantie de rémunération en cas d’absence de placement par le conseil départemental, aux contrats de travail qui peuvent à présent proposer au moins un week-end complet de répit par mois, ou encore à la reconnaissance de la participation absolument essentielle des assistants familiaux à l’équipe pluridisciplinaire – c’était et c’est toujours une demande très forte de ces professionnels.

Toutefois j’entends que ce n’est pas suffisant – ces mesures n’avaient pas vocation à l’être. Bien qu’essentielles, elles restent une première étape.

Toutefois, les irritants sont nombreux ; la Haute Assemblée et moi-même sommes capables de les entendre et d’apporter des réponses.

Les disparités entre départements sont vécues comme des injustices ; tel est le cas pour les indemnités de sujétions exceptionnelles, prévues afin de compenser l’engagement particulier et les compétences particulières nécessaires à la prise en charge des enfants complexes.

Le sentiment de défiance ressenti par certains assistants familiaux est protéiforme. Les services de l’ASE ne les reconnaissent pas toujours comme des membres à part entière des équipes ; les services de la protection maternelle et infantile (PMI) exigent malheureusement toujours plus de normes à respecter, au-delà du référentiel réglementaire national ; quant aux juges, ils ne prendraient pas en compte suffisamment la parole des assistants familiaux, qui vivent au quotidien avec ces enfants et les connaissent.

Ces contraintes ont des conséquences, d’abord sur les enfants. Les familles perçoivent les limites de cet accueil.

Ces difficultés ont aussi un impact direct en matière d’attractivité. Et je reconnais bien volontiers que les mesures prises ces dernières années n’ont pas réussi à freiner le risque de chute démographique de ce métier si important.

En 2021, on estimait que la moitié de ces professionnels avait 55 ans ou plus ; un quart avait même franchi le seuil des 60 ans ; enfin, près de 50 % d’entre eux partiront à la retraite à l’horizon de l’année 2033.

Il nous faut poursuivre les efforts entrepris pour qu’ils produisent leurs effets ; mais il faut aussi aller plus vite. L’ouverture à de nouveaux profils fait partie des solutions que nous devons explorer. Ainsi, nous avancerons.

La proposition de loi qui nous est présentée par le sénateur Xavier Iacovelli est donc une brique de solutions, une brique dans une stratégie plus globale de revalorisation des métiers du lien, de la profession d’assistant familial, qu’il nous faut construire avec l’ensemble des acteurs.

Cette proposition tend à corriger des inégalités entre les agents du secteur public et les salariés du secteur privé. C’est une loi d’égalité.

Aujourd’hui, il n’est pas possible pour un agent public d’exercer en cumul d’activités la profession d’assistant familial, alors même qu’il accompagne peut-être déjà des enfants. Je pense aux infirmiers et aides-soignants de la fonction publique hospitalière, ou encore aux professionnels de l’éducation nationale, comme les instituteurs et les professeurs, qui accueillent déjà, en réalité, des enfants. Ce cumul est possible pour les travailleurs du secteur privé, qu’ils soient agriculteurs, graphistes ou professeurs de danse – et c’est très bien ! Certains départements ont saisi cette possibilité de cumul, d’autres non.

Quel est l’intérêt de cette disposition ? Élargir le vivier de profils et d’expériences, attirer de nouveaux profils d’accueillants et créer des vocations nouvelles. Tel est du moins mon souhait. Je crois que la diversité des profils est une chance. Mais j’entends les craintes : il n’est pas question ici d’amoindrir la formation et les compétences nécessaires pour être assistant familial. Il faudra en définir les contours précis. Je m’engage, madame la rapporteure, à ce que le décret prévu y pourvoie, pour les agents publics comme pour les salariés du privé, après la consultation des professionnels, des départements et des jeunes.

Ce texte est aussi une occasion de s’interroger sur les conditions de travail de l’ensemble des assistants familiaux. Ils sont unanimes : c’est l’amélioration des conditions de travail qui permettra de rendre de nouveau ce métier attractif.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avec cette proposition de loi, vous mettez en lumière une profession qui a besoin de soutien, qui a besoin de vous.

C’est pourquoi je souhaite aller plus loin : il est de notre responsabilité collective d’améliorer les conditions de travail de ceux qui exercent ce métier, avec passion.

Je lancerai dans les prochains jours une concertation, avec les acteurs, sur l’évolution du statut des assistants familiaux : ce sont les premiers éducateurs du quotidien des enfants. Je rencontrerai prochainement, de manière plus formelle, les fédérations d’assistants familiaux, les syndicats et les associations de placement familial, pour amorcer de véritables évolutions.

Il n’y aura aucun tabou : la notion d’attachement – j’y crois, et il faut la défendre –, le cumul d’emplois, la formation, le diplôme d’État, la simplification attendue, l’agrément et la relation avec les services de la PMI, les conditions matérielles d’exercice de la profession, l’organisation du travail, les voies et moyens d’adoption – voilà qui fait débat, mais je suis prête à engager des discussions – et même l’intitulé du métier, puisque les assistants familiaux le demandent – familles d’accueil, assistants familiaux ou, demain, éducateurs de famille, pourquoi pas ? Osons !

Il sera nécessaire de s’appuyer sur vos travaux et sur nos débats, ainsi que sur les initiatives des départements. Je pense à la Haute-Marne, qui a intégré pleinement les assistants familiaux au sein des équipes pluridisciplinaires départementales ; à la Meurthe-et-Moselle et à sa maison des assistants familiaux, qui accompagne les professionnels dans leurs pratiques professionnelles ; ou encore aux réunions d’information régulières dans le département de Maine-et-Loire, pour assurer un recrutement continu.

Notre ambition est de rénover en profondeur le statut des assistants familiaux, car j’ai la conviction que c’est la pierre angulaire de l’avenir de la protection de l’enfance : nous avons besoin de plus d’assistants familiaux, mais aussi d’une plus grande diversité de professionnels, venant d’horizons différents, disposant de compétences différentes, pour répondre d’abord et avant tout aux besoins des enfants.

Je pense notamment aux familles d’accueil thérapeutique ou aux familles d’accueil médico-social, qui peuvent accueillir des enfants de l’ASE qui ont plus de besoins. Ces enfants sont polytraumatisés ou en situation de handicap, ces enfants ont besoin de soins : il faudra être au rendez-vous.

Le soutien de ces familles d’accueil thérapeutique, conformément aux objectifs définis par les Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, est une priorité. Nous souhaitons mettre en place dès 2025 un dispositif de coordination du parcours de soins des enfants confiés, au-delà du dispositif Santé protégée, après la sortie de la protection de l’enfance.

Nous souhaitons mieux reconnaître et accompagner la mission thérapeutique des assistants familiaux qui accueillent des enfants dits plus vulnérables, ayant plusieurs vulnérabilités, telles que des troubles psychiatriques, psychologiques, ou parce qu’ils ont subi des traumatismes.

Cette proposition de loi apporte une solution. C’est la raison pour laquelle je souhaite de nouveau la saluer, tout comme je m’engage à poursuivre des travaux pour continuer à améliorer les conditions de travail et d’exercice de ces professionnels, et ainsi créer de l’attractivité pour un métier à part entière.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis convaincue qu’ensemble nous pouvons construire de nouvelles perspectives pour les enfants, en travaillant avec et pour les assistants familiaux.

Je souhaite aussi dire aux jeunes ici présents qu’ils ne seront plus jamais seuls. Parce que oui, nous travaillons à briser les silences, à briser les tabous sur les violences, sur l’éducation, sur la santé, sur l’accompagnement des jeunes majeurs. Nous nous battrons pour vos droits, pour la protection, pour votre protection et en réalité pour l’ensemble des enfants français. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDSE. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Richer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Pierre Richer. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les assistants familiaux sont un maillon essentiel de la protection de l’enfance. Dans 88 % des cas, ils sont employés par les départements dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance, dans les autres cas par des associations.

Les enfants confiés à l’ASE peuvent l’être à la suite d’une décision judiciaire ou administrative ; leurs parents peuvent être dans l’incapacité de s’en occuper, maltraitants ou bien avoir disparu.

Dans ces circonstances, on comprend qu’il soit préférable pour l’enfant d’être confié à un vrai foyer plutôt qu’à l’institution.

Toutefois, encore faut-il que cela soit possible. Comme le relève l’auteur de cette proposition de loi, Xavier Iacovelli, dont je tiens à saluer l’engagement en faveur de cette cause, seuls 40 % des jeunes bénéficiant d’une mesure de placement sont actuellement pris en charge dans une famille d’accueil.

Les retours de nos territoires révèlent une situation qui se dégrade, avec une baisse continue du nombre d’assistants familiaux disponibles, de l’ordre de 1,4 % par an depuis 2017, selon un rapport de la Cour des comptes.

Cette situation varie selon les départements, mais elle est particulièrement prégnante dans certains d’entre eux, dans la région des Hauts-de-France notamment, comme l’a rappelé Mme la rapporteure.

Malgré des campagnes de recrutement, les départements peinent à trouver des volontaires et même à retenir les assistants familiaux déjà en exercice. Cela est aussi vrai dans le département dont je suis élue, le Cher.

Deux facteurs contribuent à cette pénurie : un manque d’attractivité de la profession et le vieillissement des effectifs.

Les assistants familiaux sont de plus en plus sollicités pour répondre au manque de structures adaptées, et le plus souvent dans l’urgence.

On leur demande d’accueillir des jeunes aux profils toujours plus difficiles. Par manque d’unités d’accueil ou de soins, des familles prennent en charge des enfants présentant des pathologies, des troubles psychiatriques ou un handicap lourd.

Le droit au répit des assistants familiaux, pourtant si nécessaire, est rarement effectif. Les familles relais, permettant par exemple de libérer un week-end, manquent, et les services de la protection de l’enfance sont dans l’ensemble saturés.

Par ailleurs, il s’agit d’un métier financièrement peu attractif, compte tenu de l’amplitude horaire travaillée et de l’implication familiale suscitée.

Force est de constater, madame la ministre, que la loi Taquet de 2022 n’est pas parvenue à enrayer cette perte d’attractivité. Le rapporteur de ce texte au Sénat, notre ancien collègue Bernard Bonne, que je salue, notait lors des débats que la profession avait besoin d’une meilleure reconnaissance. Il soulignait que les assistants familiaux sont trop souvent mis à l’écart des décisions concernant l’enfant et subissent parfois les contrôles de l’aide sociale à l’enfance dans un climat de défiance à leur égard.

Nous avions alors prévu que l’assistant familial puisse participer à l’établissement et au suivi du projet pour l’enfant. Un an plus tard, une mission d’information sénatoriale sur les conditions d’application des lois ne relevait aucune amélioration sur ce point.

Je tiens à insister, madame la ministre, sur la nécessité d’intégrer les assistants familiaux aux décisions qui concernent l’enfant. Je pense que nous sommes d’accord. (Mme la ministre déléguée acquiesce.) Il me semble également primordial d’améliorer leur accompagnement.

La présente proposition de loi n’a pas pour ambition de résoudre l’ensemble des difficultés conduisant à une crise des vocations. Cela a été rappelé. Cependant, elle ouvre une nouvelle possibilité d’accès à la profession. Dorénavant, un cadre juridique existera pour les agents de la fonction publique qui souhaiteraient accueillir des enfants, parallèlement à l’exercice de leur métier.

J’évoquais tout à l’heure les besoins en familles relais : la proposition de loi favorisera ce type de prise en charge. Elle permettra de recruter de nouveaux profils particulièrement adaptés : je pense aux travailleurs sociaux, aux infirmiers, aux AESH, qui sont déjà au contact d’enfants et peuvent souhaiter aller plus loin en devenant famille d’accueil.

Je tiens à saluer le travail et la qualité d’écoute de notre rapporteure, Solanges Nadille, qui a su simplifier le dispositif, tout en veillant à ce qu’il soit adapté aux réalités du terrain, et donc efficient.

Le public potentiellement concerné n’a pas été chiffré. Il sera important d’assurer la communication sur cette mesure, madame la ministre, afin qu’elle puisse susciter le plus de vocations possible.

Notre groupe votera bien évidemment en faveur de cette proposition de loi, mais nous souhaitons également qu’elle s’inscrive dans une politique plus large de reconnaissance et d’accompagnement des assistants familiaux, assortie de davantage de moyens, car il est du devoir de l’État d’offrir aux enfants en souffrance, dans leur parcours mouvementé, une halte, un refuge, un accueil bienveillant et pérenne. Nous le leur devons bien. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joshua Hochart.

M. Joshua Hochart. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner une mesure importante pour l’avenir de notre système de protection de l’enfance. Face à la pénurie de familles d’accueil, particulièrement dans le département dont je suis élu, le Nord, il est impératif d’agir de manière ambitieuse et novatrice.

Nous devons tout mettre en œuvre pour attirer de nouveaux profils vers cette vocation noble qu’est l’accueil familial des enfants en difficulté.

Les chiffres sont éloquents : en 2021, près de 40 % des mineurs confiés à l’ASE étaient accueillis par des assistants familiaux. Pourtant, seul un jeune sur deux bénéficiant d’une mesure de placement est actuellement pris en charge dans une famille d’accueil. Cette situation alarmante contrevient aux recommandations internationales, qui préconisent de privilégier l’accueil familial plutôt que le placement en institution.

Nous devons garantir à ces jeunes, dont l’enfance est déjà émaillée de drames ou de difficultés, un environnement familial structurant, nécessaire à leur épanouissement et à un développement harmonieux.

Le texte qui nous est proposé aujourd’hui représente une occasion inédite de renforcer l’attractivité de cette profession essentielle d’assistant familial. En permettant aux personnes employées à temps partiel, notamment dans la fonction publique, de cumuler leur emploi avec ce rôle, nous élargissons considérablement le vivier de candidats potentiels. Cette mesure favorisera une diversité d’expériences et de parcours, enrichissant ainsi la prise en charge des mineurs placés.

De plus, en limitant l’accueil à un seul enfant âgé de plus de 3 ans, nous garantissons un accompagnement personnalisé et de qualité, répondant aux besoins spécifiques de ces jeunes en pleine transformation. Cette approche individualisée est essentielle pour assurer leur épanouissement et leur bien-être.

En votant pour ce texte, nous réaffirmons notre engagement envers les droits fondamentaux des enfants. Nous leur offrons la chance de bénéficier d’un environnement familial structurant, comme cela est recommandé par les normes internationales.

Au-delà de cet aspect crucial, nous envoyons également un signal fort aux assistants familiaux actuels et futurs, nous reconnaissons leur dévouement et leur rôle indispensable dans la protection de nos enfants les plus vulnérables. En facilitant la conciliation de leur vocation avec une activité professionnelle, nous valorisons leur engagement et leur offrons de meilleures perspectives d’épanouissement personnel.

Ces assistants familiaux incarnent pleinement le rôle de l’aidant. Plus de 12 millions de Français vivent chaque jour, et fréquemment se sacrifient, au service de leurs proches dépendants ou, plus généralement, au service des autres. Ces engagements altruistes et bien souvent désintéressés doivent être davantage récompensés par la Nation, surtout quand ils visent à offrir un nouveau foyer aimant et sécurisant à des enfants déjà en situation de vulnérabilité.

Mes chers collègues, en soutenant ce texte, nous répondons à une urgence sociale et humaine. Nous agissons pour préserver la dignité et les droits de nos enfants, tout en renforçant l’attractivité d’un métier essentiel pour notre société. Il y a là un devoir moral et une responsabilité collective que nous devons assumer avec détermination.

Nous voterons donc en faveur de cette mesure ambitieuse, porteuse d’espoir pour notre système de protection de l’enfance et pour l’avenir de nos jeunes les plus vulnérables. Nous pouvons faire la différence dans la vie de ces enfants, et leur offrir un avenir meilleur, en respectant les principes de fraternité de notre République et en valorisant le rôle crucial des aidants familiaux. (Mme la rapporteure applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « il est plus facile de construire des enfants forts que de réparer des hommes brisés ». C’est fondamentalement l’un des rôles de la protection de l’enfance que de pourvoir à une telle construction ; malheureusement, nous n’empruntons pas le chemin de la facilité…

Les dernières années nous le démontrent : le nombre de demandes de placement et le nombre d’enfants sans solution d’hébergement augmentent, et ce par insuffisance de moyens. Pourtant, en vingt ans, le budget consacré à l’aide sociale à l’enfance est passé de 4,6 milliards à plus de 9 milliards d’euros.

L’année dernière, dans le département du Nord, 550 millions d’euros ont été investis dans cette politique, soit une augmentation de 100 millions d’euros en trois ans. Dans le Pas-de-Calais, 172 nouvelles places d’accueil devraient ouvrir prochainement. Ces moyens, hélas ! ne suivent pas les besoins, qui explosent avec une célérité déconcertante : depuis le début des années 2000, le nombre de mesures a augmenté de plus de 40 %.

Parallèlement, le nombre d’assistants familiaux a quant à lui chuté, la démographie de la profession étant extrêmement vieillissante. Les chiffres qui ont déjà été présentés sont alarmants ; ils témoignent de la détérioration continue de la situation. Dans le département dont je suis élue, comme vous l’avez très justement rappelé en commission, madame la rapporteure, le nombre d’assistants familiaux a chuté de 2 100 à 1 700 entre 2019 et 2024, alors que, sur les trois dernières années, 1 285 enfants supplémentaires ont fait l’objet d’une décision de justice.

Faire plus avec moins, c’est peut-être possible dans certains domaines, mais ça ne l’est pas quand le facteur humain est en jeu, quand il y va d’enfants et de familles en difficulté. Ainsi, même si c’est loin d’être l’alpha et l’oméga de la protection de l’enfance, l’augmentation rapide du nombre d’assistants familiaux est indispensable. En effet, la pénurie concerne non pas les seuls assistants familiaux, mais l’ensemble des travailleurs sociaux. Ce secteur est dans l’attente de signaux positifs.

Par conséquent, toute solution permettant d’augmenter le nombre d’assistants familiaux dans de bonnes conditions est bienvenue. C’est tout l’objet de cette proposition de loi, dont la mise en œuvre permettrait aux agents publics exerçant à temps partiel de devenir assistant familial, comme cela est déjà possible dans le secteur privé.

À titre personnel, j’étais favorable à ce que cette possibilité soit limitée à l’accueil d’un seul enfant, car ce métier est difficile et demande une grande disponibilité. Sur proposition de la rapporteure, la commission a adopté un amendement renvoyant à un décret la définition des conditions de cumul de l’activité d’assistant familial avec une autre activité professionnelle ; c’est une bonne chose.

À cet égard, madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur un point de vigilance qui concerne les travailleurs sociaux ou administratifs qui exercent dans le secteur de la protection de l’enfance et pourraient être candidats au métier d’assistant familial : ceux-ci pourraient être confrontés à un conflit d’intérêts, étant acteurs ou responsables du suivi et de l’évaluation des placements tout en étant directement impliqués dans la prise en charge d’enfants. D’un point de vue déontologique, cette double casquette pourrait compromettre l’objectivité qui est nécessaire pour que les décisions soient prises dans l’intérêt supérieur de l’enfant et de sa famille. Il me semble essentiel de maintenir une séparation claire entre ces rôles ; les décrets le permettront certainement.

Ce texte ne révolutionnera ni l’activité des assistants familiaux ni la protection de l’enfance en général, mais, s’il peut permettre l’accueil d’enfants supplémentaires dans de bonnes conditions, un pas de plus sera franchi dont nous ne pouvons pas nous priver.

Au nom des travailleurs sociaux, dont j’ai fait partie pendant trente-cinq ans, je vous remercie, monsieur Iacovelli, de cette proposition de loi ; notre groupe votera pour. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE et UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet et de m’exprimer sur cette proposition de loi, je veux remercier son auteur, Xavier Iacovelli. Je sais son engagement inconditionnel en faveur de la protection de l’enfance. Je remercie aussi Solanges Nadille, qui officie pour la première fois en tant que rapporteure : chère Solanges, je vous remercie de votre sensibilité et de votre détermination dans la défense de cette proposition de loi.

Je salue également tous nos collègues qui sont ici présents : nous ne parlons pas assez de la protection de l’enfance, en dehors de quelques séquences particulières, comme celles qui ont conduit à la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, promulguée sous l’égide de notre collègue Laurence Rossignol, alors ministre chargée de l’enfance, et à la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, issue du texte d’Adrien Taquet, alors secrétaire d’État chargé de l’enfance.

Pourtant, ce sujet devrait être considéré comme fondamental et prioritaire. Or, disais-je, nous n’en parlons pas suffisamment. Conclusion : nous n’investissons que trop peu ce terrain de la protection de l’enfance ; cette politique publique permet pourtant à des enfants de sortir de difficultés qui sont plus ou moins grandes selon les cas et selon les parcours de vie, mais qui toujours demandent notre attention pleine et entière.

Je veux citer quelques chiffres – ils recoupent d’ailleurs ceux qui ont déjà été mentionnés par les uns et les autres – de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), car ils donnent une idée du contexte. Nous apprenons notamment, dans l’édition 2023 du dossier de cette direction sur l’aide sociale à l’enfance, qu’entre 1998 et 2021 le nombre de mesures d’ASE a été multiplié par 1,4 ; que les mesures d’accueil ont contribué à 80 % de la hausse totale du nombre de mesures depuis 2015 ; que la part relative des bénéficiaires de l’ASE accueillis chez des assistants familiaux, qui était encore de 50 % en 2015, s’établit à 40 % en 2021, chiffre cité par quelques-uns d’entre vous, mes chers collègues.

Le constat est clair : le nombre de mesures d’accueil augmente, alors que l’on assiste, dans le même temps, à une dégringolade du nombre d’assistants familiaux. Même si ces derniers demeurent le premier mode d’accueil, que l’ONU, je le rappelle, préconise de privilégier, on risque de se retrouver bientôt au point de bascule au-delà duquel cette modalité deviendra le plus souvent inaccessible, obligeant à se tourner vers l’accueil en établissement. Or un certain nombre d’enfants, on le sait, ont besoin de retrouver un cocon familial, où s’appliquent des règles, ces règles qui n’avaient pas nécessairement cours dans la famille que, le cas échéant, ils ont quittée et où faisait défaut la structure éducative nécessaire à leur développement.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui va-t-elle répondre au problème posé ? Certes non, mais un pas essentiel serait malgré tout franchi si nous l’adoptions, car nous nous donnerions ainsi les moyens de recruter de nouveaux assistants familiaux.

Le groupe Union Centriste soutiendra ce petit pas : la discussion de ce texte nous donne à tout le moins matière à parler de la protection de l’enfance, ce qui est une très bonne chose. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui nous rassemble autour d’un constat, celui de la pénurie d’assistants familiaux et de ses conséquences pour la protection de l’enfance, sujet sur lequel nous attendons qu’une nouvelle loi soit présentée, mais aussi que les précédentes soient appliquées.

Loin des images réductrices, quoique toujours véhiculées, attachées à la nourrice, près de 38 000 assistants, ou plutôt assistantes, exercent une profession relevant du travail social et du soin, qu’il s’agit de valoriser en améliorant ses conditions d’exercice et en renforçant son statut. C’est sur ce point que cette proposition de loi divise : si son examen ouvre un débat légitime, la réponse apportée ne saurait être la solution, car elle risque de précariser la profession et de nuire à la qualité de l’accueil des enfants.

L’accueil familial demeure une composante essentielle de la protection de l’enfance. Selon la Drees, à la fin de 2021, près de 40 % de l’ensemble des jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance sont accueillis chez un assistant familial. Cette profession exercée à 90 % par des femmes est un métier qualifié. Accueillir un enfant suppose une disponibilité à toute épreuve, temporelle comme psychique, de multiples déplacements et contraintes. Il s’agit notamment d’accompagner l’enfant à ses rendez-vous de prise en charge médicale et psychologique ainsi qu’aux visites médiatisées avec les parents, qui ont lieu dans des espaces de rencontre accessibles entre neuf heures et dix-sept heures, de participer à des réunions d’équipe, de récupérer l’enfant à l’école lorsqu’il le faut.

À énumérer toutes ces tâches, il est aisé de se rendre à l’évidence : le cumul avec une autre activité professionnelle à temps plein est illusoire. Ouvrir cette possibilité risque d’ailleurs d’être de peu d’effets. Aujourd’hui, les départements, qui emploient 88 % des assistants familiaux, n’acceptent que rarement le cumul d’emplois, en raison de l’indispensable disponibilité que le métier requiert. La conciliation d’un emploi de la fonction publique, éventuellement à temps complet, avec une activité d’assistant familial référent nous semble donc difficile.

En revanche, cette proposition de loi aurait pu être l’occasion d’offrir des temps de répit aux assistants familiaux référents, via la mise en place de binômes pour ces temps, et d’agir, ce faisant, sur l’attractivité du métier.

M. Xavier Iacovelli. C’est ce que nous faisons !

Mme Raymonde Poncet Monge. C’est pourquoi nous avons déposé des amendements, soutenus par plusieurs associations et syndicats d’assistants familiaux, visant à autoriser le cumul d’une activité d’assistant familial avec une activité professionnelle à temps partiel seulement et uniquement lors de périodes courtes, week-ends de répit ou congés, et dans le cadre de la constitution de binômes d’assistants familiaux.

Une telle mesure permettrait à l’assistant familial référent de bénéficier de ce que le sociologue Erving Goffman appelle des « coulisses », soit des temps de vie pour se ressourcer, et à son binôme de découvrir la profession ; elle permettrait également de limiter les ruptures « sèches ».

La crise des métiers d’éducateur et la raréfaction de l’offre de soins, notamment dans le domaine de la pédopsychiatrie, entraînent un isolement croissant des assistants familiaux, dans un contexte de prise en charge complexe, les enfants présentant des pathologies de plus en plus sévères.

La volonté d’améliorer les conditions d’exercice du métier d’assistant familial va de pair avec le souci de prendre soin des enfants placés, qui exigent une attention particulière. Les solutions sont structurelles et ne sauraient reposer sur une version du « travailler plus » revenant à créer des « sous-assistants familiaux », qui affecterait la profession comme les enfants.

Pour les travailleurs et travailleuses comme pour les enfants, il est urgent de répondre à la crise de l’attractivité du métier d’assistant familial, en sécurisant le statut et les conditions de travail et de vie de ceux qui l’exercent, et ce par la mise en place d’une protection sociale égalitaire, par l’instauration d’un cadre d’emploi de l’accueil familial au sein de la fonction publique territoriale et par la création de structures d’accueil de jour à même de prendre en charge les situations d’urgence ou d’offrir des offres de relais.

Le groupe écologiste déterminera son vote en fonction de la prise en compte de ses amendements. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K. – Mme Marion Canalès applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe RDPI propose aux agents de la fonction publique qui exercent à temps partiel de cumuler leur activité avec la fonction d’assistant familial, alors même que le ministre Stanislas Guerini veut supprimer le statut des fonctionnaires et faciliter leur licenciement : le problème saute aux yeux…

M. Xavier Iacovelli. On anticipe !

Mme Cathy Apourceau-Poly. La protection de l’enfance connaît une crise importante, un jeune de l’ASE sur deux seulement étant pris en charge dans une famille d’accueil. Cette situation ne va pas s’améliorer dans les années à venir, la moitié des 38 000 assistants familiaux ayant plus de 55 ans.

Le département dont je suis élu, le Pas-de-Calais, a été cité tout à l’heure. En cinq ans, on y a enregistré 10 % de signalements supplémentaires et le nombre d’enfants placés y a augmenté de 20 %, pour s’établir à plus de 7 200. Le nombre d’assistants familiaux, quant à lui, est passé dans le même temps de 2 028 à un peu moins de 1 800.

Madame la ministre, nous avons besoin que l’État nous alloue des moyens supplémentaires, car nos départements sont à bout de souffle et ne tiendront pas.

Face à la pénurie de professionnels qui s’annonce, ce texte prévoit de renforcer l’attrait du métier d’assistant familial en permettant de cumuler un emploi public à temps non complet avec le rôle d’assistant familial. Dans le rapport parlementaire sur l’aide sociale à l’enfance présenté en 2019 par les députés Perrine Goulet et Alain Ramadier, il était proposé d’étendre aux agents de la fonction publique cette possibilité de cumul, afin d’accroître le nombre d’assistants familiaux.

Mais même les meilleures intentions peuvent se retourner contre nous : si une telle solution peut paraître séduisante à première vue, le cumul d’activités comporte également de sérieuses limites.

Ce texte accompagne l’explosion du travail à temps partiel, qui concerne 17 % des salariés en 2023 et majoritairement les femmes, une femme sur quatre exerçant à temps partiel. Cette évolution du monde du travail concerne également la fonction publique : au total, 31 % des femmes y sont à temps partiel ; dans la catégorie C de la fonction publique d’État, cette proportion s’élève à 50 %.

En permettant aux assistants familiaux de cumuler cette activité avec un autre emploi, ce texte remet en cause la volonté de professionnaliser le métier d’assistant familial et consacre la possibilité qu’il ne soit qu’un « second job », tandis que les retours d’expérience font état d’un « métier à temps plein ».

Madame la ministre, le Gouvernement doit s’attaquer à la précarité administrative et financière des agents de la fonction publique en revalorisant leurs traitements indiciaires. Dans le même temps, il nous faut trouver des solutions pour que nos enfants puissent s’épanouir dans une famille d’accueil et y construire leur future vie d’adulte.

Les assistants familiaux demandent la reconnaissance et la revalorisation de leur profession, et notamment l’intégration dans la fonction publique territoriale des 88 % d’entre eux qui travaillent dans les départements, car ils se sentent à part, sans véritable statut. Ils attendent des garanties d’emploi stable, des qualifications reconnues et une rémunération juste. (Mme Annie Le Houerou applaudit.)

Mme Marion Canalès. Très bien !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Entre autres exemples, l’indemnisation des frais kilométriques occasionnés par les rendez-vous médicaux de l’enfant, la prise en charge de l’équipement de puériculture, l’augmentation du nombre de jours de congé ou l’instauration d’un droit à la déconnexion un week-end par mois sont autant de sujets prioritaires pour les syndicats d’assistants familiaux.

En conclusion, l’urgence est de rendre le métier d’assistant familial plus attractif pour faire face aux départs à la retraite massifs ; or ce texte ne permettra pas selon nous d’y pourvoir, car, j’y insiste, l’activité d’assistant familial est un métier à part entière.

Pour ces raisons, nous nous abstiendrons sur le présent texte. J’espère qu’un rapport d’évaluation de cette disposition nous sera remis dans les deux ou trois années à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel.

Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour l’examen de la proposition de loi ouvrant la possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d’assistant familial de notre collègue Xavier Iacovelli, dont nous discutons dans le cadre de la niche du groupe RDPI.

Je souhaite commencer par remercier, au nom du groupe du RDSE, l’auteur de ce texte, Xavier Iacovelli, qui nous permet d’évoquer ce soir un sujet ô combien important.

Élue départementale en Lozère, je mesure, dans le cadre de mon mandat local, le caractère essentiel du métier d’assistant familial dans l’accompagnement du parcours des mineurs et des jeunes majeurs relevant de la protection de l’enfance. Si le département dont je suis élue est relativement épargné par le manque d’assistants familiaux, grâce à un flux régulier de demandes d’agrément, tel n’est pas le cas dans tous les territoires.

Cette question a été évoquée au cours de nos échanges, la crise d’attractivité que connaît le métier d’assistant familial dans notre pays constitue un véritable enjeu de politique publique auquel le Parlement a eu l’occasion d’apporter des réponses dans la loi du 7 février 2022.

Néanmoins, force est de constater que cela ne suffit pas. En effet, notre collègue rapporteure l’a très justement souligné dans ses travaux, les effectifs d’assistants familiaux diminuent en moyenne chaque année de 1,4 % depuis 2017. Sachant que 74 700 jeunes, soit 40 % de l’ensemble des jeunes confiés à l’ASE dans l’Hexagone, sont hébergés en famille d’accueil, voilà qui soulève une sérieuse difficulté quant à la pérennité de notre système de protection de l’enfance dans les années à venir, ledit système étant déjà en proie à de nombreux dysfonctionnements et à un malaise persistant.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous serions plutôt partisans, mes collègues et moi-même, d’une grande loi sur la protection de l’enfance, qui donnerait au secteur un cap clair et ambitieux, s’inscrivant dans le long terme.

Le texte que nous examinons aujourd’hui a toutefois le mérite de lever des freins juridiques qui empêchent les agents publics de cumuler leur emploi avec la fonction d’assistant familial, l’objectif étant d’endiguer quelque peu la baisse des agréments.

Le groupe du RDSE salue cette solution, mais tient à souligner qu’il est absolument nécessaire de mettre en place des garde-fous.

Prévoir que l’agrément n’autorise l’accueil que d’un seul mineur âgé d’au moins 3 ans serait un premier garde-fou intéressant, car les professionnels du secteur sont unanimes pour dire que chaque enfant est unique et présente des spécificités qui impliquent une grande rigueur. En effet, les mineurs relevant de la protection de l’enfance subissent parfois le poids d’un passé douloureux et ont un besoin d’accompagnement médical ou scolaire : se succèdent ainsi rendez-vous chez un orthophoniste ou un psychomotricien, visites médiatisées accordées aux parents par le juge des enfants, réunions avec le référent de l’aide sociale à l’enfance ou temps de concertation, parmi tant d’autres moments incontournables qui rythment leur vie quotidienne.

C’est pourquoi ce premier garde-fou doit absolument être complété par un deuxième, fondamental, lié à la quotité de travail. Nous en avons discuté et ce point me semble faire l’objet d’un consensus large : un agent public à temps complet ne pourrait clairement pas assumer une seconde mission telle que la fonction d’assistant familial. Chaque travailleur, quel que soit son secteur d’activité, a droit à un véritable repos ; cette question fait d’ailleurs l’objet de revendications légitimes de la part des assistants familiaux.

Aussi la profession a-t-elle véritablement besoin, en complément de toutes ces pistes, d’une meilleure reconnaissance, car elle s’investit sans relâche pour garantir le respect des décisions de placement prises par les juges des enfants, et ce dans des conditions souvent très contraintes, qui les astreignent à beaucoup de souplesse et à de nombreuses adaptations de dernière minute.

Ainsi, sous les quelques réserves précédemment évoquées, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen soutiendra ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nadège Havet. Monsieur Iacovelli, mon cher collègue, l’examen de votre texte me permet de saluer l’engagement constant, résolu, qui est le vôtre depuis de nombreuses années en faveur de l’aide sociale à l’enfance. Cette action politique que vous menez en faveur de la sécurité, de la santé et du développement intellectuel et social des jeunes concernés est précieuse ; elle doit être ici soulignée.

L’ambition de la présente proposition de loi est claire : préférer l’accueil familial à l’accueil en institution.

Les assistants qui accueillent ces mineurs ou ces jeunes de moins de 21 ans à leur domicile sont des acteurs fondamentaux de la protection de l’enfance, en ce qu’ils répondent aux besoins essentiels de stabilité et d’encadrement.

Je ne reviendrai pas sur les chiffres, qui ont déjà été largement commentés. Je me contente de redire que seul un jeune sur deux bénéficiant d’une mesure de placement est actuellement pris en charge dans le cadre du mode d’accueil familial ; c’est trop peu. Ce constat nous impose de reconsidérer notre approche, en veillant à ce que chaque mineur bénéficie d’un environnement familial structurant, comme cela est recommandé par les normes internationales.

Ainsi l’enjeu premier est-il celui du renouvellement du vivier des assistants familiaux, dont la situation est doublement préoccupante. Premièrement, le seuil d’âge augmente : un quart d’entre eux a 60 ans ou plus. Deuxièmement, leur nombre est en baisse constante, tendance liée à la faible attractivité du métier. En moyenne, depuis sept ans, les effectifs d’assistants familiaux diminuent de 1,4 % par an.

Au regard de cet état des lieux préoccupant, et s’agissant de redynamiser le recrutement, les mesures contenues dans la loi du 7 février 2022 paraissent insuffisantes, et, parce qu’il y a urgence à augmenter le nombre de familles d’accueil disponibles, il est ici proposé de permettre aux personnes qui travaillent à temps partiel, notamment dans la fonction publique, de cumuler leur emploi avec le rôle d’assistant familial. Il s’agit là d’une excellente initiative ; j’espère vivement qu’elle aboutira aujourd’hui au Sénat et que la navette parlementaire fera très prochainement son office ; je compte sur vous pour cela, madame la ministre.

Le statut de la fonction publique veut aujourd’hui que l’agent public se consacre entièrement à son métier, sauf dérogations spécifiquement prévues par la loi. En l’état actuel du droit, la profession d’assistant familial n’est pas considérée comme pouvant être exercée à titre accessoire par un agent public. C’est pourquoi une modification du code général de la fonction publique doit être réalisée afin d’assouplir les règles de cumul d’emplois des agents publics à temps partiel.

La semaine dernière, sur votre proposition, madame la rapporteure, la commission a adopté à l’article 1er un amendement visant à ne permettre l’exercice de l’activité d’assistant que sous un régime unique d’autorisation préalable de l’autorité hiérarchique. Dans un souci de simplification que nous entendons, ces dispositions relatives aux conditions d’emploi des assistants familiaux seront inscrites dans le code de l’action sociale et des familles.

Par ailleurs, si l’objet du texte est d’encourager « quantitativement » les vocations, il n’est évidemment pas question de sacrifier la qualité de l’accompagnement, car il s’agit, ni plus ni moins, de s’occuper d’un jeune en difficulté.

En ce qui concerne l’encadrement de l’exercice du métier d’assistant familial, la commission a estimé préférable de renvoyer à un décret, pris après concertation avec l’ensemble des acteurs, l’encadrement du cumul d’activités. L’objectif étant d’éviter toute inégalité de traitement, ce texte d’application englobera la situation des agents publics et celle des salariés de droit privé qui souhaiteraient exercer les fonctions d’assistant familial. Là encore, un tel choix nous semble aller dans le sens d’une plus grande clarté du nouveau dispositif.

Je conclus en saluant l’engagement remarquable de tous les professionnels et associations de la protection de l’enfance, qui officient pour le bien-être des enfants, pour les aider à grandir ; c’est bien ce que nous leur devons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Canalès. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marion Canalès. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi a pour objet d’ouvrir la possibilité aux fonctionnaires d’être assistant familial. Ce faisant, elle touche à deux secteurs, la fonction publique et la protection de l’enfance, en proie tous deux à une très forte crise des vocations et de leur attractivité, dont la dégradation affecte notre modèle social et notre pacte républicain.

L’idée-force du texte initial de Xavier Iacovelli est tentante ; elle se voudrait une réponse simple et efficace à une crise extrêmement complexe, qui motive une mobilisation de plus en plus large ; je ne citerai que la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les défaillances des politiques de protection de l’enfance et les travaux en cours du Conseil économique, social et environnemental (Cese), saisi par le Sénat sur l’initiative de notre groupe. Je salue au passage la présence dans notre tribune de plusieurs membres du comité de vigilance des anciens enfants placés : merci à eux de « désinvisibiliser » les dysfonctionnements graves qui les ont concernés et concernent encore près de 360 000 enfants en France.

Ce texte, dans sa version initiale, a suscité des réflexions qui n’auraient peut-être pas été de nature à nous empêcher d’avancer. Néanmoins, je rappelle que c’est bien du texte issu des travaux de la commission que nous discutons ce soir ; or celui-ci pose bien plus de questions.

Cette proposition de loi vise donc à ouvrir aux fonctionnaires la possibilité, déjà offerte aux salariés du secteur privé, de cumuler leur emploi avec une fonction rémunérée d’assistant familial ; pour ce qui est d’occuper une telle fonction de manière bénévole, une telle possibilité de cumul existe déjà, inscrite dans la loi de 2022.

Aligner la fonction publique sur le privé, c’est toucher aux lois de 1946 et de 1983, qui sont à manipuler avec précaution ; mais admettons, pourquoi pas…

Un tel alignement n’aurait néanmoins de sens que si et seulement si cette possibilité avait fait ses preuves dans le privé. Or, précisément, le sentiment persiste qu’en la matière la preuve alléguée repose sur une intuition plutôt que sur un travail objectivé. Nous ne disposons d’aucune statistique, ni sur le nombre d’assistants familiaux qui cumulent l’exercice de cette mission avec un emploi privé, ni sur le type d’emploi que, le cas échéant, ils occupent par ailleurs, ni sur leur temps de travail. L’ouverture d’une telle possibilité dans le secteur privé a-t-elle créé suffisamment de nouvelles vocations pour qu’il soit utile aujourd’hui de l’élargir aux fonctionnaires ? Quid, par ailleurs, de l’impact sur les enfants ?

Il n’a jamais été question de tout cela lors des débats et consultations menés au cours de la préparation et de la discussion de la dernière loi relative à la protection de l’enfance, celle de 2022. Adrien Taquet avait même à l’époque indiqué au Sénat que cette possibilité de cumul n’avait jamais été une demande formalisée par les acteurs entendus pour rédiger ce texte de loi. Voilà qui est dommage : si tel avait été le cas, nous aurions pu glaner quelques éléments sur ce sujet dans l’étude d’impact du projet de loi.

Ce que l’on sait bel et bien, c’est que les 40 000 assistants familiaux font face à de grandes difficultés et que la baisse inexorable de leur nombre traduit ces difficultés rencontrées par la profession. Derrière cette baisse, il y a des situations très alarmantes en matière d’accueil des enfants : des pouponnières débordent, comme dans le département du Puy-de-Dôme, dont je suis élue, et des places manquent partout. Je ne sous-estime pas la grande inquiétude que suscitent ces situations ; nous la partageons.

Cette proposition de loi ne traite pas les causes de ces difficultés, dont les enfants paient les pots cassés : il s’agit d’une parade à une situation bien plus compliquée que ce que suggère la réponse apportée – mais, là encore, admettons.

Ce qui est peut-être plus difficile à admettre, c’est ce que ce texte ne laisse pas de sous-entendre, à savoir que le métier d’assistant familial peut être un complément d’activité, une activité accessoire. Alors que la protection de l’enfance connaît une crise aiguë – crise des vocations et crise d’attractivité des métiers –, qui provoque des drames humains, cumuler cette fonction avec un autre emploi est-il de nature à améliorer l’accueil des enfants et à ne pas dégrader la fonction même d’assistant familial, métier exigeant qui nécessite du temps ?

Par ailleurs, la fonction publique peine elle aussi à recruter, faute d’attractivité ; la réalité de cette autre crise est bien détaillée dans un récent rapport d’information de nos collègues Catherine Di Folco, Jérôme Durain et Cédric Vial, déposé le 28 mars dernier. Ce rapport évoque également la hausse continue de l’absentéisme du personnel pour raison de santé. Nous le disons souvent, nos agents du service public ne vont pas bien !

Trois lois importantes ont été adoptées par différentes majorités au cours des quinze dernières années ; elles ont parachevé une cathédrale normative de 131 articles visant à répondre aux enjeux de la protection de l’enfance. Force est donc de constater que c’est non pas de réformes ou de nouvelles lois que la protection de l’enfance a besoin, mais de l’application réelle de ces réformes et d’une transformation.

Il faut transformer en prenant tous les décrets d’application qui manquent encore à l’appel, comme celui qui est relatif au taux d’encadrement des structures.

Il faut transformer aussi les pratiques professionnelles, en intégrant vraiment les assistants familiaux au parcours de l’enfant accueilli et aux équipes, afin de briser la solitude qui pèse effectivement parfois sur eux. Madame la ministre, vous avez affirmé que c’était déjà le cas dans certains départements, mais il s’agit normalement d’une obligation prévue par la loi, qui doit donc s’appliquer partout.

Il faut encore transformer en assurant la stabilité de l’encadrement et en contrecarrant le turnover des travailleurs sociaux, qui constitue un motif de rupture supplémentaire pour les enfants.

Il faut enfin transformer en sécurisant les parcours, notamment pour les soins des enfants, ainsi que les salaires, afin de permettre la mise en place de vrais relais.

Voter le texte initial de Xavier Iacovelli, pourquoi pas ? Il pouvait répondre à des cas particuliers qui méritaient d’être circonscrits à certaines situations ; tel est d’ailleurs l’objet d’un amendement de notre collègue écologiste. Le texte initial de Xavier Iacovelli aurait pu convenir, disais-je ; néanmoins, la formation de soixante heures prévue était d’une durée beaucoup trop faible, comme cela a été rappelé. Être assistant familial, comme toute fonction du travail social, ne se décrète pas. Mathieu Klein l’a souligné dans son rapport sur le travail social, on ne peut se résigner à dire que « c’est mieux que rien ».

En revanche, madame la rapporteure, le texte issu des travaux de la commission pose, lui, beaucoup de problèmes ; or c’est bien sur ce texte que nous devons nous prononcer.

La notion de temps partiel des fonctionnaires concernés a disparu au profit du temps non complet, « poussé » même au temps complet. Le temps partiel voulu par Xavier Iacovelli portait au moins en lui la notion de choix : on se met à temps partiel, alors que l’on est embauché à temps incomplet.

Pis, le texte que vous nous proposez pousse au temps complet. Or où ces personnes trouveront-elles le temps ? Par ailleurs, vous faites sauter le verrou de l’âge minimal de 3 ans pour l’enfant accueilli. Pis encore, on autoriserait l’accueil de plusieurs enfants. En outre, le détail de ces mesures est renvoyé à un décret ; combien de mois faudra-t-il l’attendre ?

Sommes-nous, faute de réponse, faute de personnel, faute de vocations, faute d’attractivité, faute de considération pour ces métiers, prêts à tout ?

La crise aiguë qui frappe la protection de l’enfance, les scandales à répétition qui touchent les enfants aux parcours que l’on peut – que l’on doit – qualifier d’odieux, ayant conduit certains d’entre eux au suicide, nous obligent à l’action, aux petits pas. Mais dans quelle direction ? Devons-nous accepter que, faute de mieux, de simples veilleurs de nuit aux compétences limitées soient embauchés ? Qu’un titulaire du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (Bafa) soit recruté pour encadrer des jeunes ?

L’idée initiale à l’origine de ce texte repose sur une intuition que je salue, il faut continuer à la creuser et à la circonscrire, mais cette proposition de loi ayant été totalement dévoyée par la commission, elle ne peut, en l’état, que susciter nos réserves. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 14 décembre 2021, dans cet hémicycle même, le ministre Adrien Taquet nous proposait, selon ses termes, un « renouvellement massif de l’investissement de la puissance publique dans la protection de l’enfance ».

Nous avons alors fait le constat qu’il fallait sortir d’une approche trop institutionnelle, se rapprocher des fondamentaux et surtout garder pour seule et unique boussole l’intérêt supérieur de l’enfant. Chaque enfant est unique, chaque histoire est singulière, chaque situation requiert la solution qui sera la moins traumatisante et constituera le terreau optimal de la résilience.

C’est souvent par un placement dans un foyer familial, auprès de professionnels formés, que l’on donnera aux enfants les meilleures ressources protectrices et les conditions de la plus grande stabilité.

Or ceux que l’on appelle les « assistants familiaux » n’ont manifestement pas suffisamment bénéficié de nos travaux, leurs conditions de travail ne se sont pas sensiblement améliorées et ils sont, hélas ! de moins en moins nombreux. Perte de sens, manque de reconnaissance, manque de temps de répit : ces difficultés ont bien été identifiées en 2021, mais elles n’ont pas été levées depuis lors.

Le problème sensible du lien d’attachement, évoqué encore récemment en commission par l’une de nos collègues ayant été elle-même assistante familiale, constitue également un frein à l’engagement. Notre collègue en témoignait, quand on vous enlève l’enfant au bout de trois ans, c’est dur, vraiment dur. Voilà donc l’image que renvoie cette profession : c’est dur…

Aussi, mes chers collègues, nous devons aujourd’hui reprendre nos travaux et continuer d’améliorer les conditions de travail des assistants familiaux, afin de rendre ses lettres de noblesse à la profession.

En assouplissant les règles actuelles applicables aux agents publics pour exercer le métier d’assistant familial, notre collègue Iacovelli veut compenser l’érosion démographique, mais sa proposition va au-delà de cela : en facilitant l’émergence de nouvelles vocations, il crée des conditions d’accueil pour des enfants dont les profils ont également évolué. Ainsi, tout en mesurant les limites de l’impact de ce texte et l’immensité du chemin restant à parcourir, conservons l’idéal : placer aux côtés de chaque enfant en difficulté la bonne personne, un adulte bienveillant, formé et attentif.

En revanche, quelle déception, madame la ministre, de constater que les dispositions de la loi Taquet qui attendent encore leurs décrets d’application sont précisément celles qui portent sur les désignations de parrains, de marraines, de personnes de confiance, qui visent à faciliter l’adoption, etc.

La question centrale qui a longtemps fait obstacle aux possibilités de cumul d’emplois pour les assistants familiaux est le principe même de la compatibilité entre ce métier si exigeant avec un emploi extérieur. On peut imaginer que des fonctionnaires, par exemple de l’éducation nationale, bénéficiant d’horaires compatibles avec le temps scolaire rempliront parfaitement ces missions d’accompagnement qui font d’ores et déjà leur ADN.

J’espère sincèrement que, tant pour des adultes candidats que pour des enfants en souffrance, de nouvelles solutions pourront s’offrir et se construire. Au fond, madame la ministre, mes chers collègues, ce qui nous fait trembler, vous et moi, ce qui nous taraude, c’est la crainte que l’on en arrive, faute de ressources humaines suffisantes, à « caser », par défaut, de jeunes êtres en devenir uniquement là où l’on trouve une place. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui constitue une avancée, puisqu’il permettra d’ouvrir la profession d’assistant familial aux fonctionnaires, qui pourront cumuler l’accueil d’enfants avec leur activité professionnelle à temps partiel.

Il ne résout pas à lui seul le manque d’attractivité de cette profession ni la pénurie de candidats. Néanmoins, il augmente les chances d’accueil pour les enfants dans des familles qui, jusqu’ici, ne pouvaient pas cumuler leur emploi avec l’accueil d’un enfant confié à l’aide sociale à l’enfance.

En proposant l’assouplissement des recrutements, le dispositif que nous examinons aujourd’hui constitue un premier pas. C’est également un moyen de diversifier les profils des assistants familiaux. La reconnaissance financière et statutaire ne suffit pas à revaloriser le métier d’assistant familial ; en autorisant les assistants familiaux, qui sont souvent des femmes, à exercer un emploi à temps partiel, on leur donne une souplesse nécessaire permettant de s’adapter à leurs aspirations nouvelles et légitimes.

En tant que conseillère départementale, j’ai pu m’entretenir avec les services de la Collectivité européenne d’Alsace sur ce texte, qu’ils accueillent très favorablement. Leur priorité étant le recrutement, ils sont tout à fait prêts à travailler avec de nouveaux profils d’assistants familiaux, qui constitueront un nouveau vivier, certes limité, mais ayant le mérite d’exister, d’autant que les services de l’ASE recrutent déjà des salariés à temps partiel du secteur privé, et ils savent s’adapter à leurs contraintes professionnelles, la priorité étant, je le répète, de développer un accueil de qualité.

En Alsace, comme partout, nous devons faire face à un départ massif des assistants familiaux à la retraite. En 2022, on comptait 556 assistants familiaux sur les deux départements alsaciens ; cette année, il y en aura 122 de moins. Nous pourrions pourtant en recruter une centaine. Nous avons certes créé des places collectives, mais elles suffisent uniquement à combler les départs.

Dans l’objectif d’augmenter les possibilités d’accueil, j’avais déposé en commission deux amendements sur ce texte, rédigés en collaboration avec l’association Départements de France. Le premier avait pour objet de ne pas limiter l’accueil à un seul enfant, afin de prendre en compte les fratries, conformément à la loi Taquet de 2022 relative à la protection des enfants, qui demande aux départements de ne pas séparer les fratries. Le deuxième amendement visait à supprimer la borne d’âge de 3 ans afin d’augmenter les chances d’accueil pour les plus petits.

Vous y serez sans doute sensible, madame la ministre, le nombre de bébés sans foyer en Alsace est en forte hausse. Nous n’avons pas assez de places dans les structures collectives, qu’il s’agisse des crèches ou des pouponnières. Résultat – c’est grave –, des nourrissons sont maintenus à l’hôpital alors que ce n’est pas là leur place, victimes de ce qu’on appelle « l’hospitalisme ». Ils manquent donc des liens psychoaffectifs pourtant indispensables à leur développement.

Voilà pourquoi il faut ouvrir la possibilité de cet accueil, car les assistants familiaux peuvent prendre le relais, ne serait-ce que le soir, d’une garde assurée, en journée, en crèche ou à l’école. Comme presque tous les autres enfants de notre pays, ces enfants pourraient retrouver leur famille le soir.

Les services de notre collectivité départementale militent également pour la fusion de l’agrément et du recrutement, ce qui faciliterait la remise à l’emploi.

Ces aspects du texte ayant été renvoyés au pouvoir réglementaire, je souhaitais m’assurer qu’ils seront bien pris en compte dans la rédaction finale du décret et que les départements seront étroitement associés, afin de conserver toutes les qualités de ce texte de loi, que je vote sans réserve aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi ouvrant la possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d’assistant familial

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi ouvrant la possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d'assistant familial
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 1er

I. – (Supprimé)

II (nouveau). – L’article L. 421-2 du code de l’action sociale et des familles est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Un agent public peut être autorisé par l’autorité hiérarchique dont il relève à exercer une activité à titre accessoire d’assistant familial salarié d’une personne morale de droit public ou de droit privé, dans les conditions prévues à l’article L. 123-7 du code général de la fonction publique.

« Les conditions de cumul de l’activité d’assistant familial avec une autre activité professionnelle exercée en tant qu’agent public ou salarié de droit privé sont définies par décret. »

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 2, présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3

1° Au début

Insérer les mots :

S’il occupe un emploi à temps partiel,

2° Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :

Ce cumul est uniquement autorisé lors de périodes courtes dans le cadre d’un accueil relais, et de la constitution de binômes d’assistants familiaux. Les modalités de ce cumul sont définies par décret.

II. – Alinéa 4

Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :

Ce cumul est uniquement autorisé lors de périodes courtes dans le cadre d’un accueil relais, et de la constitution de binômes d’assistants familiaux. Les modalités de ce cumul sont définies par décret.

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Le présent amendement, soutenu par plusieurs associations d’assistants familiaux, a deux objets.

Premièrement, il s’agit de limiter aux seuls agents à temps partiel la possibilité de cumuler une activité professionnelle avec une activité d’assistant familial. Je suis quelque peu étonnée d’entendre répéter que l’activité d’assistant familiale serait réservée aux agents à temps partiel, car, à ce stade, le texte ne prévoit rien de tel ! Je ne suis pas favorable à l’idée de cumuler deux emplois au-delà d’un équivalent temps plein (ETP), d’autant que ce n’est guère compatible avec l’intérêt des enfants accueillis, lesquels ont besoin d’attention et d’accompagnement. Un accueil en continu exige une grande disponibilité.

Deuxièmement, il s’agit de réserver ce cumul à des périodes courtes et ne pouvant concerner que des week-ends de répit ou des congés, dans le cadre d’un accueil relais et de la constitution de binômes d’assistants familiaux.

Cette solution, proposée par plusieurs associations et syndicats d’assistants familiaux et qui fait consensus, permettrait l’arrivée dans la profession de nouveaux entrants, d’assistants familiaux non référents qui prendraient en charge les enfants sur des temps courts. Cela permettrait également d’offrir un temps de répit aux assistants familiaux référents qui, quant à eux, exerceraient l’unique profession d’assistant familial.

Cette solution permettrait donc l’acculturation au métier de ces nouveaux entrants, tout en résolvant les besoins de relais et de répit, dont le manque nuit à l’attractivité du métier. Selon l’Union fédérative nationale des associations de familles d’accueil et assistants maternels (Ufnafaam), ces pauses sont aujourd’hui très difficiles à prendre, car il est compliqué de trouver des familles d’accueil en relais. Il s’agit d’un point très pénalisant, y compris pour le recrutement.

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 3, au début

Insérer les mots :

S’il occupe un emploi à temps partiel,

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Cet amendement et le suivant sont des amendements de repli, visant à « couper » le précédent en deux.

Le présent amendement vise à limiter le dispositif aux agents à temps partiel.

J’ai entendu à plusieurs reprises parler d’un cumul de deux emplois à temps partiel, mais, selon le texte issu des travaux de la commission, un agent administratif à temps complet pourrait très bien exercer en plus le métier d’assistant familial, à temps complet également. Il s’agirait donc ni plus ni moins que de cumuler deux ETP, même si le deuxième n’est pas tout à fait « classique »…

En tout état de cause, il faudrait que la situation de l’enfant accueilli le permette, en étant très stabilisée. Vous nous dites que l’on fera attention et que l’on traitera chaque situation au cas par cas, mais comment résister à la pression de la pénurie si nous n’établissons pas de garde-fous ? Nous le voyons dans d’autres professions, le manque oblige souvent à lever les contraintes…

Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Ce cumul est uniquement autorisé lors de périodes courtes dans le cadre d’un accueil relais, et de la constitution de binômes d’assistants familiaux. Les modalités de ce cumul sont définies par décret.

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Cet amendement, quant à lui, vise à réserver ce cumul aux périodes courtes, dans le cadre d’une sorte de pool d’assistants familiaux relais. Je serais très embêtée que vous ne reteniez pas cette proposition, qui enrichirait qualitativement votre texte, car pour l’instant vous ne recherchez qu’un effet quantitatif, un effet de volume. Vous pourriez y remédier en prévoyant un pool d’assistants susceptibles d’offrir des possibilités de répit aux assistants familiaux, dont le principal problème est de manquer de temps de repos. En introduisant cette dimension qualitative, vous montreriez que vous respectez le métier et les qualifications qu’il requiert, je pense notamment aux 240 heures de formation nécessaires pour l’exercer.

Je ne comprendrais donc pas que vous ne reteniez aucun des deux volets de ma proposition.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Solanges Nadille, rapporteure. L’amendement n° 1 vise à réserver la possibilité d’exercer la profession d’assistant familial aux seuls agents publics à temps partiel. L’amendement n° 2 tend à limiter les cumuls d’emplois aux seuls cas où le métier d’assistant familial serait exercé en relais d’un autre assistant pour une courte période. L’amendement n° 3 a pour objet de combiner ces deux propositions.

La commission a renvoyé à un décret les modalités d’encadrement du cumul d’emplois. Une définition a priori dans la loi paraît trop rigide et risquerait d’amoindrir la portée utile de ce texte. Le fait de travailler à temps partiel ne dit rien de sa disponibilité effective, et ne viser que les personnes à temps partiel risquerait d’interdire le cumul à des agents dont la situation concrète permettrait pourtant d’exercer le métier d’assistant familial.

J’en viens à la proposition de limitation de l’exercice du métier dans le cadre d’un accueil relais ; l’intention des auteurs de l’amendement est tout à fait louable, mais, là encore, inscrire cette mention dans la loi serait trop rigide, s’agissant d’un mode d’organisation qui est aujourd’hui à la main des conseils départementaux. Le décret pourra bien sûr préciser les circonstances dans lesquelles est indiqué un accueil en relais d’un autre assistant familial. J’ajoute que Mme la ministre s’est engagée clairement au cours de la discussion générale quant au contenu de ce décret.

Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur ces trois amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.

Il n’y a pas de raison objective de créer une différence entre les salariés du privé et ceux du privé, et de l’inscrire dans le marbre de la loi.

Madame la sénatrice Poncet Monge, ce texte offre une possibilité nouvelle. Les règles y afférentes seront précisées par décret et je me suis engagée – Mme la rapporteure vient de le rappeler – à en discuter avec les conseils départementaux, les syndicats et les fédérations d’assistants familiaux. Nous prévoirons en outre une consultation des usagers, c’est-à-dire des enfants eux-mêmes, afin d’avoir une vision très complète et très claire.

En tout état de cause, il serait extrêmement réducteur de limiter dans la loi le champ d’application de cette mesure. Des réponses seront apportées aux demandes formulées, qu’il s’agisse des bébés ou des enfants en situation de handicap, c’est-à-dire vulnérables. Plus largement, nous veillerons à mettre en œuvre cette opportunité nouvelle dans de bonnes conditions, dans un souci de qualité, afin d’ouvrir plus largement ce magnifique métier à des familles ayant envie de s’engager auprès des enfants.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Canalès, pour explication de vote.

Mme Marion Canalès. La mention du temps partiel qui figurait dans la proposition de loi initiale avait du sens, car on choisit d’être à temps partiel, et ce faisant on démontre sa volonté d’être accueillant familial ou de « tester » cette vocation avant de l’adopter. Il est donc important de réserver le cumul de l’activité d’assistant familial aux seules personnes à temps partiel, c’est pourquoi nous voterons l’amendement de notre collègue.

Au contraire, le temps non complet est un temps partiel subi. Or, depuis la loi du 2 août 2019 de transformation de la fonction publique, on peut entrer dans la fonction publique à temps non complet ; alors que, auparavant, seules les petites communes étaient autorisées à proposer ce type d’emplois, désormais, ce dispositif a été élargi. Nous ne pouvons pas le tolérer.

En outre, madame la ministre, vous nous dites qu’il n’y a pas de raison d’introduire de différence entre les salariés du public et les salariés du privé, mais, dans ce cas, supprimons la mention des fonctions accessoires autorisées dans la fonction publique et qui sont définies par décret, et les fonctionnaires feront ce qu’ils veulent, quand ils veulent ! Cela figurera d’ailleurs peut-être dans le prochain texte de loi de Stanislas Guerini…

Bref, l’idée initiale de M. Iacovelli était bonne, je ne comprends pas pourquoi on introduit la notion de temps non complet, voire de temps complet ; des fonctionnaires à temps complet pourraient ainsi accueillir des enfants de moins de 3 ans, qui ne sont pas encore scolarisés en maternelle. Ils pourraient même en accueillir plusieurs, puisque le verrou de la limitation à un seul enfant a été levé.

Ce texte va un peu trop loin. Nous étions prêts à avancer sur ces questions, mais uniquement si les actions envisagées étaient circonscrites aux familles ayant réellement la possibilité de cumuler.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Il y aura un décret !

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.

M. Xavier Iacovelli. En effet, l’article 2, qui autorisait l’accueil d’un enfant au maximum, âgé d’au moins 3 ans, afin d’exclure les nourrissons, par des personnes cumulant ainsi un emploi, a été supprimé, au profit d’un renvoi au décret.

La décision de la commission, que j’ai soutenue, va dans le bon sens. L’idée est en effet de renvoyer les modalités d’accueil à un décret d’application qui soit concerté à la fois avec les départements, mais aussi avec les associations et les fédérations d’assistants familiaux.

Je précise d’ailleurs, madame Poncet Monge, que ces associations et fédérations, avec lesquelles je travaille depuis sept ans, ont été consultées avant et après les auditions de Mme la rapporteure, et qu’elles soutiennent cette proposition de loi dans son ensemble. Peut-être qu’elles soutiennent aussi vos amendements, mais en tout état de cause elles soutiennent ce texte, parce qu’elles se rendent compte qu’il leur permettra d’obtenir un « droit au répit », en élargissant les possibilités de recrutement.

Je veux bien que l’on se batte pour le droit au répit des assistants familiaux – et il le faut –, pour lequel nous avons tous voté, mais comment sera-t-il applicable si nous n’arrivons pas à recruter ? Voilà l’impasse dans laquelle se trouvent aujourd’hui un certain nombre de départements. Nous avons donc besoin d’ouvrir le champ des recrutements.

Ce décret d’application, que Mme la ministre s’est engagée à prendre rapidement si la loi est votée dans les deux chambres, fournira un cadre à la fois pour le secteur public, mais aussi pour le secteur privé. En effet, si nous n’arrivons pas à recruter aujourd’hui dans le secteur privé, c’est aussi par méconnaissance et par manque de cadrage national. Nous avons donc besoin d’un droit commun entre secteur public et secteur privé.

En outre, peut-être Mme la ministre indiquera-t-elle dans le décret que l’accueil ne concerne pas les nourrissons et les enfants jusqu’à 3 ans, c’est-à-dire avant l’âge de la scolarisation obligatoire.

Par conséquent, attendons le décret d’application. Fixons le droit commun et laissons se faire la concertation avec les départements et les fédérations.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Il existe un pool de remplaçants pour les enseignants. Je proposais simplement de nous en inspirer, comme nous l’ont suggéré les fédérations, en constituant la centaine de nouvelles recrues que vous allez obtenir en un « pool de répit ».

Vous vous dites favorable au temps de répit, mon cher collègue, mais comment ferez-vous avec seulement quelques centaines d’assistants familiaux nouveaux qui, venant s’ajouter aux anciens, n’auront pas plus de répit qu’eux ? Mes amendements visaient à bloquer le phénomène, à cadrer le dispositif, à lui donner du sens et à créer un vrai droit au répit.

Je ne comprends donc pas que vous refusiez cette proposition, qui émanait des syndicats et des associations, car l’effet quantitatif que vous visez au travers de ce texte sera très insuffisant.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Madame la sénatrice, pour qu’ils puissent intégrer un pool d’assistants familiaux, ils doivent être assistants familiaux. C’est le cas pour les enseignants : ceux qui sont intégrés à un pool de remplaçants sont enseignants eux-mêmes !

Cette proposition de loi constitue une avancée et offre une réelle opportunité. Le décret, je l’ai promis, sera concerté. D’ailleurs – preuve de notre bonne volonté –, nous venons d’engager la procédure accélérée sur ce texte, afin de l’examiner plus rapidement à l’Assemblée nationale et de rendre le dispositif opérationnel plus vite. Cette proposition de loi ne suffira bien sûr pas à assurer à elle seule la protection de l’enfance, mais elle constitue une première brique permettant peut-être l’émergence de nouveaux profils dans cette magnifique profession des assistants familiaux, au bénéfice des enfants accueillis.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 4, présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer le mot :

accessoire

par le mot :

complémentaire

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. La sémantique est très importante. Cet amendement vise à remplacer le mot « accessoire » par le mot « complémentaire ». Le terme « accessoire » sous-entend que la profession d’assistant familial ne serait pas un métier à part entière et essentiel ; il comporte une connotation dépréciative.

Parmi les raisons qui ont engendré l’écriture de la présente proposition de loi se trouve la chute constante du nombre d’assistants familiaux, laquelle est liée à la baisse de l’attractivité de la profession. Résoudre la crise d’attractivité d’assistant familial exige de sécuriser le statut et de valoriser la profession.

L’Ufnafaam souligne que, malgré la professionnalisation croissante du métier d’assistante familiale, ce métier du « prendre soin », très qualifié, souffre d’une représentation simpliste bien vivace et ancrée au sein de la population.

Or il s’agit d’un métier à part entière et non d’une activité « accessoire ».

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Solanges Nadille, rapporteure. Cet amendement vise à préciser que l’agent public pourra exercer le métier d’assistant familial à titre « complémentaire » plutôt qu’à titre « accessoire ».

L’emploi du terme « accessoire » ne vise pas à déprécier le métier d’assistant familial qui constitue, bien entendu, une profession à part entière et reconnue par l’existence d’un diplôme d’État. En commission, nous avons d’ailleurs veillé à ne pas créer une profession « à deux vitesses » en maintenant les mêmes garanties de formation pour tous les assistants familiaux.

Le terme « accessoire » est tout simplement celui qui est employé par le code général de la fonction publique et renvoie à un sens juridique précis. Afin de maintenir la lisibilité du dispositif, il est donc préférable de ne pas le remplacer.

Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Même avis.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article 2

(Supprimé)

Vote sur l’ensemble

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi ouvrant la possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d'assistant familial
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l’article 1er.

L’article 2 ayant été supprimé par la commission, le vote sur l’article 1er vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.

Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Corinne Bourcier, pour explication de vote.

Mme Corinne Bourcier. Le manque d’assistants familiaux est aujourd’hui criant, et ce sont des enfants fragiles, ayant besoin de protection, qui en pâtissent. Alors que cette pénurie va s’aggraver du fait de la démographie vieillissante des assistants familiaux, tous les leviers doivent être utilisés pour attirer de nouveaux candidats.

Cette proposition de loi y contribuera, en conférant aux agents publics la possibilité qu’ont les salariés du privé de cumuler leur emploi avec une activité d’assistant familial. Elle rétablit, ainsi, une égalité entre ces deux statuts. Bien sûr, ce cumul devra être soumis à une autorisation préalable de l’autorité hiérarchique de l’agent concerné.

Pour ma part, comme mes collègues du groupe Les Indépendants – République et Territoires, je me félicite que les conditions du cumul soient renvoyées à un décret plutôt que fixées dans la loi. Cela offrira davantage de souplesse aux territoires, en l’occurrence aux départements, qui peuvent connaître des réalités très différentes, dans l’intérêt des enfants.

Dans le territoire dont je suis élue, le département de Maine-et-Loire, 2 983 enfants sont placés dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance, mais beaucoup d’autres attendent une place. Il est urgent de les aider. Cette proposition de loi crée un dispositif simple et que nous pensons efficace. Adoptons-le et, surtout, mettons-le rapidement en place, dans l’intérêt des enfants et des agents.

Certes, ce texte n’est pas une révolution, mais c’est un pas. Surtout, comme l’ont dit certains de mes collègues, il met en lumière la protection de l’enfance.

Je le répète, notre groupe votera pour ce texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Nous connaissons tous ici l’engagement, sur cette question, de notre collègue Xavier Iacovelli, que j’ai d’ailleurs eu l’occasion de recevoir au conseil départemental des Landes sur ce même sujet.

Toutefois, comme ma collègue, je ne comprends pas que la première version de la proposition de loi, telle qu’elle a été déposée par notre collègue, ait été remise en question par la commission : elle était intéressante et instaurait des garde-fous qui nous paraissaient suffisants.

Surtout, j’avoue que je suis quelque peu étonnée par certains arguments avancés ici.

J’entends, par exemple, qu’un enfant placé dans une famille d’accueil où le parent assistant familial travaille dans la fonction publique aurait, par là même, une meilleure appréhension de la valeur travail ; c’est ce que Mme la rapporteure a dit. Est-ce à dire qu’un enfant placé dans une famille où l’assistant familial n’a pas d’autre profession ne pourrait pas comprendre la valeur travail ? Un tel argument me surprend.

Par ailleurs, j’entends que pourraient être intéressés par ce métier certains fonctionnaires qui travaillent un peu moins que d’autres, qui ont des horaires plus souples, et de citer les enseignants. J’avoue que cela aussi m’interpelle. Franchement, je veux bien que l’on cherche des solutions et que l’on approuve celle qui nous est proposée par ce texte, mais permettez-moi de dire, chers collègues, que je trouve de tels arguments simplistes, voire dangereux.

Mme Monique Lubin. Si nous manquons aujourd’hui d’assistants familiaux, c’est parce que le métier est dévalorisé. Or je ne pense pas que l’on concourra à le revaloriser de cette façon. C’est certainement parce que les rémunérations ne sont pas suffisantes, parce que la situation des enfants placés est de plus en plus difficile et parce que les familles d’accueil sont démunies. C’est sur ces facteurs que nous devons travailler !

Le renvoi à un décret achève de semer le doute chez moi.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Monique Lubin. Nous connaissons tellement de textes pour lesquels les décrets n’ont jamais été publiés !

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.

M. Xavier Iacovelli. Je souhaite m’exprimer une dernière fois avant le vote du texte.

Je veux remercier mes collègues et tous ceux qui ont pris la parole pour défendre cette proposition de loi.

En effet, c’est une petite brique dans la protection de l’enfance, mais je pense qu’elle pourra être utile, à la fois pour assurer plus d’égalité entre le secteur privé et le secteur public, mais aussi pour accroître le nombre d’assistants familiaux.

Il y a tout de même un vrai chantier à mener, en particulier pour répondre à la question du temps consacré à leurs fonctions par les assistants familiaux, notamment en journée. Nous devrions déjà collectivement poser comme principe, dans nos départements, que les visites médiatisées, les rendez-vous médicaux, les rendez-vous avec les référents ASE ne devraient pas se faire sur le temps scolaire. De fait, la question de la scolarité des enfants de l’ASE est primordiale. Que 70 % des enfants de l’ASE sortent sans diplôme est un vrai problème ! Que seuls 13 % d’entre eux accèdent au brevet des collèges, alors qu’ils sont plus de 80 % dans la population dite « non protégée », en est un autre. Fixons donc collectivement comme règle que le temps administratif ne soit pas organisé sur le temps de l’enfant. La scolarité doit, à mon sens, être sanctuarisée pour les enfants protégés.

D’autres chantiers doivent être lancés, notamment celui de l’attractivité du métier d’assistant familial. Madame la ministre, vous vous êtes engagée à ouvrir la concertation avec les parties prenantes. Je pense que c’est nécessaire, et j’espère que nous serons nombreux à participer à ces travaux.

Enfin, nombre de mes collègues ont estimé qu’il était important de pouvoir évoquer de nouveau la protection de l’enfance, dont on ne parle pas assez. Mes chers collègues, je vous invite donc, comme nombre d’entre vous l’ont fait, à soutenir la proposition de loi que j’ai déposée tendant à la création de délégations parlementaires aux droits de l’enfant. Et, si cela ne passe pas par la loi, j’invite le bureau du Sénat à créer une telle délégation. Elle est indispensable pour pouvoir traiter de ces sujets transversaux sur le long terme. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. le président de la commission applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Canalès, pour explication de vote.

Mme Marion Canalès. Premièrement, nous avons entendu plusieurs fois qu’il fallait aligner le privé sur le public, mais être fonctionnaire, ce n’est pas être salarié du privé ! Inclure dans les activités accessoires des fonctionnaires la possibilité dérogatoire d’exercer la fonction d’accueillant familial n’est pas obligatoirement rétablir une équité. Au reste, il n’y a pas d’obligation de tendre vers l’équité ! Les fonctionnaires et les salariés de droit privé sont traités différemment.

Deuxièmement, dans l’exposé des motifs, les auteurs de la proposition de loi avouent à demi-mot qu’il s’agit aussi de favoriser une meilleure stabilité économique aux familles d’accueil, ce qui prouve bien que le péché originel est aussi dans le manque de reconnaissance, de rémunération et de protection des assistants familiaux. Les choses doivent aussi accélérer sur ce plan.

La rédaction initiale du texte aurait pu convenir à notre groupe, parce qu’elle découlait d’une intuition, d’une attention, à partir desquelles nous aurions peut-être pu travailler avec Xavier Iacovelli. Cependant, les amendements de Mme Poncet Monge n’ayant pas été adoptés, tous les verrous ont sauté : sur la question du cumul avec un emploi à temps complet, sur l’accueil de plusieurs enfants, y compris de moins de 3 ans…

M. Xavier Iacovelli. Personne n’a dit cela !

Mme Marion Canalès. La suppression de l’article 2 sème le doute, mon cher collègue.

Et, comme l’a dit Mme Lubin, certains des décrets d’application de la loi Taquet n’ont toujours pas été publiés, deux ans et demi après l’adoption du texte, alors qu’ils ne posaient pas de difficulté particulière. La présente proposition de loi nécessitera un décret monstrueux. Tant mieux si Mme la ministre parvient à le rédiger ; c’est tout ce que je lui souhaite !

Nous ne voterons pas contre ce texte, mais nous nous abstiendrons.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.

Mme Catherine Conconne. Je remercie mon groupe de me permettre d’être une non-alignée ce soir.

Même si je n’ai pas le monopole du cœur, je recherche toujours l’intérêt de l’enfant dans les politiques publiques qui le concernent. Or il vaut généralement mieux qu’un enfant soit placé dans une famille plutôt que dans ces foyers dont on connaît les travers.

Je salue donc l’ouverture du champ des possibles et l’extension à davantage de personnes de la possibilité d’exercer le métier d’assistant familial. Il ne faudrait d’ailleurs presque pas parler de métier… Il est vrai que c’est un emploi, pour lequel on est rémunéré, mais, si l’on n’a pas de cœur, si l’on n’aime pas les gens, on ne fait pas ça !

Il faut de la tendresse,…

Mme Catherine Conconne. … il faut du cœur, il faut de l’amour – osons le mot – pour exercer ce métier, qui n’est pas n’importe quel métier. Quand on n’aime pas les gens, on ne fait pas ça. Quand on n’a pas l’amour en soi, on ne fait pas ça !

Parmi les arguments avancés, j’ai entendu que les enfants pourraient ne pas être très bien éduqués par des parents fonctionnaires, car ils n’auraient pas le temps de s’occuper d’eux. On a l’impression que la fonction publique serait une espèce de succursale du musée Grévin (Sourires.), où tout serait figé, arrêté, où l’on ne pourrait rien bouger. Pourtant, la fonction publique n’a jamais cessé d’évoluer ! Hier, on ne pouvait même pas faire de la politique quand on était fonctionnaire ; aujourd’hui, les choses ont changé. Allons donc vers ce possible !

Pour ma part, je pense très fortement à ces dizaines et dizaines d’enfants qui, aujourd’hui, dans mon pays, attendent d’être placés dans des familles pour évoluer dans un cadre familial agréable et y trouver de l’amour et de l’attention. Si cette fonction peut être assurée par des fonctionnaires, tant mieux pour l’enfant ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour explication de vote.

Mme Marie-Do Aeschlimann. Mes collègues du groupe Les Républicains ont excellemment expliqué les raisons pour lesquelles notre groupe votera pour cette proposition de loi.

Je veux à mon tour dire quelques mots à mon collègue Xavier Iacovelli, qui est élu du même département que moi, et dire quelques mots de l’action de ce territoire pour l’accueil des enfants pris en charge dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance.

D’abord, j’ai beaucoup apprécié les propos de notre collègue Catherine Conconne : l’accueil familial, c’est un devoir de solidarité, de fraternité à l’endroit d’enfants qui, pour des raisons variées, n’ont pas eu la chance de grandir dans une famille, auprès de leurs parents biologiques. À ces enfants, nous devons une attention particulière.

Comme ma collègue l’a également dit, être assistant familial, ce n’est pas seulement exercer un métier, c’est aussi assouvir une vocation, pour des personnes qui ont envie de s’occuper des autres. C’est un métier du soin, comme l’on dit. Cela peut être aussi, parfois, une façon de prolonger sa fonction parentale, pour celui dont les enfants ont quitté le nid.

Il est vrai que cette fonction connaît une pénurie de recrutement. À cet égard, cette proposition de loi est un petit pas, mais un pas important. Elle ne règle pas tous les problèmes, mais elle en règle un certain nombre.

Pour rebondir sur une autre observation qui a été faite, je veux dire que les conditions d’attractivité de cet emploi sont elles aussi importantes, et je pense notamment à la rémunération. Je veux, à cet égard, souligner l’action de mon département, les Hauts-de-Seine, qui, souvent, fait les choses bien.

Mme Cécile Cukierman. Tout le monde n’a pas son budget !

Mme Marie-Do Aeschlimann. Dans les Hauts-de-Seine, où le nombre d’enfants accueillis a été divisé par deux en six ans, une délibération du conseil départemental a permis, en 2022, de créer deux primes pour améliorer l’attractivité de l’emploi d’assistant familial. Je pense que c’est de nature à aider.

Merci pour cette proposition de cette loi ! Merci pour tous les enfants qui vont en bénéficier ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires va s’abstenir sur ce texte ; ce n’est pas une surprise, puisque j’avais annoncé que le sort réservé à nos amendements déterminerait notre position.

Je veux revenir sur les dernières interventions.

Il a été dit qu’une assistante familiale qui exerce également un métier d’agent administratif offrirait, plus qu’une sensibilisation à la valeur travail, la représentation de ce qu’est une situation normale. Cela me paraît dingue ! Cela veut-il donc dire qu’un enfant pris en charge par une assistante familiale à temps plein, qui ne fait que cela – on parle beaucoup de l’intérêt supérieur de l’enfant –, ne serait pas dans une situation de normalité ? Ce raisonnement est étonnant.

On dit toujours que les métiers du « prendre soin » sont des vocations, mais je tiens à rappeler que ce sont d’abord des métiers ! Ces femmes travaillent ; elles ont une formation. D’ailleurs, nous demandons qu’elles aient un statut et qu’elles entrent dans des cadres d’emploi. J’y insiste, c’est un travail !

Si vous voulez que ce métier, comme celui d’aide à domicile ou beaucoup d’autres, soit attractif, parlez un peu moins de « vocation » – tous les métiers demandent une appétence, une envie de faire –, et parlez plus de « métier » ! Les assistantes familiales qui travaillent à temps plein apportent à l’enfant des conditions de normalité et un sens de la valeur travail tout autant que quelqu’un qui travaille en dehors du foyer.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Même si nous allons évidemment nous abstenir sur cette proposition de loi, je tiens à remercier à mon tour notre collègue Xavier Iacovelli. Je sais combien il est engagé sur la question de l’enfance et je l’en remercie.

Oui, c’est un sujet qui nous interpelle tous, puisque nous sommes confrontés, dans nos départements, à la même situation ; pas un département ne va mieux que les autres. Nous sommes tous confrontés à une explosion des besoins, avec les départs à la retraite en cours et à venir ; j’ai évoqué tout à l’heure le cas de mon département. Nous essayons donc, dans les départements, de trouver des solutions, avec les élus communaux et départementaux.

Vraiment, je veux m’ériger contre l’argument qui a été avancé, selon lequel certains, ici, auraient du cœur, quand les autres n’en auraient pas. (Sourires sur les travées du groupe RDPI.) De tels propos me dérangent : ce n’est pas juste de présenter les choses de cette façon ! Nous avons le droit de nous exprimer.

Je m’abstiendrai sur cette proposition de loi, parce que je pense qu’elle ne va pas assez loin et que l’État se défausse sur nos départements en ne nous présentant pas un projet global sur la question de l’aide à l’enfance.

Oui, nos enfants ont besoin d’être protégés. Oui, nos assistantes familiales et nos assistants familiaux ont besoin d’avoir un statut et une rémunération qui soient à la hauteur. C’est parce que cette question n’est pas abordée dans sa globalité que nous nous abstiendrons.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article 1er constituant l’ensemble de la proposition de loi ouvrant la possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d’assistant familial.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 205 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 247
Pour l’adoption 246
Contre 1

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Catherine Conconne applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Je souhaite d’abord, en conclusion de ce débat, saluer l’initiative de notre collègue Xavier Iacovelli et du groupe RDPI. Le texte est désormais voté.

Je veux, bien entendu, féliciter chaleureusement notre rapporteure, dont c’était le premier gros dossier. Je la remercie de sa capacité d’écoute. (Applaudissements sur les mêmes travées.)

Un certain nombre d’arguments ont été avancés dans les débats. Je retiens surtout que c’est une brique dans la prise en charge – enjeu fondamental – des enfants, dans un contexte extrêmement compliqué.

Madame la ministre, nous vous avons entendue vous engager, ce soir, à publier rapidement les décrets d’application et à dialoguer avec l’ensemble des partenaires ; je pense notamment aux départements et aux associations. Nous comptons sur vous pour que l’engagement que vous avez pris permette de lever les nombreux questionnements et doutes exprimés sur diverses travées de notre hémicycle !

Par ailleurs, nous avons de nouveau travaillé, ce soir, sur une proposition de loi. De fait, nous attendons toujours l’initiative gouvernementale sur l’enjeu fondamental qu’est la protection de l’enfance, notamment en ce qui concerne l’attractivité des métiers.

Nous sommes heureux d’y avoir contribué, par une petite pierre, mais il faut désormais apporter une réponse globale. Nous vous attendons, madame la ministre, sur ce grand enjeu. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures vingt, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi ouvrant la possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d'assistant familial
 

7

La France a-t-elle été à la hauteur des défis et de ses ambitions européennes ?

Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème : « La France a-t-elle été à la hauteur des défis et de ses ambitions européennes ? ».

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Didier Marie, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Didier Marie, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que la neuvième législature du Parlement européen se conclut dans quelques jours, mes collègues du groupe socialiste et moi-même avons souhaité que se tienne ce débat de contrôle sur l’action du Gouvernement à l’échelle de l’Europe durant cette période.

Nous nous étonnons que vous n’ayez pas souhaité, monsieur le ministre, faire le bilan de cette législature devant le Parlement, ce qui aurait permis de dresser un tableau détaillé de l’action gouvernementale et de rendre compte à la représentation nationale de l’ensemble des décisions prises.

Alors que nos concitoyens sont parfois critiques envers l’Union européenne et ses institutions, et l’expriment au travers de leurs intentions de vote pour le 9 juin prochain en plaçant l’extrême droite largement en tête, il me semble que nous leur devons la plus grande transparence et la plus grande honnêteté sur le rôle de notre pays dans des décisions européennes qui ont des conséquences directes sur leur quotidien.

Nous entendons aujourd’hui la majorité se tresser des louanges sur son action au Parlement européen et au Conseil de l’Union, faisant siennes toutes les avancées réalisées durant ces cinq années. Si la France en a accompagné une part significative, elle n’en aura été que trop rarement à l’initiative, quand elle ne les a pas combattues.

On aura entendu pendant ces cinq années de grands et beaux discours proeuropéens, mais nous n’en avons pas beaucoup vu la traduction en actes.

L’Union européenne est pourtant à un tournant de son histoire. Menacée à ses frontières, attaquée sur ses valeurs et sur l’État de droit, concurrencée économiquement par des puissances étrangères qui mènent des actions déloyales, confrontée aux effets concrets du dérèglement climatique, elle fait face à de nombreux défis et combats. En son sein même, le manque de cohésion, le retour des égoïsmes, la poussée des populismes et des nationalismes sont des sources d’inquiétude et méritent des réponses qui soient à la hauteur.

Pourtant, lors des situations de crise de ces dernières années, l’Union européenne a su montrer le meilleur d’elle-même. Qu’il s’agisse des mesures d’urgence prises pendant la crise du covid-19, du lancement du Green Deal, du renforcement des droits sociaux, de la lutte pour les droits des femmes, de la défense de l’État de droit ou de la promotion de normes à valeur mondiale, elle a su prendre conscience de l’importance de l’action publique face à des logiques économiques dangereuses.

Ces réactions positives sont avant tout le fait des forces proeuropéennes et progressistes, qui ont indéniablement permis à l’Union d’engager un changement de cap, qu’il convient désormais de confirmer.

Malheureusement, le bilan de l’exécutif à l’échelle européenne est pour le moins contrasté. Vous avez certes accompagné la dynamique collective, monsieur le ministre, mais vous vous êtes aussi souvent trouvés en décalage avec les positions de nos partenaires, quand vous n’adoptiez pas une attitude de blocage.

Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple de plusieurs textes emblématiques récents.

Tout d’abord, en ce qui concerne la directive visant à améliorer les conditions d’emploi des personnes travaillant via une plateforme numérique, la France a été le principal fer de lance de l’opposition à ce texte, qui concerne pourtant près de 30 millions de personnes, dont 5 millions sont particulièrement exploitées et précarisées.

En s’opposant à la présomption de salariat et à toute obligation de contrôle, la France s’est clairement positionnée contre l’amélioration des droits sociaux des travailleurs et porte aujourd’hui la responsabilité de l’affaiblissement de ce texte majeur, heureusement adopté.

Ensuite, sur le devoir de vigilance, sujet pour lequel la France est pionnière, le Gouvernement a pesé de tout son poids pour empêcher l’inclusion des acteurs financiers dans le dispositif. Alors que les flux financiers sont mondialisés et qu’ils exercent une influence considérable dans les choix d’investissements des acteurs privés, ce retrait affectera de manière indéniable l’efficacité de cette directive.

Enfin, la France a parfois eu un rôle décisif pour réduire la portée de certains textes renforçant les libertés. Je pense ici à la législation européenne sur la liberté des médias – la France a lutté contre des dispositions ambitieuses portant sur la protection des sources des journalistes – ou encore à la directive contre les violences faites aux femmes, le Gouvernement s’étant opposé à une définition commune du viol fondée sur la notion de consentement, que le Président de la République défend pourtant aujourd’hui.

Je pourrais également citer le règlement établissant des règles harmonisées pour l’intelligence artificielle : le Gouvernement a fortement pesé pour assouplir le cadre réglementaire applicable aux modèles d’intelligence artificielle puissants, alors qu’il paraît indispensable de les encadrer strictement.

En résumé, lorsque la voix de la France a pu être déterminante sur le sort des textes, c’est trop souvent pour en restreindre la portée et rendre le champ des lois européennes moins protecteur pour les travailleurs et les libertés.

Par ailleurs, la position ambivalente et contradictoire de la France sur certains sujets a également nui aux ambitions de l’Union européenne.

En premier lieu, sur les politiques environnementales, la France a accompagné positivement l’émergence du Pacte vert pour l’Europe au début de cette législature. Malheureusement, dès les premières contestations de ce grand changement pour l’Union européenne, instrumentalisées par la droite conservatrice et l’extrême droite, l’exécutif français a appelé à une pause réglementaire environnementale et même à des reculs. Je pense, en particulier, à la dernière révision de la politique agricole commune et à la réautorisation du glyphosate pour les dix prochaines années. L’histoire retiendra les conséquences de ces choix, que ce soit pour la vitalité de nos sols ou la santé de nos agriculteurs.

De plus, le retrait de la directive dite SUR (Sustainable Use of Pesticides) relative à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable et celui de la directive dite Reach (Registration, Evaluation, Authorization and Restriction of Chemicals) sur l’encadrement des produits chimiques sont également regrettables.

Dans cette ambivalence des discours dans la lutte contre le changement climatique, l’exécutif a plaidé pour la conclusion d’accords de libre-échange, sans que la France ait défendu l’introduction de clauses miroirs et de sanctions en cas de non-respect des normes sociales, sanitaires et environnementales.

De même, tout attachée à la promotion de la filière nucléaire, la France n’a pas su faire émerger une politique énergétique à la hauteur des enjeux. Les divergences avec l’Allemagne ont mené à une modeste réforme du marché de l’énergie, qui ne remet pas en cause ces deux grands principes que sont l’ordre de mérite et la tarification marginale. Alors que certains pays européens sont encore très fortement dépendants du gaz russe et que la France accuse un considérable retard dans le développement des énergies renouvelables, la politique énergétique doit rester l’une des priorités du prochain mandat de la Commission européenne.

En deuxième lieu, les décisions financières et budgétaires de l’Union européenne sont également décevantes.

Les pays dits frugaux semblent une nouvelle fois avoir gagné cette bataille, avec une réforme du pacte de stabilité conservant les mêmes plafonds d’encadrement de la dette et du déficit public, pénalisant ainsi les politiques d’investissements nationales et la transition écologique.

La France, qui s’est prononcée en faveur de nouveaux investissements nécessitant davantage de ressources propres, notamment pour répondre à l’Inflation Reduction Act (IRA) américain ou aux mesures protectionnistes chinoises, a toujours refusé une taxation des ultrariches au niveau européen et semble avoir cédé sur la taxe sur les transactions financières, pourtant annoncée par l’exécutif. L’échec du fonds souverain pour les investissements est, à ce titre, particulièrement emblématique.

Par ces décisions, l’exécutif français s’incline, malheureusement, devant une orthodoxie budgétaire synonyme d’austérité, qui a toujours pénalisé l’Union européenne et qui risque de fortement nuire à l’Europe de demain.

En dernier lieu, j’évoquerai deux thématiques majeures qui ont pâti de l’absence d’un engagement clair de la France : l’évolution institutionnelle de l’Union européenne et de l’État de droit et, bien sûr, la question de l’élargissement.

Sur le premier point, la conférence sur l’avenir de l’Europe, annoncée sur l’initiative de la France, devait être un tournant institutionnel et démocratique. Malheureusement, près de trois ans plus tard, rien n’est concrètement ressorti de cette conférence, hormis un profond sentiment de désillusion chez nos concitoyens. La France doit réhabiliter et porter bien plus efficacement les conclusions de cette conférence.

Alors que l’extrême droite continue de prendre pied dans de nombreux États membres et que les ingérences étrangères se multiplient, l’Europe doit défendre et renforcer avec vigueur son État de droit. C’est dans ce cadre que le flou de la position française sur l’élargissement pose question, monsieur le ministre.

C’est également le cas pour nos politiques migratoires. Alors que de nombreux États se prononcent dangereusement pour une externalisation de la gestion des migrants, oubliant les risques de clientélisme et d’atteintes aux droits humains dans des pays tiers, la France a été active pour faire aboutir un pacte européen sur l’immigration et l’asile qui ne convient finalement à personne.

Ainsi, à l’aube de cette nouvelle législature, la France se trouve dans une position particulière, isolée sur de nombreux sujets.

En effet, la relation tendue du couple franco-allemand depuis de nombreux mois ne nous permet plus d’être le moteur de l’Europe, et les nombreux différends entre les deux pays ont mené plus à une compétition qu’à la politique de dialogue conduite lors des législatures précédentes. La défense européenne paraît, à ce titre, au cœur du dissensus franco-allemand.

Alors que le principe du soutien de la France à l’Ukraine ne peut pas être critiqué, l’insuffisance des livraisons d’armes et de munitions, les incohérences des discours, notamment sur l’envoi de troupes, ou des décisions stratégiques, à l’image du bouclier antimissile européen, sont particulièrement dommageables dans cette période de fortes tensions pour l’Europe.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Didier Marie. Cette perte de capacité de la France à être au cœur des compromis, même lors de la présidence française de l’Union européenne, semble nous pousser essentiellement vers la défense de nos intérêts nationaux.

Alors que les enjeux géopolitiques et climatiques appellent à poursuivre l’effort engagé depuis 2020, notre pays doit se repositionner au cœur des compromis et retrouver son orientation progressiste pour permettre l’émergence de textes européens ambitieux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Je vous remercie, monsieur le sénateur, de donner au Gouvernement l’occasion de faire le bilan de cette législature au moment où celle-ci s’achève, afin que nous puissions nous projeter sur la suivante.

Vous avez évoqué de grands et beaux discours de la France qui n’auraient pas été suivis d’effets. Je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, de reprendre les termes du discours que le Président de la République prononça dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne en 2017. Nous constaterons ainsi, ensemble, que ses propositions, qui à l’époque embrassaient des sujets face auxquels l’Union européenne semblait totalement impuissante, se sont traduites par des solutions. (M. Patrick Kanner ironise.)

Le Président de la République disait, dans ce discours : « Il y a une souveraineté européenne à construire, et il y a la nécessité de la construire. » Or l’adoption par tous les Européens de ce principe de la souveraineté européenne est une victoire idéologique majeure pour la France depuis sept ans. Alors que ce concept avait été accueilli à l’époque avec une certaine tiédeur, tous – le Conseil européen, la Commission européenne, la coalition allemande – se le sont approprié.

Le Président de la République disait aussi : « Nous devrions définir un salaire minimum adapté à la réalité économique de chaque pays. » Or, depuis 2022, nous avons une législation qui établit des critères pour la fixation dans chaque État membre du bon niveau de salaire minimum.

Le Président de la République disait encore : « Aujourd’hui, l’Europe ne protège pas face au dumping social. […] C’est le sens du combat que je mène aujourd’hui pour réviser la directive sur le travail détaché. » Là encore, l’objectif est tenu : le travail détaché a été régulé en Europe sur le fondement du principe « à travail égal, salaire égal ».

Le Président de la République indiquait également : « Je propose aussi la mise en place d’un programme industriel européen de soutien aux véhicules propres. » Sept ans plus tard, nous avons quatre méga-usines de batteries électriques, et ont été mis en place un programme d’investissement européen sur les batteries ainsi qu’un plan de formation de 150 000 personnes en France par l’Académie européenne de la batterie.

Le Président de la République disait en outre : « Ce continent du numérique n’a pas de normes ou, plus exactement, il a une loi : la loi du plus fort. C’est à l’Europe d’en définir le cadre de régulation. » Sept ans plus tard, nous disposons des lois visant à réguler les géants du numérique les plus ambitieuses et les plus exigeantes du monde.

Le Président de la République disait aussi : « Il nous faut une taxe aux frontières de l’Europe sur le carbone. » Cette idée, qui était initialement celle de Jacques Chirac, personne n’avait réussi à la concrétiser : le 1er octobre 2023 a été mise en place la taxe carbone aux frontières, ce mécanisme d’ajustement qui s’applique aux produits étrangers à haute intensité en carbone.

Le Président de la République disait par ailleurs : « Nous avons besoin d’une réciprocité [dans les échanges commerciaux] en créant un procureur commercial européen chargé de vérifier le respect des règles par nos concurrents et de sanctionner sans délai toute pratique déloyale. » Nous disposons désormais d’un procureur commercial européen, et la Commission européenne s’est dotée d’instruments qu’elle utilise pour lancer à l’encontre de nos partenaires ou rivaux, comme la Chine, des enquêtes pour subventions excessives.

Le Président de la République ajoutait : « L’Europe devra ainsi être dotée d’une force commune d’intervention, d’un budget de défense commun et d’une doctrine commune pour agir. » Quelque temps plus tard, avant même le début de la guerre d’agression russe en Ukraine, ont été établis les bases d’une initiative européenne d’intervention et des outils pour structurer l’industrie européenne de défense.

Le Président de la République indiquait : « Nous n’avons qu’un choix, qu’une alternative : le repli sur nos frontières, qui serait à la fois illusoire et inefficace, ou la construction d’un espace commun des frontières de l’asile et de l’immigration. » Sept ans plus tard, il y a quelques semaines, nous avons adopté le pacte européen sur la migration et l’asile, qui consacre le double principe de la responsabilité et du contrôle effectif des frontières et nous permet de disposer enfin d’une politique raisonnable et responsable de maîtrise migratoire.

Le Président de la République disait enfin : « Je propose la création d’universités européennes […]. Nous devons nous fixer d’ici à 2024 [l’objectif d’]en construire au moins une vingtaine. » Objectif tenu ! Nous avons créé en sept ans 41 alliances d’établissements d’enseignement supérieur européens, et l’Europe a adopté l’objectif de 60 universités européennes d’ici à 2025.

Vous dites, monsieur le sénateur, que nous avons souvent été en décalage par rapport à nos partenaires. Bien sûr ! Nous étions précisément en décalage pour les rallier à nos idées et les faire progresser !

C’était le cas sur les sujets du travail détaché et du salaire minimum : il a fallu contourner les réserves, d’abord des Britanniques, puis des pays scandinaves.

C’était aussi le cas sur le nucléaire et la neutralité technologique, une idée qui fait à peu près consensus en France, mais qui n’était pas approuvée par une majorité en Europe. Grâce à l’Alliance européenne du nucléaire, que nous avons constituée, nous sommes parvenus à défendre cette technologie.

C’est le cas, par ailleurs, pour le pacte européen sur la migration et l’asile : il fallait convaincre, à la fois, les pays de première entrée, qui se refusaient à faire le moindre effort en matière de contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne, et les pays d’Europe centrale et orientale qui se refusaient à toute forme de partage des responsabilités dans l’accueil des migrants. Nous avons dû trouver les voies d’une convergence entre ces deux Europe, qui jusqu’alors ne s’accordaient pas.

Nous étions également en décalage avec nos partenaires pour faire échec à certaines propositions qui portaient atteinte aux intérêts de la France. Si, à l’heure où nous parlons, le traité avec le Mercosur n’a pas été signé par la présidente de la Commission européenne, c’est parce que sa main a été retenue par un fil, lui-même tenu par le Président de la République ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)

M. Didier Marie. Et le Ceta ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Vous avez évoqué l’intelligence artificielle. La France s’est opposée, avec l’Allemagne et l’Italie, à ce que la régulation en la matière compromette la capacité européenne à développer cette technologie. Nous avons en effet la conviction que celui qui conçoit l’outil a toujours plus d’influence sur son utilisation que celui qui le régule.

Vous avez mentionné le bilan de cette législature en matière environnementale. Il est assez considérable, à tel point que l’on nous reproche bien souvent d’avoir été trop loin avec le Green Deal. Nous assumons les objectifs climatiques que l’Europe s’est fixés, et regrettons que certaines forces de gauche française ne s’y soient pas ralliées.

Vous parlez d’austérité budgétaire. Or, pour la première fois dans son histoire, l’Union européenne a réussi à s’accorder sur le principe d’un emprunt commun. Cet accord, passé au cœur de l’été 2020 en réponse à la crise de la covid-19, a permis de doubler la capacité budgétaire de l’UE.

Vous avez conclu votre intervention en émettant quelques doutes sur la force et la portée de l’amitié franco-allemande. Je rentre justement, mesdames, messieurs les sénateurs, de la visite d’État historique du Président de la République en Allemagne, la première depuis vingt-quatre ans. C’était aussi la première fois qu’un Président de la République française se rendait en Allemagne de l’Est au cours d’une visite d’État. Je ne sais quels mots employer, dans cet auguste hémicycle, pour traduire la chaleur avec laquelle il a été accueilli, tout au long de son parcours, par le peuple et le président allemands… Comment vous décrire l’émotion qui a saisi la ville de Dresde, où 10 000 personnes s’étaient rassemblées à l’occasion de la Fête de l’Europe, pour écouter le Président de la République présenter ses orientations sur l’avenir de l’Union européenne ?

M. Didier Marie. Et tout cela donne 14 % dans les sondages…

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. S’il y a bien un élément fondamental, entraînant l’Europe, qui est ressorti de cette visite acclamée par la presse et le peuple allemands, c’est bien l’amitié franco-allemande, qui a de très beaux jours devant elle ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. Monsieur le ministre, la France, moteur de la création de l’Union européenne, a toujours nourri de grandes ambitions pour l’unité de notre vieux continent. Après la Seconde Guerre mondiale, le défi était de taille et l’un des objectifs principaux était de ramener une paix durable pour les générations futures. On peut parler de réussite puisque notre pays a connu, depuis 1945, la plus longue période de paix de son histoire.

L’Europe, qui n’a, hélas ! pas échappé à l’inflation normative et à la complexification administrative, vient d’essuyer deux tempêtes : la crise du covid-19 et l’invasion de l’Ukraine nous ont rappelé sévèrement les progrès qui restent à accomplir dans les domaines de la souveraineté énergétique, de la souveraineté alimentaire et de la défense.

Plus que jamais, nous devons sortir de notre dépendance aux énergies fossiles. La relance du nucléaire et l’amélioration de notre mix énergétique doivent être une priorité nationale. Il faut néanmoins trouver des terrains d’entente avec les autres pays, comme l’Allemagne, qui ont fait d’autres choix.

La crise agricole de ce début d’année nous a forcés à remettre en place une politique européenne plus équilibrée et plus réaliste. Encore une fois, il y a une place pour toutes les agricultures et la productivité n’est pas incompatible avec des objectifs environnementaux. Gardons les pieds sur terre : vider la trousse à pharmacie en 2050 relève du pur fantasme.

Quant à l’invasion de l’Ukraine, elle a remis au goût du jour, certes de façon brutale, notre besoin impérieux de défense européenne.

Monsieur le ministre, beaucoup de nos adversaires et détracteurs pensaient que l’Union européenne ne survivrait pas à ces deux crises ; elle en sort renforcée et c’est tant mieux ! Pensez-vous que, malgré ces épreuves, nous pourrons maintenir un rythme d’investissement suffisant dans les industries d’avenir, notamment l’intelligence artificielle, comme nous continuons à le faire dans le domaine aéronautique et spatial ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur.

Que l’Union européenne puisse investir dans des secteurs, quels qu’ils soient, était considéré il y a quelques années encore comme une idée étrange. Lors de la crise de la covid-19, au mois de mars 2022, les Vingt-Sept ont décidé, sur l’invitation du Président de la République, de se fixer des objectifs d’investissement nouveaux pour réduire les dépendances apparues dans un certain nombre de secteurs, cette apparition ayant d’ailleurs provoqué l’étonnement et un agacement légitime chez nos concitoyens. Ces secteurs sont bien connus : la défense, l’énergie, la santé, avec les pénuries de médicaments, et l’agriculture.

Nous souhaitons pour l’avenir que, au-delà de ces secteurs, sur lesquels des travaux ont été engagés par l’Union européenne en vue de reconquérir notre souveraineté en la matière, l’Union investisse dans des secteurs neufs – intelligence artificielle, quantique, biotechnologies, nouvelles énergies, espace –, qui ne connaissent donc pas encore de telles dépendances, mais où celles-ci pourraient advenir si nous ne faisons rien.

C’est dans cet esprit que le Président de la République a présenté ses orientations dans son discours de la Sorbonne. Et hier soir, lors du conseil des ministres franco-allemand, la France et l’Allemagne ont acté une contribution commune sur la compétitivité et la croissance dans laquelle elles affirment que l’Union européenne doit se doter d’une capacité d’investissement dans ces secteurs d’avenir.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno.

M. Olivier Henno. Je souhaite saisir l’occasion de ce débat pour aborder la question du retour de l’industrie, via les gigafactories, et vous interroger sur l’avenir de la politique européenne de concurrence.

En France, et plus particulièrement dans les Hauts-de-France, nous sommes très heureux de ce retour de l’industrie. Nous avons en effet connu le déclin industriel, que nous avons dû gérer. À l’époque, on pensait que le secteur tertiaire allait remplacer l’industrie. Cela n’a pas été le cas, d’aucuns avaient fait preuve d’une grande naïveté par rapport au concept de division internationale du travail ; c’est un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître…

Nous devons aujourd’hui nous interroger pour faire en sorte que ce retour de l’industrie soit solide et durable. Il le sera si plusieurs conditions sont réunies, parmi lesquelles figure la prise de conscience que le monde a changé. L’époque des « gentils Européens » est finie !

Mon collègue Alain Chatillon et moi-même avons « commis » un rapport sur la politique européenne de concurrence, dans lequel nous faisions état de points de comparaison ; ainsi, en Chine et aux États-Unis, les aides publiques font partie du paysage et le concept de souveraineté économique existe véritablement. Ainsi, comme vous l’avez dit, le concept de souveraineté économique européenne doit faire partie du projet européen.

Mais il convient aussi de modifier la politique européenne de concurrence, qui est depuis toujours axée sur le principe selon lequel le consommateur doit avoir les produits les moins chers. Il faut retourner cette compétence exclusive et faire en sorte que la concurrence européenne bascule vers l’ambition de souveraineté économique européenne. Ce ne sera pas facile, comme l’a illustré la fusion entre Siemens et Alstom : il y aura beaucoup de résistances…

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur Olivier Henno, il y a une prise de conscience de cette idée que la France défend de longue date : la politique de concurrence doit non pas uniquement viser la réduction des prix, mais aussi intégrer la dimension de la souveraineté.

Hier soir, à la suite du conseil des ministres franco-allemand, dans la contribution commune de la France et de l’Allemagne à l’agenda stratégique qui sera adopté par les Vingt-Sept à la fin du mois de juin, a été intégrée l’idée selon laquelle la politique de concurrence doit permettre, notamment dans le secteur des télécommunications, l’émergence d’entreprises de taille suffisante pour résister aux assauts de leurs rivaux américains ou chinois.

De même que l’Europe prend actuellement un virage, sur l’initiative de la France, dans le domaine de la politique de commerce international – l’une de ses compétences exclusives –, elle évolue aussi sur la question de la politique de concurrence, qu’il convient de ne pas jeter avec l’eau du bain.

Dans certains domaines, par exemple le numérique, la politique de concurrence est notre seul espoir de rouvrir des marchés sur lesquels se sont installés des géants, des monopoles, qui, d’une part, retiennent nos entreprises et nos collectivités dans un lien de dépendance et, d’autre part, empêchent toute forme d’initiative entrepreneuriale de la part d’entreprises européennes.

Autrement dit, la politique de concurrence doit s’adapter à l’air du temps, mais elle est aussi un moyen pour l’Union européenne de rétablir l’équité lorsque celle-ci est violée par les comportements de très grandes entreprises, américaines ou chinoises, dans certains secteurs tels que celui du numérique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mathilde Ollivier. Monsieur le ministre, en 2019, la France était marquée par un élan d’espoir sans précédent. Des milliers de jeunes, dans la rue, partout sur le territoire, se sont rejoints dans des marches, historiques, pour le climat, avec un seul mot d’ordre : « Pensez à notre avenir, mettez la préservation de l’environnement au cœur des politiques européennes. »

La jeunesse s’engageait, se révoltait partout en Europe et dans le monde. Je faisais partie de ces jeunes. Ces marches ont été pour moi un point de bascule, le moment où je me suis dit que je ne pouvais plus seulement déplorer l’inaction climatique, mais que je devais m’engager pour la combattre.

L’espoir était immense : l’élection de militants pour le climat au Parlement européen, comme Marie Toussaint, qui a fait condamner l’État pour inaction climatique, et la venue de Greta Thunberg à Bruxelles, laissaient augurer de véritables changements. Et oui, nous avons obtenu, grâce aux écologistes, des avancées sur le pacte vert, le crime d’écocide, l’interdiction de la pêche en eaux profondes et du plastique à usage unique. Nous pouvons en être fiers !

Mais, depuis 2021 et la crise du covid-19, le « Make our planet great again » d’Emmanuel Macron fait « pschitt ». Alors que nous avions la possibilité d’apprendre de ces crises, de construire un nouveau modèle de société, plus rien ne se passe. Au niveau européen, la France ralentit ; pis, elle semble même reculer : sur la restauration de la nature, sur le glyphosate, sur les pesticides et la santé de nos concitoyens, sur le pouvoir d’achat des Français et sur les prix de l’énergie…

Dans quelques semaines, une nouvelle page de notre histoire européenne va s’ouvrir. L’inquiétude règne. Toute une génération vous attend au tournant et votre responsabilité est immense. Les écologistes obtiennent à chaque fois la meilleure note lorsqu’il s’agit d’évaluer les parlementaires qui agissent le plus en faveur de l’environnement au sein du Parlement européen. Et vous, monsieur le ministre, sur cette dernière législature, quelle note vous attribuez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Madame la sénatrice, je ne sais pas s’il me revient de m’attribuer une note… En tout cas, avec le Pacte vert, l’Europe a démontré, me semble-t-il, qu’elle était le continent le plus ambitieux en matière de transition climatique !

Je vous entends sur la contribution à la cause, si je puis dire, du groupe Les Verts au Parlement européen. Je regrette cependant que les députés français dudit groupe n’aient pas voté la loi européenne sur le climat.

M. Didier Marie. C’est parce qu’elle n’était pas assez ambitieuse !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Certes, mais on se doit d’être au rendez-vous lorsqu’un tel vote a lieu, car les États membres de l’Union européenne s’étaient accordés pour la première fois de leur histoire sur le sujet, tout comme cela a été le cas pour le plan de relance européen ou le pacte sur la migration et l’asile. On ne s’oppose pas à de tels textes quand on est véritablement attaché à ce qui symbolise l’Europe, c’est-à-dire à la recherche du compromis, à une démarche qui consiste à écouter, entendre et faire converger les positions.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Je souhaite que la mandature à venir soit mise au service à la fois de la transition écologique et de la justice, parce que le Pacte vert ne peut réussir s’il n’est pas aussi un pacte juste.

Si les agriculteurs, dans tous nos territoires, partout en Europe, ont exprimé leur colère, ce n’est pas parce qu’ils sont climatosceptiques ; c’est parce qu’ils ont le sentiment que, dans le cadre de la transition écologique qui s’impose à nous tous, le fardeau qui pèse sur leurs épaules est trop lourd.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. La responsabilité qui est la nôtre est d’accompagner toutes celles et ceux auxquels nous demandons les efforts les plus importants et de faire en sorte que cette transition indispensable soit également une transition juste. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour la réplique.

Mme Mathilde Ollivier. Vous n’avez pas répondu à ma question, monsieur le ministre. Aussi, je vous informe que l’ONG Bloom vous a attribué la note de 11,9 sur 20, soit mention passable !

Face à la montée de l’extrême droite partout en Europe, vous renoncez à l’écologie. Or le risque qui nous guette, c’est bien celui du pacte brun. Pis, vous présentez l’écologie comme responsable de tous les maux. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le ministre, le gouvernement français se targue de réindustrialiser notre pays, mais il ne semble pas tirer les enseignements de quarante années de désindustrialisation ni s’interroger sur le rôle de la construction européenne dans les délocalisations que nous avons subies.

Le sacro-saint principe de la concurrence libre et non faussée n’empêche pas la concurrence à l’intérieur des groupes ; au contraire, elle la favorise. Les règles du capitalisme libéral sont, de fait, complètement faussées par les différences de coûts salariaux ou de régimes fiscaux entre pays européens, voire par les aides européennes aux investissements.

Les grandes multinationales ont pris l’habitude de mettre leurs sites européens en concurrence. Après la chute du mur de Berlin, elles se sont implantées à l’Est. Les nouveaux entrants dans l’Union européenne bénéficiant d’importants fonds structurels, elles ont pu puiser dans ceux-ci pour ouvrir de nouvelles usines. Ce sont bien souvent nos salariés français qui sont allés former sur place la main-d’œuvre qui allait bientôt les remplacer.

Avec un Smic brut fixé à 1 766 euros en France, comment notre industrie pourrait-elle rester compétitive dans un espace européen concurrentiel où les salariés polonais, roumains et hongrois perçoivent un salaire minimum respectivement de 970 euros, 612 euros et 487 euros ?

Une véritable machine à délocaliser a été mise en place au sein de l’Union européenne. Et ce ne sont pas vos projets d’élargissement qui amélioreront les choses ! Le Smic s’élève à 189 euros en Ukraine et à 47 euros en Moldavie…

Bon nombre d’entreprises continuent de fermer leurs usines en France, car les groupes transfèrent leurs activités en Europe de l’Est. Dans mon département, le Pas-de-Calais, les exemples sont légion : Bridgestone ferme son site de Béthune après avoir massivement investi dans celui de Poznan en Pologne ; les activités de la Française de mécanique partent en Hongrie ; Prysmian ferme son usine de Calais et accroît ses investissements en Roumanie.

Dans votre Europe, monsieur le ministre, la mise en concurrence des travailleurs et des sites entre eux n’est-elle pas l’obstacle majeur à la réindustrialisation que vous nous promettez ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Madame la sénatrice, pour nos territoires et nos industries, l’Union européenne est une véritable assurance vie.

Observez ce qui s’est passé au moment de la crise de la covid-19 : au printemps 2020, alors que l’économie européenne menaçait de s’effondrer sur ses bases, alors que des millions d’emplois et des centaines de milliers d’entreprises étaient en danger, la seule solution possible a consisté, pour l’Union européenne, à se doter pour la première fois de son histoire d’un plan de relance commun de 750 milliards d’euros, afin de soutenir les plans de relance de chacun de ses États membres.

Ainsi, quelque 40 des 100 milliards d’euros du plan de relance français provenaient de l’Union européenne. Dans vos départements, mesdames, messieurs les sénateurs, des dizaines d’entreprises ont bénéficié du plan France Relance. Sans l’Europe, la moitié de ces subventions n’auraient pas été versées.

Par ailleurs, comme je le disais tout à l’heure, l’Europe a pris conscience de ses fragilités et s’est remise à investir dans un certain nombre de filières où ses dépendances étaient inacceptables. C’est le cas dans le domaine des batteries : pour construire les gigafactories de Dunkerque à Billy-Berclau, l’apport de l’Union européenne est indispensable, tant la taille de ces équipements est considérable.

Cela dit, l’Europe est notre assurance vie, non seulement parce qu’elle nous permet d’investir au bon moment, dans les bons territoires et en misant sur les bonnes industries, mais également parce que nous avons fait progresser l’Europe sociale.

Vous avez raison, madame la sénatrice, le dumping social n’est pas acceptable ! C’est pourquoi la régulation du travail détaché, que nous avons obtenue dès 2017, et la fixation d’un salaire minimum dans tous les États membres de l’Union européenne étaient primordiales. On ne peut pas faire l’Europe au détriment de nos entreprises, de nos industries et de nos emplois.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. L’Europe doit avancer sur ses deux jambes. Et, de ce point de vue, le bilan du mandat qui s’achève me semble être particulièrement satisfaisant.

Mme la présidente. La parole est à M. Ahmed Laouedj.

M. Ahmed Laouedj. Monsieur le ministre, le 25 avril dernier, le Président de la République prononçait un discours à la Sorbonne dans lequel il évoquait la nécessité d’une Europe plus souveraine et plus puissante.

Telle est l’ambition affichée alors qu’une crise majeure touche l’ensemble des pays européens, qui sont aujourd’hui à la croisée des chemins, tant les défis politiques, économiques, diplomatiques et écologiques bouleversent profondément nos sociétés. En outre, la montée des mouvements populistes et eurosceptiques atteste d’une résistance significative à l’intégration européenne.

Notre pays a toujours revendiqué un rôle de leader sur la scène européenne. Or l’Insee devrait publier dans les jours qui viennent les chiffres du déficit public français en 2023, et nous savons d’ores et déjà que les résultats ont été mauvais. Avec un déficit public aux alentours de 5,6 % du PIB, la France se classe désormais à l’avant-dernière place dans la zone euro, devançant seulement l’Italie. Les défis économiques auxquels nous faisons face affaiblissent notre position à l’échelle européenne.

Sur le plan environnemental, nous nous sommes positionnés comme d’ardents défenseurs de la transition énergétique. Force est de constater que cette dernière est lente et que les mesures prises sont souvent jugées insuffisantes pour répondre à l’urgence climatique.

Enfin, sur la scène diplomatique, l’Europe et, par extension, la France devraient jouer un rôle prépondérant dans la gestion des conflits en Ukraine et en Palestine. Mais est-ce vraiment le cas ? Notre pays n’a pas semblé à la hauteur de son statut de leader, ce qui laisse planer quelques doutes sur notre capacité à jouer un rôle majeur dans la diplomatie européenne.

Avec les derniers bombardements à Rafah qui ont fait une cinquantaine de morts, la situation devient urgente et appelle une réponse immédiate. Il est primordial que l’Europe, sous l’impulsion de notre pays, parle d’une seule voix pour exiger un cessez-le-feu immédiat et la reconnaissance de l’État palestinien, à l’instar de ce qu’ont décidé l’Espagne, la Norvège et l’Irlande. Il est temps que la France prenne ses responsabilités et accompagne l’Europe dans cette démarche cruciale.

Monsieur le ministre, face à ces constats, il est légitime de s’interroger : notre pays peut-il continuer à prétendre remplir pleinement son rôle de puissance influente au niveau européen ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, pour ce qui est de son importance géopolitique et de son influence diplomatique, l’Europe a également accompli des progrès sensibles ces cinq dernières années. Je pense notamment à la manière dont l’Union européenne a su s’accorder, dès les premiers jours qui ont suivi la guerre d’agression russe en Ukraine, sur la question des sanctions, du soutien militaire à apporter et du secours aux civils.

S’agissant de la situation au Proche-Orient, la France a beaucoup insisté pour que l’Union européenne parle d’une seule voix.

Lors du Conseil européen du mois de mars, les Vingt-Sept se sont accordés – enfin !, si j’ose dire – sur une déclaration commune, qui réclame une trêve immédiate conduisant à un cessez-le-feu durable et appelle à la libération inconditionnelle des otages, à l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire, à des sanctions à l’encontre des dirigeants du Hamas comme des colons extrémistes violents, ainsi qu’au respect d’un certain nombre de principes qu’ils sont parvenus à défendre ensemble.

Vous l’avez dit, certains États membres de l’Union européenne ont décidé de reconnaître l’État palestinien.

Comme le Président de la République a eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises, cette reconnaissance ne constitue pas un tabou pour la France. C’est une décision qui viendra en temps utile dans le cadre d’un processus de paix, ce qui, vous le savez, n’a pas empêché la France de soutenir devant les Nations unies la résolution conduisant à la reconnaissance de l’État de Palestine comme membre associé.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. À l’évidence, l’Europe a encore des efforts à réaliser pour s’affirmer comme une puissance diplomatique. Elle a néanmoins considérablement progressé ces dernières années.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Permettez-moi tout d’abord de remercier le groupe socialiste d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour, à dix jours seulement des élections européennes, d’autant que la réponse à la question posée est, à l’évidence, favorable à la majorité présidentielle. (Sourires.)

Monsieur le ministre, ma question portera sur l’écologie : quelles impulsions ont été données à l’échelle continentale pour soutenir les avancées environnementales des vingt-sept États membres ? Quel rôle la France a-t-elle joué en la matière ?

Je pourrais citer plusieurs avancées comme la taxe carbone aux frontières ou la redéfinition de la taxonomie européenne. Sur le fondement du Pacte vert pour l’Europe, de nombreuses législations visant la neutralité carbone en 2050 ont vu le jour.

En 2023, la France a, quant à elle, enregistré une baisse record de près de 6 % de ses émissions de CO2, un résultat inédit et supérieur aux objectifs fixés.

C’est pourquoi je souhaiterais vous interroger plus particulièrement sur les effets, à mon avis méconnus, du plan de relance européen de 750 milliards d’euros, voté en 2020, qui n’a été soutenu en France que par le groupe Renaissance et les écologistes.

Parce que des enjeux cruciaux marquent notre actualité, comme la guerre d’agression russe en Ukraine, la situation dramatique au Proche-Orient ou la baisse du pouvoir d’achat, l’analyse des bienfaits de cette relance d’inspiration keynésienne, pourtant historique, a pu passer au second plan.

Pourtant, les plus de 40 milliards d’euros de la contribution versée à la France se traduisent sous la forme de multiples projets. Ainsi, au moins 37 % des dépenses des plans de résilience nationaux devaient être consacrées à l’action climatique. Grâce à ce plan, l’Espagne, en 2026, devrait bénéficier de 80 milliards d’euros de fonds non remboursables et à autant de crédits. Cela avait fait dire à la gauche espagnole, il y a trois ans, que cet engagement marquait la fin d’une logique néolibérale.

Monsieur le ministre, pourriez-vous citer des exemples concrets de réalisations environnementales, qui auraient été rendues possibles en France grâce au plan de relance dont la majorité présidentielle a été le fer de lance ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Madame la sénatrice, je vous remercie d’avoir relevé, au travers de votre question, l’importance de l’emprunt commun qu’a lancé l’Europe, pour la première fois de son histoire.

Pour vous répondre, je pourrais ne citer qu’un seul exemple, celui du dispositif MaPrimeRénov’,…

M. Didier Marie. Son montant a baissé !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. … qui a été financé, pour les deux tiers, par le plan de relance européen. Ce cas suffit à lui seul à témoigner de l’importance de l’effort budgétaire européen au service de la transition écologique.

Toutefois, je donnerai d’autres exemples, qui tiennent à cœur, me semble-t-il, aux sénatrices et aux sénateurs ici présents : la rénovation thermique des bâtiments publics qui a été rendue possible, pour une très large part, par le plan France Relance, donc, par le plan de relance européen, ou encore les nombreux programmes de décarbonation industrielle, qui, durant cette période si éprouvante pour l’économie française, n’ont pu être engagés que grâce au déploiement, dans tous les territoires de France, de crédits rendus accessibles à la faveur de la mobilisation exceptionnelle de l’Union européenne.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le ministre, comme dans bien d’autres domaines, votre action en matière d’agriculture à l’échelle européenne aura été marquée par un terrible double discours.

Alors que les négociations sur les contours de la future politique agricole commune (PAC) avaient permis certaines avancées, notamment la conditionnalité environnementale des aides, la France s’est imposée comme un acteur de premier plan pour détricoter ce modeste verdissement de la PAC, un an seulement après son entrée en vigueur.

Contrairement à ce que vous venez de nous dire et en contradiction avec les déclarations d’Emmanuel Macron en 2017, vous avez également permis, en agissant comme vous l’avez fait, la réautorisation du glyphosate pour les dix prochaines années.

Monsieur le ministre, quand comptez-vous défendre l’indispensable transition de notre modèle agricole au niveau européen ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, la France a soutenu l’adoption de la PAC, telle qu’elle avait été négociée à l’époque. Je précise que, comme souvent, les politiques publiques évoluent et que, de toute évidence, certaines de ces conditionnalités n’étaient pas tout à fait acceptables pour une partie de nos agriculteurs.

Cela dit, la politique du gouvernement français au Conseil de l’Union européenne comme au Conseil européen consiste bel et bien à accompagner l’agriculture dans sa transition, tout en ralliant l’ensemble de nos partenaires, qui n’y sont pas tous favorables, à une idée française, qui s’est concrétisée au travers des lois Égalim, à savoir la préservation des revenus des agriculteurs.

Au niveau européen, nous avons défendu et obtenu plusieurs mesures en faveur des agriculteurs français, qui conduisent, il est vrai, à l’assouplissement de certaines conditionnalités. Il s’agit, d’une part, de mesures de simplification drastique que la Commission européenne a mises sur la table à la surprise générale, et, d’autre part, d’engagements que nous avons obtenus, puisqu’ils figurent, dans leur principe, dans les conclusions du dernier Conseil européen.

Je pense à l’européanisation des objectifs des lois Égalim, notamment celui de revenus agricoles garantis, non seulement grâce à des règles de construction des prix définies en amont, en partant des agriculteurs, mais aussi grâce à des contrôles sanitaires permettant d’éviter que ces règles ne soient contournées.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour la réplique.

M. Jean-Claude Tissot. Malgré ce nouveau numéro d’autosatisfaction, monsieur le ministre, vous n’êtes malheureusement pas à la hauteur de l’enjeu, tout comme le projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole de votre gouvernement, dont nous débattrons bientôt.

Dans cet hémicycle, comme au Parlement européen, nous cessons de vous proposer des mesures concrètes pour faire évoluer l’agriculture européenne. Il est temps de construire une réelle politique agricole et alimentaire commune, en imposant de meilleurs modes de production conduisant à une alimentation de qualité.

Aussi faut-il réviser en profondeur le fonctionnement de la PAC, en encourageant les aides à l’emploi agricole et à l’utilité écologique, mais aussi en plafonnant les aides, comme en Espagne, pour garantir leur plus juste répartition.

Il faut apporter un soutien massif à l’agriculture biologique et à l’ensemble des modèles qui concilient production et respect de la biodiversité et de la santé des agriculteurs.

Il faut recourir à la commande publique dans la restauration hors domicile et les cantines scolaires, pour bâtir notre souveraineté agricole et favoriser nos filières locales.

Il faut également renoncer aux accords de libre-échange en cours de négociation et prévoir en permanence les clauses miroirs indispensables pour assurer la réciprocité des normes environnementales et sociales.

Il faut surtout instaurer un véritable revenu agricole, en encadrant plus strictement les marges et les méthodes, de la grande distribution et des industriels, mais aussi en rémunérant correctement les services environnementaux rendus par les agriculteurs.

Voilà, monsieur le ministre, quelques moyens concrets pour réussir l’indispensable transition de notre agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Guy Benarroche applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Cadec.

M. Alain Cadec. Monsieur le ministre, pour commencer, je tiens à reconnaître que l’engagement européen du Président de la République, de son gouvernement et des députés français au Parlement européen ne peut être remis en cause.

La France ne manque pas d’ambition européenne, bien au contraire ! On serait même tenté parfois de dire qu’elle en a trop, comme lorsqu’elle envisage de laisser entre les mains d’entités supranationales des décisions qui relèvent de la souveraineté nationale, de renoncer à la règle de l’unanimité dans des domaines aussi essentiels que la politique étrangère ou la fiscalité, ou encore d’élargir l’Union européenne.

Quand des objectifs réalistes sont définis, il est possible, voire fréquent, d’obtenir des résultats tangibles. Cependant, la défense des intérêts français en Europe me paraît comporter plusieurs faiblesses notables et systémiques.

La première résulte de notre système politique national, qui fait du Président de la République le seul inspirateur, le seul décideur et, de facto, le seul responsable de toutes les initiatives et positions françaises en Europe, alors même qu’il ne pourra pas se représenter en 2027 et qu’il ne dispose plus d’une majorité assurée à l’Assemblée nationale. Sa crédibilité européenne s’en trouve inévitablement affectée.

La deuxième tient à notre piètre situation économique et budgétaire, notamment à nos déficits publics chroniques, à notre taux d’endettement stratosphérique, à notre niveau record de prélèvements obligatoires et à l’effondrement de notre commerce extérieur.

La troisième est le fruit de la configuration politique qui prévaut en France depuis 2017 et qui marginalise les forces politiques de la droite et de la gauche modérées.

En 2019, cette situation a conduit une grande majorité des députés français au Parlement européen à adhérer aux troisième et sixième groupes politiques transnationaux de l’institution, c’est-à-dire à un groupe qui ne compte pour pas grand-chose, le groupe Renew, et à un autre qui ne compte pour rien, le groupe Identité et Démocratie. En 2024, tout indique que la situation pourrait empirer.

Il me semble difficile, dans ces conditions, d’avoir une vision positive de l’influence française dans les institutions européennes, à moins évidemment qu’un redressement ne s’opère sur chacun des trois éléments je viens d’évoquer.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, il est vrai que certains chefs d’État ou de gouvernement qui représentent leur pays au Conseil sollicitent un mandat formel auprès de leur parlement national.

Je salue à cet égard la pratique qui a cours au Sénat et qui consiste à auditionner le ministre chargé de l’Europe avant et après le Conseil européen, car, à mon sens, c’est une manière pour votre assemblée, donc pour le Parlement, de s’approprier pleinement ces questions, qui seraient autrement débattues de manière très lointaine, même si Bruxelles n’est finalement pas si éloignée…

Concernant la piètre situation économique et budgétaire de la France, je ne voudrais pas remuer le couteau dans la plaie, mais, si l’on peut certes toujours faire mieux, on aurait bien aimé que vos collègues députés Les Républicains soutiennent la réforme des retraites que nous avons engagée, en vue de redresser nos finances publiques. (M. Alain Cadec fait mine de jouer du violon.)

M. Didier Marie. Rassurez-vous, ils voteront celle de l’assurance chômage ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Enfin, s’agissant de la configuration politique que vous venez de décrire, permettez-moi d’être en désaccord avec votre constat.

Ce qui a permis à la France d’être aussi influente ces cinq dernières années sur des sujets aussi divers que la réciprocité dans les échanges commerciaux, le nucléaire ou le pacte sur la migration et l’asile, c’est précisément le fait que la France présidait un groupe pivot au Parlement européen, à savoir le groupe Renew. (M. Alain Cadec le conteste.)

Ainsi, même si cela peut sembler étonnant et paradoxal, la proportion des votes de ce groupe qui ont été suivis d’effets et qui ont conduit à des décisions conformes à ses souhaits est plus élevée que celle de votre groupe parlementaire au Parlement européen, le PPE, dont les membres sont pourtant deux fois plus nombreux que ceux du groupe des Socialistes et Démocrates et du groupe Renew. (M. Alain Cadec proteste de nouveau.)

De fait, ce groupe occupe une place tout à fait centrale dans le processus conduisant à un certain nombre de décisions. Dans la mesure où il est présidé par la délégation française, il est en mesure d’engager le vote en tenant compte des orientations françaises.

M. Michaël Weber. Je n’ai rien compris à la démonstration !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.

M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le ministre, je souhaite aborder un sujet qui est au cœur de toutes les discussions dans le cadre de l’actuelle campagne des élections européennes, celui de l’immigration.

Le 14 mai 2024, le Conseil de l’Union européenne a adopté le pacte sur la migration et l’asile, qui devra s’appliquer à partir de 2026. Celui-ci vise principalement à renforcer les contrôles aux frontières par la mise en place d’un filtrage des personnes tentant d’entrer illégalement sur le territoire européen, mais aussi à organiser la gestion de l’asile.

Or, sur le terrain, nous sommes toujours dans un entre-deux.

Le 21 septembre 2023, saisie d’une question préjudicielle portant sur l’ordonnance du 16 décembre 2020, qui permet à un État de prendre une décision de refus d’entrée sur le territoire national, également appelée procédure de réadmission, conformément au code frontières Schengen, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé que les pratiques de la France étaient contraires à la directive Retour de 2008.

Désormais, les migrants bénéficieront donc d’un délai de vingt-quatre heures, ce qui doit leur laisser le temps d’opter, ou non, pour un retour volontaire dans le pays d’origine. Dans les Hautes-Alpes, mon département, qui est frontalier de l’Italie, la situation est inextricable : en 2023, ont été interpellées 6 151 personnes et 4 809 mesures de non-réadmission ont été prises.

D’un côté, nous n’avons pas les moyens de rendre la frontière étanche en raison du contexte naturel. De l’autre, les moyens humains et matériels limités ne permettent pas d’assurer un accueil digne et humain. Par exemple, les rétentions sont régulièrement effectuées dans des algécos à plus de 2 000 mètres d’altitude. Sur ce point, la France n’est pas à la hauteur.

La thématique migratoire reste omniprésente. C’est pourquoi, monsieur le ministre, le pacte sur la migration et l’asile, qui vise plus précisément les frontières extérieures de l’Union européenne, ne donne pas du tout satisfaction.

Aussi, pour informer les populations de mon département et, au-delà, répondre aux légitimes questions des Français, je vous poserai deux questions. Quelle sera la position du gouvernement français en matière migratoire lors de la prochaine mandature ? Et quelles mesures défendra-t-il afin de mieux réguler les migrations secondaires et de pouvoir appliquer les procédures de réadmission dans le cadre la directive Retour ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, le pacte sur la migration et l’asile est l’aboutissement de dix années de travail.

Ce texte visait à la fois à trouver un juste partage des responsabilités en termes d’accueil entre les pays de première entrée et les pays de « base arrière », si je puis dire, et à garantir la protection effective des frontières, en enregistrant les demandes d’asile des ressortissants de pays d’origine sûrs à la frontière, mais aussi en contrôlant, en filtrant et en suivant les demandeurs d’asile, dès lors qu’ils franchissent une frontière extérieure de l’Union européenne.

S’agissant de la situation dans votre département, les Hautes-Alpes, la réforme du code frontières Schengen, adoptée le 24 mai 2024, donnera à nos forces de l’ordre les moyens de protéger efficacement nos frontières intérieures. Le nouveau régime permettra de tirer les conséquences des décisions récentes de la Cour de justice de l’Union européenne et d’éloigner les personnes en situation irrégulière arrêtées à nos frontières vers l’État membre d’où ils sont arrivés.

Je vous propose, si bien sûr vous en êtes d’accord, de vous apporter ultérieurement toutes les informations utiles pour répondre le plus précisément possible à vos questions.

Mme la présidente. La parole est à Mme Karine Daniel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Karine Daniel. Monsieur le ministre, malgré la tournure du débat de ce soir, j’espérais que l’on épargne aux Européennes et Européens sincères que nous sommes non seulement un certain nombre de caricatures et de critiques, mais aussi les élans d’autosatisfaction qui pourraient nous guetter dans un contexte difficile pour tous les Européens réellement attachés au progrès.

Nous pouvons continuer à nous jeter les objectifs et les votes à la figure pendant toute la soirée, mais il se trouve que le groupe des Socialistes et Démocrates (S&D), au sein duquel siègent les députés socialistes, a défendu avec sincérité le Pacte vert pour l’Europe et que nous souhaitons aujourd’hui encourager le développement des politiques publiques qui en découlent.

On a beaucoup parlé d’environnement ce soir. Or, même si notre ambition est de continuer à progresser, nous avons probablement échoué à entraîner les citoyennes et les citoyens dans ce combat pour la transition écologique.

Quand vous nous parlez de ces gigafactories, que l’on attend comme le Grand Soir, monsieur le ministre, je ne puis m’empêcher d’avoir quelques doutes, parce que, parallèlement, nous sommes incapables d’assurer le développement des industries de ce secteur, qui investissent dans nos territoires et dont les salariés sont licenciés.

Je pense naturellement à l’entreprise Systovi dans mon département, mais aussi aux usines de General Electric, qui signe de gros contrats dans le port de Saint-Nazaire aujourd’hui, pour lesquelles on annonce de vastes plans sociaux demain, parce qu’il n’y aura plus aucune activité à vingt kilomètres à la ronde.

C’est notre échec et celui du Gouvernement qui suscitent l’incompréhension des citoyennes et citoyens européens.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Madame la sénatrice, je suis quelque peu étonné.

En écoutant la première partie de votre question, j’étais assez d’accord avec vous : si une menace plane sur l’avenir de l’Europe, c’est bien celle des nationalistes et des populistes, qui veulent s’attaquer à l’Union européenne en tant qu’organisation politique fondée, il y a plusieurs décennies, sur un principe de respect absolu et en toutes circonstances de l’État de droit, c’est-à-dire de la liberté, de l’indépendance de la justice, de la liberté de la presse, de la liberté académique, etc.

Ce principe dégoûte les nationalistes et les populistes. Aussi les démocrates, quelle que soit leur sensibilité, devront-ils le défendre avec ardeur.

Toutefois, votre question prend ensuite un virage déroutant : vous accusez le Gouvernement d’avoir contribué à la désindustrialisation, alors que tous les chiffres démontrent le contraire. Certes, nous n’avons pas encore retrouvé les niveaux que la France a atteints par le passé, mais nous ouvrons désormais bien plus d’usines que nous en fermons et la France est le pays le plus attractif en Europe pour les investissements étrangers pour la cinquième année consécutive.

Cette statistique n’aurait pas une grande valeur en soi si l’on ne constatait pas que les usines financées par ces investissements étrangers s’installent dans les territoires les plus fragiles de notre pays, notamment les villes moyennes, qui étaient il y a sept ans encore parmi les plus pauvres de la République.

Aussi tendons-nous à penser que la politique d’attractivité économique qui a été menée par le Gouvernement a été plutôt positive, tout du moins à l’échelle nationale.

Mme la présidente. La parole est à Mme Karine Daniel, pour la réplique.

Mme Karine Daniel. Monsieur le ministre, on ne peut pas parler d’attractivité sous le seul prisme d’une dépendance vis-à-vis des capitaux étrangers ! Il convient de se pencher sur notre capacité à créer du développement endogène.

Vous avez mentionné les universités européennes, un sujet sur lequel mon collègue Ronan Le Gleut et moi-même sommes en train d’élaborer un rapport : notre échec est de ne pas lier suffisamment recherche, innovation et développement sur notre territoire et en Europe.

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Monsieur le ministre, alors que le Président de la République prononçait le 25 avril dernier un discours sur l’Europe, sept ans après son premier discours de la Sorbonne de septembre 2017, et alors que l’échéance des élections européennes approche, il nous est proposé par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, que je remercie de cette initiative, de dresser le bilan de l’action française à l’échelle européenne.

Au regard de la multiplicité des thématiques et du temps qui m’est imparti, je ne saurais le faire de manière exhaustive. Aussi ai-je choisi de me concentrer sur le sujet de la politique étrangère.

De longue date, notre pays est réputé pour l’excellence de sa diplomatie, qui est sans conteste l’une de nos forces. Nous avons su prendre conscience de l’importance, pour atteindre nos objectifs, d’une présence active en tout point de la planète. La France s’est donc logiquement positionnée en faveur d’une cohérence diplomatique à l’échelle européenne.

Si les États membres mènent évidemment leur propre politique internationale de manière indépendante, nous pouvons démultiplier les effets de nos politiques étrangères en unissant nos forces et nos voix, ce qui apparaît crucial face à la force de frappe de certains pays.

Or il me semble, comme je l’ai déjà dit par le passé, que nous n’avons pas suffisamment concrétisé cette ambition : l’Union européenne reste trop peu audible sur la scène internationale, ce qui laisse de la place à des États qui peuvent être mal intentionnés.

La France doit donc continuer de pousser à Bruxelles en faveur de la construction de véritables partenariats entre les Vingt-Sept et des pays tiers, qui ne reposent pas uniquement sur des accords commerciaux. En effet, ces partenariats doivent relever d’une véritable stratégie d’influence sur l’ensemble des continents, de manière indépendante des États-Unis.

La France peut et doit être un moteur à ce sujet au sein de l’Union européenne. Pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, que la France ne relâchera pas ses efforts en ce sens ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, je vous remercie de me donner l’occasion d’évoquer les pistes de réflexion du Gouvernement pour renforcer le poids diplomatique de l’Union européenne. Parmi celles-ci figure la mise en cohérence des outils de la politique extérieure de l’Union européenne, même si cela suppose encore beaucoup de travail.

À l’heure actuelle, le Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui incarne la politique étrangère européenne, n’est pas chargé des instruments d’aide au développement ou de la politique commerciale.

Vis-à-vis de l’extérieur de l’Union européenne, les responsabilités de la Commission européenne semblent faire l’objet d’un éclatement, alors même que l’Union dispose d’outils puissants : la stratégie Global Gateway et la politique commerciale de l’Union pourraient être plus utilement mises au service de sa politique extérieure et de sa diplomatie.

Par ailleurs, il convient d’améliorer la capacité des États membres à se mettre d’accord sur leur position dans les délais serrés qu’exige parfois la diplomatie. C’est pourquoi le Président de la République, dans son discours de la Sorbonne, a déclaré qu’il était ouvert à cheminer vers un processus décisionnel fondé sur la majorité qualifiée pour les sujets de politique fiscale et de politique étrangère.

J’ai compris que cette idée ne faisait pas l’unanimité au sein de cet hémicycle, ce qui est bien normal, mais cela nous permettrait d’aller plus vite dans certaines situations.

Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le ministre, le commissaire Johannes Hahn a récemment déclaré que « le budget européen actuel n’est pas adapté à nos priorités d’avenir ». Il préconise un budget beaucoup plus important, qui serait alimenté par de nouvelles ressources propres. En effet, les besoins d’investissements de l’Union européenne sont immenses en matière de réindustrialisation, de compétitivité, de défense, mais aussi pour réussir la transition écologique sans qu’elle pèse sur les plus modestes.

Dans le même temps, nous constatons que les inégalités de patrimoine se sont accrues. La fortune des milliardaires a explosé : en France, leur patrimoine a augmenté de 493 % en dix ans.

Pourquoi ? Parce que la fiscalité des très riches est très faible, en France comme partout en Europe, à l’exception peut-être de l’Espagne. Comme l’a démontré Gabriel Zucman, les ultra-riches, c’est-à-dire les 0,01 % les plus riches de la population, sont imposés à un taux réel bien inférieur à celui auquel le sont les personnes appartenant à la classe moyenne.

Face à ce constat, il semble indispensable de taxer les milliardaires à l’échelle européenne. Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque centrale européenne (BCE) eux-mêmes appellent à le faire ! Une taxe de 2 % sur le patrimoine des ultra-riches pourrait rapporter 42 milliards d’euros. C’est une question de justice sociale et d’efficacité économique.

Monsieur le ministre, pourquoi la France n’a-t-elle pas défendu cette solution ? D’une manière générale, pourquoi n’a-t-elle pas été plus offensive sur la question des ressources propres ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Madame la sénatrice, mais si, la France a défendu cette solution ! Seulement, elle l’a fait dans le cadre du G20 ou de l’OCDE.

Elle a également plaidé pour l’impôt minimum mondial sur les sociétés, qui vient d’entrer en vigueur à l’échelle européenne, ce qui est une victoire historique contre les paradis fiscaux et l’évasion fiscale. Si nous sommes parvenus à un tel accord, c’est grâce au travail résolu de la France dans le cadre de l’OCDE.

Forts de ce succès, nous voulons aboutir à la création d’une taxation minimale des très hautes fortunes, comme nous l’avons fait pour l’impôt sur les sociétés.

Cela dit, le Président de la République a évoqué à plusieurs reprises la nécessité de doubler la capacité d’investissement de l’Union européenne. Il a même dit, à Dresde, en Allemagne, qu’il fallait doubler le budget de l’Union, ce qui n’a pas manqué d’être relevé par nos partenaires allemands.

Pourtant, ceux-ci voient bien que l’on ne peut pas réussir la transition verte de nos industries, à commencer par les industries automobiles et chimiques allemandes, que l’on ne peut pas investir dans les industries stratégiques pour réduire notre dépendance excessive dans plusieurs domaines et que l’on ne peut pas développer une industrie européenne de la défense sans se donner les moyens de le faire !

Il n’est pas question de sacrifier la politique agricole (PAC) et la politique de cohésion à ces nouveaux objectifs, qui viennent se surajouter aux objectifs préexistants. Pour cela, nous devrons trouver des ressources nouvelles. Dans la contribution commune issue du conseil des ministres franco-allemands qui s’est tenu hier, la nécessité de dégager des ressources propres est évoquée.

La question est de savoir lesquelles. Le Président de la République, dans son second discours de la Sorbonne, a évoqué la piste de la taxe sur les transactions financières, qui pourrait rapporter gros.

M. Didier Marie. Qui a déjà été mise sur la table !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Oui, monsieur le sénateur, et le chancelier Scholz s’était prononcé en sa faveur en 2020. Cette piste pourrait être remise sur le métier.

Il a également évoqué les ressources issues de la taxe qui est payée par les ressortissants extracommunautaires grâce au système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages, dit Etias (European Travel Information and Authorization System), au terme du pacte sur la migration et l’asile, ainsi que le premier pilier, à savoir la taxation des multinationales dans le cadre de l’OCDE, qui ne s’est pas tout à fait concrétisée,…

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. … sans oublier, bien sûr, la taxe carbone, dite taxe ETS (Emissions Trading System) et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).

De toute évidence, il est nécessaire d’avancer sur ce sujet, qui est sans doute l’un des plus sensibles pour les années qui viennent.

Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour la réplique.

Mme Florence Blatrix Contat. En effet, le premier pilier de la taxation sur les multinationales est un bon projet, mais les ressources qu’il dégagerait seraient plutôt affectées – et c’est une bonne chose – à des fonds pertes et dommages pour les pays les plus pauvres subissant les effets du changement climatique.

Il nous faut vraiment dégager des ressources au sein de l’Europe. Si nous n’y parvenons pas, le grand plan de relance de 750 milliards d’euros devra être remboursé par des contributions nationales.

Pour l’instant, le bilan n’est pas très favorable. Pour éviter un échec, il convient d’avancer sur cette question cruciale des ressources propres.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac.

Mme Marta de Cidrac. Monsieur le ministre, le 1er janvier 2026 entrera en vigueur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, une taxe qui obligera les entreprises européennes qui importent depuis un autre continent des produits polluants – essentiellement des matières premières – à payer une compensation pour les émissions causées, par exemple, par l’extraction et le transport de ceux-ci.

Le 1er octobre 2023, la phase à blanc a été lancée, ce qui, comme vous l’avez rappelé, a permis de dégager quelques pistes de réflexion et interrogations. En effet, les ambitions européennes de la France ne sont que partiellement satisfaites par le MACF.

Nul ne conteste qu’il s’agit d’une victoire d’un point de vue écologique, mais on ne peut pas en dire autant en matière de compétitivité. Notre espace économique apparaît très vulnérable aux manœuvres de triche ou de contournement, et je ne parle pas de la distorsion de concurrence qui risque de s’installer pour les produits européens si nos partenaires commerciaux ne se dotent pas des mêmes règles environnementales.

Monsieur le ministre, en tant que représentant de la France au Conseil de l’Union européenne, il est important que vous fassiez entendre une voix forte pour que ce règlement en demi-teinte n’en reste pas là. Avez-vous prévu d’agir d’ici à l’entrée en vigueur du MACF ? Le cas échéant, quelles mesures envisagez-vous de mettre en œuvre ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Madame la sénatrice, je rappelle que la taxe carbone aux frontières est une idée française, que nous défendions déjà lors de la présidence française de l’Union européenne en 2008. Nicolas Sarkozy avait alors tenté de faire faire prospérer cette idée, héritée de Jacques Chirac. C’est donc avec une grande satisfaction que nous avons accueilli l’adoption de ce principe lors de la mandature qui vient de s’achever.

La taxe carbone aux frontières sera appliquée très progressivement à partir du 1er octobre 2023 sur les importations de certains produits industriels, dont le fer, l’acier, l’hydrogène, le ciment, les engrais, l’aluminium et l’électricité. Une période transitionnelle de deux ans est prévue jusqu’au 1er janvier 2026, durant laquelle les obligations ne seront que déclaratives.

Ainsi, le MACF ne sera pleinement appliqué qu’en 2034, ce qui laissera le temps de l’ajuster, si nécessaire, afin de répondre à vos préoccupations légitimes, que le Gouvernement partage, quant à un éventuel contournement ou à une couverture insuffisante de ce dispositif.

Quoi qu’il en soit, un premier pas important a été franchi pour garantir aux industriels de notre continent que les règles auxquelles nous nous astreignons s’appliquent aussi à leurs concurrents des autres régions du monde au travers de ce mécanisme.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.

Mme Marta de Cidrac. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.

Toutefois, en matière d’ajustement carbone, l’Union européenne devra faire preuve d’une très forte vigilance pour éviter tout contournement ou toute tricherie, qui ferait perdre beaucoup de compétitivité à nos entreprises. Nous devons collectivement nous montrer très attentifs sur ce point.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc.

M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le ministre, il y a vingt-quatre ans et deux mois, le Conseil européen de Lisbonne des 23 et 24 mars 2000 fixait l’objectif de faire de l’économie de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010 », grâce à une stimulation de l’effort communautaire en matière de recherche et d’innovation.

Or non seulement la cible de 2010 a rapidement été jugée irréaliste, puis abandonnée, mais le dernier quart de siècle a été marqué par une accentuation continue du poids des États-Unis dans l’innovation mondiale, notamment dans les domaines numériques les plus disruptifs, comme l’intelligence artificielle.

La société allemande BioNTech, qui a joué un rôle majeur dans le développement des vaccins et des thérapies à base d’ARN messager, a été créée en 2008, mais elle n’a bénéficié de son premier soutien européen qu’en 2019, de la part de la Banque européenne d’investissement (BEI), alors qu’elle avait été soutenue tôt par la Fondation Bill et Melinda Gates…

Pendant ce même quart de siècle, la Silicon Valley a été le principal foyer de l’innovation numérique mondiale, souvent catalysé par les programmes de la Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency, Agence pour les projets de recherche avancée de défense). Cette agence du Pentagone stimule l’innovation disruptive par des mécanismes particulièrement agiles.

Alors que l’Europe avait pris le leadership mondial dans le domaine du lancement spatial grâce à Arianespace, elle l’a perdu lorsque des start-up innovantes, à commencer par SpaceX, ont rapidement émergé à la suite du choix de la Nasa de mettre en concurrence les acteurs privés pour assurer les services de lancement – un choix qui vient seulement d’être imité très récemment par l’Agence spatiale européenne.

Cette accentuation du leadership technologique américain est due non pas à une quelconque supériorité naturelle des ingénieurs et des chercheurs exerçant aux États-Unis, dont, au reste, une partie est née en Europe ou en Asie, mais à une supériorité écrasante de l’écosystème innovant américain. Ce dernier est bien plus efficient et agile que l’écosystème européen, qui est souvent paralysé par les processus fastidieux qu’impose une certaine culture bureaucratique.

Monsieur le ministre, comment la France peut-elle amorcer un changement organisationnel et culturel majeur, pour enfin créer un écosystème européen qui inciterait nettement plus à innover ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, vous posez une question essentielle, celle de la capacité de l’Union européenne à innover et à se placer à la frontière de la connaissance en matière de recherche et de développement.

Permettez-moi de vous faire part de la signature, en marge de la visite du Président de la République en Allemagne, d’un contrat pour développer la première station internationale privée, entre, d’un côté, un consortium rassemblant Airbus et deux groupes américain et japonais – l’acheteur –, et, de l’autre, une start-up franco-allemande fondée en France par une Française, Hélène Huby – le vendeur –, laquelle a conçu la première capsule européenne privée, susceptible d’approvisionner cette future station.

La signature de ce contrat revêt une portée symbolique : c’est sur une initiative franco-allemande que l’innovation spatiale européenne renaît. C’est très prometteur, même si d’aucuns objecteront qu’il ne s’agit que d’une entreprise. Assurément, de nombreuses autres devront suivre pour que l’Union européenne s’illustre, dans ce domaine comme dans d’autres.

L’un des instruments les plus remarquables ayant été développés ces dernières années est le programme-cadre Horizon Europe, doté de 100 milliards d’euros qui seront consacrés au soutien aux universités, à la recherche et à l’innovation. Il est à ce point remarquable que nous négocions un accord avec la Suisse, qui veut y être associée, tant il a permis de développer l’investissement et la recherche, dans ce pays comme partout ailleurs en Europe.

Le Président de la République, dans son discours de la Sorbonne, a affiché l’objectif d’atteindre une part de 3 % du PIB européen qui serait consacrée à la recherche et au développement. Nous tâcherons de rallier nos partenaires européens à ce principe dans les semaines à venir.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel.

M. Stéphane Sautarel. Monsieur le ministre, la question dont il nous est donné de débattre est très large et recouvre des entrées multiples pouvant susciter de nombreuses réponses. Pour ma part, j’ai pris le parti de l’examiner sous le prisme du poids de la France et de son influence au sein de l’Union européenne.

En effet, il semble, hélas ! que notre parole porte de moins en moins, et cela pour une raison simple : notre faiblesse intérieure, liée au manque d’ordre tant dans nos comptes que dans nos rues, pour paraphraser un ancien Premier ministre, ne nous permet plus d’être entendus à l’échelle européenne, comme nous devrions encore l’être.

Les récentes initiatives de la France en matière de budget européen – en particulier le recours à une dette européenne propre, alors même que nous ne savons toujours pas comment rembourser l’emprunt covid – et de défense commune semblent nous isoler davantage encore.

La procédure de déficit excessif qui devrait nous frapper après le 9 juin est inquiétante, tout comme la manière dont Bruxelles a réagi à la transmission de notre programme de stabilité.

À quelques jours des élections européennes du 9 juin prochain et dans la perspective du prochain cycle 2024-2029, la question de l’influence française au sein des prochaines instances se pose, notamment dans la perspective de déterminer les prochaines orientations budgétaires et la future PAC.

Sommes-nous mieux placés qu’il y a cinq ans pour faire valoir nos positions, dans un contexte de durcissement des relations internationales et de décrochage de notre continent ?

Monsieur le ministre, comment abordez-vous cette échéance, du point de vue tant des priorités stratégiques que nous défendons – mettre fin à la naïveté de notre politique de concurrence, qui affaiblit notre souveraineté, et défendre la PAC, tout en maintenant un budget européen soutenable – que des postes à responsabilité – cabinet des commissaires, responsabilité de directions générales structurantes, chefs de délégation – au sein de la Commission européenne ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, permettez-moi de formuler un diagnostic divergent : la France n’a sans doute jamais été aussi influente en Europe que ces cinq dernières années. (M. Didier Marie proteste.)

Toutefois, l’influence se cultive, s’entretient, se travaille. Aussi avez-vous raison de pointer les deux dimensions de l’influence française.

Tout d’abord, nous devons diffuser nos idées auprès de nos partenaires. Je pense en particulier à la défense de l’agriculture et de nos agricultures, dont presque personne, que ce soit au sein de cet hémicycle ou dans tout le pays, ne conteste qu’il s’agit d’une priorité. Or cette idée simple est une idée française ; dans de nombreux pays européens, elle ne relève pas de l’évidence. C’est pourquoi l’influence est nécessaire pour la faire prospérer.

Ensuite, notre influence doit être incarnée au sein des institutions européennes par des hommes et des femmes.

En ce qui concerne la première dimension, nous avons des idées très claires, que ce soit sur la PAC, sur la souveraineté industrielle ou sur la réciprocité dans les échanges. Celles-ci ont été exprimées de manière très précise et détaillée dans le discours de la Sorbonne du Président de la République, que notre diplomatie s’attache à relayer auprès de nos homologues, que ce soit dans les capitales ou au sein des instances européennes, auprès de ceux qui ont la responsabilité d’y représenter leur pays.

Nous sommes allés jusqu’à mobiliser l’intelligence artificielle pour convertir le discours de la Sorbonne dans les langues de l’Union européenne, afin d’effacer les barrières de la langue et le rendre ainsi accessible au plus grand nombre.

Pour ce qui concerne à présent les hommes et les femmes qui incarneront ces priorités, notre présence au sein des institutions européennes est tout à fait convenable, et de nombreux pays nous l’envient.

Toutefois, il nous faut la préserver. C’est la raison pour laquelle j’ai rencontré ces dernières semaines, sous l’autorité de Stéphane Séjourné, les directeurs généraux français de la Commission européenne, du Conseil de l’Union européenne et du Service européen pour l’action extérieure (SEAE). J’ai également rencontré les Français qui travaillent dans les cabinets des commissaires européens.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. En outre, nous accueillerons dans les prochaines semaines à Paris l’ensemble des Français de la Commission, pour nous assurer que nous sommes bien représentés à tous les étages dans les administrations et que les idées françaises y sont bien incarnées.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour la réplique.

M. Stéphane Sautarel. Je vous remercie de vos réponses, monsieur le ministre. Mon inquiétude porte non pas sur les idées que vous défendez, même si elles méritent de faire l’objet d’un débat, mais sur notre crédibilité pour les faire valoir.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Avant tout, je tiens à remercier nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’avoir demandé l’organisation de ce débat ; la question posée est d’une brûlante actualité.

Monsieur le ministre, je suis certes le dernier à vous interroger, et nombre de sujets ont déjà été abordés. Mais nous pouvons approfondir encore de nombreuses questions, notamment agricoles. Ces dernières se posent avec une acuité toute particulière dans le département des Ardennes, dont j’ai l’honneur d’être l’élu.

La France fait partie des trois plus importants contributeurs au financement de l’Union européenne – pour l’État, ce poste de dépenses représente près de 23 milliards d’euros chaque année –, et c’est bien normal, car il y va de la solidarité entre les pays membres. Toutefois, je m’interroge sur la complexité des dossiers exigés pour obtenir des aides européennes. Pour les collectivités territoriales, les entreprises ou encore les associations, ces procédures sont toujours très complexes.

Par ailleurs, permettez-moi d’évoquer un sujet qui me passionne de longue date, à savoir le ferroviaire, et de citer un exemple selon moi tout à fait significatif.

Dans mon département, qui est frontalier de la Belgique, il manque 22 kilomètres de voies entre Givet et Dinant pour assurer la liaison ferroviaire Reims-Charleville-Mézières-Givet-Namur. On déplore cette lacune depuis plus de vingt ans, mais le tronçon dont il s’agit manque encore et toujours.

Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous nous battons toutes et tous en faveur des infrastructures, notamment ferroviaires, car c’est un véritable enjeu d’aménagement du territoire ; 22 kilomètres de voies, ce n’est pas si considérable ; pourtant, on n’arrive pas à les obtenir…

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, vous insistez tout d’abord sur l’effort de simplification que l’Union européenne se doit selon vous d’accomplir.

La Commission européenne s’est engagée à réduire de 25 % le volume de normes et d’obligations déclaratives qu’elle impose aux entreprises, notamment aux exploitations agricoles. Nous veillerons très attentivement à ce que cet objectif soit tenu. Dans la discussion qui s’engage au sujet de l’agenda stratégique des cinq prochaines années, nous allons même proposer de le rendre plus ambitieux encore.

Comme vous, je me passionne pour les sujets transfrontaliers, car c’est à la frontière que l’on ressent le mieux l’existence de l’Europe, qu’il s’agisse d’ailleurs d’une frontière intérieure ou d’une frontière extérieure de l’Union européenne.

La voie ferrée de transport de passagers qui reliait Givet à Dinant n’étant plus exploitée depuis 1990, il n’existe plus d’interconnexion entre les réseaux français et belge sur plus de 200 kilomètres entre Maubeuge et Longwy – si d’aventure je me trompe dans mes chiffres, vous ne manquerez pas de me corriger ! (Sourires.)

La réouverture de cette ligne est envisagée depuis 2004. J’ajoute qu’une étude franco-belge sera financée pour le segment Reims-Namur-Bruxelles.

Depuis 2015, des travaux de régénération de la ligne Charleville-Givet sont engagés ; et, en 2021, une déclaration d’intention franco-belge a été publiée pour lancer de nouvelles études de potentiel. Ces dernières ont été entreprises en 2022, pour un montant de 119 000 euros, sous maîtrise d’ouvrage de SNCF Réseau. S’y ajoute désormais un travail d’estimation du coût de réouverture de la ligne, comprenant son électrification.

Les conclusions de ces études sont attendues avant la fin de l’année 2024. Aussi, je me propose de rester en lien avec vous pour traiter plus avant ce dossier. Je l’ai découvert à l’occasion de ce débat, dont je remercie bien sûr les élus du groupe socialiste.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.

M. Marc Laménie. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Il faut s’efforcer de rester positif : je vais donc continuer d’espérer, car je crois sincèrement au ferroviaire !

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. Michaël Weber, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Michaël Weber, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si des ambitions pour l’Europe ont été affirmées, elles ont ensuite été dévoyées dans la pratique.

Relance, planification ou encore réarmement sont autant de termes dotés d’une grande portée symbolique. Mais ces mots n’auront pas suffi à prouver la force du projet européen. Bien au contraire, ils alimentent le ressentiment contre une Europe jugée dogmatique et tissée de formules stéréotypées.

Monsieur le ministre, l’Europe que construit votre majorité est celle du renoncement. C’est une Europe qui renie notre modèle social, environnemental et économique, sapant ainsi les fondements de notre attractivité de par le monde.

En renonçant à ces valeurs, non seulement on provoquerait un retour en arrière, mais on en viendrait à accepter tacitement la détérioration démocratique et sociale de nos sociétés. Or nos démocraties ne survivront pas sans garantir la justice sociale ni offrir une place à chacun.

Pour notre part, nous voulons donner à l’Union européenne les moyens d’agir pour améliorer la vie quotidienne des Européens face aux multiples crises qu’ils subissent.

Ces actions s’inscriront dans une vision globale défendant la valeur travail. À cet égard, l’égalité entre les femmes et les hommes est l’une de nos priorités : c’est précisément pourquoi nous souhaitons sanctionner financièrement les entreprises qui dérogent à ce principe. Limitons les écarts de salaires pour assurer la plus juste répartition de ces derniers et instaurons un revenu minimum garanti pour que personne ne soit laissé-pour-compte.

Notre ambition est frappée du sceau de la solidarité à l’égard des ménages, des travailleurs et de tous ceux que votre modèle exclut. La pauvreté, qui va croissant, le dumping social ou encore l’accès différencié à la santé ne sauraient exister dans le contre-modèle que nous défendons.

Nous ne sommes ni la Chine ni les États-Unis : il ne s’agira pas de produire plus, mais de produire mieux, en adoptant résolument des pratiques vertes. Nous ne saurions envisager une écologie qui recule devant un lobby d’industriels de la terre.

Il faut refuser fermement ce modèle, qui nous entraîne dans une course productiviste délétère, preuve ultime des méfaits du capitalisme. S’il est de coutume de se cacher derrière la loi du marché, il tient à nous, les élus, d’assumer un choix qui nous définira comme Européens.

Au titre de la politique agricole commune (PAC), refusons le conditionnement des aides à l’hectare et proposons une rémunération plus juste, dépendant à la fois du nombre d’emplois créés par l’activité visée et de son utilité écologique.

Ne soyons pas dupes de ceux qui cherchent à exploiter la cause écologique pour poursuivre leurs rêves de production et de consommation effrénées, tout en prétendant répondre à une véritable demande sociale et économique. La transition écologique devient dès lors la source de nouvelles inégalités ; elle conduit à produire la richesse sur le dos des plus fragiles.

L’agriculteur en souffrance est sommé de devenir énergéticien et le commerce bio d’adopter un business model ciblant les ménages les plus aisés.

Aussi, ne laissons pas l’écologie aux mains des marchands. À l’inverse, les nécessités écologiques doivent nous conduire à créer des mécanismes de correction assurant une transition juste et adaptée à la réalité.

Cette transition est une nouvelle occasion de lutter contre les inégalités en réparant les fractures territoriales entre villes et campagnes. C’est ce cadre qui nous garantira un socle humaniste et démocratique ferme : celui qui garantit les droits des plus vulnérables, qui concrétise l’initiative citoyenne et qui jamais ne cédera à l’accaparement privé du pouvoir par les groupes d’intérêts.

Nous devons restaurer la confiance en l’avenir, ce qui exige d’accomplir un effort soutenu en faveur d’une Europe juste. La compétition fiscale déloyale entre États est une aberration. Elle perdure au fil des années, alors que l’Europe aurait dû y mettre fin depuis longtemps.

La redistribution est un enjeu crucial, mais il nous reste à établir une imposition minimale et européenne sur les plus hauts patrimoines.

Cette ambition, que je pensais naïvement être celle du Gouvernement, ne pourra se concrétiser sans le soutien d’une Europe adulte et capable d’assurer sa propre sécurité. Cet impératif suppose de bâtir enfin une défense européenne, de sortir de la dépendance aux énergies fossiles comme aux biens stratégiques produits en Chine, de rompre avec le libre-échange et de réindustrialiser nos nations.

Ne tentons pas de jouer à un jeu dont nous refusons les règles. Nous défendons le principe des mesures douanières miroirs, ainsi que la constitution d’un fonds coordonné par la Commission européenne en vue d’une défense européenne enfin consistante et indépendante.

Notre production devra s’accompagner du verdissement de nos énergies, que nous voulons souveraines et durables. De même, dans le secteur agricole, nous faisons le choix politique de la préférence verte européenne.

Mes chers collègues, ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas de ressasser une vieille recette politique, puisque l’ambition annoncée est restée lettre morte, neutralisée par un gouvernement expert en fortes paroles, mais aux ambitions bien faibles. Tâchons de réaliser ces aspirations : le volontarisme politique est aujourd’hui notre devoir le plus pressant.

Il est temps de passer des paroles aux actes, pour une Europe juste et prospère. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La France a-t-elle été à la hauteur des défis et de ses ambitions européennes ? »

8

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 30 mai 2024 :

De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :

(Ordre du jour réservé au GEST)

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (texte de la commission n° 620, 2023-2024) ;

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à mieux indemniser les dégâts sur les biens immobiliers causés par le retrait-gonflement de l’argile (texte n° 513, 2022-2023).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures trente-cinq.)

nomination dun membre dune commission mixte paritaire

La commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale a désigné M. Jean-Baptiste Lemoyne pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères, en remplacement de Mme Nicole Duranton, démissionnaire.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Jean-Baptiste Lemoyne est proclamé membre de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères.

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER